Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 26 mai 2014 à 14h30
Politique de développement et de solidarité internationale — Suite de la discussion et adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à rendre hommage au rapporteur, Christian Cambon, qui, depuis de nombreuses années, suit avec une attention sans faille les questions relatives à l’aide publique au développement. Le travail qu’il a accompli et le rapport qu’il a rédigé, au nom de la commission des affaires étrangères, avec notre collègue Jean-Claude Peyronnet, sont minutieux, rigoureux et marqués par une volonté de pragmatisme et d’efficacité. Je crois que nous pouvons tous en être très reconnaissants à nos deux rapporteurs. À l’heure où l’institution sénatoriale et ses compétences sont attaquées de toutes parts, leur travail témoigne de la plus-value législative qu’apporte la Haute Assemblée.

Mes chers collègues, permettez-moi d’être franche : entre le texte issu de l’Assemblée nationale et le texte modifié par notre commission, il n’y a pas photo ! Sans vouloir être désagréables, reconnaissons que le texte initial s’apparentait plus à un catalogue de bonnes intentions, motivé par un affichage politique grossier, qu’à un projet de loi procédant à une remise à plat des outils et des moyens de l’APD française. Aujourd’hui, grâce au Sénat, le projet de loi est allégé des redites à chaque chapitre et bénéficie d’une plus grande cohérence. Cet effort répond à l’objectif constitutionnel d’intelligibilité de la loi ; cela méritait d’être souligné.

L’édification d’une politique d’aide au développement comporte plusieurs défis : définir de façon durable et précise son périmètre d’action, optimiser la coordination des acteurs, cibler des actions concrètes et les zones des pays bénéficiaires, assurer de manière pérenne l’adéquation des financements aux besoins et créer les conditions d’une véritable évaluation des actions menées.

La tâche est déjà assez difficile, d’autant que les besoins des pays en développement sont élevés et changent de nature, pour que nous ne nous laissions pas piéger par l’idéologie politique, qui altère souvent les débats et qui, à mon sens, est en décalage avec la réalité des pays bénéficiaires de l’aide française. Ainsi, les polémiques d’ordre sémantique sur telle ou telle dénomination – « coopération » ou « développement » – et les tropismes politiques qui en découlent doivent être dépassés.

Aujourd’hui, le monde connaît de nouveaux bouleversements, d’ordre économique, politique, sécuritaire, sanitaire, environnemental et migratoire, qui contribuent aussi à l’augmentation des inégalités et des fragilités. Plus que jamais, il existe une véritable interdépendance entre pays dits « du Nord » et « du Sud » : les enjeux sont transversaux et globaux. Cette réalité nous impose la mise en place d’une politique d’aide au développement efficace, cohérente et répondant aux besoins des pays les plus pauvres.

Parmi ces nouveaux enjeux, il importe de prendre en compte la raréfaction des ressources stratégiques, qu’il s’agisse des terres arables, de l’eau ou des énergies fossiles. Cette question est trop grave pour souffrir des clivages politiques.

Nous devons évidemment nous réjouir de l’essor de classes moyennes dans les pays émergents, même s’il est encore insuffisant. Mais il nous faut aussi prendre conscience des nouveaux défis qui se présentent à nous, en particulier sur le plan environnemental – je pense notamment aux domaines alimentaire et géopolitique.

L’environnement macro-économique mondial ayant profondément évolué, il importe que notre politique d’APD et ses mécanismes s’y adaptent, et le plus rapidement possible.

En Afrique, le taux de croissance économique avoisine les 5 %, mais 400 millions de personnes vivent encore avec moins de 1, 25 dollar par jour. Parmi les défis majeurs auxquels ce continent doit faire face, il y a bien sûr l’urbanisation, dont les conséquences sont multiples, tant sur la gestion du territoire que sur les sociétés et leur mode d’organisation. La France a développé une expertise mondialement reconnue en la matière. Il importe qu’elle puisse, à travers son aide publique au développement, la partager.

Si, globalement, la pauvreté recule, les crises, notamment politiques, s’accélèrent, fragilisant les efforts accomplis. À cet égard, il me paraît important de tenir compte du fait que, aujourd’hui, notre politique d’APD et ses résultats sont menacés par l’effondrement des structures gouvernementales et la fragilisation de l’État dans les pays bénéficiaires.

Combien de programmes sont stoppés du fait de coups d’État, de violences entre populations ou d’actes de terrorisme ? En quelques mois à peine, ce sont des régions entières qui s’embrasent et où il faut tout reconstruire ; ce sont des années de travail des humanitaires qui sont réduites à néant et des millions d’euros qui s’évaporent. Alors, quand le Gouvernement nous a annoncé qu’un projet de loi de programmation et d’orientation sur le développement allait être examiné, nous nous sommes réjouis, car il était temps.

C’est le premier exercice du genre en la matière. Le projet de loi, en tant que tel, répond à une requête ancienne de tous les acteurs de l’APD, des ONG aux parlementaires, quelle que soit leur appartenance politique. Il répond à un vide législatif, au sens où une loi de programmation doit servir de cadre juridique et financier définissant des objectifs précis, qui participent à la crédibilité de notre pays dans ce domaine.

Il est d’autant plus nécessaire que, sur la scène internationale, la position française est très fragilisée. Certes, la France demeure, en volume, un contributeur important de l’aide au développement, se classant à la cinquième place à l’échelle mondiale ; mais elle ne consacre plus à la solidarité internationale que 0, 41 % de son revenu national brut, contre 0, 45 % en 2012. De l’ensemble des membres de l’OCDE, la France enregistre l’une des plus fortes baisses de son APD. Par contraste, le Royaume-Uni a, lui, rempli pour la première fois l’engagement de consacrer 0, 7 % de son RNB au développement, et ce malgré la crise. Cette divergence de stratégie entre nos deux pays doit nous conduire à nous interroger : quel est l’intérêt d’afficher d’ambitieux objectifs si l’on n’assure pas leur financement ?

Autres impératifs qu’il est essentiel de garder à l’esprit : une loi de programmation doit s’inscrire en totale cohérence avec la politique diplomatique menée par la France, être un outil de soft power et un instrument de notre diplomatie d’influence à travers le monde.

Force est de reconnaître que, jusqu’à présent, pour les parlementaires, les seules occasions d’aborder l’APD étaient l’examen du projet de loi de finances, quand du moins sa première partie n’est pas rejetée, comme on l’a déjà signalé, …

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