Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les questions relatives au droit funéraire ne suscitent pas toujours un intérêt soutenu. Pourtant, chaque famille de ce pays est, hélas, confrontée au sujet.
Lorsque j’ai été nommé secrétaire d’État aux collectivités locales, il y a de cela quelque temps, j’ai trouvé sur mon bureau un projet de réforme des pompes funèbres. Dans un premier temps, je me suis interrogé sur ce texte. Puis, à force de travail, et avec l’appui d’un ami qui, malheureusement, nous a quittés, Pierre Bérégovoy, nous avons réussi à faire adopter à une très grande majorité, en 1992, un texte, qui, devenu la loi du 8 janvier 1993, a réformé le droit des obsèques dans notre pays.
Cette loi était nécessaire : trois inspections, l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales, avaient conclu dans un rapport conjoint que nous vivions dans un système aberrant où un monopole faussé cohabitait, de fait, avec une concurrence biaisée. Nous subissions donc tous les inconvénients du monopole, avec des situations où les mêmes prestations pouvaient voir leur prix varier de un à cinq dans la même entreprise, en fonction du territoire concerné, et ce au détriment des familles.
Si je me suis intéressé depuis à cette question, en prenant l’initiative de six ou sept textes de loi relatifs à ce domaine, c’est toujours avec la même idée, partagée par notre collègue et ami Jean-René Lecerf, avec lequel j’ai rédigé un rapport d’information sur le sujet : défendre les familles de ce pays lorsqu’elles sont éprouvées.
En effet, lors de la perte d’un être cher, les personnes touchées par ce deuil, qui se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité, doivent prendre de nombreuses décisions en moins de vingt-quatre heures. S’intéresser à ce sujet, aux modalités des obsèques, à leur formalisme, à leur dimension juridique mais aussi psychologique, et à la question du coût, aussi, est alors absolument nécessaire.
La première loi, celle de 1993, a créé les conditions d’une mise en concurrence. Il était en effet plus sain qu’il y eût enfin une concurrence claire, plutôt qu’une concurrence totalement faussée par la réalité d’un monopole. Toutefois, à cette époque, le non-respect du monopole ne pouvait pas être sanctionné, en raison de règles européennes. La situation n’était donc pas bonne.
On oublie souvent que la loi de 1993 avait deux objets : d’une part, instaurer le pluralisme parmi les entreprises, tout en maintenant les régies et les sociétés d’économie mixte, qui travaillaient dès lors dans un contexte concurrentiel ; d’autre part, et indissociablement, redéfinir les règles du service public. En effet, que l’on ait affaire à une entreprise privée, à une régie, à une société d’économie mixte ou à une association, dans tous les cas, il était nécessaire d’appliquer des règles strictes de service public, en rapport avec la décence, l’hygiène, le respect dû aux familles, la transparence, etc.
Ensuite, il y eut bien d’autres textes, que je ne veux pas tous détailler.
En 2004, notamment, un texte a défini les contrats d’obsèques, précisant notamment que les contrats qui n’étaient pas affectés strictement au financement à l’avance des obsèques étaient nuls. En effet, il existait une confusion entre contrat d’assurance vie et contrat d’obsèques qui se traduisait, en fait, par une financiarisation du dispositif et pouvait porter atteinte à l’intérêt des familles.
Nous avons également adopté un texte relatif à l’autopsie judiciaire. C’est en effet après avoir reçu un habitant du Pas-de-Calais auquel on avait rendu le corps de son épouse dans un état innommable, à la suite d’une autopsie judiciaire, que nous avons pris l’initiative de fixer des règles dans un domaine où il n’y en avait pas.
La loi de 2008 est venue consacrer le principe selon lequel les restes humains, notamment les cendres après crémation, devaient être traités avec respect, dignité et décence, principe qui a ensuite été repris par les tribunaux dans leur jurisprudence. C’est en s’appuyant sur cet article de la loi qu’un tribunal a pu interdire, dans notre pays, une exposition utilisant des éléments de cadavres d’origine chinoise. Cette règle est importante par rapport à l’idée que nous nous faisons de la civilisation et du respect dû à la personne humaine.
Dans la même loi, nous avions envisagé deux avancées qui, malheureusement, n’ont pu se concrétiser comme nous l’aurions souhaité.
Tout d’abord, nous avions inscrit dans la loi que les sommes versées dans le cadre des contrats d’obsèques étaient revalorisées chaque année au taux d’intérêt légal. Cette disposition avait été adoptée par l’Assemblée nationale et par le Sénat – il avait fallu attendre quelque temps avant que le texte adopté à l’unanimité par le Sénat arrive devant l’Assemblée nationale.
Nous pensions que l’affaire était réglée, mais les assurances veillaient… et elles ont découvert que notre législation n’était pas conforme aux règles européennes. Il a donc fallu remettre l’ouvrage sur le métier : après cinq ans d’efforts – grâce, notamment, au travail d’un administrateur du Sénat que je ne citerai pas, conformément à nos usages, mais que je tiens à remercier –, nous sommes parvenus à introduire cette revalorisation dans la récente loi de séparation et de régulation des activités bancaires. L’arrêté ministériel est paru et tous les contrats d’obsèques qui seront souscrits à l’avenir donneront lieu désormais à une revalorisation au bénéfice des souscripteurs.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre action s’inspire toujours de la même idée : défendre les familles ou les personnes confrontées à ces réalités.
Depuis 1993, un autre sujet donne lieu à un débat avec les entreprises funéraires et je veux l’évoquer brièvement : il s’agit de la question des prix.
Quand on est éprouvé, quand on doit prendre des décisions immédiates sur les modalités des obsèques, mais aussi sur les prestations et les fournitures, on n’est pas toujours en situation de faire les meilleurs choix. C’est pourquoi je défends, depuis 1993, la conception des « devis modèles », que l’on a longtemps appelés « devis types ». Il s’agit d’un ensemble de prestations définies pour lesquelles chaque entreprise habilitée – j’en profite pour souligner l’importance de l’habilitation – est amenée à indiquer des prix qu’elle s’engage à respecter pendant une année.
Toutes les entreprises étant habilitées dans un secteur défini donneront, pour des prestations équivalentes, les mêmes indications, lesquelles pourront figurer, par exemple, sur le site internet de la mairie.
Les professionnels sont toujours quelque peu réticents. En 1993, ils avaient accepté que ces indications figurent dans le règlement national des pompes funèbres ou dans les règlements locaux, mais cela n’avait pas eu d’effet. Il a donc fallu revenir à la charge, et cela a pris du temps.
Nous sommes parvenus, en 2008, à une rédaction qui me semblait tout à fait satisfaisante, et qui a pourtant été contestée. C’est pourquoi nous avons adopté une nouvelle formulation dans le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
Votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, cette formulation me semble tout à fait claire : elle ne pourra être ni contournée ni détournée - comme vous le savez, ce n’est pas le cas d’autres articles de ce projet de loi. Il faudra donc attendre encore quelques semaines. Mais, dès lors que l’article en question a été adopté dans les mêmes termes, il n’y a plus de problème !
L’idée que je défends, congrès après congrès, devant les organisations professionnelles, c’est que tout le monde a intérêt à la transparence. Bien entendu, le fait d’afficher des prix pour des prestations définies n’empêche pas de proposer d’autres prestations. Pour autant, les familles doivent avoir la certitude que, pour telle prestation, tel prix sera appliqué par telle entreprise pendant une année. Cela ne voudra pas forcément dire qu’elles choisiront les prestations les moins chères, mais, en tout état de cause, la transparence sera totale.
On nous a rétorqué cent fois que l’obligation existait déjà de fournir un devis.
Je vous le demande, mes chers collègues, qui donc, le jour du décès d’un être cher, ou même le lendemain, ira lire des devis de cinquante pages écrits en petits caractères, après les avoir retirés auprès de toutes les agences existantes aux fins de comparaison ? Personne !
En revanche, l’idée selon laquelle la puissance publique, en l’espèce la commune ou l’intercommunalité, doit fournir l’information aux familles en toute transparence, est, je crois, protectrice.
J’ai cité ces quelques textes – j’aurais pu être beaucoup plus long ! – pour montrer que cette proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums s’inscrit dans une longue histoire.
Mais de quoi s’agit-il ici ? Je me permettrai d’être assez succinct, car Jean-René Lecerf développera le contenu des différentes dispositions ; nous n’allons pas répéter les mêmes choses ! Il s’agit tout simplement, alors même que la crémation s’est considérablement développée, de prévoir les équipements les mieux adaptés possible.
Quand nous travaillions, quelques mois avant son adoption, sur la loi de 1993, les crémations représentaient 1 % des obsèques en France. Aujourd’hui, dans les grandes villes, ce pourcentage est de l’ordre de 50 %. L’évolution est donc considérable.
Il a fallu créer des équipements, toujours sous l’autorité de la puissance publique – vous le savez, monsieur le secrétaire d’État –, c’est-à-dire de la commune ou de l’intercommunalité. Les crématoriums peuvent être gérés directement par la commune ou être confiés, par une délégation de service public, à une société spécialisée ; il en existe un certain nombre de ce type.
Nous avions constaté qu’il existait des situations tout à fait étranges. Cependant, nous n’avions pas pu en tenir compte dans la loi de 2008, même si nous l’avions souhaité à l’époque. À Roanne, par exemple, on compte deux crématoriums à quelques kilomètres de distance. On observe une situation comparable en Moselle et en Seine-et-Marne. Quatre départements, en revanche, sont dépourvus de tout équipement : la Lozère, le Cantal, la Haute-Marne et le Territoire de Belfort. Dans certains cas, les familles doivent donc accomplir un trajet de deux heures, voire deux heures et demie, à l’aller et au retour, pour participer à la cérémonie. Ce n’est ni rationnel ni respectueux des familles.
Par ailleurs, comme toujours, des considérations économiques sont en jeu. Lorsqu’il existe trop d’équipements, donc une offre supérieure à la demande, la situation n’est pas toujours très saine sur le plan économique. Elle ne l’est pas plus lorsqu’il manque des équipements, ce qui contraint, de surcroît, aux déplacements que je viens d’évoquer.
Il est donc apparu sage de prévoir un schéma régional, établi par le préfet après consultation des conseils régionaux et des intercommunalités compétentes, consultation que notre rapporteur a d’ailleurs proposé d’élargir.
Il s’agit d’un schéma révisable tous les cinq ou six ans, selon les amendements qui seront adoptés, et qui permettra de maîtriser la situation, étant entendu qu’un crématorium ne peut exister que dès lors qu’une commune le décide ou choisit de faire appel à une société dans le cadre d’une délégation de service public.
Je conclurai mon propos en évoquant la question des cérémonies.
Il est très fréquent, vous le savez, mes chers collègues, que les cérémonies aient lieu dans l’enceinte des crématoriums. On se rend compte, ainsi, de la nécessité de disposer d’une salle spécialement aménagée et susceptible d’accueillir des participants, parfois en grand nombre.
Lorsque j’étais président de la communauté d’agglomération d’Orléans, j’ai moi-même conçu, avec mes collègues, un équipement doté d’une salle « omniculte » - ou laïque, je ne sais comment dire - pouvant accueillir des cérémonies civiles ou religieuses. Eh bien, contrairement à ce que nous avions pensé au départ, l’expérience a montré que cette salle n’était pas assez grande !
Bien entendu, la prise en compte d’une large capacité d’accueil pour les cérémonies augmente le coût des crématoriums. Pour autant, il me semble que ce sujet récurrent devrait être intégré dans la réflexion sur le schéma régional. Lors de nombreuses obsèques, en effet, la seule cérémonie a lieu dans la salle annexée au crématorium.
De la même manière, il faut veiller à la question des sites cinéraires attenants aux crématoriums, qui ne peuvent être installés qu’au sein des cimetières et à l’immédiate proximité des crématoriums.
J’en profite pour rappeler que, dans la loi de 2008, nous avions également traité de la fameuse question du statut des cendres, en prenant en compte les principes de respect, de dignité et de décence que j’ai énoncés précédemment.
Tout cela implique une grande attention. En outre, mais Jean-René Lecerf reviendra sur ce sujet, des questions d’environnement se posent. Tous les crématoriums devront en effet être équipés en 2018 de nouvelles installations conformes aux règles relatives aux fumées. Certes coûteuses, ces installations sont nécessaires au respect de l’environnement.
Autrement dit, vous le voyez, ce texte, qui vient après d’autres, a pour objet de faire progresser encore le droit funéraire, afin qu’il soit le plus respectueux possible des personnes et des familles éprouvées. Dans une société humaine et humaniste, celle-là même où nous souhaitons tous vivre, c’est une nécessité !