Intervention de Ronan Dantec

Réunion du 26 mai 2014 à 11h00
Politique de développement et de solidarité internationale — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous vivons donc aujourd’hui une première. En effet, c’est la première fois que le Parlement est amené à se prononcer sur ce que doivent être les orientations de la politique de développement et de solidarité internationale de la France.

Cette innovation législative, tout comme le changement d’appellation du ministère – la « coopération » faisant place au « développement » –, marque un changement d’époque : une page est tournée, le temps de la Françafrique est révolu.

Je tiens à saluer l’action de Pascal Canfin, à qui nous devons ce projet de loi, ainsi que celle de son successeur, Mme Girardin, qui s’est beaucoup investie, depuis son arrivée au ministère, pour défendre ce texte important. Nous sommes ici en présence d’un bel exemple de continuité de conviction dans l’action gouvernementale.

Notre politique d’aide au développement rencontre des difficultés : ce constat est unanime et ancien. Le manque de pilotage et de débat collectif est manifeste ; un récent rapport de la Cour des comptes l’a très bien analysé.

Cette politique dépend en effet à la fois du ministère des affaires étrangères, de Bercy et de l’Agence française de développement. Le comité interministériel chargé d’assurer la coordination entre ces instances ne s’est pas réuni une seule fois entre 2006 et 2009. On déplore en conséquence une dispersion des aides, voire un saupoudrage.

De même, malgré l’émergence, en 2009, de la notion de partenariats différenciés en fonction des types de pays, l’aide n’est toujours pas suffisamment concentrée sur l’Afrique subsaharienne, tout particulièrement sur le pourtour du Sahel, où nous voyons bien aujourd’hui les conséquences politiques des déstabilisations liées à la pauvreté et au sous-développement.

L’absence de hiérarchisation des objectifs et le manque d’évaluation a posteriori sont également préjudiciables à l’efficacité de cette politique. Le projet de loi, rédigé après la convocation d’Assises du développement et de la solidarité internationale rassemblant tous les acteurs et une réunion du CICID, vise donc à remédier à ces difficultés.

Les objectifs de la politique de développement sont clarifiés et hiérarchisés. Deux priorités transversales sont définies : le développement durable et l’égalité entre les femmes et les hommes. Dix secteurs d’intervention sont ciblés, et les pays sont regroupés en zones géographiques. Une priorité claire est donnée à la recherche de cohérence entre la politique de développement et les autres politiques publiques, mais aussi, au sein de l’aide, entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale.

Une autre avancée importante réside dans la reconnaissance du rôle des acteurs non étatiques. L’action décentralisée des collectivités territoriales est enfin reconnue et encouragée. Le texte reconnaît également le rôle des organisations non gouvernementales et, grande première, il fait valoir l’importance de l’action du secteur privé, dans le cadre clair de la responsabilité sociale et environnementale, notion à laquelle la commission du développement durable a rappelé son attachement, car elle lui paraît plus précise que celle de responsabilité sociétale ; j’aurai l’occasion d’y revenir au cours du débat.

La commission du développement durable se félicite que l’AFD, contributeur principal de la politique d’aide au développement de la France, se trouve renforcée par le projet de loi et voie son cadre d’action précisé, avec des objectifs ambitieux en matière de développement durable.

Il ne s’agit pas ici d’une simple déclaration d’intention, et le texte se veut précis sur plusieurs points. Par exemple, le projet de loi prévoit que l’AFD ne pourra plus financer de projets de recherche, d’achat, de promotion ou de multiplication des semences génétiquement modifiées. C’est là un point important, sur lequel nous reviendrons.

À l’heure où le Parlement s’est prononcé contre la mise en culture des organismes génétiquement modifiés en France, il convient d’assurer une réelle cohérence des politiques menées en la matière à l’égard des pays du Sud, en veillant à ne pas exporter au Sud des pratiques que nous refusons chez nous.

Le texte prévoit également l’interdiction de soutenir des projets ayant pour conséquence la déforestation, l’accaparement des terres et des ressources naturelles au détriment des populations locales.

Un cadre d’intervention transversal climat-développement est aussi défini : chaque année, 50 % des financements de l’AFD dans les pays tiers devront comporter des co-bénéfices au titre du climat dans l’ensemble des secteurs pertinents, y compris l’énergie. Ce sont de vraies avancées, en particulier dans la perspective de la conférence sur le climat que la France accueillera en décembre 2015.

Nous reviendrons sur ces questions au cours du débat, mais il est d’ores et déjà évident que la cohérence des positions françaises sera scrutée à la loupe par les autres pays avant cette conférence Paris Climat 2015. Nous devons donc y être particulièrement attentifs.

La commission du développement durable a également été sensible au fait que le projet de loi souligne l’importance des financements innovants. Au-delà des instruments de financement traditionnels, publics ou privés, il est nécessaire d’encourager la recherche de nouvelles ressources pour la politique de développement, notamment par le biais de taxes affectées. Depuis 2012, la France met en œuvre à titre national une taxe sur les transactions financières, dont le produit est alloué pour une large part au financement d’actions de développement, telles que la lutte contre les grandes pandémies, la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique.

Le présent débat est l’occasion de rappeler l’extrême importance de cet enjeu des financements innovants ; je compte, madame la secrétaire d’État, sur votre détermination à défendre ce dossier. En effet, ces derniers mois, les discussions se sont progressivement embourbées au niveau européen, du fait de l’opposition politique de certains États, comme le Royaume-Uni. Un accord, en date du 20 mai dernier, semble être de nature à relancer le dispositif, avec une entrée en vigueur dans dix pays à compter de 2016, mais il faut rester vigilants et souligner encore que cette taxe doit permettre d’apporter un financement significatif aux politiques d’aide au développement.

J’insiste ici sur l’importance que revêtiront, demain, les financements « climat ». Ils seront au cœur de la négociation, à Paris, tant sont étroitement liés développement et lutte contre le changement climatique.

L’absence de programmation financière est au cœur des critiques des corapporteurs, que je rejoins. L’objectif de 0, 7 % du revenu national brut, qui remplit bien des discours, ne remplit pas, pour autant, les caisses de l’aide au développement ! Je suis convaincu que, si nous voulons tendre vers cet objectif, il sera absolument nécessaire d’additionner les financements du développement et les nouveaux financements « climat ». C’est aujourd’hui un enjeu absolument essentiel.

La commission des affaires étrangères a établi son texte fin avril. Ses membres ont réalisé un travail fourni et collégial, que je salue, sous la conduite de deux corapporteurs d’appartenances politiques différentes.

Elle a clarifié la structure du projet de loi, grâce à quoi les nouvelles priorités de la politique de développement ressortent nettement. Elle a également introduit de nouveaux dispositifs normatifs, en particulier le « 1 % déchets ». Les collectivités et leurs groupements pourront financer des actions internationales de coopération et de développement dans le secteur des déchets, dans la limite de 1 % du produit de la taxe ou de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères.

Le même dispositif existe pour l’eau et l’assainissement depuis la loi Oudin-Santini de 2005. L’expertise des collectivités en matière de services publics locaux est ainsi reconnue. Je ne peux m’empêcher de rappeler que c’était l’une des trente propositions formulées dans le rapport sur le rôle des collectivités territoriales dans la lutte contre le changement climatique et dans la mobilisation en vue de Paris Climat 2015 que j’avais rédigé avec Michel Delebarre et qui a été remis en septembre 2013 au ministre Pascal Canfin.

Ce combat était mené de longue date par Michel Delebarre et par certains réseaux, comme Cités Unies France. Je ne sais combien de fois les amendements déposés pour le faire aboutir sont tombés sous le coup de l’article 40 de la Constitution. Quoi qu’il en soit, l’entêtement a payé, et nous pouvons espérer l’adoption de cette mesure aujourd’hui.

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