Intervention de Philippe Kaltenbach

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 mai 2014 : 1ère réunion
Délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles — Examen du rapport de la commission

Photo de Philippe KaltenbachPhilippe Kaltenbach, rapporteur :

La proposition de loi tendant à modifier le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles, déposée par Mmes Dini et Jouanno et soutenue par le groupe centriste, aborde un sujet très sensible, qui soulève de nombreux débats.

Il est proposé de ne faire courir le délai de prescription des agressions sexuelles qu'à partir du moment où la victime est en mesure de révéler l'infraction dont elle a été victime. Ce dispositif s'inspire du régime jurisprudentiel applicable aux infractions occultes ou dissimulées, pour lesquelles le délai de prescription commence à courir « au jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ». Il fait écho à un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 décembre 2013, par lequel cette dernière a refusé d'appliquer ladite jurisprudence à des faits de viol commis dans l'enfance sur une personne qui, victime d'une amnésie traumatique consécutive, n'avait pris conscience de ces faits que trente-quatre ans plus tard.

Ce texte s'adresse prioritairement aux victimes ayant subi de telles violences lorsqu'elles étaient enfants, car le choc émotionnel subi, surtout lorsque les faits sont commis dans la durée par un parent ou par une personne ayant autorité sur l'enfant, un éducateur, par exemple, est de nature à provoquer un traumatisme profond pouvant aller jusqu'à l'amnésie : ce constat clinique, encore trop méconnu, est aujourd'hui bien documenté par les médecins.

Les délais de prescription en vigueur, bien que déjà dérogatoires au droit commun, peuvent encore apparaître inadaptés au cas de certaines victimes, ainsi que j'ai pu le constater au cours de mes auditions.

Si on le compare à celui d'autres pays européens, le dispositif français de répression des viols sur les mineurs est très complet. Cependant, beaucoup de violences demeurent invisibles : on recense 7 000 à 8 000 condamnations par an, alors que les faits constatés par la police et la gendarmerie sont au nombre de 22 000 à 23 000 chaque année, et que le taux de victimation établi par l'Insee fait apparaître des chiffres dix fois supérieurs encore - bien que ne soient sollicitées, dans ses enquêtes, ni les personnes vulnérables ni les mineurs. Les condamnations ne représentent donc que la partie émergée d'un iceberg de quelque 200 000 faits par an. On sait que l'inceste, en particulier, touche de nombreux enfants. L'un des objectifs de cette proposition de loi est de mettre sur ces faits un coup de projecteur, pour qu'une meilleure réponse soit apportée.

Les délais de prescription de droit commun sont de un an pour les contraventions, de trois ans pour les délits et de dix ans pour les crimes. Ils peuvent être plus courts - trois mois en matière de presse, six mois en matière électorale - ou plus longs - ils sont de vingt à trente ans en matière de crimes et délits de guerre, de terrorisme, de trafic de stupéfiants, d'eugénisme - tandis que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles.

Dans le cas des violences sexuelles sur mineurs, le régime est également dérogatoire, et le délai ne court qu'à compter de la majorité de la victime. Depuis la fin des années 1980, six modifications législatives sont intervenues pour améliorer le dispositif et mieux tenir compte de la réalité ; depuis 2004, la prescription est de vingt ans à compter de la majorité de la victime, soit l'année de ses 38 ans.

Restent, cependant, de nombreuses victimes qui ne se rendent compte de la violence des faits qu'elles ont subis, voire qui ne prennent conscience d'avoir subi des violences, qu'une fois passé le délai de prescription. Lorsque, à 40 ans, elles veulent engager une démarche de reconstruction et porter plainte, elles s'aperçoivent qu'elles ne le peuvent plus, et s'estiment lésées. Or, si ce délai de vingt ans avait été retenu en 2004, c'était bien pour permettre à des personnes arrivées à l'âge adulte, et qui pouvaient avoir fondé une famille, de porter plainte. On sait que de tels crimes ont des effets dans la durée et provoquent de profonds traumatismes qui perdurent vingt ou trente ans après les faits. Je l'ai vérifié lors de mes auditions.

Je partage donc le constat des auteures de cette proposition de loi, qui estiment que le dispositif actuel n'est pas entièrement satisfaisant. Mais j'estime que celui qu'elles proposent soulève nombre de difficultés juridiques. La proposition de loi prévoit ainsi que le délai de prescription ne court « qu'à partir du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d'exercer l'action publique ».

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