Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 26 mai 2014 à 14h30
Politique de développement et de solidarité internationale — Suite de la discussion et adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Nicole BricqNicole Bricq :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues : « texte long, souvent descriptif et très peu normatif », ont écrit les rapporteurs. Il est vrai que le projet de loi qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale était bavard, peu stratégique et encore moins opérationnel. Mais le Sénat vint ! La commission des affaires étrangères, fidèle à sa tradition, a travaillé ; elle a inscrit dans le texte deux innovations et a porté une attention particulière, comme l’Assemblée nationale du reste, à ce qu’il est convenu d’appeler la responsabilité sociale et environnementale.

La première innovation est l’article 5 quater, puisé à bonne source. Il a une portée financière pour l’Agence française de développement, car il étendra sa capacité à gérer des fonds pour autrui. Cet ajout fort bienvenu clarifie l’environnement juridique de l’agence, lui apporte de la flexibilité en lui permettant de bénéficier d’accords avec des agences bilatérales – on pense par exemple à la KfW allemande. Une autre vertu de cet article est que l’agence disposera aussi d’un effet de levier en utilisant les fonds d’autres agences ou ceux de multibailleurs. L’exposé des motifs de l’amendement qui a introduit cet article donne deux exemples récents.

Dans la discussion générale comme en commission, on a insuffisamment parlé, selon moi, des entreprises. Je veux saluer l’effort qui est fait dans le nouveau contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2014-2016. J’ai pu constater que l’agence avait reçu des objectifs financiers de performance. L’innovation introduite par la commission accompagnera utilement la recherche des partenariats différenciés qui lui sont demandés.

Je note aussi avec satisfaction que l’AFD sera évaluée selon des indicateurs de résultat tels que validés par le CICID, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement, du 31 juillet 2013 et que, sans qu’il soit renoncé au principe de l’aide déliée, les indicateurs de suivi rapprochent l’AFD des entreprises françaises puisqu’ils comportent la référence à la part et au nombre de marchés remportés par les entreprises françaises dans les appels d’offres internationaux.

La deuxième innovation est celle qui a été introduite sur l’initiative de notre collègue Jacques Berthou à l’article 8 bis nouveau, qui transforme FEI, France expertise internationale, en une agence française d’expertise technique internationale, l’AFETI, placée sous une double tutelle afin de fusionner six organismes à compter du 1er janvier 2015 – la date n’est pas neutre. On sait que, parmi les six opérateurs, FEI et ADETEF en sont les deux principaux.

L’argument avancé, qu’a repris notre collègue de l’UMP, est celui de la nécessité d’atteindre une taille critique. La référence est le GIZ allemand. Mon cher collègue Jacques Berthou, vous exercez votre droit de suite de parlementaire en tant qu’auteur d’un rapport d’information remarquable sur la performance de France expertise internationale. À l’époque, votre démarche consistant à rassembler les diverses agences chargées de l’expertise en un seul opérateur était prudente. Vous prôniez la réforme, mais vous envisagiez qu’elle se fasse par étapes et vous fixiez l’objectif de mutualiser un certain nombre de tâches communes.

La démarche de la commission, démarche dont je ne conteste pas la légitimité puisque celle-ci a été approuvée à l’unanimité, est très radicale et d’application ultrarapide. Je ne suis pas d’avis d’aller dans cette voie : je pense qu’il est préférable de procéder par phases, en évaluant chacune d’entre elles. Pourquoi ? Parce que nous ne connaissons pas l’impact sur les activités du secteur privé de l’ingénierie française, qui se bat beaucoup à l’international. C’est là que la référence au GIZ allemand m’inquiète, car celui-ci a tout simplement tué le privé.

Même si ce point n’est pas fondamental, je veux terminer cette intervention sur ce qui est désormais qualifié par la commission de « responsabilité sociétale des entreprises ». Parler de « responsabilité sociale et environnementale » aurait deux mérites à mes yeux – je me suis occupée de cette question dans un passé récent : premièrement, on sait de quoi on parle ; deuxièmement, cette référence est désormais commune à l’ensemble des pays de l’OCDE, dont la France fait évidemment partie.

Ce qui est important, c’est de tirer les conséquences du drame du Rana Plaza, au Bangladesh, qui a suscité de l’émotion et fait naître un débat sur les engagements à attendre des entreprises françaises. Je sais que certains parlementaires souhaitent introduire un mécanisme juridique permettant de mettre en cause leur responsabilité. Jean-Claude Peyronnet, corapporteur, a fait justement remarquer qu’un tel mécanisme ne saurait concerner que les seules entreprises françaises.

Je rappelle ici que le gouvernement français n’est pas resté les bras ballants après cette horreur, qui n’est pas un cas isolé dans de tels pays : la plateforme RSE mise en place par Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, qui rassemble toutes les parties prenantes, devrait présenter son rapport cet été. Je rappelle également que le Parlement européen a adopté la directive sur la publication d’informations extra-financières, le 15 avril 2014, et que le point de contact national des principes directeurs de l’OCDE a fait des recommandations sérieuses s’agissant du secteur du textile et de l’habillement, avec saisine possible de la mise en œuvre de ces recommandations. Je rappelle enfin, ce qui me paraît très important, qu’a été introduite la notion de devoir de vigilance des donneurs d’ordres, et je ne doute pas que les ONG, très actives en la matière, seront elles-mêmes vigilantes.

On assiste donc à une mobilisation française et celle-ci ne retombera pas. Les morts du Rana Plaza ne seront pas oubliés !

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