Intervention de Christian Cambon

Réunion du 26 mai 2014 à 11h00
Politique de développement et de solidarité internationale — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Christian CambonChristian Cambon, corapporteur :

L’éparpillement du pilotage est le motif de critiques récurrentes, et malheureusement consensuelles, de la politique française de développement. La Cour des comptes parlait même à ce propos, en 2012, d’un « caractère singulier » de la France par rapport aux autres grands donateurs comme les États-Unis, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, qui ont mis en place des dispositifs d’évaluation beaucoup plus performants.

Naturellement, tant le ministère des affaires étrangères que celui de l’économie et des finances ont toute légitimité, dans leurs champs de compétences respectifs, pour participer pleinement à la politique de développement. Les ministères « sectoriels », comme, par exemple, ceux de la santé ou de l’environnement, en sont également, à l’évidence, des acteurs.

Cependant, la double tutelle historique de Bercy et du ministère des affaires étrangères se conjugue avec d’autres facteurs pour aboutir in fine à une organisation peu efficace, caractérisée par la faiblesse des concertations, la présence d’un opérateur autonome, puissant mais hybride du fait de son statut d’établissement bancaire, la difficulté pour l’État de correctement distinguer les rôles de stratège et d’opérateur et, enfin, l’éparpillement des acteurs français dans les pays partenaires.

Au total, la Cour des comptes relevait d’ailleurs que les coûts de gestion du système français sont plus élevés que ceux que l’on constate dans d’autres pays. Or le présent projet de loi ne contient pas d’élément nouveau à cet égard, hormis la réactivation du comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le CICID, qui ne s’était pas réuni, en effet, entre 2009 et 2013.

Cependant, une telle instance composée de ministres réunis à intervalles irréguliers sous la présidence du premier d’entre eux ne peut guère tenir lieu de « pilote »… Par exemple, il aurait été intéressant que le Gouvernement s’engage aussi à donner plus de poids et de force au secrétariat du CICID, instance administrative beaucoup plus resserrée, et donc plus efficace. Nous militons donc pour un changement profond dans les pratiques et dans l’organisation administrative de la politique de développement, afin d’améliorer son efficacité et sa cohérence.

En ce qui concerne l’évaluation, la rédaction initiale du projet de loi était également particulièrement timide. Alors qu’il existe aujourd’hui trois services d’évaluation distincts, rattachés aux affaires étrangères, à Bercy et à l’AFD, le projet de loi se contentait de prévoir une programmation pluriannuelle conjointe de ces trois services. Aussi avons-nous prévu d’aller nettement plus loin, et ce de deux manières.

D’une part, nous proposons de regrouper ces services en un seul pour mutualiser les moyens, diminuer les frais de gestion et assurer la cohérence des travaux menés. Comment mieux coordonner des travaux qu’en instaurant un service unique ?

D’autre part, nous avons prévu de détacher ce service des donneurs d’ordres. Il est tout de même étrange – et typiquement français – que les services d’évaluation, même si on organise leur autonomie, travaillent au sein de la même structure que les services qui mettent en œuvre la politique elle-même. La séparation des acteurs constitue une condition essentielle pour une bonne évaluation.

Un autre axe de travail de notre commission a consisté à souligner la nécessité de mieux articuler les actions de l’ensemble des bailleurs de fonds internationaux. Jean-Claude Peyronnet a évoqué l’évolution du contexte mondial, avec l’apparition de nouveaux financeurs, publics ou privés, et le projet de loi aurait dû davantage prendre en compte cette nouvelle donne. Concrètement, la commission a, ici aussi, renforcé le caractère normatif du texte, en adoptant deux dispositifs structurants.

En premier lieu, sur l’initiative du Gouvernement et avec notre complet soutien, la commission a autorisé l’AFD à gérer des fonds de dotation, dits « fonds multibailleurs », qui sont alimentés par des sources diverses au niveau international et gérés par un opérateur unique. Le recours à ce type de fonds est particulièrement adapté dans des pays en crise, comme le Mali ou la Centrafrique, où la concentration de l’aide est une nécessité impérieuse et où le nombre d’acteurs capables de mettre effectivement en œuvre cette aide ne peut qu’être limité.

Parallèlement, lorsqu’elle n’est pas la mieux positionnée, la France ne doit pas s’interdire de verser des aides à des fonds gérés par d’autres opérateurs. L’amendement adopté par la commission autorise donc l’AFD à confier des crédits à des fonds multibailleurs gérés par d’autres opérateurs qu’elle.

En second lieu, la commission a autorisé les banques des pays en développement à commercialiser en France, dans des conditions prudentielles strictes, des produits financiers permettant de financer des projets d’investissement sur place. Cette disposition, déjà en vigueur dans plusieurs pays européens, vise à faciliter les transferts d’argent des migrants, ce qui est très important au regard des sommes élevées aujourd’hui en jeu en la matière.

Avant de conclure, je souhaiterais dire quelques mots de la coopération dans le domaine de l’eau, sujet qui me tient particulièrement à cœur. Si les indicateurs mondiaux se sont nettement améliorés, l’accès à une eau réellement potable reste le grand défi socioéconomique, sanitaire et environnemental de notre temps. L’approche doit nécessairement être globale et articulée avec les autres secteurs d’intervention pour atteindre des objectifs divers : accès à l’eau potable et à l’assainissement pour tous, gestion qualitative et quantitative de la ressource, répartition équitable entre les différents usages, prévention des risques et des catastrophes, gouvernance…

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte était attendu et, clairement, il nous déçoit. Le Gouvernement avait l’occasion de poser les principes fondateurs d’une grande politique publique que nous préconisons depuis de nombreuses années. Or le message est complètement brouillé, trop souvent dilué dans le verbiage. Ce texte ressemble beaucoup plus à un catalogue de bonnes intentions, à une pétition de principe, qu’à une loi.

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