Les objectifs humanistes de la politique française de développement inscrits dans cet article 1er portent les plus hautes valeurs de la République. Affirmant une volonté de développement plus juste pour notre génération et celles à venir à l’échelle du monde, ils vont à l’encontre de la tentation du seul repli sur soi, née du sentiment que tout va mal.
Pour autant, cette politique de développement et de solidarité internationale n’est pas désintéressée.
Il est directement de notre intérêt que les conditions de la paix et du développement humain soient renforcées, car les carences de l’aide au développement et de la solidarité internationale – je pense en particulier au Sahel – rendent nécessaires des interventions lourdes répondant aux crises qui en découlent.
Toutefois, cette politique apparaît comme porteuse de contrainte dans certaines parties du territoire, particulièrement dans les collectivités d’outre-mer. Vous l’avez d’ailleurs reconnu dans votre intervention, madame la secrétaire d’État, et je suis sensible au fait que cette évocation ait eu lieu dès les premiers éléments de la présentation du projet de loi que vous portez depuis presque deux mois.
Lorsque l’Agence française de développement accompagne des projets de développement dans des pays voisins, alors que les mêmes objectifs sont attendus de la part des collectivités d’outre-mer mais sans l’aide associée, quelle image négative pour la politique de solidarité ! Quand les filières d’exploitation, les filières commerciales des pays voisins des collectivités d’outre-mer sont encouragées et structurées, quel impact négatif pour l’économie locale des populations ultramarines ! Pourtant, vous avez qualifié les outre-mer de « têtes de pont » de la France dans le monde. Quelle image de bienvenue, alors qu’ils apparaissent, si souvent, des confettis lointains de l’Hexagone ou, selon le langage européen, des régions ultrapériphériques !
Au-delà du discours rafraîchissant, tourné vers le monde et pas seulement vers la métropole ou le continent, comment traduire, concrètement, cette ambition pour les outre-mer ?
Premièrement, l’intégration régionale de ces « têtes de pont » doit être un outil à mobiliser nécessairement pour le développement des pays voisins en voie de développement, c’est-à-dire pour la réalisation du cœur des objectifs de la politique de solidarité. Or depuis le vote, en septembre 2012, de la loi relative à la régulation économique outre-mer, le Parlement attend une étude du Gouvernement visant à mettre en place cette ouverture des collectivités d’outre-mer et leur intégration dans le milieu régional. Il faut avancer sur ce sujet, et au stade du rapport aurait déjà dû succéder celui de l’action... Les collectivités uniques de Guyane et de Martinique auront des compétences renforcées dans le domaine des coopérations décentralisées, mais quand ? En mars ou en septembre 2015 ? En 2016 ?
Deuxièmement, la politique de développement doit intégrer dans son programme les aides aux collectivités d’outre-mer et les aides aux pays voisins. Lorsque l’Agence française de développement agit dans une collectivité d’outre-mer, elle doit tenir compte des besoins de chaque côté de la frontière.
L’action de l’AFD à destination de l’outre-mer représentait 1, 1 milliard d’euros en 2012. Ces financements ont ainsi permis l’amélioration de systèmes d’assainissement et d’alimentation en eau potable pour 375 000 personnes et le traitement de 285 000 tonnes de déchets solides.
Cette action est nécessaire tant le retard de développement est important, mais les territoires ultramarins, même insulaires, ne sont pas isolés et la situation sanitaire, environnementale, économique des États voisins crée une très forte pression sur les collectivités ultramarines. Or 85 % de l’aide financière est à destination de l’Afrique et du bassin méditerranéen. Pourtant, l’outre-mer français, c’est l’Amérique latine, la Caraïbe, l’Atlantique Nord, le Pacifique et l’océan Indien. Pour ces régions, excepté Haïti, l’aide financière est très faible, de l’ordre du saupoudrage, et les « têtes de pont » réduites à peu de chose dans ces objectifs de développement.
Troisièmement, les économies des outre-mer ne doivent pas subir la politique, en faveur des pays moins avancés, d’ouverture des marchés sans droits de douane, ni quota, ni degré d’exigence sanitaire équivalente. Les collectivités d’outre-mer se trouvent dans des situations climatiques, environnementales similaires à celles des pays envers qui ces mesures sont prises, mais les acteurs économiques connaissent des contraintes normatives et fiscales largement plus importantes. La politique de développement et de solidarité ne doit pas venir fragiliser ces économies dont on cherche encore l’avantage concurrentiel qu’elles pourraient avoir sur leurs concurrents régionaux dès lors que les règles du marché ne sont pas les mêmes.
Vous avez accueilli favorablement les propositions d’amendements de la délégation sénatoriale à l’outre-mer et de son président. Nous veillerons à ce que la prise en compte des spécificités de nos territoires pour remplir les objectifs de cette loi de programmation se traduise dans la politique française et européenne. Profondément juste dans son principe, la politique de développement et de solidarité internationale doit également rester juste dans ses modalités d’application.