Intervention de Philippe Kaltenbach

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 mai 2014 : 1ère réunion
Délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles — Examen du rapport de la commission

Photo de Philippe KaltenbachPhilippe Kaltenbach, rapporteur :

C'est effectivement par courtoisie et pour faire vivre le débat avec ses auteurs que je vous propose de laisser ce texte sans modification aller en séance, malgré ses défauts bien apparents.

Les victimes de violences sexuelles ne sont pas toutes des filles, les garçons en subissent également, je vous remercie de le rappeler, Monsieur Michel : si les victimes majeures sont très souvent des femmes, les garçons représentent une proportion non négligeable des victimes mineures d'agressions mais aussi de comportements pervers ...

Avec le temps qui passe, l'établissement des preuves devient effectivement plus difficile, en particulier pour les violences sexuelles. Cependant, les agresseurs peuvent être de véritables prédateurs sexuels, qui commettent des viols en série sur plusieurs générations, y compris au sein de leur propre famille : c'est une spécificité des violences sexuelles et il faut disposer des outils pour arrêter de tels comportements.

S'oriente-t-on vers des délais de prescription « à la carte » ? Je ne le souhaite pas et je crois, moi aussi, qu'il faut un cadre clair et global. Dans leur rapport de 2007, nos collègues Hyest, Portelli et Yung proposaient une réforme globale des délais, à 5 ans pour les délits et 15 ans pour les crimes.

On sait, effectivement, que le dépôt de plainte contre un viol intrafamilial peut prendre des années, que les victimes peuvent attendre jusqu'à la quarantaine, une fois qu'elles sont elles-mêmes devenues parents, pour se résoudre à porter plainte. Il est clair, également, que le dépôt d'une plainte ne conduit pas toujours à une condamnation, que le procès est généralement une épreuve pour tous, mais pourquoi en refuser la faculté aux victimes du seul fait qu'elles auraient laissé passer trop de temps pour se plaindre ? Pourquoi ne pas tenir compte des spécificités des violences sexuelles en la matière ? Lorsque l'agresseur s'est livré à une série de viols, le dépôt d'une plainte libère la parole, entraînant d'autres dépôts de plaintes, ce qui permet de reconstituer des faits, des parcours d'agresseurs qui sont peu inquiétés par des plaignants dispersés ; cependant, le délai de prescription empêche des plaintes pour des faits plus anciens et il oblige à une différence de traitement qui paraît choquante, on l'a vu dans l'affaire de l'École en bateau, par exemple.

Le rapport de 2007 n'a pas prospéré et, de par mes contacts à la Chancellerie, je sais qu'une réforme n'est pas à l'ordre du jour : je crains qu'on ne doive attendre bien longtemps avant de voir un projet de loi en la matière ; dès lors, pourquoi ne pas avancer sur ce sujet des violences sexuelles ? Des délais particuliers ont déjà été établis contre les propos racistes ou encore contre les actes terroristes, je crois souhaitable que nous le fassions également en matière de violences sexuelles. Cette proposition, du reste, est suffisamment ancienne - on en parlait dès la fin des années 1980 - pour que nous ne soyons pas taxés de laisser un fait divers dicter l'agenda parlementaire... Cette proposition de loi a le soutien d'associations humanistes, qui oeuvrent auprès des victimes.

Quelle place les personnes âgées peuvent-elles avoir en prison ? C'est un sujet en soi, il faut humaniser les conditions d'incarcération, mais ce n'est pas l'objet de ce texte et il ne doit pas en commander le contenu.

L'amnésie traumatique est un phénomène décrit par les médecins, elle touche particulièrement les victimes de viols pendant l'enfance qui, pour s'en protéger, oublient les violences qu'ils ont subies ; l'amnésie dure jusqu'à une certaine maturité, souvent dans la quarantaine, où ces victimes se souviennent tout à coup de ce qu'elles ont subi, parviennent à formuler ce qui s'est passé. Les preuves sont plus difficiles à apporter avec l'éloignement du temps, mais le dépôt de plainte peut servir à la victime aussi bien qu'à d'autres victimes plus récentes, on l'a vu, ici aussi, dans l'affaire de l'École en bateau.

Enfin, si cette proposition de loi n'épuise certainement pas le problème du traitement judiciaire des violences sexuelles, elle a le mérite de nourrir le débat sur ce sujet important, je crois que c'est aussi l'intention de ses auteurs.

C'est pourquoi, tout en vous proposant de rejeter ce texte dans sa rédaction actuelle, je crois que nous devons avancer sur ce sujet et tenter de trouver une solution, dont nous pourrons débattre en séance publique.

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