Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà quelques jours, vingt-deux organisations humanitaires ont alerté la communauté internationale sur le sort de 3 millions de Somaliens, qui font face à un risque de crise alimentaire à grande échelle. Nous sommes dans une situation de réelle urgence ! Les chiffres sont là pour le prouver.
Dans son dernier rapport sur la sécurité alimentaire, la FAO a estimé que 842 millions de personnes souffrent aujourd’hui de faim chronique dans le monde. Toutes les trois heures, c’est l’équivalent des victimes de l’attentat du Wall Trade Center en 2001 qui meurent de faim dans le monde. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, estime que, d’ici à 2020, entre 75 et 250 millions d’Africains seront exposés à un risque accru de stress hydrique.
Enfin, aujourd’hui encore, 1, 3 milliard d’hommes et de femmes vivent avec moins de 1 euro par jour.
Les inégalités continuent de se creuser entre les pays riches et les pays pauvres.
Afin de répondre à ces défis grandissants, l’encadrement, le contrôle et la transparence des pratiques de la France dans le domaine du développement n’ont que trop tardé. Sans ces impératifs, nous ne pouvons pas prétendre apporter une aide durable et adaptée aux pays bénéficiaires.
Il s’agit aujourd’hui pour la France de tourner définitivement la page de décennies de coopération opaque menée à l’international. Madame la secrétaire d’État, ce projet de loi ne doit pas être une sanctuarisation de la Françafrique, et nous y veillerons. Au contraire, nous devons fixer les grandes orientations de notre politique de développement, afin de permettre une plus grande cohérence et une plus grande efficacité de notre aide.
C’est en ce sens que l’initiative du Gouvernement de mettre en place des partenariats différenciés est un premier élément de réponse. En effet, nous faisons face à des problématiques différentes dans les pays pauvres « prioritaires », les pays en crise ou en sortie de crise et les « très grands émergents ». Nous devons donc utiliser des instruments adaptés à chaque situation. Toutefois, rationaliser notre aide ne doit pas être synonyme d’abandon.
Alors que l’APD française s’est réduite de près de 10 % en 2013, nous ne pouvons pas orienter l’intégralité de notre aide vers les pays émergents et minimiser le besoin des pays les moins avancés, notamment en Afrique subsaharienne. Les partenariats différenciés doivent nous permettre d’allouer, de la manière la plus optimale qui soit, l’aide publique au développement en fonction des besoins.
En outre, l’effort de cohérence affiché tout au long du texte est un élément primordial, qui doit être réaffirmé au niveau tant national qu’européen. L’ensemble de nos politiques sectorielles doivent systématiquement prendre en compte leur impact sur le développement.
Ainsi, tout programme incompatible avec les priorités mises en avant dans ce texte doit être arrêté. Mais, surtout, au sein même de notre politique de développement, nous devons être « gouvernés » par l’impératif de « développement durable », introduit dans ce texte, afin de permettre l’autosuffisance alimentaire et le développement de l’agriculture vivrière dans les pays partenaires.
Plus largement, je tiens à saluer la mise en avant de la dimension environnementale du développement dans le projet de loi. En effet, il n’est plus possible aujourd’hui de réfuter la prégnance du changement climatique sur le développement d’un pays.
Dans son dernier rapport, publié en mars 2014, le GIEC a une nouvelle fois affirmé que le changement climatique affectait l’intégrité des États, en fragilisant leur souveraineté et en impactant les infrastructures étatiques les plus sensibles. Est-il encore nécessaire de vous expliquer, mes chers collègues, les ravages, dans des pays en développement, déjà fragiles et instables, des stress hydriques et nourriciers, de la course effrénée aux matières premières, de l’accaparement des terres rares ou des tensions énergétiques ? Et la liste est encore longue !
Comment peut-on prétendre venir en aide sur le long terme aux populations de la République démocratique du Congo sans tenir compte des tensions meurtrières autour de l’accaparement des minerais ?
Comment peut-on prétendre soutenir les pays de la corne de l’Afrique, notamment l’Éthiopie, sans comprendre les enjeux hydriques le long du Nil ?
Comment peut-on prétendre coopérer durablement avec le Niger si nous nions le scandale social et environnemental qui se joue depuis des années dans le delta ?
Comment, enfin, peut-on prétendre tendre une main solide à la Mauritanie sans aborder la question de l’exploitation des ressources halieutiques ?
La France se doit d’être pionnière dans ce domaine, et ce avant la tenue de la prochaine conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 2015 ! La France doit être force de propositions en termes de cohérence de ses politiques et de financement de projets, en amont, afin que le débat sur le changement climatique avance ! À ce sujet, j’ai déposé un amendement sur la reconnaissance des « pays en grande difficulté climatique », dont le concept serait une innovation et pour lequel la France pourrait être leader à la fois dans les institutions européennes et onusiennes.
Nous ne pouvons plus nous limiter à une vision passéiste et simpliste du développement : il nous faut adopter une approche multidimensionnelle, à la fois politique, sociale, culturelle, économique, financière et environnementale. De ce point de vue, si les écologistes notent l’effort du Gouvernement pour établir une liste de priorités sectorielles, ils auraient souhaité que le projet de loi soit plus ambitieux et mieux adapté aux enjeux actuels. En effet, ce texte présente un certain nombre de limites, qui en réduisent significativement la portée.
Nous regrettons en particulier le refus systématique du Gouvernement, tout au long des débats, d’imposer des mesures contraignantes au groupe de l’AFD, ainsi qu’à toutes les entreprises opérant dans les pays bénéficiaires. Pourtant, les convoitises internationales visant les ressources présentes dans ces pays ont conduit à un pillage de la biodiversité et à des pratiques sociales et environnementales indignes d’un pays comme la France, « pays des droits de l’homme ». Que dire des activités de Total ou de celles d’Areva au Gabon et au Niger ?
Nous ne pouvons pas mener une politique de développement systématiquement déconstruite par les intérêts commerciaux français et par le comportement prédateur de grands groupes. La France doit bannir ces comportements et permettre la mise en place de mécanismes juridiques contraignants pour ses industriels. Il le faut d’autant plus que les pratiques incontrôlées en matière commerciale et d’exploitation ont souvent entretenu par le passé, et entretiennent encore aujourd’hui, les tensions nationales et régionales dans des zones déjà fragilisées. C’est pourquoi l’impératif de sécurité doit être mis en avant. Or, alors qu’il n’y a pas de développement sans stabilité ni bonne gouvernance, la prévention des conflits n’est que trop peu abordée dans le projet de loi. Si le développement ne peut se réduire à sa composante sécuritaire, celle-ci est indispensable à toute réflexion proactive, notamment au niveau européen.
Madame la secrétaire d’État, le groupe écologiste votera le projet de loi, qui constitue une avancée significative et une première base de réflexion, mais nous devons aller plus loin et proposer des textes programmatiques plus ambitieux. Selon nous, les grandes orientations de la politique de développement doivent s’appliquer à un budget tendant vers l’objectif de 0, 7 % du RNB. Surtout, il nous appartient d’impulser une dynamique audacieuse et innovante pour garantir à nos pays partenaires un comportement exemplaire en matière de traçabilité et de conditionnalité de l’aide !