Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, cher Jean-Louis, messieurs les rapporteurs, dont je salue la qualité du travail, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est d’autant plus important qu’il traite de l’ensemble des instruments de solidarité et d’influence de notre politique de coopération au développement.
Parmi ces différentes facettes, il en est une qui joue et jouera un rôle de plus en plus important : l’expertise technique internationale. En effet, un nombre croissant de pays a aujourd’hui accès à des financements privés et publics dans des conditions satisfaisantes. C’est évidemment le cas des pays émergents, mais c’est également le cas, de plus en plus, de pays africains en forte croissance.
En revanche, ce dont tous ces pays ont encore besoin, c’est de notre expertise pour bâtir des politiques publiques, pour construire des États modernes, pour faire face aux nombreux défis du développement, en particulier d’un développement durable. C’est vrai dans le domaine de la santé, où nous disposons d’un savoir-faire mondialement reconnu ; c’est vrai en matière d’urbanisme, en agriculture, dans tout ce qui relève des obligations régaliennes des États, dans de très nombreux secteurs où nos hauts fonctionnaires, nos ingénieurs, nos juristes sont particulièrement appréciés.
C’est l’intérêt des pays en développement que de bénéficier de ces transferts de compétences, mais c’est également, il ne faut pas le cacher, notre intérêt. C’est un enjeu d’influence, car nous partageons ainsi notre vision du monde. C’est un enjeu de commerce extérieur, car, en diffusant nos normes, nous favorisons nos entreprises et nos produits.
Je voudrais redire ici qu’une expertise publique forte à l’international est évidemment un atout pour nos entreprises et le secteur privé. Bref, c’est un enjeu de solidarité et d’influence. C’est pourquoi j’ai souhaité introduire dans ce texte une réforme de nos opérateurs d’expertise publique à l’international. J’ai poursuivi ainsi la réflexion menée depuis longtemps par la commission des affaires étrangères. Dès 2008, le rapport Tenzer nous avait alertés sur la nécessité de regrouper nos opérateurs pour être plus compétitifs. Il faut dire que la France se singularise par son très grand nombre d’opérateurs d’expertise publique à l’international. Chaque ministère a le sien ; il en compte même plusieurs parfois, et il arrive que certains d’entre eux dépendent de plusieurs ministères.
En 2010, nous avions voulu adopter un amendement visant à rationaliser ce paysage, qui est non seulement foisonnant, mais aussi conflictuel puisque ces opérateurs se concurrencent entre eux. Le gouvernement de l’époque nous avait indiqué que cette réforme était prématurée. Nous avions alors demandé, par voie d’amendement, un rapport sur les moyens de rationaliser ce secteur. Le rapport Maugüé nous a été remis en 2010 et n’a débouché sur aucune réforme. Chaque ministère souhaite – c’est tellement naturel – conserver son opérateur, chaque opérateur son directeur, son comptable, ses locaux, et j’en passe.
En France, c’est bien connu, quand on ne veut pas faire, on crée d’abord une commission et, ensuite, on commande un ou plusieurs rapports. Devant cette situation, la commission des affaires étrangères et son président Jean-Louis Carrère m’ont missionné pour réfléchir aux moyens d’aller plus avant, de créer « une équipe France de l’expertise publique à l’international ». En 2011, mes collègues ont adopté à l’unanimité les conclusions de mon rapport recommandant un regroupement de ces opérateurs dans un établissement ayant la taille critique pour faire face à la concurrence étrangère.
Il faut bien voir, mes chers collègues, qu’aujourd’hui le marché de l’expertise est essentiellement financé par des appels d’offres de la Commission européenne, des organisations des Nations unies et de la Banque mondiale. Là où les Allemands, les Anglais ou les Espagnols ont réuni leurs forces en un seul opérateur pivot, nous y allons en ordre dispersé. Le résultat parle de lui-même : quand les Allemands réalisent plus de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires sur les appels d’offres internationaux, l’ensemble de nos petits opérateurs n’arrivent au total qu’à un peu plus de 100 millions d’euros.
Le gouvernement précédent s’est saisi des conclusions de mon rapport. En 2013, lors des Assises du développement, le Président de la République, me faisant l’honneur de citer mon rapport, a indiqué qu’il fallait maintenant agir. Mais la volonté de chaque ministère de conserver son opérateur a conduit à une nouvelle commission dite de « modernisation de l’action publique » et, le mois dernier, à un nouveau rapport qui, de nouveau, prône le regroupement.
Je crois que le temps de la concertation est fini. Nous en sommes au quatrième rapport aux conclusions identiques. Comme le Président de la République l’a dit, le temps de l’action est venu. C’est pourquoi j’ai proposé à la commission des affaires étrangères de réformer la loi de 2010 relative à l’action extérieure de l’État afin de regrouper les principaux opérateurs, celui du ministère des affaires étrangères et du développement international, celui du ministère des finances et ceux qui dépendent des ministères sociaux. Cela ne couvre qu’une partie des opérateurs ; nous verrons à l’usage si les autres s’y rallient.
Cet amendement, je m’en réjouis, a été voté avec l’accord des deux rapporteurs par l’ensemble de la commission des affaires étrangères, tous bords confondus. Il témoigne de notre volonté de participer à la réforme de l’État en améliorant l’efficacité de notre dispositif d’expertise publique à l’international. Il s’agit de fusionner les opérateurs dans un établissement public industriel et commercial qui puisse, à terme, s’autofinancer.
Rationalisation des structures, économies budgétaires, efficacité : voilà les principes qui nous animent ! Cet établissement intégrera dans sa gouvernance l’ensemble des ministères concernés et prévoit de nombreuses garanties pour maintenir le lien avec les viviers d’experts.
Alors, évidemment, toute fusion est une opération délicate : chacun cherche naturellement à défendre son existence, son identité, ses acquis. Mais, dans l’état actuel de nos finances publiques, on ne peut plus se payer une myriade d’opérateurs disposant chacun d’une organisation comparable qui peut être facilement mutualisée. Il y a des économies d’échelle à obtenir et des parts de marché à gagner avec cette réforme.
J’ai entendu dire çà et là que c’était précipité. Chacun a sa conception du temps qui passe. Il me semble que, sur un sujet qui est sur la table depuis 2008, l’État a pris le temps de faire mûrir sa réflexion. L’amendement tend d’ailleurs à prévoir un séquençage en plusieurs étapes : tout d’abord, une date butoir, le 1er janvier prochain ; ensuite, la création de cet EPIC.
Voilà donc les deux éléments incontournables de cette réforme. Je crois que la Haute Assemblée fera œuvre utile en adoptant ce texte, qui nous permettra de renforcer notre présence sur les marchés internationaux de l’expertise et de diffuser au profit des pays en développement notre savoir-faire et celui de nos entreprises.