La réalité, pour la France, c’est un déficit de plus de 60 milliards d’euros !
En vérité, l’Allemagne bénéficie du cours de l’euro, du fait de la spécialisation de son économie dans le haut de gamme. À l’inverse, la parité de l’euro pénalise les autres pays, notamment la France : moins bien placés dans la division internationale du travail, ils ne peuvent s’ajuster qu’en comprimant leurs salaires et leurs investissements, sauf à accepter un déficit commercial très élevé – trois points de PIB dans notre cas.
Cet écart de compétitivité structurel au sein de la zone euro révèle – je le répète pour la énième fois – le défaut de conception de la monnaie unique, qui date de 1992 et même d’un peu avant : cette monnaie unique, à l’évidence, est inadaptée à une zone économique hétérogène. La seule issue économique à long terme est la « mezzogiornisation », c’est-à-dire la régression, de l’ensemble des pays de l’Europe du Sud.
Le seul moyen d’éviter cette issue serait de transformer l’euro pour que, de monnaie unique, il devienne une monnaie commune comportant des subdivisions nationales. En somme, il s’agirait de rétablir le système qui fut en vigueur entre 1999 et 2002, lorsque n’existait qu’une monnaie bancaire, ou scripturale, à cette différence près, toutefois, que des ajustements périodiques seraient possibles, sur le fondement de critères objectifs comme la productivité ou le déficit de la balance commerciale.
De cette façon, on ferait l’économie de dévaluations internes si douloureuses qu’elles ne manqueront pas de se traduire, dimanche prochain, dans le résultat des élections européennes. En effet, on peut prévoir, sans risque de se tromper, que l’abstention sera massive : elle sera la réponse, une nouvelle fois apportée, au déni de démocratie qu’a constitué le traité de Lisbonne, signé en décembre 2007 après que les Français, le 29 mai 2005, eurent rejeté massivement, à près de 55 %, le projet de Constitution européenne.
Au demeurant, cette solution politique du problème posé par l’euro est une idée qui commence déjà à faire son chemin en Allemagne. En effet, mes chers collègues, attendez-vous à ce que, de l’autre côté du Rhin, les candidats qui considèrent que l’Allemagne ne peut pas assurer à long terme la survie de la zone euro réalisent des scores – comment dire ? – intéressants. Je pense, pour ma part, que cette vue est juste.
Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes aujourd’hui dans un cercle vicieux. La stagnation économique pèse sur les rentrées fiscales, empêche la réduction des déficits et fait s’envoler la dette, d’autant plus que le PIB diminue, et même s’effondre dans des pays comme l’Espagne et la Grèce.
Ainsi, l’endettement de l’Espagne s’élève à 94 %, celui de l’Italie à 133 %, celui de l’Irlande à 126 %, celui du Portugal à 131 % et celui de la Grèce à 170 % – encore ces chiffres datent-ils de juin 2013. C’est au point que, pour la Grèce, mais aussi pour l’Irlande et peut-être pour Chypre, une restructuration de la dette est inévitable.
Alors on est tout ébaubi sous prétexte que les pays fortement endettés de la zone euro peuvent désormais se refinancer à long terme à des taux moins élevés, de l’ordre de 3 ou 4 % par an. C’est oublier que la Banque centrale européenne a ouvert aux banques italiennes et espagnoles, notamment, des prêts colossaux, dits « LTRO », qui leur permettent des placements très avantageux dans la dette souveraine de leurs pays. Cette injection de liquidités n’est du reste pas suffisante pour ranimer le crédit aux entreprises et sortir la zone euro du marasme.
Notre gouvernement, avec raison, demande à la Banque centrale européenne d’agir pour faire baisser le cours de l’euro. Mais, surévalué pour l’économie française, celui-ci ne l’est pas pour l’Allemagne, qui a beau jeu d’invoquer, à l’appui d’une interprétation à mon avis excessivement stricte du traité de Maastricht, l’article 88 de sa Loi fondamentale. Cet article, en prohibant tout prêt de la banque centrale à l’État, empêche ce que les Anglo-Saxons appellent le quantitative easing.
Ce que font les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Japon, nous ne pouvons pas nous le permettre depuis que nous avons signé le traité de Maastricht. De fait, les pratiques que la Loi fondamentale allemande prohibe nous sont par là même interdites, d’autant que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe veille au respect de la règle. Qui, en 1992, en avait avisé les citoyens français, et les autres européens ?
Une patiente recherche diligentée par la Fondation Res Publica, a fait apparaître que le premier président de la BCE, M. Duisenberg, avait retenu la possibilité, évoquée par les ministres des finances, réunis en décembre 1997, de « formuler des orientations générales en matière de change », uniquement « dans des circonstances exceptionnelles, par exemple lorsque le taux de change de l’euro subit des divergences manifestes et persistantes ».
Monsieur le secrétaire d’État, je tiens ce texte à votre disposition et je vous pose la question : n’est-ce pas le cas aujourd’hui ? Les circonstances ne sont-elles pas « exceptionnelles », alors que le cours de l’euro est supérieur de 15 à 20 % à son cours de lancement ? Il faudrait proposer d’introduire des montants compensatoires monétaires, au-delà de certains déséquilibres externes : trois années d’excédent au-delà de 6 %, comme l’Union européenne elle-même le prévoit, ou quatre points de PIB d’excédent et deux points de déficit, comme les États-Unis l’ont proposé au G20 de Séoul.