Intervention de Stéphane Richard

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 mai 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Stéphane Richard président-directeur général d'orange

Stéphane Richard :

Je vous remercie de votre invitation. Orange, qui se classe parmi les dix premiers opérateurs mondiaux en termes d'activité et de nombre de clients est, en France, le seul acteur international du secteur. C'est là une particularité de notre pays, sachant que sur les autres marchés européens, plusieurs acteurs internationaux coexistent. Tandis que nos concurrents, hors de France, sont, comme Telefonica ou Vodafone, de taille analogue, avec des problématiques comparables aux nôtres, en France, ce sont des opérateurs purement nationaux comme Bouygues Telecom, Free et, dans une certaine mesure, SFR. Le dialogue concurrentiel n'est pas le même dans l'un et l'autre cas.

Orange est présente dans trente-deux pays, avec 240 millions de clients, dont cent millions en Afrique. L'entreprise réalise 90 % de son chiffre d'affaires en Europe, dont près de la moitié en France. Les 10 % restants concernent l'Afrique et le Moyen-Orient, où la croissance de nos revenus est de l'ordre de 5 % à 6 % par an, tandis que dans la zone européenne, nos revenus sont en baisse, sous le double effet, d'une part, de la régulation, qui a capté - par toute une série de mécanismes - la moitié de la croissance spontanée des revenus liée à l'augmentation des usagers et d'autre part, de la baisse des prix. De fait, depuis trois ans, avec l'arrivée, en France, sous l'effet d'une politique de l'offre, de nouveaux acteurs dont les contraintes de coût sont très différentes des nôtres, on a assisté à une chute sans précédent des prix. Les 30 % que nous avons perdus sur le marché du mobile depuis début 2011, alors même que notre structure de coûts, essentiellement liée au réseau, est en grande partie fixe, sont difficiles à absorber. D'où une baisse des marges qui touche, au reste, tous les opérateurs présents de longue date sur le marché, avec les conséquences que cela a sur l'emploi - voir les plans sociaux intervenus chez SFR et Bouygues Telecom l'an dernier.

Néanmoins, dans ce contexte Orange a plutôt bien résisté. Nos parts de marché sont, malgré l'arrivée d'un quatrième opérateur, restées quasi-stables, à 35 %, et nous demeurons le premier opérateur français - malgré l'acquisition programmée de Virgin Mobile par Numericable. Nous avons modernisé l'entreprise en profondeur, en mettant l'accent sur l'arrivée du très haut débit. Dans le réseau mobile tout d'abord, avec la 4G : alors que nous n'avons pu nous déployer sur la bande de fréquence des 1 800 MHz, nous avons résorbé notre retard en mettant les bouchées doubles. Sur le dossier de la fibre, ensuite, dont je sais qu'il vous intéresse tout particulièrement, et sur lequel je reviendrai, sachant que le mariage entre SFR et Numericable pose bien des questions quant au déploiement du très haut débit.

Nous avons stabilisé, l'an dernier, le taux de marge de l'entreprise à 30 % - ce qui n'est pas, comme on l'entend malheureusement trop souvent, exorbitant. Il est plutôt dans la moyenne basse des opérateurs dans le monde, où le taux de marge est davantage de 35 % ou 40 %. Il faut bien comprendre que les marges sont essentielles pour l'investissement. Nous avons investi, l'an dernier, trois milliards en France - sur six milliards pour l'ensemble du groupe - ce qui représente 1,7 % de l'investissement des entreprises en France, et fait de nous l'un des premiers investisseurs de l'Hexagone. Préserver nos marges nous est nécessaire pour construire les infrastructures dont le pays a besoin, tant pour le réseau fixe que pour le mobile.

C'est pourquoi nous avons intensifié nos efforts, pour être plus performants. Nous avons travaillé sur nos structures de coût. Après avoir remplacé, trois ans durant, tous nos départs, et recruté 11 000 personnes entre 2010 et 2012, nous sommes entrés, depuis début 2013, dans une phase de réduction d'effectifs où nous ne remplaçons pas tous les départs. Pour autant, nous continuons à recruter et nous avons développé l'alternance et l'apprentissage. Ainsi, nous avons engagé un plan de recrutement de 5 000 jeunes sur la période 2013-2015 - 4 000 en contrats à durée indéterminée (CDI), et 1 000 supplémentaires dans le cadre du déploiement du très haut débit. Pour absorber la réduction de nos effectifs, nous passons par une réorganisation de nos activités, en tirant profit des évolutions dans les pratiques de nos clients. Ainsi, le nombre d'appel sur nos plates-formes téléphonique ayant baissé, en trois ans, de 80 millions à 55 millions, à mesure que se développait la relation client via le web et que nos efforts sur la qualité de nos process portaient leurs fruits, nous avons pu réduire les effectifs sans nuire à la relation client.

Je veux ici attirer l'attention sur les conséquences du rapprochement entre SFR et Numericable pour le déploiement du très haut débit fixe. J'ai lu le compte rendu de l'audition du Président de Numericable ici même. Sur bien des sujets, je ne partage pas son optimisme. Quid du cofinancement dans les zones où il était prévu, en particulier dans les zones où le câble est présent ? Je m'interroge sur l'énergie que mettra Numericable, dans ce type de configuration, à investir dans la fibre... Et je rappelle que, sans même parler des zones très denses, 4,4 millions de prises sont concernées dont près d'un million qui doivent être déployées par SFR.

Mes autres interrogations touchent à la régulation et à la fiscalité. La régulation des réseaux est un héritage de l'ancien monopole, qui s'est transmis à la fibre, mais pas au câble. Or, un acteur convergent est en passe d'apparaître, qui bénéficiera de cette asymétrie. Nous militons donc pour un « level playing field », une équité dans la régulation, qui passe par un allègement des contraintes sur la fibre et l'imposition de certaines dispositions au câble. Cela est important si l'on veut que le câble soit un adjuvant plutôt qu'une menace dans le déploiement de la fibre. Il faut savoir que cela coûte six à sept fois moins cher de monter en débit un foyer sur le réseau câblé que de déployer la fibre. C'est là un avantage de fait : 300 à 500 euros pour la fibre, 50 euros pour le câble. Si l'on ne remet pas un peu d'équité, la compétition ne sera pas équilibrée.

Cette asymétrie dans la régulation se retrouve dans la fiscalité. Les opérateurs télécoms ont largement payé leur écot ces dernières années, quand les entreprises du câble ont su mettre en avant leur fragilité économique pour obtenir des avantages fiscaux - taux de TVA aménagé, non assujettissement à l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau, optimisation de la taxe sur les services de télévision distributeur, etc. Cette différence de traitement ne sera pas supportable à moyen terme.

Nous appelons, en somme, à créer les conditions d'une compétition équitable, alors que le câble fait une entrée tonitruante dans le paysage. Les objectifs du plan très haut débit sont en jeu et méritent d'être sécurisés.

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