Intervention de Odette Terrade

Réunion du 4 mai 2011 à 14h30
Expulsions locatives — Article 2

Photo de Odette TerradeOdette Terrade :

Par cet amendement, nos collègues socialistes souhaitent privilégier la notion de moratoire plutôt que de formuler dans la loi un principe simple : l’interdiction des expulsions locatives en l’absence de relogement pour les personnes qui ne seraient pas en mesure de s’y maintenir ou d’y accéder par leurs propres moyens.

Si nous ne sommes pas opposés à l’idée d’un moratoire, nous estimons pour autant, comme nous l’avons exposé dans notre propos liminaire, que les prescriptions internationales en termes de droit au logement comme le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme, directement applicables dans notre droit, ont créé l’obligation pour l’État de garantir que personne ne peut être privé de son logement en raison de conditions de ressources insuffisantes.

L’article 2 de notre proposition de loi tend simplement à garantir ces principes de manière permanente, et non plus temporaire. Une telle mesure, outre son objectif de respect de la dignité humaine, nous semble conforme aux engagements internationaux de la France et en adéquation avec le caractère constitutionnel du droit au logement.

Certains d’entre vous opposent à cette mesure la décision du Conseil constitutionnel de 1998 sur la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions. À cet égard, je voudrais clarifier notre débat.

L’inconstitutionnalité d’une mesure interdisant le recours à la force publique en l’absence de relogement se discute. En effet, si le Conseil constitutionnel s’est fondé sur le principe de séparation des pouvoirs, selon lequel on ne peut soumettre l’exécution d’une décision de justice à une diligence administrative, je vous rappelle que le droit au logement a également valeur constitutionnelle depuis une décision du Conseil constitutionnel de 1995. Les juges ont donc arbitré entre deux principes de même valeur, en privilégiant l’un par rapport à l’autre.

Or, depuis cette décision, il ne faut pas non plus sous-estimer l’apport de la loi DALO et le rôle qu’elle a confié à l’État par la voie des préfets. La question de constitutionnalité se poserait donc certainement de manière très différente.

Depuis, comme cela a été indiqué dans l’exposé liminaire, la Cour européenne des droits de l’homme a par ailleurs sanctionné l’État chypriote pour le non-respect du droit au maintien dans un logement, au nom de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le contexte juridique n’est donc pas le même et l’inconstitutionnalité d’une telle mesure n’est pas avérée.

En outre, le fait de programmer ce moratoire uniquement jusqu’en 2012 ne résout en rien la question humaine, politique et sociale que posent les expulsions locatives sans relogement. De surcroît, reconnaissons-le, compte tenu de la navette parlementaire, la durée de vie de ce moratoire sera extrêmement courte, comme l’a souligné Mme le rapporteur.

De plus, malheureusement, il y a fort à parier que, au 16 mars 2012, soit dans seulement dix mois, la crise du logement dans notre pays ne sera pas résorbée au regard de la faiblesse des aides à la pierre et du décalage croissant entre la capacité contributive des ménages et le coût du logement.

La bataille de fond reste donc celle de la construction de logements et du pouvoir d’achat des ménages. À ce titre, notons que 80 % de nos concitoyens, selon un sondage réalisé pour l’Union sociale pour l’habitat, estiment qu’il n’y a pas assez de logements sociaux.

Je ne peux manquer également de vous signaler un fait inquiétant : le taux de surendettement des ménages a progressé de 17 % en seulement deux mois, entre décembre et février 2011.

Nous vivons une période sociale particulièrement douloureuse qui nous impose de garantir à chacun le respect des droits fondamentaux, et celui d’avoir un toit en fait partie.

Nous regrettons également que la rédaction proposée par cet amendement restreigne le champ d’application de cet article aux personnes reconnues prioritaires par le DALO, soit 57 000 personnes au 31 décembre 2010, et ce alors même que plus de 3 millions de personnes souffrent aujourd’hui de mal-logement dans notre pays et que plus de 1, 3 million de personnes sont en attente d’un logement social.

Pour finir, je souhaiterais évoquer la question du raccourcissement des délais de sursis à l’exécution d’une décision judiciaire d’expulsion octroyés aujourd’hui par les juges.

En effet, vous le savez, depuis 2009 et l’adoption de la loi MOLLE de Mme Boutin, ces délais sont passés d’un maximum de trois années à un maximum d’une année seulement. Une telle mesure de raccourcissement des délais rend donc beaucoup plus difficile la possibilité de trouver un relogement avant le recours à la force publique.

Nous appelons donc le Gouvernement à revenir aux délais existants auparavant.

Chacun l’aura compris, malgré les bonnes intentions de nos collègues socialistes, nous nous abstiendrons sur cet amendement, qui vise à modifier l’article 2 de notre proposition de loi.

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