Intervention de Annick Girardin

Réunion du 26 mai 2014 à 11h00
Politique de développement et de solidarité internationale — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Annick Girardin, secrétaire d'État :

Le Gouvernement souscrit à l’objectif, mais il souhaite poursuivre avec la représentation nationale un dialogue nourri pour approfondir cette question.

L’autre levier d’un accroissement de la transparence, c’est l’information du grand public, en France comme à l’étranger. Le lancement en septembre dernier d’un site internet pilote présentant l’ensemble des projets d’aide au développement de la France au Mali est un exemple de la démarche qui doit être généralisée. Interactif, donnant des informations concrètes sur les projets mis en œuvre à travers un service de géolocalisation, ce site offre aux citoyens français et maliens le moyen d’exprimer leur avis sur ces réalisations. Il renforce l’efficacité de nos actions et leur appropriation par les Maliens et les Maliennes, ainsi que le suivi des projets sur le terrain par la société civile dans son ensemble. Ce site constitue une nouveauté pour la France et un modèle pour nos partenaires européens, comme me l’ont indiqué mes homologues européens lundi dernier, lors d’un conseil des ministres chargés du développement.

D’ici à quelques mois, nous mettrons à la disposition du public des informations détaillées et actualisées concernant nos projets d’aide au développement dans les seize pays pauvres prioritaires.

Dans le domaine des industries extractives, le Gouvernement a décidé d’engager le processus formel d’adhésion à l’initiative pour la transparence dans les industries extractives, l’ITIE, conformément à l’annonce faite par le Président de la République lors du sommet du G8 de Lough Erne. Nous avons pour objectif d’adhérer à l’ITIE à l’occasion de sa prochaine conférence internationale.

Une autre évolution majeure concerne l’approche même du développement. Les bouleversements entraînés par la mondialisation ont amené la France à promouvoir une approche globale. L’article 1er du projet de loi le réaffirme clairement : l’objectif de notre politique de développement est de promouvoir un développement durable. En effet, l’élimination de la pauvreté et la garantie d’une vie décente pour tous semblent impossibles sans une transition vers des modèles de consommation et de production plus durables, sans un renforcement de la gouvernance globale, sans le respect des droits.

Dans cette optique, il est proposé que quatre domaines constituent les priorités de la politique française de développement : la promotion de la paix, des droits de l’homme et des libertés individuelles ; la justice sociale et le développement humain ; un développement économique durable et riche en emplois ; la préservation de l’environnement et des biens publics mondiaux.

Le projet de loi expose largement les enjeux dans chacun de ces domaines. Je n’y reviendrai donc pas dans le détail, mais, pour chacun d’entre eux, je mettrai l’accent sur un thème particulier qui me semble essentiel.

La responsabilité sociale et environnementale des entreprises, la RSE, est l’un de ces thèmes. Alors que les entreprises sont les moteurs du développement économique, elles ne contribuent pas nécessairement au progrès social. De récents exemples, comme celui, dramatique, du Rana Plaza, au Bangladesh, nous l’ont tristement rappelé. La RSE doit être au cœur de notre politique de développement, car elle permet l’amélioration des conditions de travail, l’instauration d’un État de droit, la mobilisation en faveur du développement durable.

La reconnaissance du rôle des entreprises dans le développement entraîne une plus grande reconnaissance de leurs responsabilités. Ces responsabilités doivent être définies par l’autorité publique pour prévenir toute défaillance du marché. C’est tout l’enjeu des normes internationales, et le projet de loi encourage les sociétés françaises travaillant à l’étranger à mettre en œuvre les principes directeurs de l’OCDE. En particulier, il rappelle l’engagement de l’Agence française de développement, l’AFD, d’intégrer la responsabilité sociale, environnementale et fiscale dans son système de gouvernance et ses actions.

Au-delà des normes internationales, on observe une mobilisation toujours plus grande des entreprises en faveur des politiques de développement. C’est une très bonne chose. Dans un contexte de ressources publiques limitées, il faut encourager les entreprises à s’engager dans des politiques ambitieuses de RSE. Nous devons soutenir les initiatives conduites par les entreprises ou des coalitions d’acteurs dans les pays en développement ayant explicitement pour vocation de produire un effet social ou environnemental tout en assurant leur pérennité économique. Ces initiatives sont probablement vouées à se multiplier dans les années à venir, parce qu’elles sont rentables dans la durée et donnent le surcroît de sens que les salariés réclament.

La préservation de l’environnement et des biens publics mondiaux est un autre sujet essentiel. Il est de notre responsabilité de nous assurer que nous ne laisserons pas aux générations futures un monde dans lequel les dérèglements climatiques obèreront la qualité de vie et les perspectives de croissance. Préserver le climat, éviter un réchauffement de la planète supérieur à deux degrés – tel est l’objectif que nous nous sommes fixé –, c’est agir en faveur du développement. Le dérèglement climatique est l’une des plus grandes menaces pour le développement des pays les plus vulnérables. Nous devons aider ces pays à choisir un mode de développement écologiquement soutenable et à s’adapter aux effets du changement climatique.

La France accueillera en 2015 la vingt-et-unième conférence des Nations unies sur le changement climatique. Comme Laurent Fabius et l’ensemble du Gouvernement, je serai mobilisée pour que cette conférence aboutisse à un accord ambitieux. À cet effet, je serai particulièrement vigilante en ce qui concerne la situation des territoires les plus vulnérables, notamment les territoires insulaires.

La promotion des droits de l’homme et des libertés individuelles est et restera une priorité de la France. La politique de développement contribue à promouvoir les valeurs de la démocratie et de l’État de droit, ainsi que l’égalité entre les femmes et les hommes. Notre pays favorise une approche par les droits, ceux-ci conditionnant l’épanouissement des libertés. La France soutient ainsi, dans le cadre des discussions actuelles sur le futur agenda du développement, la définition de socles universels à même de garantir le respect effectif des droits de l’homme, tels qu’un accès égal pour tous aux biens publics mondiaux et aux opportunités économiques, sociales et environnementales.

Le dernier domaine d’intervention qui me semble essentiel, c’est celui de la jeunesse. L’éducation est le ciment de notre République, comme l’a réaffirmé le Président de la République en faisant de la jeunesse et de l’éducation la grande priorité de son mandat. Or, que constatons-nous ? Lorsqu’il s’agit du développement des autres, nous sommes de plus en plus absents. À force de répondre à la nouveauté, à force de courir après ce qui est populaire, ce qui donne des résultats à court terme, peut-être avons-nous oublié les fondamentaux.

Quand je parle de la jeunesse et de l’éducation, je ne pense pas uniquement à l’éducation de base, même s’il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine, notamment en matière de formation des maîtres ; c’est d’ailleurs tout l’enjeu de la pleine mise en œuvre du fonds de solidarité prioritaire « 100 000 professeurs pour l’Afrique », à laquelle je veillerai. Je pense aussi, et surtout, à la formation professionnelle, qui fait tant défaut dans de nombreux pays, alors même qu’elle constitue une priorité absolue en raison de leur démographie, des millions de jeunes entrant chaque année sur le marché du travail. Quand je parle de la jeunesse et de l’éducation, je pense aussi à la formation à la citoyenneté, à la sensibilisation aux droits des femmes, aux problématiques environnementales ou encore à l’hygiène.

On ne pourra pas remédier aux plus grands maux de notre temps si nous ne combattons pas leur racine, à savoir l’ignorance : ce n’est pas l’ancienne conseillère d’éducation populaire et de jeunesse qui parle, c’est la républicaine. À travers l’éducation, ce sont des valeurs qui sont inculquées. Ces valeurs sont d’autant mieux transmises qu’elles le sont en français. C’est l’un des points de convergence majeurs de mes deux périmètres d’action, la francophonie et le développement. Sachez-le, les Anglo-Saxons ne s’y sont pas trompés : ils investissement massivement dans l’éducation. Cela peut paraître paradoxal quand on sait que le boom démographique annoncé concerne avant tout l’Afrique francophone. D’ores et déjà, 60 % de la population francophone a moins de 30 ans. Les projections annoncent 800 millions de locuteurs francophones en 2050, dont plus de 80 % vivront en Afrique. C’est un véritable enjeu pour notre langue, pour nos valeurs, pour notre pays.

L’autre évolution mondiale majeure qui affecte l’aide au développement, c’est la sortie de la pauvreté de millions de femmes et d’hommes. Cette tendance s’est accélérée depuis les années quatre-vingt, notamment grâce à l’émergence de pays comme la Chine et l’Inde. En 1990, 47 % de la population mondiale vivait avec moins de 1, 25 dollar par jour ; en 2010, ce taux était passé à 22 %. Cependant, les progrès enregistrés au niveau mondial ne doivent pas masquer les disparités toujours existantes, voire croissantes, tant entre les pays, avec la persistance d’un groupe de pays nettement moins avancés, qu’au sein de certains pays, y compris à revenus intermédiaires, où persistent des inégalités criantes. Ce sont ainsi 1, 2 milliard d’hommes et de femmes qui continuent de vivre dans l’extrême pauvreté ; une personne sur huit dans le monde est toujours chroniquement sous-alimentée.

C'est pourquoi la concentration de l’aide constitue l’un des principes directeurs de notre politique de développement, comme le rappelle l’article 4 du projet de loi. Ainsi, 85 % de l’effort financier sera consacré à l’Afrique subsaharienne et aux pays des rives sud et est de la Méditerranée. Au moins 50 % des subventions de l’État et les deux tiers de celles de l’AFD viendront soutenir les secteurs sociaux des seize pays pauvres prioritaires.

Toujours dans un souci de concentration des moyens, la France établit des partenariats différenciés. Pour éviter le saupoudrage, nous interviendrons non pas dans tous les secteurs de l’aide au développement d’un pays donné, mais dans un nombre limité de secteurs, définis conjointement avec le pays partenaire en fonction de ses besoins.

Nous intervenons également dans les pays en crise. Nos interventions au Mali et en République centrafricaine l’ont montré : la France veut être aux côtés de ces pays non seulement, lorsque cela est nécessaire, dans les phases d’action militaire, mais aussi dans les phases de prévention, d’aide humanitaire et de reconstruction, pour que son action s’inscrive pleinement dans la logique du continuum urgence-reconstruction-développement.

Cependant, la France ne peut pas tout faire toute seule. Notre action vise à montrer la voie, pour mobiliser d’autres bailleurs sur des sujets primordiaux et créer un effet de levier. C’est tout le sens de la disposition de ce projet de loi tendant à permettre à l’AFD de porter des fonds multibailleurs. L’intervention dans les pays à revenus intermédiaires se concentrera avant tout sur la préservation des biens publics mondiaux, en promouvant dans ces pays une croissance verte et solidaire via des prêts peu ou pas concessionnels tout en veillant à un meilleur partage des richesses et à la lutte contre la corruption.

Les inquiétudes sur l’utilisation de ressources publiques pour financer des projets dans des pays tels que ceux d’Asie du Sud-Est sont légitimes. C’est pourquoi l’intervention dans les très grands émergents se fera, quant à elle, à coût nul pour l’État, au sein de partenariats. N’oublions pas que ces pays constituent des alliés potentiels dans l’action collective mondiale, ainsi que des marchés importants pour nos entreprises. Nous devons y promouvoir l’expertise technique française.

Bien entendu, toutes ces évolutions, qu’elles soient thématiques ou géographiques ou qu’elles concernent la multiplication des acteurs, ne sont pas sans incidence sur le financement de l’aide au développement. Comment pourrait-on imaginer le contraire ? J’invite donc à la plus grande prudence ceux qui ne prennent pour référence qu’un seul indicateur, soumis à des biais méthodologiques, comme celui de l’OCDE. Nous n’avons pas à rougir. L’aide au développement est multiple ; son financement ne saurait être uniforme.

Nombreux sont ceux qui regrettent l’absence de programmation budgétaire dans ce projet de loi. Comme vous le savez, il relève de la catégorie des lois de programmation déterminant les objectifs de l’action de l’État, prévue par le vingtième alinéa de l’article 34 de la Constitution. L’assemblée générale du Conseil d’État a rappelé, en décembre dernier, que, malgré leur intitulé, les lois d’orientation et de programmation ne sont pas soumises à l’obligation de comporter des éléments de programmation budgétaire. Par souci de cohérence avec le triennum budgétaire, il est apparu plus judicieux que les orientations et lignes programmatiques présentées dans le projet de loi s’appuient chaque année sur les moyens inscrits dans les lois de finances.

Les financements publics demeurent une source financière importante. Le projet de loi réaffirme la nécessité de maintenir des financements publics élevés. Il mentionne l’objectif international de 0, 7 % du revenu national brut dédié à l’aide publique au développement. Comme l’a rappelé le chef de l’État en clôturant les Assises du développement et de la solidarité internationale, la France reprendra une trajectoire ascendante vers ses engagements internationaux dès que la situation économique le permettra.

Mais nous devons aussi encourager le recours à d’autres sources de financement. Je pense bien entendu aux investissements privés ; c’est tout l’enjeu de la RSE. Je l’ai déjà souligné, faire participer les entreprises à l’amélioration des conditions de vie est un enjeu majeur. Il y a aussi les transferts d’argent des diasporas, qui constituent une manne financière importante. L’examen du texte en commission des affaires étrangères a permis de l’enrichir en encadrant et en facilitant ces transferts ; cela représente une vraie avancée. Je remercie les corapporteurs, MM. Peyronnet et Cambon, d’avoir pris cette initiative.

Néanmoins, il faut le reconnaître, le financement doit venir aussi et surtout des pays partenaires eux-mêmes.

La mobilisation des ressources nationales est un enjeu fondamental et la France aide au renforcement effectif des capacités administratives des pays à faibles revenus. On estime que les flux illicites de capitaux sortant de ces pays sont dix fois supérieurs à l’aide reçue de l’ensemble des bailleurs internationaux. Partant de ce constat, l’article 4 du projet de loi prévoit que la France soutient la lutte contre l’opacité financière et les flux illicites de capitaux pour favoriser la mobilisation de leurs ressources par les pays en développement.

Au-delà des instruments de financement traditionnels, publics ou privés, la France contribue à la recherche de nouvelles ressources pour le développement, telles que la taxe sur les billets d’avion, la taxe sur les transactions financières ou encore la facilité internationale de financement pour la vaccination. Notre pays cherche constamment à innover pour offrir une aide substantielle aux pays les plus vulnérables.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ne l’oublions pas, au-delà des mots, au-delà des concepts et des chiffres, ce qui importe, c’est d’offrir un soutien aux populations qui ont besoin de notre aide. Malgré toutes les évolutions que je viens de vous présenter, une chose n’a pas changé : la détermination de la France à lutter contre la pauvreté, à favoriser un développementéconomique plus durable, un développement humain plus harmonieux. Le principe de solidarité a forgé, depuis plus d’un siècle, notre modèle de société. Or, comme le disait si justement Léon Bourgeois, la loi de solidarité est universelle, la dette de l’homme envers les autres hommes n’a pas de frontières.

La crise économique est difficile et il est indispensable de réaliser des économies, mais ce n’est pas une raison pour céder aux sirènes populistes qui prônent un repli sur soi. Quelles que soient les difficultés, notre République doit continuer et continuera ses efforts en faveur du développement. C’est le message de Manuel Valls, comme c’était celui de Jean-Marc Ayrault.

Quel plus beau symbole, au lendemain d’une victoire des populismes en France et en Europe, que ce projet de loi, ouvert et humaniste ? Les Français ne s’y trompent pas, qui restent très majoritairement favorables à une poursuite déterminée de notre politique en faveur du développement.

Mais pour que ce soutien demeure, pour que leurs espoirs ne soient pas vains, notre action doit être irréprochable. Elle doit être efficace, cohérente et transparente. C’est l’ambition de ce projet de loi, c’est l’ambition du Gouvernement, c’est mon ambition.

Ce texte constitue une première étape de la refondation de notre politique de solidarité internationale. C’est une loi pour les Français ; elle est de celles qui contribuent à faire la grandeur de la République. §

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