Intervention de Philippe Kaltenbach

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 mai 2014 : 1ère réunion
Délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles — Examen du rapport de la commission

Photo de Philippe KaltenbachPhilippe Kaltenbach, rapporteur :

En effet. J'ajoute que cette formulation porte le flou sur le point de départ du délai de prescription.

Il me paraît en effet délicat d'assimiler les violences sexuelles au régime des infractions occultes ou dissimulées, qui vise des infractions financières tel que l'abus de confiance ou l'abus de biens sociaux, et dans lequel le délai ne court, comme cela est logique, qu'à partir du moment où l'escroc, qui a dissimulé, est découvert. La Cour de cassation a du reste toujours refusé, pour l'instant, d'étendre ce régime à d'autres branches du droit. Dans un arrêt du 16 octobre 2013, elle a ainsi refusé de reporter le point de départ du délai de prescription à des faits d'infanticides multiples commis pourtant à l'insu de l'entourage de l'auteur des faits.

J'ajoute qu'au regard du principe de légalité des délits et des peines, cette proposition de loi encourt un risque d'inconstitutionnalité car elle ferait reposer le point de départ sur des éléments très subjectifs, liés au psychisme de la victime. L'incertitude qu'elle introduit quant au point de départ du délai de prescription pourrait être valablement contestée devant le Conseil constitutionnel. Même risque au regard du principe d'égalité des justiciables devant la loi, qui suppose que les auteurs d'une même infraction soient traités dans des conditions similaires, alors que les délais de prescription seraient ici à géométrie variable, selon l'évolution de la victime, et pourraient aller jusqu'à une imprescriptibilité de fait, la remémoration des violences pouvant être très tardive.

J'observe au passage qu'en supprimant, du même coup, la règle des vingt ans à compter de la majorité de la victime, on lâche la proie pour l'ombre. Il faudrait dans tous les cas que soit évaluée, sous le contrôle du juge, la réalité de l'amnésie traumatique, quel que soit l'âge de la victime. Tous les juristes que nous avons entendus s'y accordent : c'est rendre difficile et le travail des magistrats et la position des plaignants que d'introduire ainsi des éléments aussi subjectifs dans la loi.

Pour toutes ces raisons, et bien que je partage le constat des auteurs de cette proposition de loi, je ne puis adhérer au dispositif proposé.

J'avais initialement rédigé des amendements à ce texte, mais Mme Dini a souhaité que soit débattue en séance la proposition d'origine. C'est une coutume parlementaire dont je ne conteste pas la pertinence, même si notre président m'a fait valoir qu'il était arrivé que la commission des lois présente de tels textes amendés. Mme Dini travaille de longue date sur le sujet, elle a déjà déposé des amendements sur l'imprescriptibilité pour les agressions et atteintes sexuelles aggravées et je me rangerai à son souhait de débattre, en séance publique, de son texte. Je vous indique toutefois ici que mon idée était d'amender la proposition de loi en ajoutant dix années à la prescription actuelle des violences sexuelles sur mineurs car les experts s'accordent à constater que ces traumatismes se révèlent souvent après 40 ans. Cela irait dans le sens du voeu des auteurs de ce texte, tout en évitant le flou qu'il introduit dans la prescription. La tendance, en Europe, va vers un allongement des délais de prescription touchant à ces faits. Si dans les pays de common law, il n'y a pas de prescription, en Europe continentale, les délais vont de dix à trente ans. Nous pourrions aller à trente ans, comme en Allemagne. Cela permettrait à des personnes entrées dans l'âge adulte de se reconstruire. Même s'il est difficile de réunir des preuves trente ans après les faits, ces drames, on l'a vu avec l'affaire de l'École en bateau, peuvent trouver une solution juridique, parce que bien souvent les faits se répètent dans le temps et qu'en soulevant des faits de violence anciens, on fait émerger des violences plus récentes, grâce à quoi les prédateurs sexuels qui en sont à l'origine sont condamnés, et grâce à quoi, surtout, on arrive à les faire entrer dans un protocole de soins, car ce sont bien souvent de grand malades.

Il faudrait que la commission, d'ici la séance de la semaine prochaine, trouve une solution médiane qui prenne mieux en compte les violences sexuelles subies par des enfants, mais sans aller jusqu'à l'extension voulue par les auteurs de cette proposition de loi. En l'état, je vous propose un avis défavorable sur ce texte.

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