Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 26 mai 2014 à 14h30
Politique de développement et de solidarité internationale — Suite de la discussion et adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Plusieurs l’ont évoqué avant moi, la question du pilotage de l’aide est essentielle, tout comme celle de l’évaluation.

Le pilotage et l’évaluation sont deux piliers de la politique d’APD, et ils sont indissociables. Ils garantissent son succès.

Les pays nordiques et anglo-saxons mènent dans ce domaine des actions qui devraient nous inspirer. La sous-évaluation institutionnelle et financière est moralement indécente, tant pour ceux qui en ont besoin que pour nos concitoyens. Sur ce point, il revient à mon avis aux élus que nous sommes de promouvoir les efforts engagés par notre pays pour lutter contre la pauvreté dans le monde et de mieux en informer la société civile.

Au lendemain d’élections européennes dont les résultats sont des plus inquiétants, on ne peut que se féliciter de l’article 3 ter, qui non seulement appelle à une meilleure coordination de l’ensemble des bailleurs de fonds dans le monde, mais tend aussi à promouvoir l’idée d’une programmation conjointe au sein de l’Union européenne et des politiques d’APD menées par les États membres.

À l’heure où le sentiment d’adhésion à l’Europe est mis à mal, promouvoir les actions d’APD entre États me paraît indispensable. Cela démontrerait que l’Union européenne ne se résume pas à des seuls critères d’endettement.

Revenons à l’évaluation. Évaluer, mes chers collègues, c’est aussi dresser le bilan de ce qui fonctionne. C’est rationaliser, ce qui ne veut pas dire « faire moins », mais « faire mieux » ! C’est l’objet de l’article 8 bis, qui prévoit la création de l’AFETI, la future agence française d’expertise technique internationale, qui regroupera six organismes dépendant actuellement de ministères différents. Il s’agit de France expertise internationale, d’Assistance au développement des échanges en technologies économiques et financières, ou ADETEF, d’Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau, ou ESTHER, d’International, de Santé protection sociale internationale et de l’Agence pour le développement et la coordination des relations internationales, ou ADECRI. Cette agence sera conçue comme une holding et assurera les fonctions transversales des opérateurs.

Nous savons que l’expertise internationale fait partie de notre politique de développement. C’est un secteur dans lequel la France pourrait gagner plus de marchés qu’elle n’en remporte aujourd’hui, non pas à cause d’un manque de compétences, mais pour des raisons structurelles, principalement liées à la taille trop critique des opérateurs pour certains appels d’offres.

Si ce regroupement donne l’occasion d’une meilleure lisibilité de l’expertise française à l’international, comme le ferait un label, il importera de rester vigilant quant au fonctionnement afin d’éviter les situations de concurrence entre les anciens opérateurs et administrations d’origines.

Il me semble également que l’AFETI devra s’ouvrir à la société civile, notamment par le biais du recrutement de contractuels pour des missions de quelques années. Cela me semble d’autant plus cohérent que nos finances publiques ne nous permettent plus de recruter de nouveaux fonctionnaires.

En tant qu’élue des Français de l’étranger, je tiens à rappeler ici combien l’expertise internationale française est un levier important. C’est un outil fondamental pour notre diplomatie d’influence dans le monde, à un moment où la concurrence est extrêmement rude et décomplexée. J’ajoute, madame la secrétaire d’État, que la francophonie est aussi un levier très efficace. Je regrette que nous ne sachions pas davantage nous appuyer sur ce patrimoine de langues et de valeurs et le faire fructifier.

Avant de terminer, j’évoquerai un point très important pour le Sénat. Je veux parler du rôle des collectivités territoriales au cœur de l’APD.

Certes, avec l’article 9, le projet de loi permet d’affirmer leur place et de mieux coordonner leurs opérations. Surtout, il est primordial que leurs actions et projets soient en parfaite adéquation tant avec notre diplomatie qu’avec nos engagements internationaux.

Prévoir la transmission d’un rapport des collectivités territoriales à la Commission nationale de la coopération décentralisée est une bonne chose. Cela permettra non seulement de dresser un bilan exhaustif de leurs actions, mais aussi d’organiser une meilleure coordination et in fine un meilleur suivi.

Si les collectivités territoriales et leurs élus ont beaucoup à apporter, ce ne sont pas des ambassadeurs, et leurs ressources ne sont pas extensibles. Il importe donc que la Commission nationale de la coopération décentralisée puisse aussi les aider et mettre en valeur leur travail.

Je me réjouis tout particulièrement de l’amendement relatif à l’extension de la loi Oudin-Santini au secteur des déchets. S’il est un sujet dont l’impact est capital pour les populations des pays en développement et pour l’environnement, c’est bien le traitement des déchets.

La prolifération des déchets organiques et chimiques a de très lourdes conséquences sanitaires et nuit à la préservation de la biodiversité. La constitution d’îles de déchets au cœur des océans est une catastrophe à l’échelle mondiale. En détruisant la faune marine, ce sont l’écosystème et les ressources halieutiques qui sont menacés. Les répercussions sont évidentes pour les populations.

Dans le nord-est du Pacifique, entre la Californie et Hawaï, les courants marins ont acheminé tellement de déchets que les experts évoquent « un septième continent » ! Ce phénomène touche également la Méditerranée. L’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, estime à 250 milliards le nombre de microplastiques en Méditerranée. Le Centre d’études supérieures de la Marine a également consacré des études à ce sujet.

Les collectivités territoriales et la France ont un réel savoir-faire en matière de gestion responsable des déchets. Cet amendement leur permettra d’exporter leurs compétences et de répondre à problème que les populations n’ont pas les moyens techniques et logistiques de traiter.

Avant de conclure, j’insisterai sur un dernier point crucial ; je veux parler de l’éducation. Les alinéas 56 à 59 du rapport annexé qualifient l’éducation de facteur de « transformation sociale » contribuant à « la réduction des inégalités sociales », « à l’épanouissement des personnes » et « à l’exercice de la citoyenneté ». Ces formules trouveront bien sûr un écho positif dans l’opinion française, mais le manque d’indicateurs est flagrant.

Je pense que le texte aurait dû être plus concret quant aux moyens d’améliorer réellement l’accès à l’éducation dans les pays en difficulté, en particulier pour les jeunes filles. C’est un dossier pour lequel je me bats depuis de nombreuses années, et il me semble que nous avons, ici, manqué une occasion de donner un nouvel élan à ce volet essentiel de notre politique de développement. Les outils existent sur le plan international. Il est dommage que la France ne s’en saisisse pas.

Comme le soulignait l’ex-président de la Banque mondiale Robert Zoellick, « l’investissement dans les adolescentes est […] le catalyseur dont les pays pauvres ont besoin pour briser le cycle intergénérationnel de la pauvreté […]. Cet investissement n’est pas seulement équitable, c’est une décision intelligente au plan économique ».

D’après l’ONG Plan, le coût économique de la non-scolarisation des filles dans soixante-cinq pays en développement représenterait à lui seul 92 milliards de dollars, soit quasiment le montant total des 103 milliards de dollars alloués par l’ensemble des États finançant l’APD ! En tant que membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, je tenais à le rappeler.

L’éducation ne peut donc plus être considérée comme un luxe secondaire face aux enjeux alimentaires et sanitaires. Il est primordial que la France mène, en matière d’éducation, des actions d’aide publique au développement plus ciblées et plus adaptées aux structures économiques locales, pour enfin faire jouer pleinement ce levier de développement puissant qu’est l’éducation.

De manière plus générale, les droits de l’enfant sont aussi les grands oubliés de ce projet de loi puisqu’ils n’apparaissent que dans le rapport annexé. Comme souvent, on n’oublie un peu vite que la France, en ratifiant la Convention internationale des droits de l’enfant, a pris des engagements internationaux forts. Il serait bon qu’ils transparaissent davantage dans cette loi.

Mes chers collègues, je m’arrêterai là, même s’il y a encore beaucoup à dire, mais surtout à faire. Le groupe UMP s’abstiendra sur ce projet de loi, qui, s’il a le mérite d’exister, est une occasion ratée pour la majorité. À l’heure où les trajectoires budgétaires doivent être clairement définies pour être préservées, ce projet de loi est coupé des réalités financières. Malgré tout, le texte issu des travaux de la commission des affaires étrangères et les amendements des rapporteurs élargissent et confortent juridiquement le rôle des collectivités territoriales au sein de la politique d’aide publique au développement, et le Gouvernement sait combien nous y sommes attachés !

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