Commission des affaires économiques

Réunion du 20 mai 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • déploiement
  • fibre
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La réunion

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La réunion est ouverte à 15 h 10.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Nous poursuivons notre cycle de réflexion sur le secteur des télécoms et ses perspectives économiques à court et moyen terme avec M. Stéphane Richard, président-directeur général d'Orange, dont l'audition prend, avec l'annonce par la presse d'un rapprochement possible entre Orange et Bouygues Telecom, une actualité toute particulière.

Nous souhaiterions vous entendre sur le bilan de l'entreprise Orange, en termes d'activité, de résultats, de profitabilité et d'emploi. Quelle est votre vision, à court et moyen terme, du secteur des télécommunications en France ? On entend beaucoup dire que nous aurions trop d'opérateurs... Nous serions heureux de vous entendre sur un éventuel rapprochement avec Bouygues Telecom et nous interrogeons sur les assurances que vous avez prises vis-à-vis des autorités contrôlant le respect de la concurrence.

Debut de section - Permalien
Stéphane Richard

Je vous remercie de votre invitation. Orange, qui se classe parmi les dix premiers opérateurs mondiaux en termes d'activité et de nombre de clients est, en France, le seul acteur international du secteur. C'est là une particularité de notre pays, sachant que sur les autres marchés européens, plusieurs acteurs internationaux coexistent. Tandis que nos concurrents, hors de France, sont, comme Telefonica ou Vodafone, de taille analogue, avec des problématiques comparables aux nôtres, en France, ce sont des opérateurs purement nationaux comme Bouygues Telecom, Free et, dans une certaine mesure, SFR. Le dialogue concurrentiel n'est pas le même dans l'un et l'autre cas.

Orange est présente dans trente-deux pays, avec 240 millions de clients, dont cent millions en Afrique. L'entreprise réalise 90 % de son chiffre d'affaires en Europe, dont près de la moitié en France. Les 10 % restants concernent l'Afrique et le Moyen-Orient, où la croissance de nos revenus est de l'ordre de 5 % à 6 % par an, tandis que dans la zone européenne, nos revenus sont en baisse, sous le double effet, d'une part, de la régulation, qui a capté - par toute une série de mécanismes - la moitié de la croissance spontanée des revenus liée à l'augmentation des usagers et d'autre part, de la baisse des prix. De fait, depuis trois ans, avec l'arrivée, en France, sous l'effet d'une politique de l'offre, de nouveaux acteurs dont les contraintes de coût sont très différentes des nôtres, on a assisté à une chute sans précédent des prix. Les 30 % que nous avons perdus sur le marché du mobile depuis début 2011, alors même que notre structure de coûts, essentiellement liée au réseau, est en grande partie fixe, sont difficiles à absorber. D'où une baisse des marges qui touche, au reste, tous les opérateurs présents de longue date sur le marché, avec les conséquences que cela a sur l'emploi - voir les plans sociaux intervenus chez SFR et Bouygues Telecom l'an dernier.

Néanmoins, dans ce contexte Orange a plutôt bien résisté. Nos parts de marché sont, malgré l'arrivée d'un quatrième opérateur, restées quasi-stables, à 35 %, et nous demeurons le premier opérateur français - malgré l'acquisition programmée de Virgin Mobile par Numericable. Nous avons modernisé l'entreprise en profondeur, en mettant l'accent sur l'arrivée du très haut débit. Dans le réseau mobile tout d'abord, avec la 4G : alors que nous n'avons pu nous déployer sur la bande de fréquence des 1 800 MHz, nous avons résorbé notre retard en mettant les bouchées doubles. Sur le dossier de la fibre, ensuite, dont je sais qu'il vous intéresse tout particulièrement, et sur lequel je reviendrai, sachant que le mariage entre SFR et Numericable pose bien des questions quant au déploiement du très haut débit.

Nous avons stabilisé, l'an dernier, le taux de marge de l'entreprise à 30 % - ce qui n'est pas, comme on l'entend malheureusement trop souvent, exorbitant. Il est plutôt dans la moyenne basse des opérateurs dans le monde, où le taux de marge est davantage de 35 % ou 40 %. Il faut bien comprendre que les marges sont essentielles pour l'investissement. Nous avons investi, l'an dernier, trois milliards en France - sur six milliards pour l'ensemble du groupe - ce qui représente 1,7 % de l'investissement des entreprises en France, et fait de nous l'un des premiers investisseurs de l'Hexagone. Préserver nos marges nous est nécessaire pour construire les infrastructures dont le pays a besoin, tant pour le réseau fixe que pour le mobile.

C'est pourquoi nous avons intensifié nos efforts, pour être plus performants. Nous avons travaillé sur nos structures de coût. Après avoir remplacé, trois ans durant, tous nos départs, et recruté 11 000 personnes entre 2010 et 2012, nous sommes entrés, depuis début 2013, dans une phase de réduction d'effectifs où nous ne remplaçons pas tous les départs. Pour autant, nous continuons à recruter et nous avons développé l'alternance et l'apprentissage. Ainsi, nous avons engagé un plan de recrutement de 5 000 jeunes sur la période 2013-2015 - 4 000 en contrats à durée indéterminée (CDI), et 1 000 supplémentaires dans le cadre du déploiement du très haut débit. Pour absorber la réduction de nos effectifs, nous passons par une réorganisation de nos activités, en tirant profit des évolutions dans les pratiques de nos clients. Ainsi, le nombre d'appel sur nos plates-formes téléphonique ayant baissé, en trois ans, de 80 millions à 55 millions, à mesure que se développait la relation client via le web et que nos efforts sur la qualité de nos process portaient leurs fruits, nous avons pu réduire les effectifs sans nuire à la relation client.

Je veux ici attirer l'attention sur les conséquences du rapprochement entre SFR et Numericable pour le déploiement du très haut débit fixe. J'ai lu le compte rendu de l'audition du Président de Numericable ici même. Sur bien des sujets, je ne partage pas son optimisme. Quid du cofinancement dans les zones où il était prévu, en particulier dans les zones où le câble est présent ? Je m'interroge sur l'énergie que mettra Numericable, dans ce type de configuration, à investir dans la fibre... Et je rappelle que, sans même parler des zones très denses, 4,4 millions de prises sont concernées dont près d'un million qui doivent être déployées par SFR.

Mes autres interrogations touchent à la régulation et à la fiscalité. La régulation des réseaux est un héritage de l'ancien monopole, qui s'est transmis à la fibre, mais pas au câble. Or, un acteur convergent est en passe d'apparaître, qui bénéficiera de cette asymétrie. Nous militons donc pour un « level playing field », une équité dans la régulation, qui passe par un allègement des contraintes sur la fibre et l'imposition de certaines dispositions au câble. Cela est important si l'on veut que le câble soit un adjuvant plutôt qu'une menace dans le déploiement de la fibre. Il faut savoir que cela coûte six à sept fois moins cher de monter en débit un foyer sur le réseau câblé que de déployer la fibre. C'est là un avantage de fait : 300 à 500 euros pour la fibre, 50 euros pour le câble. Si l'on ne remet pas un peu d'équité, la compétition ne sera pas équilibrée.

Cette asymétrie dans la régulation se retrouve dans la fiscalité. Les opérateurs télécoms ont largement payé leur écot ces dernières années, quand les entreprises du câble ont su mettre en avant leur fragilité économique pour obtenir des avantages fiscaux - taux de TVA aménagé, non assujettissement à l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau, optimisation de la taxe sur les services de télévision distributeur, etc. Cette différence de traitement ne sera pas supportable à moyen terme.

Nous appelons, en somme, à créer les conditions d'une compétition équitable, alors que le câble fait une entrée tonitruante dans le paysage. Les objectifs du plan très haut débit sont en jeu et méritent d'être sécurisés.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

M. Teston, qui préside avec moi le groupe d'étude « communications électronique et poste » vous prie de l'excuser. Je suis membre de la mission Champsaur, au sein de laquelle j'ai pris très clairement position en faveur de l'extinction naturelle du réseau cuivre. Tout le monde n'est pas de mon avis, mais j'estime que les conséquences d'un autre choix seraient, tant au plan financier que technique, difficiles à mettre en oeuvre.

Les pays qui avaient envisagé une couverture par un réseau d'initiative publique (RIP) y renoncent. Comment expliquer que la France soit le seul pays qui fasse ce choix ? Je n'ai pas de réponse, mais la question mérite d'être posée - et il faudra se souvenir qu'elle l'a été.

La fusion entre Numericable et SFR, en même temps qu'elle ouvre de nouvelles possibilités de déploiement, pose un certain nombre de questions. Le nouvel opérateur mettra-t-il en oeuvre ses intentions de déploiement de la fibre optique ? Le mix technologique associant le câble à des dorsales fibre dont il bénéficiera ouvre la voie à des solutions techniques à l'allemande, où la fibre n'est déployée que pour alimenter du câble. À cette différence près que l'Allemagne, contrairement à la France, est très largement câblée. J'attire également l'attention sur le fait que le ratio qui est le nôtre - 80 % de la population répartie sur 20 % du territoire et, inversement, ce dernier ratio posant problème - n'est pas celui de l'Allemagne - 60 % de la population sur 40 % du territoire. Voilà qui change totalement la donne en termes d'aménagement du territoire.

Alors que la mission Champsaur rendra son rapport à la fin de l'année, les interrogations se transforment en inquiétudes. Est-il raisonnable de poursuivre le déploiement sans faire une pause, le temps de superposer les cartographies des schémas existants pour éviter des redondances de plus en plus fréquentes. De fait, certains RIP ignorent totalement le réseau de fibre optique déployé, en particulier, par l'opérateur historique. Ainsi, dans la vallée de Chamonix, la communauté de communes du pays du Mont Blanc est en train de dérouler une dorsale de fibre optique parallèle à celle de l'opérateur historique. Voilà bien un exemple de ce qu'il ne faut pas faire !

Je vois quelque disproportion entre les 30 milliards annoncés pour le déploiement du très haut débit- et ce devrait plutôt être 50 milliards, dès lors que l'on va jusqu'à la prise - et les promesses des deux derniers candidats à la présidence de la République, qui annonçaient un horizon de déploiement de la fibre en France l'un à 2020, l'autre à 2022. Pour avoir présidé près de quinze ans la commission supérieure du service public des postes et communications électroniques (CSSPPCE) et vu l'arrivée de la fibre, j'estime que l'on aurait mieux fait d'inciter davantage les opérateurs à développer le réseau plutôt que de laisser les collectivités territoriales le faire aux frais du contribuable.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Il est clair, pour moi, que le plan très haut débit doit être réévalué. Il faut en effet, avec la fusion SFR-Numericable, se poser la question de la régulation du câble, mais aussi se demander quelle sera, sur les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII), la politique des uns et des autres. Nous craignons qu'Orange ne donne priorité, dans ses investissements, aux zones où le câble est présent. Je ne doute pas que vous aurez à coeur de répondre à cette interrogation.

Dans le cadre du plan très haut débit, le FTTE (Fiber To The Enterprise) est une question de premier plan. Il y a là un réel enjeu de compétitivité pour les petites entreprises. Orange est-elle, là-dessus, allante, sachant qu'elle a aussi d'autres offres à mettre en avant ?

Un mot sur la concentration. Si demain un mariage a lieu entre Orange et Bouygues Telecom, le nouvel opérateur représentera 48 % des abonnés fixe et 50 % des abonnés mobile. La Commission européenne exigera inévitablement des remèdes. Certains arrangeront sans doute les jeunes mariés - l'accord de mutualisation entre Bouygues Telecom et SFR, par exemple, pourrait ainsi avantageusement être dénoué - mais il est aussi des aspects touchant au réseau et aux fréquences. Avez-vous évalué les remèdes qui pourraient être envisagés ? Pourraient-ils déséquilibrer le nouveau groupe ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Richard

Voici quelques éléments de réponse que je laisserai le soin à Pierre Louette, secrétaire général du groupe, de compléter. Vous m'interrogez sur les RIP et le rythme de déploiement de la fibre. Il ne s'agit pas tant d'équiper la France en fibre que d'apporter le très haut débit. Cela peut se faire pour une part par la fibre, pour une autre par l'augmentation du débit sur le cuivre - d'où certaines interrogations sur son extinction programmée.

Dans leur forme juridique, les RIP sont sans doute une spécificité française, mais je rappelle que la question de la connectivité fixe est presque partout traitée par le partenariat public-privé. Parfois même par le seul public, mais l'exemple de l'Australie, qui a créé une structure publique nationale pour la fibre mal conçue, et dont les ambitions ont dû être revues à la baisse, n'est guère encourageant. Dès lors que le territoire à couvrir est un peu vaste, on se heurte à des difficultés. Il est des zones où il peut être rentable pour un opérateur privé de déployer ses réseaux, voire de participer à la concurrence par les infrastructures, qui demeure un dogme pour le secteur, et d'autres où cela ne l'est pas, et où il faudra jouer la complémentarité public-privé. Il faut entrer dans le coeur des territoires, apprécier les situations sur le plan économique, voire politiques. Tout cela est fort complexe, et a donné lieu à une forme de zonage. D'un côté, une logique de rentabilité économique est à l'oeuvre, qui se fonde sur l'idée d'une mutualisation importante des infrastructures ; de l'autre, celui des collectivités, c'est une logique politique de péréquation et de lutte contre la fracture numérique qui prévaut. On est là face à deux univers dont les logiques se marient mal.

Certaines collectivités territoriales ont investi dans les réseaux...

Debut de section - Permalien
Stéphane Richard

Il y a certes eu des réussites, mais aussi dans certains cas, de l'argent public dépensé. Peut-être que l'opérateur historique n'a pas toujours été clair, mais certaines collectivités territoriales n'ont pas, de leur côté, été forcément très raisonnables.

Fixer un objectif à 2020 pour le déploiement de la fibre est certes ambitieux. Cela supposerait une forte accélération. L'arrivée du quatrième opérateur s'est faite au pire moment. Les opérateurs censés déployer le réseau fixe sont aussi ceux du mobile, et détériorer leurs marges, fût-ce pour redonner du pouvoir d'achat au consommateur, n'est pas sans conséquences. Alors que la baisse des prix ne portera guère SFR ou Bouygues Telecom à investir, beaucoup reposera sur Orange - qui a dû, lui aussi, parer à bien des difficultés, et a réduit de 60 % les dividendes versés à son actionnaire public...

Si on laisse le système tel quel, sans tenir compte du risque lié à l'irruption du câble, on a peu de chance de parvenir à l'objectif en 2020. Trois évolutions, à mon sens, s'imposent. Il faudra, tout d'abord, trouver des mécanismes pour éviter les redondances dans les zones denses - ce qui passe par un rééquilibrage des conditions concurrentielles entre les infrastructures. Il faudra, ensuite, trouver une formule sur les zones AMII pour sécuriser l'objectif de déploiement, voire l'accélérer, par exemple en recherchant de nouveaux financements. Pour éviter, enfin, de recréer, avec le déploiement de la fibre, une fracture numérique, il faudra, dans les zones où l'on a vu mettre en place des RIP, trouver d'autres sources de financement. Les fonds européens devraient être sollicités.

Il convient de distinguer entre raccordement d'un côté, et bascule des clients du cuivre sur la fibre, de l'autre. Notre taux de transformation est encore faible, de l'ordre de 13 % : 2,7 millions de foyers connectés à la fibre, mais 350 000 clients seulement. Notre objectif est d'arriver à un taux de 25 % sous trois ans. Cela suppose d'accélérer la bascule des clients du cuivre vers la fibre. Nous sommes pour l'extinction du cuivre à terme. L'expérimentation que nous avons menée à Palaiseau, où nous ne proposons plus, depuis octobre 2013, de nouvel abonnement assis sur le réseau cuivre, est une réussite, mais qui a exigé de surmonter des difficultés. Tout est question de calendrier. Il faudra être pragmatique, sans dogmatisme, et prendre également en compte, les aspects sociaux du problème.

M. Retailleau demande ce que sera notre politique dans les zones très denses câblées. Je serai franc. Notre logique d'entreprise est d'essayer d'acquérir le maximum de clients avec une équation économique satisfaisante. Une compétition va s'organiser dans les zones denses, c'est le modèle qui le veut, et que l'on a voulu lorsque l'on a privatisé. Nous n'allons pas, pour autant, consacrer tous nos moyens à faire la guerre à Numericable, et délaisser le reste du territoire, mais nous souhaiterions que les pouvoirs publics et que le régulateur ne restent pas indifférents...

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Si SFR n'investit plus et ne mise que sur le câble et qu'Orange se polarise sur les seules zones AMII où le câble est présent, il n'y aura plus rien ailleurs. C'est de cela que je m'inquiète.

Debut de section - Permalien
Stéphane Richard

Vous avez parfaitement raison et nous sommes conscients du problème. Nous n'avons pas envie de nous retrouver seuls face aux 10 millions de foyers de ces zones AMII, où nous étions censés co-investir. Nous cherchons des solutions. Nous travaillons par exemple avec l'État et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) sur l'hypothèse de création d'un véhicule spécifique destiné à sécuriser le financement et accélérer les choses.

Un mot sur le projet de rapprochement avec Bouygues Telecom. L'irruption d'un quatrième opérateur français a profondément déstabilisé le secteur. Elle a provoqué une contraction de marché très violente pour Bouygues Telecom, qui avait beaucoup investi sur le bas du marché et déployé son réseau aux coûts et conditions qui étaient ceux d'alors. Le quatrième opérateur, en revanche, est arrivé à des conditions très avantageuses ; il a eu du temps, grâce à l'itinérance - même si elle a été onéreuse pour lui - pour déployer son réseau, et il le fait en un temps où les coûts sont trois fois moindres qu'à l'époque où Bouygues Telecom a déployé le sien. Avec la structure de coût et la position de marché qui étaient les siennes, ce dernier a subi un choc violent : voilà déjà plusieurs trimestres que son résultat opérationnel ne suffit plus à financer ses investissements.

Le marché français ne peut pas supporter quatre opérateurs, c'est ma conviction profonde. Entre la vision technocratique et la réalité de l'économie, il y a parfois un monde. Cette réalité n'est pas propre à la France. L'Allemagne est confrontée au même problème et souhaite passer de quatre à trois opérateurs - la Commission européenne tranchera fin juin. Mais c'est aussi le cas en Irlande, en Espagne et en Italie. Il faudra bien que certains avalent leur chapeau et que l'on en revienne à plus de concentration.

Les combinaisons possibles, ensuite, sont le fruit d'un raisonnement économique et de la vie de l'entreprise, avec ses hommes, ses logiques industrielles et son actionnariat. Pour Bouygues Telecom, il n'y a pas trente-six solutions dans un scénario de consolidation : soit un rapprochement avec Iliad-Free, soit avec nous. Aucun acquéreur non français ne pourrait lui proposer un prix convenable.

Debut de section - Permalien
Stéphane Richard

La valeur de Bouygues Telecom serait faite en grande partie des synergies que permet le rapprochement. La logique de concentration est aujourd'hui très puissante. Bouygues Telecom a un bel actif, son réseau, et une position de marché très exposée... Dans tous les cas de figure, l'Autorité en charge de la concurrence - la Commission européenne, vraisemblablement - procèdera à un examen, ce qui signifie que le processus peut être long. Pour notre part, si nous devions aller dans cette voie ce qui n'est absolument pas décidé à ce stade et qui n'est pas une nécessité pour Orange, nous essayerions de répondre par anticipation sur les remèdes. L'essentiel de la question porte sur le réseau. Il y a un acteur tiers dont l'intérêt naturel est de s'asseoir à la table. Se pose, ensuite, la question des parts de marché. Un rapprochement entre Bouygues Telecom et Orange donnerait un peu moins de 50 % pour le mobile, et 47 à 48 % pour le fixe. C'est certes un niveau un peu élevé, mais qui n'est pas très éloigné de ce que pèse Telefonica en Espagne. Il nous faudrait peut-être envisager des cessions de bases de clients pour que les parts de marché du nouvel ensemble ne dépassent pas un seuil psychologique, que l'on peut estimer à 40 % pour le mobile et 45 % pour le fixe. C'est faisable.

Cela dit, il serait bon que l'on regarde enfin le secteur avec d'autres lunettes que celles qu'ont chaussées les autorités en charge de la concurrence il y a vingt ans. On s'acharne, tant en France qu'à Bruxelles, à surveiller le niveau de concurrence dans notre secteur tout en marquant la plus grande indifférence pour ce qui se passe dans le reste de l'économie numérique - voir la manière dont Bruxelles a traité le dossier Google. Le décalage est consternant au regard de la réalité du monde numérique ; on laisse tranquillement prospérer quelques acteurs qui captent 90 % des parts du marché - position plus que dominante, écrasante - tout en s'acharnant sur les opérateurs de réseau. Il faut faire évoluer le débat.

Debut de section - Permalien
Pierre Louette, directeur général adjoint, secrétaire général du groupe Orange

Un point sur la fibre pour les entreprises. Nous avons longtemps eu des programmes de déploiement dédiés entamés avant le déploiement du FttH. Nous réfléchissons désormais à proposer des offres pour les entreprises en mutualisant davantage avec les réseaux qui sont mis en place pour les particuliers. Des travaux sont en cours avec l'ARCEP, la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), la mission très haut débit, et des décisions devraient intervenir en septembre. Aujourd'hui, 80 % des entreprises de plus de vingt salariés ont accès à la fibre, mais notre pays compte aussi beaucoup d'entreprises de moins de vingt salariés, qui forment une part importante de son tissu économique. C'est aussi à elles que nous pensons.

La palette des techniques que nous mettons en oeuvre pour apporter le très haut débit s'enrichit chaque jour. C'est un monde de sigles et d'acronymes. Chacun connaît le FTTH, mais il y a aussi le FTTDP, qui réintroduit du cuivre ou du coaxial après la fibre, le FTTLA, c'est-à-dire le câble, le FTTB, qui s'arrête au pied de l'immeuble, le FTTC, qui suppose plus de cuivre (déploiement depuis une sous répartition), le VDSL au NRA, que vous connaissez bien et qui est une montée en haut débit via un noeud de raccordement d'abonnés, et j'en passe. Mais vous comprenez bien que l'on ne peut pas nous demander à la fois d'accélérer la montée en haut débit et de programmer l'extinction du cuivre. Nous faisons tous les efforts possibles, dans les régions où la fibre ne peut pas arriver jusqu'à la dernière maison, pour rechercher, avec le VDSL, mais aussi via les relais mobiles, des solutions alternatives. Dans la 4G, le taux de couverture de 60 % sera bientôt atteint, avec cinq ans d'avance sur les obligations légales qui étaient les nôtres.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Dans certains départements, on aimerait bien avoir déjà la 3G. Pour résoudre le problème des zones blanches sans attendre l'arrivée de la fibre, il serait bon de mettre ces technologies à contribution, ce qui aurait le double avantage de leur donner une couverture mobile qu'elles n'ont pas et le très haut débit. Ce devrait même être une priorité d'aménagement du territoire. Je l'ai dit à Fleur Pellerin, qui ne m'a écouté que d'une oreille distraite...

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Je vous remercie de la clarté de votre exposé. Je partage vos interrogations quant aux différences de traitement que l'on réserve aux acteurs du numérique. J'avoue être un nostalgique de l'opérateur historique et ne suis pas persuadé que sa privatisation fut une excellente chose. Il me semble que cela a créé un creux dans la stratégie de recherche et développement. France Télécom a joué naguère un rôle moteur dans la technopole de Sofia Antipolis, dans une région qui m'est chère. Il semble qu'aujourd'hui, Orange se réinvestisse dans les pôles de compétitivité et dans l'animation du tissu local. Quelle est votre ambition en ce domaine ? Quel type de partenariats êtes-vous prêts à mener au niveau territorial pour que l'on voie enfin la fibre arriver dans les zones périurbaines ? Pourra-t-on un jour concevoir de monter une société d'économie mixte à objet unique ? Sachant que les collectivités locales s'occupent d'autres réseaux, comme l'assainissement, on pourrait peut-être songer ensemble à optimiser nos investissements ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Quelques questions sur la couverture du monde rural. Parler en termes de pourcentage du territoire couvert ne veut rien dire. C'est une simple moyenne, qui ne reflète en rien la situation des campagnes. Avec le conseil général et les intercommunalités de Gironde, une expérimentation, Gironde numérique, a été lancée il y a quelques années. Quel bilan en tirez-vous ? Seriez-vous prêt à renouveler l'expérience ?

Dans les secteurs qui ne sont pas desservis par la fibre optique, les intercommunalités financent des paraboles qui passent par vos relais satellites. Êtes-vous prêts à poursuivre ? Je suis tout à fait d'accord sur l'idée que les fonds européens devraient être sollicités.

Entendez-vous continuer à participer au financement des châteaux d'eau en louant le droit d'y placer des antennes, ou envisagez-vous de racheter les emplacements, ainsi que Bouygues Telecom le propose ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Je rejoins ce qui a été dit sur les zones déjà câblées et le risque de superposition des réseaux. J'ai longtemps été maire d'une petite commune qui disposait d'un réseau câblé. Comment en tenir compte pour accéder au très haut débit sans fabriquer de doublons inutiles et coûteux ?

Je rejoins les observations de Gérard César. Venez donc dans nos départements, vous constaterez combien les élus, qui relaient le sentiment de leurs administrés, sont irrités d'entendre claironner que la quasi totalité du territoire est couvert. Vous vantez la couverture 3G ? J'observe que dans l'Orne, qui n'est pas un département de seconde zone, si les agglomérations sont couvertes, il n'en va pas de même dès que l'on s'en écarte. Je rends justice à vos responsables régionaux et locaux, très proches des élus et très à l'écoute, mais nous avons besoin d'une perspective, ne fût-ce qu'à un an. Quand présenterez-vous un plan qui coïncide avec vos déclarations ? Vous dites chercher des points hauts pour implanter vos antennes ? Rachetez nos églises ! Cela nous aidera à financer les travaux !

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

À choisir entre les orientations de l'ancienne majorité et de la nouvelle, les orientations d'aujourd'hui me semblent meilleures.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

On nous avait imposé quatre opérateurs et le FTTH au plus vite, on en revient à plus de réalisme sur la montée en débit et à l'idée que trois opérateurs vaudraient mieux que quatre. Quand on veut investir, il faut faire des bénéfices. C'est une exigence qu'il faut garder présente à l'esprit.

Je n'ai pas bien compris l'intervention de M. Hérisson sur les réseaux d'initiative publique. En milieu rural, ils ne se superposent pas à celui des opérateurs privés, qui sont absents. Bien des zones, en France, ne sont pas couvertes. Si les collectivités locales n'avaient rien fait... À présent, ce RIP existe : il s'agit de le rendre opérationnel, avec les opérateurs. En Haute-Marne, nous travaillons fort bien avec Orange, qui n'a pourtant pas, avec les exigences de l'ARCEP, la partie facile.

En Haute-Marne, hors zones AMII, 94 % des abonnés ont droit au triple play. Mais les zones AMII, hors les villes, n'ont rien. Vous avez dit que des travaux sur ces zones seront engagés à partir de 2015. Mais quid de leurs parties rurales ? Les collectivités ont besoin de savoir.

Une question sur les factures, que l'on voit parfois doubler sans que l'on puisse démêler pourquoi ni comment. Je ne comprends pas que l'UFC-Que choisir ne s'y intéresse pas. Si cela ne s'éclaircit pas, je vous promets une proposition de loi. Je ne conteste pas la réalité de la facturation, mais on s'aperçoit parfois qu'un abonnement ou une option ont été pris, sans que l'on sache comment. Par nos enfants ? Mais il n'est pas normal qu'on leur laisse ainsi toute faculté de tripatouiller dans notre porte-monnaie ! Quand on achète quelque chose, on a au moins droit à une facture compréhensible. Il faudra bien que cette question se règle, sinon, je m'en chargerai.

Debut de section - Permalien
Stéphane Richard

Le très haut débit via la 4G dans les zones rurales ? Nous avons lancé l'an dernier une expérimentation dans des cantons ruraux du Gers, des Ardennes et des Pyrénées-Orientales, en plaçant des antennes 4G autorisant, via des boitiers à domicile, des débits supérieurs à 20 Mbit/s. Le taux de réponse à cette expérimentation gratuite a été massif. Techniquement donc, la chose est parfaitement possible. Elle permet une connexion à la fois pour les mobiles et pour le fixe. Reste à vérifier si elle peut répondre aux usages constatés à des conditions économiques normales.

Notre stratégie en matière de recherche et innovation ? J'ai engagé une réforme en profondeur de la chaine d'innovation du groupe. Avec un budget de 800 millions d'euros par an, et plus de trois mille personnes qui y travaillent, directement ou indirectement, nous voulons parvenir à plus d'innovation en matière de réseau - nous détenons, grâce à l'équipe de recherche de Blagnac, le record de vitesse de débit sur la fibre optique - mais également en matière de services et d'usages - je pense aux contenus multimédia, à la continuité des usages sur différents appareils mais aussi au mobile banking, le paiement à partir d'un smartphone. J'ai mis en place un rendez-vous annuel et j'espère que le prochain sera assez riche. Cette relance était nécessaire. Elle est pour moi une priorité, et j'entends la conforter.

S'agissant de la couverture, il est vrai que les chiffres officiels de l'ARCEP reflètent parfois mal la réalité vécue localement. Pour Orange, la couverture de la population en 3G est de 98,7 %, en 2G de 99,9 %, ce qui signifie qu'il n'y a quasiment plus de zones purement blanches. Cela dit, j'ai bien conscience que si mon village natal de Lozère bénéficie d'un signal correct, il n'en va pas de même dans le village voisin, qui n'a aucune couverture.

Se pose aussi la question de nos ambitions en termes de qualité de service. Dans le prochain plan stratégique d'Orange, nous mettrons le paquet sur la performance du réseau. Nous mesurons, par exemple, le ratio de dropped call - les coupures d'appels - pour parvenir à une meilleure qualité de service. C'est d'ailleurs l'un des intérêts potentiel d'un rapprochement avec Bouygues Telecom, qui pourrait contribuer à considérablement améliorer la qualité de service. En Angleterre, depuis que nous avons fusionné notre réseau avec celui de Deutsche Telecom, nous offrons le réseau britannique de meilleure qualité.

Sans chercher à barguigner, j'indique tout net que nous ne rachetons ni les châteaux d'eau, ni les églises.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Vous avez pourtant beaucoup à vous faire pardonner...

Debut de section - Permalien
Stéphane Richard

Sur les factures, je reconnais que nous avons des progrès à faire et nous allons nous y atteler - ce qui ne m'empêche pas de vous recommander, comme père de famille nombreuse, de ne pas donner vos codes à des adolescents...

Debut de section - Permalien
Pierre Louette, directeur général adjoint, secrétaire général du groupe Orange

En Haute-Marne, nous avons le projet d'une complémentarité très poussée avec un RIP. Nous avançons, sur ce dossier des RIP, avec beaucoup de pragmatisme. Vous apportez des solutions où nous ne sommes pas présents, nous assurons la montée en débit. Et les déclarations de la secrétaire d'État chargée du numérique, Mme Axelle Lemaire, qui fait sa place au haut débit dans la programmation générale, ont retenu toute notre attention. Dans le cadre du plan haut débit, nous avons déjà signé vingt-trois conventions, qui nous engagent. Je puis vous dire que les services de régions comme la Bretagne ou l'Auvergne y regardent de près.

Nous sommes conscients des problèmes de couverture qui demeurent. D'autant que les exigences ont changé, et que l'on communique beaucoup en mobilité, ce qui rend le problème des coupures plus aigu.

Debut de section - Permalien
Stéphane Richard

Cela dit, lorsqu'une connexion entre deux mobiles s'interrompt, on ne peut pas savoir à quel opérateur il faut l'imputer.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Il me reste à vous remercier, Monsieur le Président-directeur général.

La réunion est levée à 16 h 40.