Intervention de Michel Billout

Réunion du 26 mai 2014 à 11h00
Politique de développement et de solidarité internationale — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ces deux dernières années, nos interventions militaires au Mali et en Centrafrique, comme l’activité de notre diplomatie dans cette région du continent africain, ont eu pour toile de fond la problématique de la politique de développement à mener dans ces pays.

En effet, l’origine des crises et des conflits dans cette partie du monde est bien souvent liée à la pauvreté des populations. C’est dire l’importance du rôle des politiques d’aide au développement pour remédier aux causes de ces crises et conflits !

La paix et la sécurité n’adviennent pas spontanément. Le développement économique, social et culturel des sociétés en est le terreau. De ce point de vue, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est fondamental.

Jusqu’à présent, les questions liées à la politique d’aide au développement étaient l’apanage de l’exécutif, qui ne soumettait cette politique au contrôle parlementaire qu’à l’occasion de trop rares débats généraux ou lors de l’examen des projets de loi de finances.

Que le Parlement puisse être désormais associé à la définition et au contrôle des politiques en matière d’aide au développement est donc une première dans notre pays.

J’ajoute que, avec les Assises du développement et de la solidarité internationale, l’élaboration de ce projet de loi a fait l’objet d’une large concertation entre les autorités publiques, la société civile, les ONG et les collectivités territoriales. Le recours à cette méthode est suffisamment rare, de la part de l’exécutif, pour être souligné.

Par ailleurs, la politique d’aide au développement a été, à juste titre, fréquemment critiquée dans des rapports parlementaires ou par la Cour des comptes, pour son opacité, son absence de cohérence, et donc son manque de lisibilité et son inefficacité. C’est à tous ces défauts que ce texte tend à remédier ; je salue la logique qui l’inspire.

La recherche d’une plus grande efficacité par la concentration de l’aide et la mise en place de partenariats différenciés selon les besoins et la situation des pays partenaires est empreinte de bon sens. Elle peut produire des résultats positifs, à condition qu’elle soit sous-tendue par une véritable volonté politique.

Je ne doute pas que le Gouvernement ait cette volonté, ni que celle-ci soit au service d’une conception de l’aide au développement différente de celle des gouvernements précédents. Je pense en particulier au changement qui doit prévaloir dans nos relations avec les pays africains, lesquels, au travers de ce texte, font légitimement l’objet d’une attention et d’une aide prioritaires.

De la même façon, la recherche d’une mise en cohérence de la politique de développement avec l’ensemble des politiques publiques, le renforcement de la transparence et l’évaluation des aides accordées sont des principes forts que j’approuve pleinement.

Enfin, les collectivités territoriales étant devenues des acteurs majeurs de l’aide au développement, de l’aide humanitaire et des actions de coopération, ce projet de loi reconnaît leur rôle et sécurise leurs choix et leurs activités sur le terrain à l’étranger.

Le texte institue notamment une coordination nécessaire entre l’État et les collectivités et élargit le champ de compétence de ces dernières à la question des déchets ménagers. Toutefois, dans la perspective de la future réforme territoriale, je m’interroge sur la portée réelle d’une telle reconnaissance.

En effet, avec la suppression de la clause de compétence générale, la baisse et la réforme de la dotation globale de fonctionnement, les 11 milliards d'euros d’économies supplémentaires demandés aux collectivités territoriales, je crains fort que ces affirmations ne restent sans portée et que ces grands principes ne soient inapplicables.

C’est sans doute là la grande faiblesse de ce texte. Certes, il s’agit d’une loi d’orientation et de programmation, qui, conformément à sa vocation, doit se limiter à définir et à affirmer des orientations et des principes généraux dont l’application est par ailleurs détaillée dans un rapport annexé n’ayant pas, notons-le, de véritable valeur normative. Néanmoins, l’absence de toute programmation financière dans le projet de loi obère lourdement la mise en œuvre concrète d’une politique d’aide au développement différente de celles qui ont été menées précédemment.

Cette absence d’engagements précis me laisse sceptique. J’estime que, sans moyens financiers pour les mettre en œuvre, les objectifs et le cadre de travail fixés par ce projet de loi seront voués à n’être que des vœux pieux. Il faut parler clairement : certes, les efforts à produire en faveur de l’aide au développement ne sont pas tous d’ordre financier, mais ils se mesurent aussi en grande partie à l’aune d’engagements financiers concrets.

Or la réalité, c’est que notre pays ne cesse de réduire les budgets qu’il consacre à l’aide publique au développement. Je rappelle que, selon les estimations fournies par l’OCDE, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ont diminué de 10 % en 2013 et de 6 % dans la loi de finances pour 2014.

Les années précédentes, parmi les engagements de l’Agence française de développement, le montant des prêts bonifiés et des subventions accordés était en baisse, de même que celui des dons aux pays les plus pauvres, africains pour la plupart. Un rapport budgétaire de la commission des affaires étrangères du Sénat s’en était inquiété.

Avec ce projet de loi, le Gouvernement se donne-t-il les moyens d’inverser cette tendance ? Ce devrait pourtant être à la portée d’un grand pays comme le nôtre. Observons l’action du Royaume-Uni, qui mène une politique d’austérité plus stricte encore que celle que nous connaissons : en 2013, les Britanniques ont dépassé l’objectif de 0, 7 % du revenu national brut alloué à l’aide publique au développement, et il en ira de même cette année.

Pour sa part, l’Union européenne, bien qu’elle peine à atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés pour 2015, a continué ces deux dernières années à augmenter son aide au développement, malgré les effets de la crise financière. Je relativiserai cependant l’ampleur de cet effort, eu égard à la façon dont le projet de taxe sur les transactions financières, laquelle était censée financer le développement des pays du Sud, a été récemment vidé de sa substance par le conseil des ministres européens, et ce avec l’approbation du Gouvernement français…

Au-delà des aspects budgétaires, le projet de loi souffre également de quelques faiblesses, qui amoindriront malheureusement sa portée. Je pense tout particulièrement à l’insuffisance des dispositions qui seraient mises en œuvre pour lutter contre l’opacité des transactions financières dans ce secteur d’activité et contre l’évasion fiscale que pratiquent certaines entreprises. Je regrette profondément que les règles d’utilisation par l’AFD des places financières dites « offshore » ne soient pas plus strictement encadrées.

Notre collègue Nathalie Goulet l’a particulièrement bien illustré : ces différents aspects posent concrètement la question d’un contrôle plus efficace des sociétés multinationales, a fortiori lorsqu’elles sont soutenues par l’Agence française de développement – laquelle, soulignons-le, est essentiellement alimentée par de l’argent public.

C’est notamment dans cet esprit que nous souhaitons amender le texte, en imposant aux entreprises ce qu’on appelle en franglais le reporting par pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion