La séance, suspendue à midi, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 252, texte de la commission n° 546, rapport n° 545).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les questions relatives au droit funéraire ne suscitent pas toujours un intérêt soutenu. Pourtant, chaque famille de ce pays est, hélas, confrontée au sujet.
Lorsque j’ai été nommé secrétaire d’État aux collectivités locales, il y a de cela quelque temps, j’ai trouvé sur mon bureau un projet de réforme des pompes funèbres. Dans un premier temps, je me suis interrogé sur ce texte. Puis, à force de travail, et avec l’appui d’un ami qui, malheureusement, nous a quittés, Pierre Bérégovoy, nous avons réussi à faire adopter à une très grande majorité, en 1992, un texte, qui, devenu la loi du 8 janvier 1993, a réformé le droit des obsèques dans notre pays.
Cette loi était nécessaire : trois inspections, l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales, avaient conclu dans un rapport conjoint que nous vivions dans un système aberrant où un monopole faussé cohabitait, de fait, avec une concurrence biaisée. Nous subissions donc tous les inconvénients du monopole, avec des situations où les mêmes prestations pouvaient voir leur prix varier de un à cinq dans la même entreprise, en fonction du territoire concerné, et ce au détriment des familles.
Si je me suis intéressé depuis à cette question, en prenant l’initiative de six ou sept textes de loi relatifs à ce domaine, c’est toujours avec la même idée, partagée par notre collègue et ami Jean-René Lecerf, avec lequel j’ai rédigé un rapport d’information sur le sujet : défendre les familles de ce pays lorsqu’elles sont éprouvées.
En effet, lors de la perte d’un être cher, les personnes touchées par ce deuil, qui se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité, doivent prendre de nombreuses décisions en moins de vingt-quatre heures. S’intéresser à ce sujet, aux modalités des obsèques, à leur formalisme, à leur dimension juridique mais aussi psychologique, et à la question du coût, aussi, est alors absolument nécessaire.
La première loi, celle de 1993, a créé les conditions d’une mise en concurrence. Il était en effet plus sain qu’il y eût enfin une concurrence claire, plutôt qu’une concurrence totalement faussée par la réalité d’un monopole. Toutefois, à cette époque, le non-respect du monopole ne pouvait pas être sanctionné, en raison de règles européennes. La situation n’était donc pas bonne.
On oublie souvent que la loi de 1993 avait deux objets : d’une part, instaurer le pluralisme parmi les entreprises, tout en maintenant les régies et les sociétés d’économie mixte, qui travaillaient dès lors dans un contexte concurrentiel ; d’autre part, et indissociablement, redéfinir les règles du service public. En effet, que l’on ait affaire à une entreprise privée, à une régie, à une société d’économie mixte ou à une association, dans tous les cas, il était nécessaire d’appliquer des règles strictes de service public, en rapport avec la décence, l’hygiène, le respect dû aux familles, la transparence, etc.
Ensuite, il y eut bien d’autres textes, que je ne veux pas tous détailler.
En 2004, notamment, un texte a défini les contrats d’obsèques, précisant notamment que les contrats qui n’étaient pas affectés strictement au financement à l’avance des obsèques étaient nuls. En effet, il existait une confusion entre contrat d’assurance vie et contrat d’obsèques qui se traduisait, en fait, par une financiarisation du dispositif et pouvait porter atteinte à l’intérêt des familles.
Nous avons également adopté un texte relatif à l’autopsie judiciaire. C’est en effet après avoir reçu un habitant du Pas-de-Calais auquel on avait rendu le corps de son épouse dans un état innommable, à la suite d’une autopsie judiciaire, que nous avons pris l’initiative de fixer des règles dans un domaine où il n’y en avait pas.
La loi de 2008 est venue consacrer le principe selon lequel les restes humains, notamment les cendres après crémation, devaient être traités avec respect, dignité et décence, principe qui a ensuite été repris par les tribunaux dans leur jurisprudence. C’est en s’appuyant sur cet article de la loi qu’un tribunal a pu interdire, dans notre pays, une exposition utilisant des éléments de cadavres d’origine chinoise. Cette règle est importante par rapport à l’idée que nous nous faisons de la civilisation et du respect dû à la personne humaine.
Dans la même loi, nous avions envisagé deux avancées qui, malheureusement, n’ont pu se concrétiser comme nous l’aurions souhaité.
Tout d’abord, nous avions inscrit dans la loi que les sommes versées dans le cadre des contrats d’obsèques étaient revalorisées chaque année au taux d’intérêt légal. Cette disposition avait été adoptée par l’Assemblée nationale et par le Sénat – il avait fallu attendre quelque temps avant que le texte adopté à l’unanimité par le Sénat arrive devant l’Assemblée nationale.
Nous pensions que l’affaire était réglée, mais les assurances veillaient… et elles ont découvert que notre législation n’était pas conforme aux règles européennes. Il a donc fallu remettre l’ouvrage sur le métier : après cinq ans d’efforts – grâce, notamment, au travail d’un administrateur du Sénat que je ne citerai pas, conformément à nos usages, mais que je tiens à remercier –, nous sommes parvenus à introduire cette revalorisation dans la récente loi de séparation et de régulation des activités bancaires. L’arrêté ministériel est paru et tous les contrats d’obsèques qui seront souscrits à l’avenir donneront lieu désormais à une revalorisation au bénéfice des souscripteurs.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre action s’inspire toujours de la même idée : défendre les familles ou les personnes confrontées à ces réalités.
Depuis 1993, un autre sujet donne lieu à un débat avec les entreprises funéraires et je veux l’évoquer brièvement : il s’agit de la question des prix.
Quand on est éprouvé, quand on doit prendre des décisions immédiates sur les modalités des obsèques, mais aussi sur les prestations et les fournitures, on n’est pas toujours en situation de faire les meilleurs choix. C’est pourquoi je défends, depuis 1993, la conception des « devis modèles », que l’on a longtemps appelés « devis types ». Il s’agit d’un ensemble de prestations définies pour lesquelles chaque entreprise habilitée – j’en profite pour souligner l’importance de l’habilitation – est amenée à indiquer des prix qu’elle s’engage à respecter pendant une année.
Toutes les entreprises étant habilitées dans un secteur défini donneront, pour des prestations équivalentes, les mêmes indications, lesquelles pourront figurer, par exemple, sur le site internet de la mairie.
Les professionnels sont toujours quelque peu réticents. En 1993, ils avaient accepté que ces indications figurent dans le règlement national des pompes funèbres ou dans les règlements locaux, mais cela n’avait pas eu d’effet. Il a donc fallu revenir à la charge, et cela a pris du temps.
Nous sommes parvenus, en 2008, à une rédaction qui me semblait tout à fait satisfaisante, et qui a pourtant été contestée. C’est pourquoi nous avons adopté une nouvelle formulation dans le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
Votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, cette formulation me semble tout à fait claire : elle ne pourra être ni contournée ni détournée - comme vous le savez, ce n’est pas le cas d’autres articles de ce projet de loi. Il faudra donc attendre encore quelques semaines. Mais, dès lors que l’article en question a été adopté dans les mêmes termes, il n’y a plus de problème !
L’idée que je défends, congrès après congrès, devant les organisations professionnelles, c’est que tout le monde a intérêt à la transparence. Bien entendu, le fait d’afficher des prix pour des prestations définies n’empêche pas de proposer d’autres prestations. Pour autant, les familles doivent avoir la certitude que, pour telle prestation, tel prix sera appliqué par telle entreprise pendant une année. Cela ne voudra pas forcément dire qu’elles choisiront les prestations les moins chères, mais, en tout état de cause, la transparence sera totale.
On nous a rétorqué cent fois que l’obligation existait déjà de fournir un devis.
Je vous le demande, mes chers collègues, qui donc, le jour du décès d’un être cher, ou même le lendemain, ira lire des devis de cinquante pages écrits en petits caractères, après les avoir retirés auprès de toutes les agences existantes aux fins de comparaison ? Personne !
En revanche, l’idée selon laquelle la puissance publique, en l’espèce la commune ou l’intercommunalité, doit fournir l’information aux familles en toute transparence, est, je crois, protectrice.
J’ai cité ces quelques textes – j’aurais pu être beaucoup plus long ! – pour montrer que cette proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums s’inscrit dans une longue histoire.
Mais de quoi s’agit-il ici ? Je me permettrai d’être assez succinct, car Jean-René Lecerf développera le contenu des différentes dispositions ; nous n’allons pas répéter les mêmes choses ! Il s’agit tout simplement, alors même que la crémation s’est considérablement développée, de prévoir les équipements les mieux adaptés possible.
Quand nous travaillions, quelques mois avant son adoption, sur la loi de 1993, les crémations représentaient 1 % des obsèques en France. Aujourd’hui, dans les grandes villes, ce pourcentage est de l’ordre de 50 %. L’évolution est donc considérable.
Il a fallu créer des équipements, toujours sous l’autorité de la puissance publique – vous le savez, monsieur le secrétaire d’État –, c’est-à-dire de la commune ou de l’intercommunalité. Les crématoriums peuvent être gérés directement par la commune ou être confiés, par une délégation de service public, à une société spécialisée ; il en existe un certain nombre de ce type.
Nous avions constaté qu’il existait des situations tout à fait étranges. Cependant, nous n’avions pas pu en tenir compte dans la loi de 2008, même si nous l’avions souhaité à l’époque. À Roanne, par exemple, on compte deux crématoriums à quelques kilomètres de distance. On observe une situation comparable en Moselle et en Seine-et-Marne. Quatre départements, en revanche, sont dépourvus de tout équipement : la Lozère, le Cantal, la Haute-Marne et le Territoire de Belfort. Dans certains cas, les familles doivent donc accomplir un trajet de deux heures, voire deux heures et demie, à l’aller et au retour, pour participer à la cérémonie. Ce n’est ni rationnel ni respectueux des familles.
Par ailleurs, comme toujours, des considérations économiques sont en jeu. Lorsqu’il existe trop d’équipements, donc une offre supérieure à la demande, la situation n’est pas toujours très saine sur le plan économique. Elle ne l’est pas plus lorsqu’il manque des équipements, ce qui contraint, de surcroît, aux déplacements que je viens d’évoquer.
Il est donc apparu sage de prévoir un schéma régional, établi par le préfet après consultation des conseils régionaux et des intercommunalités compétentes, consultation que notre rapporteur a d’ailleurs proposé d’élargir.
Il s’agit d’un schéma révisable tous les cinq ou six ans, selon les amendements qui seront adoptés, et qui permettra de maîtriser la situation, étant entendu qu’un crématorium ne peut exister que dès lors qu’une commune le décide ou choisit de faire appel à une société dans le cadre d’une délégation de service public.
Je conclurai mon propos en évoquant la question des cérémonies.
Il est très fréquent, vous le savez, mes chers collègues, que les cérémonies aient lieu dans l’enceinte des crématoriums. On se rend compte, ainsi, de la nécessité de disposer d’une salle spécialement aménagée et susceptible d’accueillir des participants, parfois en grand nombre.
Lorsque j’étais président de la communauté d’agglomération d’Orléans, j’ai moi-même conçu, avec mes collègues, un équipement doté d’une salle « omniculte » - ou laïque, je ne sais comment dire - pouvant accueillir des cérémonies civiles ou religieuses. Eh bien, contrairement à ce que nous avions pensé au départ, l’expérience a montré que cette salle n’était pas assez grande !
Bien entendu, la prise en compte d’une large capacité d’accueil pour les cérémonies augmente le coût des crématoriums. Pour autant, il me semble que ce sujet récurrent devrait être intégré dans la réflexion sur le schéma régional. Lors de nombreuses obsèques, en effet, la seule cérémonie a lieu dans la salle annexée au crématorium.
De la même manière, il faut veiller à la question des sites cinéraires attenants aux crématoriums, qui ne peuvent être installés qu’au sein des cimetières et à l’immédiate proximité des crématoriums.
J’en profite pour rappeler que, dans la loi de 2008, nous avions également traité de la fameuse question du statut des cendres, en prenant en compte les principes de respect, de dignité et de décence que j’ai énoncés précédemment.
Tout cela implique une grande attention. En outre, mais Jean-René Lecerf reviendra sur ce sujet, des questions d’environnement se posent. Tous les crématoriums devront en effet être équipés en 2018 de nouvelles installations conformes aux règles relatives aux fumées. Certes coûteuses, ces installations sont nécessaires au respect de l’environnement.
Autrement dit, vous le voyez, ce texte, qui vient après d’autres, a pour objet de faire progresser encore le droit funéraire, afin qu’il soit le plus respectueux possible des personnes et des familles éprouvées. Dans une société humaine et humaniste, celle-là même où nous souhaitons tous vivre, c’est une nécessité !
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes saisis, sur l’initiative du groupe socialiste, d’une proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums.
On sait l’attention que porte la commission des lois, et tout particulièrement son président, à la législation funéraire. Je rappellerai simplement, pour la période récente, la mission d’information que nous avons conduite ensemble sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire, que nous avions intitulée Sérénité des vivants et respect des défunts, et qui s’est très vite concrétisée par le dépôt d’une proposition de loi : adopté à l’unanimité par le Sénat, le texte est devenu, après quelques aléas liés à son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire.
La présente proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur s’inscrit dans le même mouvement, en s’attachant toutefois à la seule question de la création et de l’extension des crématoriums. Il est vrai que de nombreux problèmes ont été réglés par la loi de 2008, tandis que ceux qui, à mon avis, perdurent, comme la qualité des sites cinéraires ou le déficit de carrés confessionnels, soit relèvent de la compétence réglementaire, soit font craindre des reproches d’inconstitutionnalité. Quant aux devis type ou devis modèles, ou à la moralisation des contrats d’obsèques, ils n’ont pas échappé à la nécessaire vigilance du président de notre commission des lois.
Rappelons d’abord quel est le paysage français de la crémation.
Si la loi du 15 novembre 1887, qui a consacré la liberté des funérailles, a placé la crémation sur un pied d’égalité avec l’inhumation, cette pratique concernait moins de 1 % des décès jusqu’en 1980. Mais la progression a été, depuis, très importante : 10 % en 1993 ; 23, 5 % en 2004 ; 32, 15 % en 2011. Dans notre rapport de 2006, nous observions déjà que la crémation figurait alors dans les intentions de 40 % à 50 % des souscripteurs de contrats en prévision d’obsèques.
Dans ce contexte, l’adaptation de l’offre de crémation aux besoins de la population se révèle donc plus que jamais d’actualité.
La loi du 19 décembre 2008 a doté la pratique de la crémation d’un encadrement juridique complet, en trois volets.
Le premier volet portait sur la qualification juridique des cendres, lesquelles cessaient d’être considérées comme des choses pour devenir des restes humains exigeant respect, dignité, décence.
Dans le deuxième volet, relatif à la destination juridique de ces cendres, qui est en quelque sorte la conséquence juridique du premier, il était mis fin à l’appropriation privative des urnes ainsi qu’à certaines situations totalement inacceptables.
Enfin, le troisième volet portait sur l’encadrement de la création, de l’extension et de la gestion des crématoriums et des sites cinéraires.
Mettant fin à la détention de tels équipements par des entreprises privées, le législateur a confié aux seules communes ou établissements publics de coopération intercommunale la compétence pour les créer et les gérer, tout en les autorisant cependant à en déléguer la gestion à un opérateur funéraire dûment habilité. En tout état de cause, crématorium et site cinéraire sont la propriété de la collectivité, ou y font retour au terme de la gestion déléguée.
La création ou l’extension d’un crématorium sont, par ailleurs, soumises à l’autorisation préalable du préfet de département, précédée d’une enquête publique destinée à associer les citoyens et à évaluer l’impact du projet sur l’environnement.
La jurisprudence invite également le préfet à examiner l’intérêt de l’opération au regard des besoins de la population, comme la pertinence de l’implantation précise de l’équipement au vu, notamment, de ses facilités d’accès.
Pourquoi convient-il, aujourd’hui, de mieux réguler l’implantation des crématoriums ?
Lors de l’examen de la proposition de loi adoptée en 2008, dont j’étais également le rapporteur, je relevais déjà de nombreuses lacunes dans ces implantations. En 2006, on comptait 115 crématoriums, gérés en régie pour moins d’un tiers, et en gestion déléguée pour le reste. En étaient totalement dépourvus dix-sept départements métropolitains. Certains choix d’implantation étaient déraisonnables, comme Roanne, qui en comptait deux à moins de 8 kilomètres de distance, au prix d’une concurrence préjudiciable.
Si la couverture du territoire a progressé, avec aujourd’hui 167 crématoriums et 32 en projet, quatre départements métropolitains et deux d’outre-mer en restent toujours dépourvus.
Demeurent surtout des problèmes d’implantation concurrente, sans lien avec les besoins réels de la population. Il en va ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, des crématoriums de Sarrebourg et Saint-Jean-Kourtzerode, en Moselle, de ceux de Beaurepaire et de Marcilloles, en Isère, ou du projet de Mareuil-lès-Maux, à proximité du crématorium de Saint-Soupplets, en Seine-et-Marne.
La Direction générale des collectivités locales ne semble pas disposer d’une carte des implantations à jour. Le législateur a pourtant expressément confié au préfet, dans la loi de 2008, le soin de délivrer les autorisations, ce que le Gouvernement avait alors jugé suffisant pour organiser adéquatement l’offre. Or une relative anarchie persiste, dont les conséquences se révèlent redoutables tant pour les citoyens que pour les collectivités territoriales.
Certaines zones restent dépourvues de tout équipement, tandis que d’autres sont saturées. Dans ce dernier cas, les gestionnaires, pour préserver leur rentabilité malgré la faiblesse de l’activité, fixent des frais de crémation très élevés. Or la demande est largement, et par nature, captive, d’autant plus qu’il s’agit de familles endeuillées, donc vulnérables.
Par ailleurs, cette pratique s’est intégrée au rituel du deuil. Au Père-Lachaise, la cérémonie civile organisée dans ce cadre est, dans 66 % des cas, la seule qui soit prévue au titre des funérailles. Ainsi que le souligne notre collègue Jean-Pierre Sueur dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, « le souci de la rentabilité des équipements créés peut conduire à privilégier des crématoriums mal dimensionnés, ce qui peut se traduire par la diminution des surfaces des salles dédiées à l’accueil des familles et au déroulement des cérémonies civiles ».
En outre, le risque financier d’une exploitation non rentable pèse, en dernier lieu, sur les collectivités locales, auxquelles revient la gestion du crématorium quand le délégataire l’abandonne.
Ajoutons que l’évolution de la réglementation européenne en matière de protection de l’environnement alourdit les contraintes de rentabilité de ces équipements, puisque les gestionnaires sont tenus de mettre aux normes avant 2018 leur dispositif de filtrage des effluents toxiques, pour des coûts très significatifs.
Il est donc apparu nécessaire à la commission des lois d’élaborer un nouveau modèle de régulation pour une meilleure adéquation entre les besoins et l’offre de crémation, tout en veillant à ne pas privilégier à l’excès les situations acquises au détriment de l’entrée de nouveaux acteurs. C’est la finalité essentielle de cette proposition de loi.
Ce texte renoue ainsi avec l’inspiration initiale de la proposition de loi qui avait abouti à la loi relative à la législation funéraire de 2008. En effet, un schéma régional des crématoriums, proposé dans le rapport d’information, avait été adopté par le Sénat en première lecture, avant d’être supprimé par l’Assemblée nationale. Les députés s’étaient rangés à l’avis du Gouvernement et avaient estimé qu’il était préférable d’éviter d’ajouter les contraintes d’un schéma, dans la mesure où la procédure d’autorisation après enquête publique leur paraissait suffisante pour réguler harmonieusement les projets d’implantation de crématoriums.
Cette espérance a été déçue. Elle reposait sur une mauvaise appréhension de l’enquête publique, qui porte sur l’impact environnemental du projet et non sur son adéquation avec les besoins de la population en matière de crémation.
Cette proposition de loi compte trois articles.
L’article 1er est consacré à la définition de l’objet du schéma ainsi qu’à sa procédure d’élaboration. Le schéma découpera le territoire d’une région en zones géographiques en indiquant pour chacune d’entre elles le nombre et la dimension des crématoriums nécessaires. La référence à la dimension des équipements vise à la fois leur capacité, c’est-à-dire le nombre des crémations qu’ils permettront d’accomplir, et la taille des bâtiments.
La commission des lois a précisé qu’il fallait tenir compte des équipements funéraires existants, par exemple une vaste salle de cérémonie, qui peuvent justifier que le crématorium ne soit pas nécessairement doté d’une salle de même taille.
Ce schéma serait délibéré par le préfet de région en collaboration avec les préfets de département. La procédure d’adoption débuterait par une consultation du conseil régional.
La commission des lois a précisé que le schéma devrait prendre en compte les exigences environnementales liées à la pollution, ce qui conforte la compétence régionale.
La consultation concernerait également les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de crématoriums, mais ils ne sont que 52 dans les 15 communautés urbaines pour lesquels la compétence est obligatoire.
Aussi la commission des lois a-t-elle ajouté la consultation des communes de plus de 2 000 habitants – elles sont environ 5 000 –, ce chiffre correspondant au seuil à partir duquel la commune doit prévoir un site cinéraire.
Enfin, la commission a prévu l’avis du Conseil national des opérations funéraires, le CNOF, ce qui permettra non seulement d’associer tant les professionnels du funéraire que les représentants des familles, mais aussi de prendre en compte la cohérence des éventuelles implantations à la frontière de deux régions. Si le nombre des régions est appelé à diminuer, monsieur le secrétaire d’État, il en restera tout de même quelques-unes !
Sourires.
Au terme de ces consultations, il reviendrait au préfet de région d’arrêter le schéma, qui devrait être révisé tous les six ans, délai qui permettrait de « caler » cette révision sur le mandat des élus municipaux et intercommunaux auxquels ce schéma s’imposera.
Pour répondre à un souhait exprimé de manière insistante par l’ensemble des professionnels, la commission a également prévu que le premier schéma ferait l’objet d’une révision à plus brève échéance, au terme de trois années.
L’article 2 subordonne la délivrance de l’autorisation de création ou d’extension du crématorium à sa compatibilité avec les dispositions du schéma régional, exigence de compatibilité bien distincte d’une obligation de conformité et qui est habituelle en matière de planification.
Enfin, l’article 3 organise la mise en œuvre du dispositif.
Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’essentiel de cette proposition de loi que la commission des lois a adoptée à l’unanimité.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet sur lequel nous sommes appelés à débattre cet après-midi n’est pas ordinaire. Vous l’avez d’ailleurs souligné, monsieur le président de la commission des lois.
Parler de la mort, même au Parlement, c’est aborder un sujet qui touche au plus intime et souvent au plus douloureux de la vie de chacune et de chacun d’entre nous, un sujet qui cristallise, bien sûr, les émotions humaines et qui renvoie aussi aux croyances philosophiques et religieuses.
Dès lors, la mort est un sujet qui, même sur le plan juridique et législatif, ne peut échapper à sa dimension philosophique.
Légiférer dans ce domaine exige donc d’avoir à l’esprit la nécessaire, mais difficile, recherche de l’équilibre entre l’encadrement des pratiques funéraires et le respect des convictions de chacune et de chacun.
À ce titre, je tiens à saluer le travail approfondi de l’auteur de cette proposition de loi, par ailleurs président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, ainsi que celui du rapporteur, Jean-René Lecerf. C’est avec beaucoup d’humanisme qu’ils ont parlé de cette question à l’instant. C’est avec beaucoup d’humanisme qu’ils ont élaboré et examiné ce texte et je tiens à souligner que c’est le même humanisme qui les inspire l’un comme l’autre quand ils abordent les questions pénales et pénitentiaires.
Ces deux éminents sénateurs, qui avaient déjà œuvré en tant qu’auteur et rapporteur de la loi relative à la législation funéraire du 19 décembre 2008, nous proposent aujourd’hui de traiter, plus spécifiquement, de la question du déploiement des crématoriums sur le territoire national.
Cette question n’est pas nouvelle.
En effet, lors de la discussion de ce qui allait devenir la loi du 19 décembre 2008, vous l’avez rappelé, monsieur le président de la commission des lois, vous aviez déjà eu l’occasion de déposer un amendement visant à instaurer un schéma régional des crématoriums. Sous-amendée par le gouvernement d’alors avant d’être adoptée par le Sénat en première lecture, cette disposition avait finalement été supprimée par l’Assemblée nationale.
La proposition de loi dont nous débattons cet après-midi tend à reprendre le même dispositif.
Depuis la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 modifiant le titre VI du livre III du code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire, seuls les communes et les établissements publics de coopération intercommunale sont compétents pour créer et gérer des crématoriums. Ces dispositions, dont vous êtes l’auteur, monsieur le président de la commission des lois, et qui datent de l’époque où vous étiez membre du gouvernement Bérégovoy, sont désormais codifiées à l’article L. 2223-40 du code général des collectivités territoriales.
La compétence de création d’un crématorium est, de plus, automatiquement transférée aux communautés urbaines, l’article L. 5215-20 mentionnant parmi les compétences obligatoires de ces EPCI les « création et extension des crématoriums ». Cette compétence peut être exercée directement par délégation de service public.
Les communes et les EPCI ne sont toutefois pas libres de créer de tels équipements, mais doivent recevoir une autorisation préfectorale délivrée après enquête publique et avis des conseils départementaux de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques.
Or, depuis une trentaine d’années, vous l’avez l’un comme l’autre rappelé, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, les pratiques funéraires de nos concitoyens ont beaucoup évolué. Longtemps marginale, et controversée, la crémation est aujourd’hui une pratique courante.
En 1975, seulement 0, 4 % des obsèques étaient des crémations. Aujourd’hui, le chiffre atteint 30 % en France, 40 % à Paris et souvent plus de 50 % dans les grandes agglomérations. Cependant, alors que le besoin en équipements de crémation s’accentue, la France ne compte aujourd’hui qu’un nombre modeste de crématoriums : 141 crématoriums, soit un crématorium pour 468 000 habitants, alors que l’Espagne, où le taux de crémation est pourtant plus faible, dispose d’un crématorium pour 343 000 habitants et le Royaume-Uni d’un crématorium pour 246 000 habitants.
La création de nouveaux crématoriums est donc nécessaire.
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, monsieur Sueur, vous indiquez qu’« il apparaît que les crématoriums sont en nombre insuffisant et que leur implantation géographique ne correspond pas aux besoins ». Le Gouvernement partage ce constat d’une nécessaire rationalisation des conditions de création des crématoriums de manière à obtenir une répartition plus équilibrée sur le territoire, afin que chaque famille puisse bénéficier du principe de la liberté des funérailles garanti par la loi du 15 novembre 1887, tout en évitant la création de crématoriums trop proches les uns des autres et n’atteignant pas un seuil de rentabilité suffisant.
Pour autant, la proposition de loi suscite des interrogations que je ne peux éluder.
Ainsi, les créations ou les extensions de crématoriums qui ne seraient pas compatibles avec les prescriptions du schéma régional pourraient être refusées par le préfet de département.
Or les collectivités territoriales sont confrontées de plus en plus à une multiplication des normes et des schémas de toutes sortes. Face à ces contraintes, le Président de la République a fait du « choc de simplification », annoncée au mois de mars 2013, l’une des priorités du quinquennat. Le gouvernement de Manuel Valls tente, après celui de Jean-Marc Ayrault, de mettre en œuvre ce choc de simplification. Le Gouvernement craint que l’émergence d’un schéma sectoriel supplémentaire ne nuise à l’allégement normatif attendu par tous les élus locaux de notre pays.
La création d’un document supplémentaire de planification à l’échelle régionale irait sans doute à rebours de l’objectif de rationalisation du nombre de schémas porté par le Gouvernement et inscrit dans le projet de loi clarifiant l’organisation territoriale de la République. Ce texte, qui est en préparation, devrait être soumis au Sénat dans les prochains mois.
À cet égard, plusieurs sénateurs avaient appelé de leurs vœux une réduction du nombre de schémas, lors de la discussion parlementaire de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014.
Par ailleurs, alors que le code général des collectivités territoriales indique clairement que « les communes et les établissements publics de coopération intercommunale sont seuls compétents pour créer et gérer les crématoriums et les sites cinéraires », il peut apparaître étonnant de prévoir une consultation du conseil régional sur un sujet pour lequel il ne détient aucune compétence, au sens juridique du terme.
Pour autant, et en conclusion, conscient que la coexistence de plusieurs crématoriums dans des zones géographiques très rapprochées est préjudiciable à l’équilibre économique de ces équipements et contribue à un renchérissement des coûts supportés par les familles endeuillées, conscient que l’insuffisance des crématoriums ne permet pas, dans un certain nombre de secteurs géographiques, de satisfaire les demandes des familles dans des conditions convenables, conscient enfin que, dans l’intérêt des familles, et eu égard à la nécessaire dignité des cérémonies d’obsèques ainsi qu’au souci de maîtriser les finances publiques, il apparaît nécessaire que le développement des crématoriums puisse, pour l’avenir, se faire de manière coordonnée et cohérente, le Gouvernement s’en remettra, sur cette proposition de loi, à la sagesse de la Haute Assemblée.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Cécile Cukierman, qui a bien voulu inverser sa prise de parole avec la mienne. J’ai en effet quelques contraintes d’agenda que je ne peux modifier aujourd’hui.
Je tiens aussi à saluer la persévérance de nos collègues et amis Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Sueur. En effet, en 2006 déjà, ils avaient recommandé l’élaboration d’un schéma régional des crématoriums, document coproduit par l’ensemble des acteurs concernés par la question funéraire et crématoire. Le gouvernement d’alors était d’ailleurs favorable à un tel outil d’organisation et de rationalisation des moyens, sous réserve qu’un débat se tienne.
Pour autant, ce débat n’a pas eu lieu. Vous avez persévéré par l’introduction d’amendements, à l’occasion de différents textes dont j’ai parfois été le rapporteur, sans pouvoir toutefois relancer ce débat de fond attendu par nombre de nos concitoyens.
L’occasion nous est aujourd’hui donnée de discuter de ce sujet et d’aboutir à un texte qui permettrait de mettre en place un service public crématoire plus opérationnel, de satisfaire les besoins grandissants de la population et de préserver les intérêts financiers de nos collectivités territoriales.
Ces dernières années, nous nous sommes rendu compte de la nécessité de restructurer les crématoriums. En pratique, comme vous l’avez tous rappelé, la crémation progresse, les statistiques le prouvent. Nous ne disposons pas exactement des mêmes chiffres, mais elle représentait 1 % seulement des obsèques environ dans les années quatre-vingt, contre 32 % aujourd’hui. Selon un sondage IFOP de 2010, 51 % des Français souhaitent se faire incinérer.
Cette progression s’est également illustrée chez nos voisins européens : la Suisse et le Danemark, par exemple, en sont à plus de 70 % de crémations ; à Londres, ce chiffre avoisine les 90 %.
Nous devons donc « repenser les funérailles », et tel est bien l’objet du texte qui nous est présenté.
Ce sont nos communes et quelques-unes de nos intercommunalités qui ont la charge de gérer les crématoriums, c’est-à-dire la lourde tâche de les construire, de les entretenir et de procéder à toutes les opérations liées à la crémation. Elles doivent gérer la location des salles, parfois l’incinération de certaines pièces pour les établissements de santé, autant de missions complexes à assumer pour les plus petites communes, qui ne possèdent ni l’expertise ni les moyens financiers ou humains. Elles choisissent alors, à juste titre, de déléguer cette mission de service public à des entreprises privées.
Les difficultés actuelles viennent justement de cela. Les écarts de prix sont de l’ordre de 400 euros d’un établissement à l’autre, et le coût peut tripler dans les collectivités d’outre-mer. Ces établissements profitent de leur situation de quasi-monopole, et les communes sont dans l’impossibilité d’en créer aussi facilement qu’elles le souhaiteraient sans risquer d’éventuelles difficultés financières.
En outre, la répartition des crématoriums n’est pas forcément équilibrée de la même manière sur tout le territoire français, ce qui crée, dans certains départements et régions, une inégalité de fait. Certains établissements se retrouvent surchargés, la conséquence étant un allongement des temps d’attente, lesquels sont déjà difficilement supportables pour les familles qui ont perdu un être cher.
Nous devons donc saisir l’occasion de rééquilibrer la répartition des crématoriums en encadrant leur création et leur extension. Cette tentative de rationalisation est essentielle pour offrir un service de qualité. Nous devons pour cela prendre en compte les souhaits de l’ensemble des acteurs de la filière, et fédérer ces derniers autour d’un projet commun équilibré, projet que vous proposez précisément de construire autour d’un schéma régional.
Face à ce constat d’inégalité territoriale, le Sénat a donc, aujourd’hui, un rôle fort de rééquilibrage à jouer.
D’une part, on constate que tous les territoires ne disposent pas de crématorium, même si la demande existe. Pourquoi ? Toutes les communes n’ont pas la capacité technique et financière de créer ou de gérer un tel équipement, en particulier à l’heure des baisses de dotations budgétaires. Il s’agit d’un investissement qui peut être jugé disproportionné lorsqu’on ne peut évaluer le besoin territorial et son évolution.
Le schéma des crématoriums, en donnant une vision plus globale de la situation, limiterait les cas de non-rentabilité et permettrait aux communes concernées de mutualiser leurs moyens.
D’autre part, l’emplacement des crématoriums existants – nous en avons tous fait le constat –, ne répond pas forcément à une répartition cohérente. Certains départements en comptent plusieurs, d’autres aucun. On trouve des établissements tout juste rentables, quand d’autres arrivent à saturation. Ce sont les familles qui supportent ce déséquilibre, l’attente entre le décès et la crémation pouvant aller jusqu’à une semaine. Nous pouvons peut-être soulager le travail de deuil en proposant, dès aujourd’hui, une simplification décisionnelle.
La question est de savoir quel échelon territorial est à même de faire face à cette problématique. Le schéma des crématoriums répond-il à une logique d’aménagement du territoire qui devrait être assumée par les régions ?
L’initiative et la responsabilité de gérer les crématoriums doivent, à mon avis, rester aux communes et aux EPCI. En effet, ces collectivités maintiennent le lien de proximité avec les familles ; elles sont et doivent rester leur interlocuteur privilégié. Cependant, nous devons adopter un raisonnement à long terme, qui englobe un territoire assez large. Ces établissements coûteux, à faible rentabilité, doivent être implantés dans des lieux à périmètres stratégiques.
Pour mener à bien la réflexion, vous nous proposez que le schéma soit défini au niveau régional. C’est une piste intéressante. Les objectifs du schéma de crématoriums sont les mêmes que pour le schéma régional d’aménagement et de développement du territoire, c’est-à-dire la mise en place de projets d’équipements cohérents, afin de satisfaire au mieux les besoins de la population, réduire au minimum les inégalités de traitement et protéger les intérêts financiers de nos collectivités locales.
Nous avons souhaité suivre le rapporteur quand il a proposé d’intégrer les communes à la consultation préalable à l’élaboration par le préfet de région du schéma régional. En effet, les communes détiennent, avec les EPCI, le monopole de gestion des crématoriums. Pour mémoire, seuls 2, 5 % des EPCI détiennent cette compétence.
De plus, en matière fiscale, les communes sont les seules habilitées à mettre en place les taxes sur les convois, l’inhumation et la création. Pour cette raison, leur réintégration au processus décisionnel est fondamentale.
Par ailleurs, il nous a semblé important d’associer également le Conseil national des opérations funéraires, regroupant les professionnels du funéraire et les représentants des familles, dont l’avis pourra ainsi être pris en compte.
Malgré la recommandation contenue dans le rapport d’information de 2006, ni la proposition de loi initiale ni le texte élaboré par la commission n’ont prévu une évaluation prospective des besoins dans le schéma des crématoriums. Un tel dispositif présentait pourtant l’intérêt de permettre l’analyse des besoins futurs compte tenu des mobilités, qu’elles soient interdépartementales, régionales ou interrégionales.
En conclusion, mes chers collègues, je tiens à redire que cette proposition de loi est l’occasion pour nous d’optimiser un service public de qualité sur l’ensemble du territoire et de réduire durablement les inégalités, essentiellement territoriales et financières.
C’est pourquoi, avec mon groupe, je voterai ce texte d’avenir. §
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi déposée par Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste visant à instaurer un schéma régional des crématoriums.
Ce texte s’inscrit dans la continuité des travaux de notre commission des lois et de sa mission d’information sur le bilan et la perspective de la législation funéraire, qu’elle avait confiée en 2005 à nos deux collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Sueur.
Déclinant les principales recommandations de la mission d’information, la loi de décembre 2008 relative à la législation funéraire a permis un encadrement juridique complet de la crémation, rendu nécessaire par le constat de l’essor croissant de cette pratique et par l’importance qui s’attache au respect des volontés des défunts et de leurs familles. Depuis une trentaine d’années, les pratiques funéraires ont en effet considérablement évolué et le recours à la crémation est de plus en plus fréquent - environ 30 % des obsèques.
Avec cette nouvelle proposition de loi, il s’agit de permettre une planification cohérente de l’implantation des crématoriums dans les territoires, afin de répondre aux besoins des populations et de faire en sorte que celles-ci puissent disposer d’un crématorium à une distance raisonnable, afin d’exercer pleinement la liberté de choix de leurs funérailles.
L’auteur de la proposition de loi et le rapporteur ont rappelé, chiffres à l’appui, la nécessité d’une meilleure régulation de ces implantations et d’une programmation de ces équipements plus adaptée aux besoins réels. Certains départements sont en effet dépourvus de crématoriums, alors que d’autres en comptent trop, entraînant parfois des surcoûts pour les familles liés à des frais de crémation majorés pour garantir la rentabilité d’une exploitation déficitaire.
En créant un schéma régional des crématoriums, ce texte vise à mieux coordonner les autorisations de création et d’extension de ces équipements, afin d’assurer une meilleure couverture du territoire, et à permettre aux familles d’exercer les dernières volontés du défunt dans des conditions acceptables.
En commission, le rapporteur a utilement proposé quelques amendements visant à étendre le périmètre des consultations préalables à l’adoption du schéma régional, à préciser les critères de son élaboration et à en adapter la durée.
À l’initiative de notre collègue du Nord, René Vandierendonck, qui ne peut malheureusement pas être parmi nous ce jour, le groupe socialiste a souhaité présenter deux amendements sur le texte adopté en commission.
Le premier amendement vise à intégrer la dimension transfrontalière de la programmation des crématoriums, étant donné la libre circulation des habitants en Europe et les mouvements de population dans les pays limitrophes.
Le second vise à assouplir et simplifier les contraintes pesant sur les transports de corps entre deux pays frontaliers.
En effet, dans un contexte de forte augmentation de la pratique de la crémation, les proches des personnes de nationalité française qui décèdent dans les pays frontaliers – Belgique, Espagne, Italie, Allemagne, Suisse –, et inversement, rencontrent des difficultés pour procéder à la crémation dans leur pays d’origine. Ces difficultés sont liées au contexte juridique du transport transfrontalier de dépouilles mortelles.
Aujourd’hui, le transport international des corps des personnes décédées est réglementé par deux accords internationaux, l’arrangement de Berlin de 1937 et l’accord de Strasbourg de 1973, signés et ratifiés par la France.
Or, lorsqu’un ressortissant français décède à l’étranger, son corps est rapatrié sur le territoire français dans un cercueil en zinc hermétique et scellé, ce qui ne permet pas la crémation pour des raisons techniques liées au fonctionnement des crématoriums et rend ainsi impossible la satisfaction des dernières volontés des défunts ayant émis le souhait de voir leur corps incinéré.
De plus, la législation française interdit le transfert d’un défunt dans un autre cercueil avant un délai de cinq ans suivant la mise en bière.
Si elle trouve tout son sens pour les transports internationaux de longue distance, cette réglementation stricte est jugée disproportionnée pour des trajets transfrontaliers de quelques kilomètres.
Prenons le cas de l’eurométropole Lille-Courtrai-Tournai, à cheval entre la France et la Belgique. La réglementation plonge dans le désarroi un nombre croissant de familles, compte tenu notamment du nombre important de personnes âgées françaises résidant dans des maisons de repos situées du côté belge de la frontière. Aujourd’hui, les familles des ressortissants français décédés en Belgique ne peuvent pas organiser de crémation dans un site français proche, mais doivent s’adresser aux crématoriums belges, qui sont nettement plus éloignés. Ce problème est exacerbé par la décision récente de plusieurs communes wallonnes d’instaurer une taxe significative sur le transport de corps de la Belgique vers la France, …
… pour surveiller de plus près le respect des dispositions de l’accord de Strasbourg.
Ce constat a amené le groupement européen de coopération transfrontalière de l’eurométropole à se saisir de la question. Les intercommunalités de Tournai, en Wallonie, de Courtrai, en Flandre et de Lille Métropole ont réalisé, avec l’appui d’un cabinet d’avocats, une étude juridique comparative qui a permis de bâtir le contenu d’une convention bilatérale entre la France et la Belgique pour donner une solution juridique à ce problème. Ce projet de convention bilatérale a été envoyé aux ministres français et belges compétents le 21 février 2014.
Lors de nos débats au Sénat, en avril dernier, pour autoriser la ratification de l’accord de coopération franco-espagnol sur la coopération sanitaire transfrontalière, plusieurs de nos collègues avaient évoqué la même problématique s’agissant des personnes décédées à l’hôpital transfrontalier de Cerdagne en Espagne, à quelques kilomètres seulement de la frontière française. Comment permettre à la famille de transporter le corps dans une chambre funéraire en France sans qu’il ait besoin d’un cercueil scellé ?
D’autres territoires ont soulevé cette même difficulté : les Ardennes, la Meurthe-et-Moselle, la Moselle, etc.
L’objet de l’amendement que nous avons déposé est bien d’alléger les contraintes pesant sur les transports de corps entre deux pays frontaliers, de faciliter ainsi le rapatriement du corps dans une commune française située dans un rayon maximum de 50 kilomètres du lieu de fermeture du cercueil, et de répondre aux demandes des familles des personnes décédées.
Le groupe socialiste, saluant les travaux de longue date de Jean-Pierre Sueur et de Jean-René Lecerf, mais restant vigilant quant à l’adoption des amendements qu’il propose, votera bien entendu ce texte.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’organisation des obsèques représente, pour les proches du défunt, un temps d’urgence et d’obligations qui s’ajoute à la douleur de la perte. Les délais entre le décès et les obsèques sont assez brefs. Il faut alors respecter de nombreuses contraintes, effectuer des démarches administratives, faire des choix, contacter des personnes.
Contrairement aux pays d’Europe du Nord ou de tradition protestante, la France a connu un développement de la crémation longtemps erratique, du fait de sa tradition catholique. Cette différence historique avec l’inhumation est à l’origine de nombreux désagréments pour les familles : temps d’attente trop long, trajets rallongés du cortège funéraire, renchérissement des tarifs.
À titre d’exemple, mon collègue Alain Bertrand nous a fait part de grandes difficultés pour les habitants de la Lozère : du fait de l’absence de crématoriums dans ce département, les cortèges funéraires sont contraints de se rendre en Aveyron.
Dans le contexte particulier de la perte d’un être cher, comme cela a été souligné par le président de la commission, cela n’est ni acceptable ni rationnel. Aussi avons-nous déposé un amendement visant à attirer l’attention sur une situation qui concerne de nombreux territoires.
Aujourd’hui, la crémation ne constitue plus une pratique exceptionnelle, et son développement est exponentiel. Alors que seulement 0, 9 % des Français y avaient recours en 1980, ils étaient 10, 5 % en 1994 et 30 % en 2010. En parallèle, le développement des structures adaptées a été moins spectaculaire : en 1980, la France comptait 9 crématoriums ; en 2006, il en existait 120. Une trentaine de projets sont aujourd’hui en cours d’étude ou de réalisation.
La loi du 15 novembre 1887 a autorisé les modes de sépulture autres que l’inhumation. Les formalités de l’incinération furent réglementées par le décret du 27 avril 1889. Le premier incinérateur fut installé peu après, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Suivirent ensuite celui de Rouen, en 1899, de Marseille, en 1907, de Lyon, en 1914, et, plus près de nous, de Béziers, dans le département de l’Hérault, en 1998.
De nombreux progrès ont été faits en la matière, grâce aux efforts constants et répétés de notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui a fait de l’amélioration du droit funéraire un véritable cheval de bataille.
La loi du 19 décembre 2008 a réformé le sort des cendres en les protégeant comme le corps inhumé et en organisant un régime juridique proche de celui de l’inhumation. Cette loi a également fait de l’existence d’un site cinéraire une obligation pour les communes. Comme nous le rappelle le code civil, le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit de créer un schéma régional des crématoriums. La création et l’extension des crématoriums font d’ores et déjà l’objet d’une autorisation délivrée par le préfet du département. Mais, aux fins d’assurer une meilleure répartition territoriale, et dans le souci également de respecter le deuil des proches, le texte prévoit une concertation entre les acteurs concernés – les conseils régionaux, les organes délibérants des EPCI compétents en matière de crématoriums, ainsi que les communes de plus de 2 000 habitants.
Le schéma sera délivré après avis du Conseil national des opérations funéraires à l’échelon national, en prenant en compte les contraintes environnementales. Cette dernière précision est de taille : les sites cinéraires sont source d’une grande pollution du fait des rejets du mercure contenu dans les amalgames dentaires et les responsables ont jusqu’à 2018 pour équiper les crématoriums de filtres antipollutions.
Enfin, pour tenir compte des contraintes temporelles de cette élaboration, le schéma régional sera renouvelé tous les six ans, cette durée étant alignée sur celle du mandat des élus locaux.
Si cette initiative est bienvenue, elle devra être mise en œuvre dans le respect de la liberté du commerce et de l’industrie, ainsi que du droit de la concurrence.
La Cour de justice des communautés européennes considère en effet que, lorsque le service public est confié à un tiers, la collectivité concédante, État ou collectivité locale, doit, même en l’absence de texte le lui imposant, organiser, par des mesures de publicité adéquates, une mise en concurrence des prestataires intéressés. C’est la jurisprudence Telaustria, bien connue.
Compte tenu du développement exponentiel de la crémation et des crématoriums, n’y aura-t-il pas des recours, dans le futur, contre des refus de délivrer une autorisation d’installation, en raison de ce même schéma régional ? Pis encore, ne peut-on y voir une entrave au principe de libre établissement ?
Par ailleurs, dans le contexte actuel de restrictions budgétaires, nous nous interrogeons sur le financement des nouveaux crématoriums par les collectivités locales. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ?
Deux préoccupations s’imposent : d’un côté, celle de la neutralité au service de tous, en particulier des entreprises de pompes funèbres, qui favorise la création et la gestion par des opérateurs spécialisés ; de l’autre, celle, tout aussi légitime, d’éventuelles entorses à la libre concurrence, ainsi que de possibles rentes de situation, qu’il s’agit d’empêcher les unes et les autres.
Enfin, comment sera financée l’extension de ces services publics, sachant que la construction d’un crématorium coûte des millions d’euros ? En la matière, il faudra compter sur la sagesse et la sagacité des différents acteurs, notamment du préfet de région.
L’avenir nous dira si nous avons eu raison de voter ce texte. En attendant, nous espérons que la création de schémas régionaux permettra de rééquilibrer la donne territoriale entre les départements.
Mais, parce que l’usage veut que penser à la mort raccourcisse la vie, il me semble vital d’abréger mon propos.
Sourires.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, les membres du groupe du RDSE voteront cette proposition de loi.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en première lecture, la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur visant à instaurer un schéma régional des crématoriums.
L’étude de certaines pratiques permet de saisir les évolutions de notre société. Les rites et usages liés à la fin de vie, partagés à divers degrés par tous ses membres, en reflètent une facette importante. Ils révèlent des réalités et des constantes d’ordre religieux, spirituel, idéologique, culturel et social.
En France, nous assistons depuis un quart de siècle à une augmentation de la crémation dans les pratiques funéraires. Longtemps marginale, elle représente aujourd’hui plus de 30 % des obsèques, voire 50 % dans les grandes agglomérations.
Serions-nous en train de vivre une révolution anthropologique, appelée à progresser jusqu’à devenir la nouvelle norme ? Les rites funéraires sont manifestement soumis à des évolutions que l’on se doit de comprendre.
Autorisé en France depuis 1889, l’acte de brûler le corps d’une personne décédée, puis de recueillir ses cendres, s’est transformé en un usage funéraire répandu. Cette pratique a été encouragée par la levée de l’interdit de l’Église catholique en 1963, mais surtout par une diminution du nombre de pratiquants et de croyants en France, au départ de tradition chrétienne, la crémation étant interdite dans le judaïsme et en islam.
On observe que, dans les pays où la tradition catholique est davantage ancrée historiquement et socialement, la crémation est beaucoup moins pratiquée. Ainsi le taux de crémation est-il de 8, 5 % en Italie. À l’inverse, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CRÉDOC, relève, dans un rapport, que l’effritement des pratiques religieuses françaises « joue un rôle dans la baisse de l’inhumation au profit de la crémation ». Cette évolution ne se double pas pour autant d’un complet abandon du rite puisque 80 % des cérémonies sont réalisées dans un lieu de culte. Toujours selon le CRÉDOC, « la ritualisation ne disparaît pas, elle prend des formes nouvelles ».
Au regard des évolutions de notre société, les pratiques funéraires se trouvent en quelque sorte allégées et libérées des contingences communautaires ou sociales d’autrefois.
Les auteurs de cette proposition de loi font un constat clair : les crématoriums sont en nombre insuffisant et leur implantation géographique ne correspond pas aux besoins de la population. Il importe aujourd’hui de s’assurer d’une répartition plus équilibrée des équipements sur l’ensemble du territoire par une rationalisation de la répartition géographique des crématoriums. Cette rationalisation permettrait également d’éviter la création de crématoriums trop proches les uns des autres et n’atteignant pas un seuil de rentabilité suffisant.
La proposition de loi prévoit d’instaurer un schéma régional des crématoriums. Ce dernier aurait une valeur prescriptive. Le schéma serait arrêté par le préfet de région, après avis du conseil régional et des intercommunalités compétentes en la matière. En revanche, chaque décision d’autorisation devrait être précédée d’une enquête publique.
Ce schéma régional des crématoriums serait révisé tous les cinq ans afin d’être adapté aux besoins de la population.
Par ailleurs, je me félicite que, sur l’initiative du rapporteur, M. Lecerf, un amendement visant à prendre en compte les exigences environnementales liées à la pollution émise par les crématoriums ait été adopté.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le groupe écologiste soutiendra ce texte, qui nous met en phase avec les développements que connaît notre société en matière de rites funéraires.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a pour objet d’offrir, pour ce qui est de la crémation, un dispositif mieux adapté à la population.
En 2005, nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jean-René Lecerf avaient déposé deux propositions de loi visant déjà à faire évoluer la législation funéraire. La loi de 2008 qui en a résulté a permis de renforcer les contrôles de qualification des professionnels et de développer la formation dans le secteur funéraire, mais aussi et surtout d’accompagner l’essor de la crémation en comblant certaines lacunes juridiques, notamment concernant le statut des cendres des défunts.
Depuis cette loi, les communes ou les EPCI compétents de plus de 2 000 habitants sont notamment obligés de créer un site cinéraire.
La proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums présentée par M. Jean-Pierre Sueur s’inscrit dans la continuité de la législation précédente. Elle résulte du constat que les équipements de ce type se trouvent en nombre insuffisant sur le territoire. En outre, leur implantation géographique est parfois inadaptée, ce qui pénalise de nombreuses familles endeuillées.
La France dispose de moins de deux crématoriums par département en moyenne, alors que l’évolution des rites funéraires depuis trente ans se traduit par une augmentation du recours à la crémation. Aujourd’hui, plus de 30 % des obsèques donnent lieu à crémation, contre 1 % en 1980.
Si l’on compare deux régions similaires par leur population, Aquitaine et Midi-Pyrénées, qui comptent environ trois millions d’habitants chacune, on constate de grandes disparités : la région Aquitaine dispose de près de deux fois plus de crématoriums que sa voisine ; certains départements de la région Midi-Pyrénées sont même totalement dépourvus de tels équipements.
Une rationalisation de l’implantation des crématoriums paraît donc pleinement justifiée pour permettre une accessibilité accrue à cette pratique funéraire.
La mise en place d’un schéma régional des crématoriums permettrait également de diminuer les coûts pour les familles et les professionnels des secteurs aujourd’hui dépourvus de ces installations.
Ainsi, sur le fond, on ne peut qu’être en accord avec cette proposition de loi. Elle tend à répondre aux préoccupations des familles, mais aussi à adapter nos infrastructures à une mutation profonde observée dans le choix des funérailles.
Cependant, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur les conséquences de ce texte. Ce sont les communes et les intercommunalités compétentes qui sont chargées de créer et de gérer les crématoriums et les sites cinéraires. Dans un contexte de baisse drastique des dotations aux collectivités territoriales, la question de la capacité des communes de certains départements à assurer et assumer un tel service peut se poser dans un avenir relativement proche. Notre rapporteur a d'ailleurs souligné que, dans certains cas, les collectivités se trouvaient exposées à un risque financier non négligeable, la rentabilité des crématoriums n’étant pas toujours assurée.
Je salue l’introduction, par la commission, de considérations environnementales dans la proposition de loi, tant la France est en retard en la matière. En effet, à l’heure actuelle, rares sont les crématoriums dotés d’un système de filtrage limitant l’émission de polluants. Je rappelle que, aux termes de l’arrêté du 28 janvier 2010, qui découle de la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, tous les crématoriums devront être pourvus d’un système de filtrage avant 2018. Cet impératif environnemental se traduira cependant par une hausse des coûts pour les communes. Dans le contexte de baisse des dotations aux collectivités territoriales que j’évoquais, les citoyens et les familles endeuillées devront certainement en supporter la charge.
Je salue également la modification prévoyant que la révision du schéma régional ait lieu tous les six ans, et non plus tous les cinq ans. Cela permettra de faire coïncider la durée du schéma avec celle du mandat des élus communaux et intercommunaux. Personnellement, je pense qu’un délai plus long aurait pu être retenu, étant donné le temps nécessaire pour mener à bien un tel projet.
Quoi qu’il en soit, il faut saluer le travail entrepris depuis de nombreuses années par nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jean-René Lecerf afin d’adapter notre législation à l’évolution des rituels funéraires dans notre société. Le législateur a vocation à s’atteler à des réformes liées à l’évolution de la société. La proposition de loi que nous examinons participe évidemment de cette approche. Le groupe UDI-UC la votera, car elle va dans le bon sens et tend à apporter une réponse concrète aux familles endeuillées.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ceux qui ont pris la parole avant moi l’ont dit : aujourd’hui, le choix de la crémation s’est fortement développé, et il est bon de veiller à ce que chaque citoyen ait accès à ce service, quel que soit le lieu où il vit. Il nous faut donc créer les conditions d’un tel accès.
À cet effet, notre collègue Jean-Pierre Sueur nous invite, par cette proposition de loi, à créer un schéma régional de plus ; c’est du moins ainsi que nous pourrions prendre ce texte de prime abord. Nous nous sommes dans un premier temps interrogés sur l’opportunité de ce schéma supplémentaire. En effet, en 2008, lors des débats sur la proposition de loi relative à la législation funéraire, l’idée d’un schéma avait été abandonnée. Nos collègues députés avaient préféré maintenir le système existant, toujours en vigueur, en invitant cependant le Gouvernement à inciter les préfets à réaliser des enquêtes publiques détaillées.
Cependant, le problème du faible nombre de crématoriums dans certaines zones géographiques perdure. La nécessité de fournir aux familles un équipement peut donc justifier la solution proposée quand le mécanisme des enquêtes publiques a échoué. Notre collègue Jean-René Lecerf démontre en effet, dans son rapport, que, aujourd’hui encore, dans plusieurs secteurs géographiques, le nombre de crématoriums, parce qu’il est insuffisant, ne permet pas de satisfaire les demandes des familles dans des conditions convenables ; certains de nos collègues ont évoqué les départements vides de tout service de crématorium. Il en découle des délais d’attente trop longs pour les familles et des contraintes liées à des déplacements longs et coûteux ainsi qu’à la conservation du corps jusqu’à la crémation.
L’exemple de la Loire, qui a été cité, illustre ces difficultés. Dans ce département, dont je suis issue, la crémation représente 40 % des funérailles, un chiffre supérieur à la moyenne nationale. Pourtant, il n’existe que trois crématoriums dans le département : un dans le sud, à Saint-Étienne, et deux dans le nord, qui sont très proches l’un de l’autre puisqu’ils se trouvent à Roanne et à Mably. Ces deux derniers crématoriums – l’un est public, l’autre est en gestion déléguée – se partagent le territoire roannais, alors même qu’un seul équipement pourrait suffire puisqu’ils ne sont utilisés aujourd’hui qu’à la moitié de leur capacité. En revanche, dans le centre du département, on ressent un manque : les habitants du secteur sont obligés d’aller à Roanne ou à Saint-Étienne s’ils souhaitent incinérer leurs défunts, ce qui entraîne un coût supplémentaire, notamment pour le transport du corps.
Au vu de ces difficultés, l’élaboration d’un schéma régional peut se révéler un outil intéressant. Néanmoins, il faut rester vigilant, car les crématoriums constituent des équipements coûteux. Le risque financier encouru par les communes est réel, puisque, au terme d’une délégation de service public ou en cas de faillite du délégataire, la charge de l’équipement leur incombe. Par exemple, 500 000 euros devront être déboursés d’ici à 2018 pour chacun des crématoriums de Roanne et de Mably afin de respecter des normes bien précises en matière de filtration des fumées. C’est un décret de septembre 2008 relatif à la hauteur de la cheminée des crématoriums et aux quantités maximales de polluants contenus dans les gaz rejetés à l’atmosphère qui impose ces travaux.
Si ces normes environnementales sont importantes – dans ce domaine comme dans les autres, nous n’avons pas pour objectif de négliger les normes qui protègent –, se pose la question du maintien de deux crématoriums dans une zone où un seul suffirait.
Ces difficultés de financement existent dans bien d’autres collectivités ; elles sont importantes. Nous n’allons pas ouvrir maintenant le débat sur le financement des collectivités territoriales ; monsieur le secrétaire d'État, nous serons amenés à nous revoir dans les semaines à venir pour débattre plus largement du devenir des collectivités, et nous poserons alors beaucoup plus fortement la question. Néanmoins, je tiens à souligner dès à présent que le financement des collectivités territoriales pose problème. C’est une réalité dont il faut tenir compte.
La proposition de loi n’imposant pas expressément l’ouverture de crématoriums, on peut s’interroger. J’ai pris l’exemple du nord de la Loire, mais je peux aussi prendre celui de la Lozère, qui a également été cité, car ce département ne dispose d’aucun crématorium. Ce n’est pas parce que l’on aura constaté qu’il y a un crématorium de trop dans la Loire que l’on en ouvrira un en Lozère, où pourtant les populations n’ont pas du tout accès à ce service. C’est la limite de ce schéma régional des crématoriums. Il représente certes une contrainte, mais n’a pas de caractère prescriptif et ne règle pas la question du financement. On peut toutefois penser que la proposition de loi aura un fort pouvoir d’incitation.
L’élaboration du schéma par le conseil régional, qui impliquera la saisine d’autres collectivités, puisque la région n’est pas forcément la collectivité pertinente, permettra le débat.
Par l’intermédiaire du préfet, l’État aura donc le pouvoir d’inciter à l’ouverture d’un crématorium dont les collectivités locales assumeront seules le coût et les risques financiers. Il faudra bien avoir tout cela en tête au moment de l’élaboration des schémas.
En dépit de cette importante remarque, la proposition de loi contribuera, nous n’en doutons pas, à une meilleure prise en compte de l’évolution des traditions funéraires dans notre pays ; c'est pourquoi nous la voterons.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai bien écouté les uns et les autres, mais je serai bref dans ma réponse.
Une fois n’est pas coutume, je reprendrai, en guise de conclusion provisoire de ce débat, les propos d’un membre du groupe CRC, en l’occurrence Cécile Cukierman : encore un schéma. Oui, encore un schéma, mais la voie est étroite, et c’est au Sénat, à l’Assemblée nationale, au Gouvernement de la trouver, entre la nécessité d’organiser les territoires, y compris dans le domaine funéraire, et le souci de ne pas alourdir la gestion des collectivités territoriales par trop de schémas et trop de normes.
Quant à la question du financement des crématoriums et, plus généralement, des finances locales, je vous confirme que nous aurons l’occasion de nous revoir prochainement pour en débattre.
Mme Cécile Cukierman. Je ne suis pas sûre que vous reprendrez mes propos à ce moment-là !
Sourires.
M. André Vallini, secrétaire d'État. Nous verrons !
Nouveaux sourires.
Je rejoins la préoccupation de Robert Tropeano, qui a exprimé son inquiétude quant au coût des crématoriums. La proposition de loi n’impose ni aux communes ni aux EPCI de créer des crématoriums. Il s’agit simplement d’organiser les implantations au niveau régional. Cela devrait atténuer vos inquiétudes, que je comprends, monsieur le sénateur.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, je me suis rendu compte, en vous écoutant, que la sagesse de la Haute Assemblée, à laquelle le Gouvernement s’en était remis par ma voix, était largement partagée sur toutes les travées cet après-midi.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Après l’article L. 2223-40 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2223-40-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2223-40-1. – I. – Un schéma régional des crématoriums est établi dans chaque région. Il a pour objet d’organiser la répartition des crématoriums sur le territoire concerné, afin de répondre aux besoins de la population, dans le respect des exigences environnementales. Il précise à ce titre, par zones géographiques, en tenant compte des équipements funéraires existants, le nombre et la dimension des crématoriums nécessaires.
« II. – Le schéma est élaboré par le représentant de l’État dans la région, en collaboration avec ceux des départements qui la composent.
« Le projet de schéma est adressé pour avis au conseil régional, au conseil national des opérations funéraires, ainsi qu’aux organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale et aux communes de plus de 2 000 habitants compétents en matière de crématoriums. Ceux-ci se prononcent dans un délai de trois mois après la notification du projet de schéma. À défaut, leur avis est réputé favorable.
« Le schéma est arrêté par décision du représentant de l’État dans la région. Il est publié.
« III. – Le schéma est révisé tous les six ans. »
L'amendement n° 1, présenté par M. Bertrand, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il ne peut prévoir moins d’un crématorium par département.
Cet amendement n’est pas soutenu.
L’amendement n° 1 ne sera pas soutenu, mais Alain Bertrand m’en a parlé. Dans la mesure où j’ai la possibilité, avec votre permission, monsieur le président, de m’exprimer à tout moment, je tiens à dire à notre collègue que nous comprenons totalement sa préoccupation.
Comme je l’ai souligné précédemment, quatre départements dans notre pays ne disposent d’aucun crématorium. Le cas de la Lozère est particulier ; il mérite vraiment l’attention. Les familles sont obligées de se rendre dans un département voisin, ce qui peut entraîner de très longs temps de transport, dans des conditions difficiles, la situation psychologique étant ce qu’elle est dans ces circonstances.
Sur le fond, nous prenons en compte cette préoccupation.
Pour ma part, je ne doute pas que les schémas des régions dans lesquelles se trouvent les quatre départements qui ne disposent d’aucun crématorium recommanderont la création d’un tel équipement comme étant particulièrement précieuse et utile.
Sur la forme, comme l’a indiqué M. le rapporteur en commission ce matin, il n’est évidemment pas possible d’imposer la création d’un crématorium. Il faut qu’une commune décide d’en créer un ou de recourir à une délégation de service public. Cependant, le fait que nous insistions ici sur l’intérêt de la suggestion d’Alain Bertrand, que nous disions qu’il nous paraîtrait naturel que le préfet et le conseil régional veillent à ce que la situation des territoires soit prise en compte, aidera sans nul doute à répondre à la légitime préoccupation de notre collègue.
L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Vandierendonck, Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'évaluation des besoins de la population tient compte, le cas échéant, de ceux des populations immédiatement limitrophes sur le territoire national ou à l'étranger.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Cet amendement vise à préciser que le schéma régional des crématoriums prend en compte la dimension transfrontalière des besoins dans les régions concernées. René Vandierendonck pensait particulièrement à la Belgique, mais il va de soi que nous pensons également à l’Allemagne, à la Suisse, à l’Italie ou encore à l’Espagne, bref, là où la problématique transfrontalière est pertinente.
Cet amendement visait initialement à imposer au préfet de prendre en compte les besoins de la population sans réduire celle-ci à la seule population du département ou de la région, en intégrant la dimension transfrontalière.
La question soulevée était tout à fait pertinente, mais elle aurait aussi pu être posée à propos de zones frontalières avec une autre région. C’est la raison pour laquelle j’ai suggéré une légère rectification de l’amendement, pour qu’il puisse viser toutes les situations dans lesquelles la population concernée s’étend à celle des territoires limitrophes. Cette recommandation ayant été suivie, l’avis de la commission est tout à fait favorable.
L’objet de cet amendement est de préciser que le schéma régional des crématoriums prendra en compte la dimension transfrontalière des besoins dans les régions concernées.
L’amendement pose la question de la situation particulière que peuvent rencontrer les habitants des régions transfrontalières, soumis à des contraintes juridiques lorsque le décès ne se produit pas dans le pays d’origine du défunt.
Néanmoins, il sera sans doute difficile, pour le préfet de région, de déterminer avec précision les besoins des populations concernées par cette dimension transfrontalière, notamment ceux des personnes qui sont domiciliées à l’étranger. Je pense, en particulier, aux personnes vivant dans un établissement de soins, un établissement pour personnes âgées ou une résidence secondaire, pour lesquelles les données fiables manqueront à l’évidence.
C’est pourquoi le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
Finalement, la coopération transfrontalière pourra s’organiser plus vite en matière de crématoriums qu’en termes de réponse aux besoins économiques ou à d’autres sujets de préoccupation plus habituels : je trouve que c’est un très bon signal !
Sourires.
L'amendement est adopté.
Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 2, présenté par M. Tropeano, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
en collaboration avec
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
les représentants de l’État dans les départements qui la composent.
La parole est à M. Robert Tropeano.
La commission émet un avis favorable sur cet amendement rédactionnel particulièrement bienvenu.
L'amendement est adopté.
L'article 1 er est adopté.
L'amendement n° 4, présenté par MM. Vandierendonck, Sueur et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Lorsque le corps d’une personne décédée dans un pays frontalier doit être rapatrié dans une commune française située dans un rayon maximum de cinquante kilomètres du lieu de fermeture du cercueil, son transport s’effectue dans un cercueil répondant aux normes en vigueur dans le pays de mise en bière. Le permis d’inhumer ou de crématiser, délivré par l’autorité compétente en France, tient lieu de laissez-passer.
Un décret précise les conditions d’application du présent article.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Cet amendement a déjà été longuement défendu lors de la discussion générale. Il s’agit de simplifier la législation pour les transports transfrontaliers de corps sur quelques kilomètres. Il s’agit en fait d’un amendement d’appel à la négociation de conventions bilatérales, en particulier entre la France et la Belgique.
Cet amendement vise à répondre à une situation que nous savons douloureuse et incompréhensible pour les familles : il n’est pas toujours possible de procéder à la crémation en France des personnes décédées sur le territoire d’un État étranger qui avaient émis un tel vœu.
En effet, le cercueil utilisé pour le transport du corps contient parfois, conformément aux prescriptions locales, des éléments métalliques, comme le zinc, qui le rendent impropre à la crémation en France, compte tenu de la nature de nos équipements. Il faut donc ouvrir le cercueil scellé pour placer le corps dans un nouveau cercueil, démarche qui est d’une infinie complexité pour les familles, voire quasiment impossible à réaliser.
Les auteurs de l’amendement proposent d’imposer que le transport s’effectue dans un cercueil conforme aux normes françaises de crémation, ce qui revient à imposer à des autorités étrangères, qui seules sont habilitées à organiser les conditions initiales de ce transport, le respect de la réglementation française. Prévoir une telle exigence n’est pas du ressort de la loi, c’est pourquoi M. Leconte a indiqué qu’il s’agit d’un amendement d’appel.
Il est préférable de s’en remettre aux négociations engagées par le Gouvernement. Je proposerai par conséquent aux auteurs de l’amendement de retirer celui-ci, au bénéfice des explications que M. le secrétaire d’État voudra bien nous donner.
Deux accords internationaux signés et ratifiés par la France, l’arrangement de Berlin de 1937 et l’accord de Strasbourg de 1973, régissent les transports internationaux des corps des personnes décédées.
Lorsque le pays de destination du corps est signataire de l’un ou de l’autre de ces deux textes, des formalités administratives allégées spécifiques sont appliquées. Les principales difficultés tiennent aux prescriptions techniques applicables aux cercueils utilisés pour procéder au transport des corps, qui soit sont métalliques, soit contiennent du zinc, ce qui les rend incompatibles avec la crémation.
L’objet de cet amendement est d’alléger les contraintes pesant sur les transports de corps entre deux pays frontaliers pour permettre aux personnes qui en avaient émis le souhait d’être incinérées en France.
Sur ce point, je souhaite vous assurer que le Gouvernement est conscient des difficultés posées par le transport transfrontalier de corps. Les ministères de l’intérieur, des affaires étrangères et de la décentralisation travaillent depuis plusieurs mois en vue d’élaborer des projets d’accords bilatéraux avec l’Espagne et avec la Belgique. Ils n’ont pas eu connaissance de difficultés particulières avec le Luxembourg, mais le travail ainsi réalisé pourrait servir de base de discussion pour l’élaboration d’autres conventions bilatérales avec les pays signataires de l’arrangement de Berlin, à savoir l’Allemagne et l’Italie, ou de l’accord de Strasbourg, c’est-à-dire, outre l’Espagne et la Belgique, Andorre, le Luxembourg et la Suisse.
S’agissant du projet de convention bilatérale avec l’Espagne, il porte notamment sur le cas particulier de l’hôpital franco-espagnol de Puigcerdà, construit dans le cadre d’un groupement européen de coopération territoriale pour augmenter l’offre de soins dans la vallée de Cerdagne, de part et d’autre de la frontière franco-espagnole.
Toutefois, les autorités espagnoles et françaises travaillent en parallèle sur un projet d’accord de coopération judiciaire, qui relève d’une compétence plus spécifique des ministères de la justice en France et en Espagne.
Le ministère des affaires étrangères a indiqué à nos services que le volet relatif au transport de corps ne pourrait intervenir que dans un second temps, compte tenu du climat politique actuellement tendu entre Madrid et Barcelone.
S’agissant du projet de convention bilatérale avec la Belgique, les autorités belges se sont montrées favorables à la signature d’un accord bilatéral avec la France, qui concernerait le gouvernement du Royaume de Belgique, le gouvernement de la Région wallonne, le gouvernement de la Région flamande et le gouvernement de la Région Bruxelles-capitale. Dans la perspective d’une conclusion prochaine, les services du ministère des affaires étrangères et la direction générale des collectivités locales du ministère de l’intérieur finalisent en ce moment un projet de convention.
Le Gouvernement regrette de ne pouvoir donner un avis favorable à cet amendement. En effet, le droit interne ne saurait déroger à une convention internationale signée et ratifiée. C’est la raison pour laquelle je vous demande moi aussi, monsieur Leconte, de bien vouloir retirer votre amendement.
J’ai indiqué qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, ayant conscience qu’une disposition législative nationale ne pouvait s’appliquer hors de notre territoire. Je prends note des travaux menés par le Gouvernement sur cette question et je retire l’amendement.
(Non modifié)
Le dernier alinéa de l’article L. 2223-40 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée :
« L’autorisation ne peut être délivrée que si la création ou l’extension envisagée est compatible avec les dispositions du schéma régional des crématoriums mentionné à l’article L. 2223-40-1. » –
Adopté.
Dans chaque région, le premier schéma régional des crématoriums est arrêté dans un délai de deux ans après la promulgation de la présente loi. Par exception au III de l’article L. 2223-40-1 créé par la présente loi, il est révisé au bout de trois ans.
L'amendement n° 5, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Seconde phrase
Supprimer les mots :
créé par la présente loi
La parole est à M. le rapporteur.
Il s’agit d’un amendement purement rédactionnel, tendant à supprimer une mention inutile.
L'amendement est adopté.
L'article 3 est adopté.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
La proposition de loi est adoptée.
Il arrive assez fréquemment qu’un tel sujet suscite un large consensus. Ce fut déjà le cas lors de l’examen de la loi de 2008 relative à la législation funéraire.
Sur un tout autre thème, ce fut aussi le cas pour une très importante proposition de loi relative aux sondages, adoptée à l’unanimité par le Sénat, sur l’initiative de M. Portelli et de moi-même, mais qui est toujours en attente d’examen par l’Assemblée nationale. Or il s’agit d’un vrai sujet pour la démocratie.
Le Sénat a également adopté à l’unanimité une proposition de loi, qui avait été inspirée par Robert Badinter, relative au rôle du juge français en matière d’infractions relevant de la Cour pénale internationale. Je crois savoir que l’Assemblée nationale s’intéresse au sujet et pourrait même étudier ce texte dans les jours ou les semaines qui viennent. Eu égard à un certain nombre d’enjeux internationaux sur lesquels il ne me semble pas utile de s’étendre, il serait important pour la France qu’il puisse être adopté définitivement avant la fin de la session extraordinaire prévue en juillet.
Pour en revenir au présent texte, je remercie très chaleureusement notre rapporteur, Jean-René Lecerf, ainsi que l’ensemble des collègues qui ont bien voulu participer à ce débat.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi visant à limiter l’usage des techniques biométriques, présentée par M. Gaëtan Gorce et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 361, texte de la commission n° 466, rapport n° 465).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Gaëtan Gorce, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pourquoi avoir choisi de présenter une proposition de loi visant à limiter l’usage de la biométrie aux seules finalités de sécurité ? Pourquoi prendre ainsi le risque de donner le sentiment de vouloir s’opposer à cette évolution inéluctable que l’on appelle encore le progrès ? Pourquoi vouloir priver nos concitoyens de la possibilité d’ouvrir une session sur leur smart phone grâce à la reconnaissance faciale ou d’accéder à un équipement public par lecture du contour de la main ? Bref, comme me le reprochait l’autre jour une personnalité intervenant dans le cadre d’un débat fort opportunément organisé par M. le président de la commission des lois, pourquoi créer des difficultés en obligeant chacun à continuer à mémoriser un code, à utiliser une carte ou à acheter un ticket ?
Je n’oublie pas que ces questions recouvrent de forts enjeux économiques, industriels, technologiques, et je ne propose pas d’aborder ce sujet uniquement par le biais de la protection des libertés individuelles, même si beaucoup d’observations fort légitimes sont régulièrement formulées à ce titre, pour insister par exemple sur les risques d’interopérabilité entre les différents systèmes, évolution qui pourrait conduire à une mise sous profil de l’ensemble de nos concitoyens.
Je n’oublie pas non plus que, dans ce domaine, la réglementation reste extrêmement rigoureuse, puisque, sous l’empire de la loi de 1978, modifiée en 2004, c’est le régime d’autorisation qui prévaut toujours aujourd’hui pour la mise en place de tels traitements de données biométriques.
Je n’oublie pas, enfin, les travaux qui ont été menés par le Parlement, et notamment par le Sénat, sous la responsabilité, en particulier, de Jean-René Lecerf.
Si j’ai suggéré, au travers de cette proposition de loi, reprise par le groupe socialiste, d’aborder la question du traitement des données biométriques, c’est qu’il m’a semblé que trois problèmes devaient absolument être débattus dans les assemblées parlementaires.
Le premier d’entre eux a trait à l’ampleur du changement technologique que nous connaissons aujourd’hui. Naturellement, la nouveauté tient non pas à l’importance de l’innovation dans nos sociétés, puisque celle-ci est au cœur de nos économies depuis plus de deux siècles, notamment depuis la révolution industrielle, mais au fait qu’elle prend aujourd’hui une dimension et surtout un rythme qui n’ont plus rien à voir avec ce que nous avons connu auparavant. L’introduction de la machine à vapeur ou de la machine à tisser dans les modes de production s’est opérée sur des décennies et elle a modifié très progressivement les façons de vivre et de travailler. La révolution permise par l’électricité s’est effectuée un peu plus rapidement, mais l’échelle de temps fut néanmoins celle d’une vie humaine.
Ce qui se passe aujourd’hui, notamment avec la révolution numérique, c’est que le changement technologique s’opère à une vitesse telle que les habitudes, les pratiques et les usages deviennent caducs en l’espace de quelques années.
En la matière, les chiffres sont spectaculaires. On considère par exemple que, au rythme d’innovation observé en 2000, il aurait fallu simplement vingt ans pour mettre en œuvre l’ensemble des innovations intervenues tout au long du XXe siècle, et que, à ce rythme, on aurait pu mettre en place en moins d’un siècle la totalité des innovations réalisées par l’humanité depuis que la civilisation s’est organisée.
C’est dire la vitesse à laquelle le changement est en train de s’opérer. Nous pouvons parfois avoir le sentiment d’être moins à l’initiative du changement que, d’une certaine manière, produits par lui, et celui que les créatures produites par la technologie sont en voie de nous échapper.
Cela pose évidemment la question de la démocratie. En effet, si le changement est non plus le fait de la volonté politique, mais celui d’un mouvement qui lui échappe et dans lequel elle est intégrée, la question de savoir quelle société nous voulons revêt des aspects nouveaux. C’est la raison pour laquelle il m’a semblé indispensable que nous puissions nous interroger sur ces évolutions.
La deuxième raison qui m’a conduit à déposer ce texte tient à la nature du changement. Jusqu’à présent, le changement technique, l’innovation technologique avaient surtout concerné les organisations. Depuis maintenant quelques décennies, ils touchent à la personne elle-même.
Certes, la révolution numérique porte sur des aspects qui intéressent la personne dans ses éléments les plus essentiels, à commencer par la connaissance. Elle traite des données qui touchent à sa vie quotidienne, à son travail, à ses loisirs, aux recherches qu’elle opère pour effectuer des transactions commerciales, mais aussi aux relations que l’on entretient avec ses proches ou avec ses amis. Toutes ces données font l’objet de traitements de plus en plus rapides, de plus en plus poussés, souvent à des fins commerciales, parfois à des fins de renseignement et de police, comme l’a révélé l’affaire Snowden.
Avec le traitement des données biométriques, ce sont des éléments qui touchent au corps physique, à son intégrité, qui sont désormais mis en jeu. Cette évolution mérite un débat, d’autant que le cadre juridique dans lequel elle s’opère me paraît mal ajusté. En effet, aujourd’hui, il existe en réalité peu de protections. J’ai évoqué à l’instant les lois de 1978 et de 2004, auxquelles s’ajoute la perspective d’un règlement européen, mais rien n’encadre les conditions dans lesquelles la Commission nationale de l’informatique et des libertés est amenée à autoriser les traitements biométriques. Les critères sont laissés à sa seule appréciation, ce qui conduit aujourd’hui la CNIL à autoriser des traitements biométriques non plus simplement de sécurité, mais aussi de confort, par exemple la reconnaissance du contour de la main pour accéder à une cantine scolaire ou à un équipement sportif, ce qui banalise indiscutablement le recours à la biométrie et crée une situation nouvelle.
À cela s’ajoute le fait que, à plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel – c’est vrai aussi pour le Conseil d’État – a été amené à refuser aux données biométriques une protection équivalente à celle qui prévaut pour le corps humain, les principes d’inviolabilité et d’indisponibilité ne s’appliquant pas, pour l’instant, à ces données. Or, comme je l’ai indiqué, ces dernières touchent à l’intimité de la personne. Leur utilisation et leur traitement posent, me semble-t-il, un problème extrêmement important d’ordre philosophique, et non pas simplement juridique ou économique : celui de l’objectivation de la personne.
Dans quelles conditions peut-on accepter que des éléments directement liés à la personne puissent être ainsi utilisés et traités ? Qu’est-ce qui nous paraît justifier le recours à ce type de données ? Ne peut-on pas considérer qu’il existe un risque, si la banalisation de l’usage de ces données devait s’installer, de mesurer la personne à la seule aune de critères quantifiables, numérisables, selon une logique purement économique, comme si, au fond, la valeur ou l’appréciation personnelle ne comptait plus ? Cela renvoie à ce que certains philosophes auraient autrefois appelé une « rationalité purement instrumentale ». N’y a-t-il pas là le risque d’un changement profond de notre société ?
Ce sont toutes ces questions que je souhaitais aborder au travers du texte que j’ai déposé, sans avoir le sentiment de pouvoir y apporter une réponse totalement satisfaisante, mais avec la conviction que ce débat devait se tenir dans nos assemblées, tant il a d’implications, non pas seulement sur les plans économique et juridique, mais aussi sur le plan philosophique.
La proposition de loi qui vous est présentée aujourd’hui ne vise donc pas à traiter de questions comme le développement de l’usage de la biométrie – je le regrette presque, mais il s’agit d’ouvrir le débat – dans le cadre des relations contractuelles unissant l’utilisateur d’un outil numérique à une société commerciale. Par exemple, on a vu qu’Apple avait la volonté de développer un nouveau type de téléphone mis en service par reconnaissance de l’empreinte digitale. Même si cet appareil n’a pas connu un grand succès, c’est un élément nouveau. On sait aussi que Facebook travaille actuellement sur un système de reconnaissance faciale, qui a pour objet non pas de faciliter l’activité des utilisateurs de ses services, mais d’améliorer le profilage, en essayant de repérer quelle est l’humeur de la personne au moment où elle entre une information ou passe une commande : s’agit-il d’un achat d’impulsion, d’un achat réfléchi, d’un achat fait sous l’emprise de la colère, d’une impatience ou d’un manque ? Tous ces éléments intéressent de grandes sociétés qui sont en train de transformer, à des fins commerciales, ce qui constitue notre vie même, en portant atteinte à notre droit à l’hésitation, à l’imprécision, à l’erreur, à l’errance, au secret…
Cette proposition de loi vise donc non pas, je le redis, à traiter de ces questions de relations contractuelles, mais simplement à marquer une borne : on ne doit pouvoir mettre en place un traitement de données biométriques qu’en cas d’exigence majeure de sécurité liée à la nature du site que l’on veut protéger, à la nature des personnes qui le fréquentent ou à la nature des informations concernées. Cette exigence doit dépasser le pur intérêt commercial et relever d’une préoccupation plus large.
Telle est, mes chers collègues, la motivation qui est la mienne. Je n’ignore évidemment pas que l’on s’expose à des critiques très vives en abordant ce sujet, puisque l’on peut donner l’impression de vouloir s’opposer à la marche inéluctable du progrès. J’ai pourtant le sentiment qu’en le faisant nous nous inscrivons dans la tradition de la Haute Assemblée, qui consiste à examiner les questions de fond avec patience et impartialité, en rappelant à notre société qu’elle ne doit pas simplement se conformer à des modes ou à la loi du marché, mais défendre des valeurs auxquelles elle reste attachée. §
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, parce que la biométrie embrasse l’ensemble des procédés qui identifient un individu à partir de la mesure de l’une ou de plusieurs de ses caractéristiques physiques, physiologiques, voire comportementales, parce que, produite par le corps, la donnée biométrique le désigne ou le représente de façon immuable, parce que ces données concernent la propriété la plus proche de l’immatérialité de chaque être, parce que les catégories classant ces techniques évoluent – la distinction entre données « à trace » et « sans trace » est ainsi bousculée par les progrès du traitement des images et la multiplication des engins vidéo, qui placent désormais la reconnaissance faciale parmi les techniques « traçantes » –, parce que ces évolutions peuvent inquiéter, la réflexion à laquelle nous invite Gaëtan Gorce est particulièrement opportune.
Le Sénat doit se donner une doctrine sur l’usage et la conservation des données biométriques, dans la perspective de l’examen prochain du projet de loi sur les libertés numériques.
Sur l’initiative de la CNIL, le législateur a soumis, par la loi du 6 août 2004, le traitement des données biométriques à un régime d’autorisation préalable. Afin de faciliter le travail de la CNIL, l’article 25 de cette loi dispose que les traitements identiques peuvent être autorisés par une décision unique : cela concerne, par exemple, la reconnaissance par le contour de la main pour l’accès à un restaurant scolaire.
La France s’est ainsi dotée de l’un des régimes les plus protecteurs en la matière, mais sans que le législateur se soit prononcé sur la pertinence des différents usages des techniques biométriques, laissant à la CNIL toute latitude pour élaborer une doctrine.
Or cette dernière est en cours d’évolution. Comme pour toute autre autorisation, l’examen par la CNIL consiste en l’analyse de la proportionnalité eu égard à la finalité envisagée. De 2005 à 2012, la CNIL a distingué les techniques biométriques « à trace » – les données sont susceptibles d’être capturées à l’insu de la personne – des techniques « sans trace », reposant par exemple sur la reconnaissance du contour de la main, de la voix, du réseau veineux du doigt ou de l’iris.
À partir de 2013, la CNIL a pris conscience de la faiblesse de cette classification et engagé une réflexion en envisageant trois cas.
Le premier cas est celui de la biométrie de sécurité, indispensable pour répondre à une contrainte de sécurité physique ou logique d’un organisme. Les personnes à qui elle est imposée doivent cependant être informées des conditions d’utilisation du dispositif : on peut penser, par exemple, à celui qui protège l’accès à l’Île-Longue.
Le deuxième cas est celui de la biométrie de service ou de confort, reposant sur le libre consentement de l’usager, qui se voit proposer, sans contrainte ni surcoût, un dispositif alternatif.
Enfin, le troisième cas a trait aux expérimentations, c’est-à-dire aux travaux de recherche fondamentale menés par des laboratoires ou au test de dispositifs avant leur mise en œuvre éventuelle.
Adaptant ses exigences aux finalités de chaque traitement, la CNIL ne s’autorise pas à juger de leur pertinence. Or l’utilisation de la biométrie se banalise et se répand dans tous les domaines de la vie quotidienne, notamment pour sécuriser les transactions financières.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui peut faire office de première pierre à la construction de la réflexion sénatoriale. Gaëtan Gorce s’interroge sur la légitimité de certains usages, comme le contrôle de l’accès aux cantines scolaires. Sécurisante par son ergonomie, la biométrie de confort n’est, il est vrai, guère rassurante quant à la valeur du consentement des usagers : les parents ont-ils vraiment le choix de refuser l’application de ces techniques pour la fréquentation des cantines par leurs enfants ?
L’exposé des motifs de la proposition de loi invite à réfléchir à un statut spécifique pour les données biométriques qui ne peuvent bénéficier de la protection de l’article 16-1 du code civil. Le dispositif du texte vise à compléter l’article 25 de la loi du 6 janvier 1978, qui soumet à autorisation de la CNIL les traitements non étatiques. Les traitements mis en œuvre pour le compte de l’État seraient ainsi exclus du champ de la proposition de loi, qui n’encadrerait que le pouvoir de la CNIL, et non le pouvoir réglementaire. À ce propos, je rappelle que le Conseil constitutionnel, par sa censure partielle de la loi de 2012 relative à la protection de l’identité, n’a pas interdit l’usage de la biométrie, mais seulement restreint la portée de certains fichiers.
La proposition de loi ne définit pas un statut de la donnée biométrique, mais elle conditionne l’autorisation de son traitement par la CNIL à une « stricte nécessité de sécurité ». Cette formule pose problème ; nous y reviendrons.
Ne sont pas incluses dans le champ de la proposition de loi les activités exclusivement personnelles, comme l’ouverture de sessions sur les nouveaux iPhones par reconnaissance digitale ou faciale. Ce sujet mériterait pourtant réflexion.
Quant aux effets des mesures du texte proposé sur les dispositifs existants, la CNIL estime avec raison que toutes les autorisations ayant été délivrées jusqu’à présent ne seraient pas reconduites et que sa nouvelle doctrine ne pourrait être conservée. Enfin, la proposition de loi autorise implicitement les expérimentations.
Le problème fondamental est celui du rôle que nous voulons jouer : en 2004, le législateur n’a pas saisi l’occasion de se prononcer sur les usages légitimes de la biométrie ; j’estime que ce rôle lui revient et qu’il ne peut le laisser à un organisme comme la CNIL, si sérieux soit-il.
Or le Gouvernement devrait déposer un projet de loi sur les libertés numériques. Le Conseil de l’Europe s’apprête à réviser la convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, dite « convention 108 » : son article 6 inviterait le législateur à encadrer le traitement des données biométriques.
Je partage l’objectif de promouvoir un usage raisonné des techniques biométriques, sous quelques réserves.
Il faut que notre décision soit cohérente avec le règlement européen à venir sur la protection des données à caractère personnel, qui sera d’application directe. Toute contrainte a priori serait supprimée au bénéfice d’un contrôle a posteriori renforcé. La résolution législative du Parlement européen du 12 mars 2014 interdit le traitement des données biométriques en prévoyant des exceptions, en particulier si la personne y a consenti, à moins qu’une disposition nationale n’y fasse obstacle.
La notion de stricte nécessité de sécurité a semblé insuffisamment précise à de nombreuses personnes entendues lors des auditions. Je suggère qu’elle soit précisée et comprise de façon ni trop large ni trop étroite, car cela pourrait être contreproductif, les acteurs se trouvant incités à acheter à l’étranger des services pour échapper à la loi française. La notion d’intérêt excédant l’intérêt propre de l’organisme, introduite par une communication de la CNIL de 2007, pourrait nous y aider. Enfin, pour éviter que certaines dispositions ne se trouvent « hors la loi », un dispositif transitoire est nécessaire.
L’examen de cette proposition de loi ouvre donc un débat utile sur un patrimoine humain qui doit être protégé. Le Sénat doit se forger une opinion sur la question et affirmer que l’on ne peut faire n’importe quel usage des données biométriques, même pour des raisons de confort.
J’en viens maintenant au texte de la commission des lois. Sur mon initiative, celle-ci a adopté deux amendements.
Je commencerai par évoquer le second, qui crée un article 2 : il n’a, semble-t-il, posé aucune difficulté. Il prévoit un dispositif transitoire afin d’accorder un délai de trois ans aux responsables de traitements de données biométriques pour se mettre en conformité avec la nouvelle législation.
En revanche, le premier amendement, qui tend à récrire l’article 1er, a suscité des interrogations et des hésitations. Une critique a été émise à l’encontre de l’imprécision des expressions « enjeu majeur dépassant l’intérêt strict de l’organisme » et « préjudice grave et irréversible ». Je m’arrêterai donc un instant sur chacune d’entre elles pour expliquer mon intention ; nous pourrons ensuite en débattre sereinement.
La première condition est donc posée par l’expression « enjeu majeur dépassant l’intérêt strict de l’organisme ».
Ce qui motive l’emploi de cette expression, c'est la volonté de proclamer la nature particulière des données biométriques et d’affirmer que leur utilisation, loin d’être anodine, doit répondre à un intérêt en quelque sorte « supérieur ». Si la société accepte que soit utilisé ce type de données, c’est à la condition qu’elle y trouve son compte, soit en tant que collectivité, soit au travers de chacun de nous. Cette expression peut recouvrir, en particulier, le cas d’usage de la biométrie dans la sécurisation des transactions financières, car, au-delà de l’intérêt de la banque et du commerçant, il y va bien de l’intérêt même du citoyen consommateur. Cela étant dit, nous verrons à l’occasion de la discussion que la rédaction de cette condition peut être amendée.
En revanche, cette expression étant, en quelque sorte, issue de la jurisprudence de la CNIL, il ne peut lui être opposé le grief d’imprécision. Comment peut-on prétendre qu’il y a ici un risque d’insécurité juridique, alors même que nous disposons du corpus des délibérations de la CNIL pour nous assister dans son interprétation ?
J’invite ceux dont le doute persisterait à consulter la communication de la CNIL en date du 28 décembre 2007. Celle-ci nous fournit de nombreux exemples de dispositifs autorisés parce qu’ils relèvent d’un « enjeu majeur dépassant l’intérêt strict de l’organisme ». C'est notamment le cas pour la protection d’installations nucléaires, de sites classés SEVESO, d’entreprises travaillant pour la défense nationale, de salles contenant des informations classées « confidentiel défense », et même de bâtiments d’un service de l’éducation nationale contenant les sujets d’examen et de concours.
La seconde condition est contenue dans l’expression « préjudice grave et irréversible », issue de l’exposé des motifs de la proposition de loi de Gaëtan Gorce.
Je rappelle que nous nous situons ici dans le cadre de la loi Informatique et libertés, qui vise à protéger les personnes en matière de traitements de données à caractère personnel. Mes chers collègues, cette expression sera maintenue si vous l’acceptez, le Gouvernement l’acceptant pour sa part.
Je ferai en outre observer que, à l’heure du numérique, toute donnée est aisément reproductible et peut être stockée à moindre coût en de multiples endroits. En cas de fuite, les conséquences sont donc effectivement irréversibles.
Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de l’accès à mon « nuage ». Si j’avais recours, demain, à une technique biométrique pour accéder à mon espace sur un cloud et si celui-ci était piraté, le hacker pourrait disposer de mon identifiant et l’utiliser pour usurper mon identité. La conséquence serait grave : je ne pourrais plus utiliser cet élément biométrique pour m’identifier à l’avenir ; autrement dit, une partie de moi-même ne m’appartiendrait plus !
Sous réserve de l’adoption d’amendements tendant pour l’essentiel à affiner la rédaction du texte, et avec l’accord unanime des membres de la commission des lois, je propose au Sénat d’adopter cette proposition de loi. §
M. Jean-Patrick Courtois remplace M. Jean-Léonce Dupont au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat se situe à l’interface entre le passé et l’avenir. Cicéron disait que « si le visage est le miroir de l’âme, les yeux en sont les interprètes ». C’est dire que le corps a un sens et que son utilisation n’est pas anodine. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le peuple Masaï, en Tanzanie, refuse d’être photographié, par crainte de voir son âme volée…
Le sujet que nous examinons aujourd’hui suscite une inquiétude bien réelle, répondant à un sentiment d’insécurité de nos compatriotes qu’il faut savoir entendre.
Ainsi, une étude récente du CREDOC montre que les Français sont réservés quant à l’usage de la biométrie dans la vie quotidienne. Ils acceptent que les données biométriques soient utilisées dans le cadre des fichiers de police ou pour l’établissement de pièces d’identité, car cela relève du domaine régalien, de l’institutionnel, de la sécurité nationale. En revanche, leurs réticences sont plus fortes lorsque ces données sont destinées à être utilisées dans un cadre marchand : par exemple, moins de 30 % des Français souhaitent qu’il en soit fait usage pour les transactions bancaires.
Ce constat est paradoxal, sachant que les Français sont très friands d’innovations. La présente proposition de loi a pour objet de résoudre ce paradoxe, en conciliant le choix de l’innovation et la préservation des libertés et du respect de la vie privée.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement considère qu’il est très opportun qu’un tel débat se tienne au Parlement. La législation française est complète et très protectrice des données personnelles, surtout si on la compare à d’autres cadres législatifs en vigueur en Europe ou ailleurs dans le monde. Néanmoins, la loi de 1978 Informatique et libertés ne précise pas quelles doivent être les finalités de la collecte et de l’usage des données biométriques.
Je remercie donc la commission des lois du Sénat, en particulier MM. Gorce et Pillet, d’avoir engagé cette réflexion. Le sujet est fondamental, car il touche à l’intégrité et à la dignité du corps humain. À cet égard, le chapitre II du titre Ier du code civil sous-tend l’ensemble du corpus réglementaire relatif aux données biométriques. On le voit bien, l’esprit du code civil doit nous inspirer dans ce débat. Cela est d’autant plus vrai que les données biométriques ont des caractéristiques particulières : elles sont irrévocables et revêtent un caractère d’unicité et de permanence.
Ce débat s’inscrit dans le contexte d’une réticence des Français quant à l’usage des données biométriques et d’un recours croissant aux applications biométriques. Le nombre des autorisations délivrées par la CNIL ne cesse d’augmenter. Les usages se développent, notamment en matière de paiement de transactions et d’utilisation de la reconnaissance faciale ou vocale pour l’ouverture de sessions sur des terminaux mobiles.
Faut-il d’emblée s’insurger ? Certaines applications concrètes nous montrent que certains usages des données biométriques peuvent être utiles. Nous comptons en France des entreprises leaders, au niveau mondial, en matière de développement de terminaux biométriques reposant par exemple sur l’usage de deux types de données, pour limiter les risques d’usurpation d’identité. La biométrie est donc utile pour répondre au sentiment d’insécurité né du progrès technologique.
On peut également citer d’autres applications, ayant vu le jour, en particulier, au sein du pôle de compétitivité de Lille. Il est notamment possible de développer des prototypes de systèmes de paiement avec authentification biométrique et stockage sécurisé sur un support détenu par les individus. En l’occurrence, il s’agit de régler une transaction commerciale au moyen d’un support autonome et individuel contenant les données biométriques d’une personne, sans stockage par une entreprise ou une tierce partie.
La France est aussi à l’avant-garde de ce que l’on appelle la « crypto-biométrie », qui permet de rendre les données biométriques révocables. En cas de vol de données, il est alors possible de rechercher et de récupérer des données biométriques.
Je me permets de vous alerter, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le risque de bloquer la recherche et le développement dans ce secteur.
On a évoqué l’exemple du déverrouillage d’un téléphone portable par reconnaissance de l’empreinte d’un seul doigt. En réalité, le niveau de sécurité de cette technique « gadget » est assez faible. Il s’agit surtout là d’un usage qui relève de l’exception domestique au sens où l’entend la CNIL, les données étant stockées dans le téléphone et ne faisant pas l’objet d’une collecte par une tierce partie.
Les cas de figure sont donc très divers, c'est pourquoi il est important de légiférer de manière éclairée, en prenant en compte toutes les applications pratiques.
On peut également citer l’exemple des récentes élections au Mali. En l’absence d’état civil, c’est à la collecte et à la vérification d’empreintes digitales qu’il a été recouru pour organiser un scrutin démocratique, dans un pays où la guerre n’a pas permis d’effectuer un recensement fiable de la population.
Toutefois, les risques liés à l’usage de techniques biométriques sont aussi importants. Je pense notamment à l’usurpation d’identité, qui peut avoir des conséquences graves, ainsi qu’à la perte ou à la corruption des bases de données biométriques. Par exemple, les empreintes digitales qui sont recueillies au moment de l’entrée sur le sol des États-Unis, que ce soit par voie aérienne, maritime ou terrestre, sont conservées pendant soixante-quinze ans. Je dois me rendre à New York à la fin du mois de juin : cela signifie que les Américains détiendront mes empreintes digitales jusqu’en 2089. Est-ce là ce que nous souhaitons pour notre pays et nos concitoyens ? En tout cas, cela aboutit à des pratiques extrêmes, en particulier de mutilation : certaines personnes se brûlent l’extrémité des doigts pour brouiller les pistes.
En outre, il est vrai que la reconnaissance faciale, qui est notamment permise sur certains réseaux sociaux, peut induire un sentiment de dépossession. La recherche de l’identité par l’image, qui est autorisée aux États-Unis, ne l’est pas en Europe, grâce à une législation protectrice, mais pour combien de temps encore ?
Enfin, concernant tout particulièrement les mineurs, il existe sans doute un risque réel de banalisation de l’usage des données biométriques, avec le développement d’une accoutumance et d’une acceptation, lié au confort que peut procurer cette pratique.
Toutes ces questions doivent être posées, c'est pourquoi ce débat est important.
Concernant la proposition de loi, je regrette qu’elle ne soit pas accompagnée d’une étude d’impact économique. Notre pays compte des sociétés innovantes qui ont développé des technologies en lien avec la confiance numérique. Ce secteur, en plein essor, est une source d’attractivité économique pour la France, qui dispose d’une législation protectrice en matière d’utilisation des données : nos sociétés ont dû s’adapter au cadre législatif et réglementaire et développer des technologies qui sont aujourd'hui recherchées à l’étranger. Il eût fallu pouvoir analyser l’impact d’une nouvelle législation sur ce domaine économique et industriel qui emploie des dizaines de milliers de salariés en France.
Nous touchons là à l’économie des données, des data, dont on dit communément, désormais, qu’elles sont le pétrole du XXIe siècle. De fait, les services sont aujourd'hui tournés vers leur collecte, et ils le seront plus encore à l’avenir. À cet égard, il faut s’inscrire dans la tradition des valeurs fondamentales françaises sans pour autant bloquer l’innovation en ce domaine.
Je suis pleinement d’accord avec certaines des propositions formulées par le rapporteur. Par exemple, je souscris à l’idée d’utiliser la biométrie à des fins de sécurité, pour permettre l’accès à des locaux ou à des ordinateurs. D’ailleurs, cette proposition va dans le sens de la jurisprudence de la CNIL, qui autorise l’usage des données biométriques pour l’accès aux locaux ou à la cantine d’une entreprise. En revanche, le recours aux données biométriques n’est désormais plus autorisé pour le contrôle des horaires.
Le rapporteur veut aussi permettre l’utilisation de données biométriques pour l’authentification en vue d’un paiement. Il s’agit là d’une technologie d’avenir, qu’il ne faut pas exclure a priori.
En revanche, il est proposé d’interdire l’usage des données biométriques concernant les mineurs, en particulier pour l’accès aux cantines scolaires. Cela me paraît relever du bon sens. Il est également proposé d’interdire a priori le recours à la biométrie pour accéder à des équipements tels que les piscines. Sur ce point, le débat reste ouvert, mais on peut en effet s’interroger sur l’opportunité d’utiliser ces technologies pour des usages dits de confort.
La proposition de loi aurait également gagné à être accompagnée d’une analyse des risques. En matière de systèmes d’information, un tel document vise à objectiver les mesures de sécurité à prendre pour répondre à des risques identifiés en fonction de certains critères, comme le nombre de personnes concernées, le type de données collectées, l’infrastructure informatique utilisée. Or, en l’espèce, aucune analyse des risques tenant compte des cas particuliers qui peuvent se présenter n’a été conduite.
La proposition de loi n’est pas non plus assortie d’une évaluation d’impact sur la vie privée. Bien que relativement récentes dans le droit des données personnelles, de telles évaluations se répandent aujourd'hui et sont utiles tant au législateur qu’aux citoyens et aux entreprises.
Enfin, mener un travail en collaboration avec des institutions telles que la CNIL ou l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, qui a mis au point certaines méthodes de travail pour développer des processus de certification et des normes de confiance dans d’autres secteurs que celui de la confiance numérique, pourrait être utile.
Le Gouvernement salue le travail des parlementaires. L’objectif doit effectivement être de fixer, par la voie législative, des principes clairs, de nature à guider les autorités administratives indépendantes dans leur travail, sans pour autant freiner l’innovation biométrique. Par exemple, il faut permettre que la recherche et le développement se poursuivent en la matière.
Afin d’améliorer le texte, tout en maintenant l’équilibre qui a été trouvé par la commission des lois, le Gouvernement a déposé un amendement, répondant à deux objectifs précis.
Premièrement, il s’agit de clarifier la finalité pour laquelle les traitements de données pourraient être autorisés. Dans le texte de la commission, deux finalités sont citées : le contrôle d’accès et la protection des personnes, des biens et des données. Cette seconde finalité me semble être la plus pertinente.
Deuxièmement, l’amendement du Gouvernement tend à clarifier la notion d’« intérêt excédant l’intérêt propre de l’organisme ». Cette notion nous semble insuffisamment précise : si elle renvoie à la doctrine technique de la CNIL, elle ne relève pas véritablement du domaine de la loi. Je crois que nous devrions affiner la terminologie juridique en ce domaine, notamment pour continuer à permettre l’utilisation des données biométriques pour les paiements en ligne. Lors d’un paiement, la sécurité ne sert pas seulement l’intérêt du marchand : elle sert aussi celui de l’usager, du consommateur et du marché économique de manière générale, puisque la sécurité de la transaction participe de la confiance des acteurs économiques dans leur ensemble.
Pour toutes ces raisons, je propose de poursuivre la démarche engagée par le Sénat, notamment par la création, si cela vous agrée, d’un groupe de travail qui serait chargé d’affiner la réflexion sur le sujet d’ici à l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale. En fonction du calendrier législatif et du calendrier du travail gouvernemental, peut-être sera-t-il possible d’intégrer dans le projet de loi à venir certaines des dispositions qui auront été élaborées par les parlementaires.
Il existe une tradition française de protection des données. Vous l’aurez compris, notre objectif n’est pas d’aller à l’encontre de cette tradition. Au contraire, nous entendons l’affirmer et en faire une source d’attractivité sur le plan international. Pour autant, dans ce débat entre liberté et sécurité, il s’agit aussi de trouver le juste équilibre, pour ne pas freiner l’innovation en France et encourager les acteurs économiques et la puissance publique à agir en conscience. §
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites sur l’utilisation des données biométriques.
Ce qui est peut-être le plus surprenant sur ce sujet, c’est la perception et la connaissance qu’en ont les Français. Comme l’a montré l’étude du CREDOC déjà citée, les Français sont assez nombreux à craindre un détournement des données biométriques par les entreprises privées ou les employeurs. En revanche, ils font confiance aux institutions en matière d’usage des données biométriques, notamment en matière de sécurité. Parallèlement, il me semble qu’ils méconnaissent toutes ces traces biométriques qu’on laisse partout où l’on passe, de façon automatique.
En vous écoutant, madame la secrétaire d’État, je pensais aussi aux phéromones, dont personne n’a encore parlé. Ces substances chimiques un peu particulières, qui signent chaque individu, font partie de ces données biométriques qui feront sans doute un jour l’objet d’investigations de la part des entreprises qui s’intéressent à ces sujets. Pour le coup, il me semble qu’elles sont parfaitement inconnues des Français !
Face aux données biométriques, la population oscille donc entre acceptation, rejet, crainte et inconscience.
De fait, on assiste à une certaine banalisation, qui me semble dangereuse, de ce que l’on appelle la « biométrie de services ». Nous en avons parlé, et M. Pillet l’a particulièrement signalé dans son rapport : il s’agit de tous ces dispositifs qui utilisent la reconnaissance biométrique pour l’accès aux services de restauration ou aux équipements de loisirs. Il existe même, dans un département, des cartes de fidélité gérées au moyen de données biométriques ! Il me semble que tous ces usages banalisés des données biométriques doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part du législateur, ainsi que d’un effort de pédagogie et d’explication auprès des Français.
Monsieur le rapporteur, comme vous l’avez très bien dit tout à l’heure, la donnée biométrique, c’est une partie de moi qui m’a échappé à un moment ou à un autre, sans que je l’aie voulu, sans que je l’aie accepté, sans que j’en aie été consciente. C’est pourquoi il me semble important de bien expliquer que la puissance de cet outil est aujourd’hui liée au développement des logiciels et de l’informatique ; profitons du présent débat pour le faire. Tout notre corps, tout ce qui en émane peut être numérisé en suites logiques, conservé de façon très simple, peut laisser des traces dans les logiciels informatiques et, par croisement de fichiers, être retrouvé.
On parle souvent de génétique et de chromosomes. Nous avons tous en tête l’image du petit chromosome XX ou XY, mais la signature chromosomique, ce n’est pas cela : c’est une succession de bases azotées – on a l’habitude, en biologie, de les désigner par leurs initiales, A, T, G et C – qui laisse une trace unique pour chacun dans les logiciels informatiques et permet de nous identifier.
Je ne suis pas certaine que, lorsque l’on parle de données biométriques, les Français pensent à leur comportement face à l’ordinateur, à leur façon de taper sur le clavier. Or il s’agit là de données biométriques importantes, qui, une fois de plus, laissent de nombreuses traces.
Au reste, la frontière qu’établissait autrefois la CNIL entre données « à trace » et données « sans trace » disparaît aujourd’hui, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur. Par exemple, toutes les techniques relevant de la reconnaissance faciale sont aujourd’hui traçantes, dans la mesure où, avec le développement de la vidéoprotection, de nombreuses images sont enregistrées, qui permettent de nous retrouver et de nous identifier.
Bien évidemment, je partage toutes les réserves énoncées par notre collègue Gaëtan Gorce sur les données biométriques et leur utilisation. Comme lui, je souscris à la nécessité de les protéger et de les considérer comme une partie de nous, comme une partie du corps humain, à ce titre inviolables, du moins en principe, même si le texte qui est soumis à notre examen aujourd'hui ne va pas jusqu’à donner un statut aux données biométriques.
Néanmoins, comme l’ont dit tant Gaëtan Gorce que M. le rapporteur et Mme la secrétaire d’État, les données biométriques et leur utilisation présentent tout de même des avantages. Heureusement ! Ainsi, elles permettent de limiter les usurpations d’identité.
Sur ce point, nous allons revenir à la discussion que nous avions eue, dans cette assemblée, sur la carte nationale d’identité biométrique. Ce qui faisait alors surtout débat, ce n’était pas tellement la donnée biométrique en elle-même : c’était son stockage. À cet égard, je pense qu’il importe de bien expliquer la différence entre un stockage centralisé, qui ne pourra jamais être sécurisé à 100 % et sera malheureusement toujours potentiellement accessible à des hackers ou à des personnes particulièrement malintentionnées, et un stockage limité à l’endroit, à l’accès que l’on veut protéger, à une carte ou à un badge porté par l’individu, qui conserve ainsi la maîtrise de ses données biométriques.
Il faut aussi bien expliquer la différence entre l’authentification et l’identification d’une personne. L’authentification ne peut se faire qu’en présence du corps et du prolongement du corps qu’est la donnée biométrique.
Il me semble extrêmement important de prendre tous ces éléments en considération et de les expliquer quand on parle aux Français de données biométriques.
La biométrie, ce n’est pas seulement les empreintes digitales ou l’ADN, c'est le comportement, c'est tout ce que notre corps émet, tout ce qui nous signe et que l’on peut aujourd'hui mettre en équations ou en suites numériques pour retrouver notre trace dans de multiples endroits, grâce au formidable développement des logiciels et de l’informatique.
Nous suivrons Gaëtan Gorce et voterons bien entendu cette proposition de loi, tout en restant conscients qu’elle ne règle pas tous les problèmes, qu’elle doit s'inscrire dans un débat sur le numérique et qu’il ne faut pas empêcher le développement technologique et la recherche. Dans un cadre imposé par le législateur, un équilibre doit être trouvé entre ce développement, dont dépend la place de la France en la matière sur la scène mondiale, et le nécessaire respect des libertés publiques et privées.
La présente proposition de loi, me semble-t-il, va dans ce sens. Il reste du travail à faire, des textes à examiner, notamment le projet de loi sur les libertés numériques qui viendra d’ici peu en discussion au Parlement, mais c'est déjà un premier pas important et intéressant que de limiter strictement l’usage des données biométriques à des finalités de sécurité, termes qui ont été explicités en commission par l’adoption de deux amendements du rapporteur et l’examen, ce matin même, d’un amendement du Gouvernement.
C'est donc sans hésitation que nous voterons le texte proposé par Gaëtan Gorce, que nous remercions de son travail, de même que M. le rapporteur.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ère de la biotechnologie et de l’informatique permet désormais l’entrée des phénomènes propres à la vie de l’espèce humaine dans l’ordre du savoir et du pouvoir, et par conséquent dans le domaine du droit.
Cette nouvelle ère conduit à une mise en réseau croissante de données individuelles, parmi lesquelles certaines, notamment les données biométriques, sont identifiantes. À l’heure de l’essor de la biométrie dans de nombreux domaines de la vie courante, le recours à ces techniques soulève des questions critiques en matière de sécurité et de liberté, auxquelles le législateur se doit de répondre.
La biométrie est un dispositif qui permet d’identifier un individu à partir de ses caractéristiques physiques, biologiques, voire comportementales. Les données sont produites par le corps lui-même et le désignent de façon définitive, permettant de ce fait le « traçage » des individus et leur identification certaine.
La liste des procédés biométriques actuellement opérationnels va de l’identification de l’ADN, de l’empreinte digitale ou de l’empreinte palmaire à la reconnaissance de la rétine, de l’iris, du visage, du contour de la main, de la voix, de l’écriture manuscrite au travers de l’analyse dynamique des gestes usuels accomplis par chacun pour signer ou encore de la façon de taper sur un clavier.
Or le risque est bien aujourd’hui celui de la banalisation du recours à la biométrie, avec la tentation de substituer celle-ci à d’autres outils de sécurisation tout aussi performants, en toutes circonstances. Citons un exemple de cette diversification des usages de la biométrie : le 18 juin 2009, la CNIL a autorisé pour la première fois le recours à un système biométrique reposant sur la reconnaissance du réseau veineux pour lutter contre la fraude à un examen. Cependant, il ne faudrait pas croire que toutes les fraudes peuvent être décelées : dans ce domaine, l’imagination est très fertile…
L’identification biométrique est devenue une pratique courante dans les entreprises, notamment pour le contrôle de l’accès aux locaux, mais aussi pour le contrôle de l’accès physique aux cantines scolaires, aux équipements de loisirs, aux salles de sport, aux cercles de jeux, ainsi que pour le contrôle de l’accès logique à des services ou à des applications, pour la signature de documents électroniques, la gestion d’une carte de fidélité, l’accès à un dossier médical partagé… À ce propos, je pense que la biométrie pourrait également être utile en matière de dons d’organes : ce champ d’application n’a pas encore été totalement exploré.
Cette diversification des usages de la biométrie, qui se double de leur banalisation, est en grande partie due à la souplesse du contrôle opéré par la CNIL. La loi Informatique et libertés de 2004, qui a modifié la loi de janvier 1978, a subordonné la mise en œuvre de tous les traitements automatisés comportant des données biométriques nécessaires au contrôle de l’identité des personnes à l’autorisation préalable de la CNIL, hormis ceux qui sont mis en place pour le compte de l’État : seul l’avis de cette instance est alors requis.
Toutefois, afin de faciliter la tâche de la CNIL, les dispositifs biométriques qui visent une même finalité et des catégories de données et de destinataires identiques sont autorisés par des décisions-cadres de la CNIL appelées « autorisations uniques ».
Les risques d’une généralisation de ce « biopouvoir » sont grands. Je prendrai l’exemple, déjà évoqué par Mme la secrétaire d’État, de l’usage récent de cette technique par un fabricant de téléphones qui a intégré un capteur biométrique permettant le déverrouillage du smartphone par passage du doigt de son utilisateur : ce dispositif a été récemment piraté.
L’initiative de notre collègue Gaëtan Gorce est extrêmement heureuse en ce qu’elle nous met face à nos responsabilités. Quel est l’avenir du traitement des données, notamment de ces données « individualisantes » permettant la traçabilité ?
La NSA – l’agence nationale de la sécurité américaine – a illégalement capté les secrets ou surveillé la simple vie privée des Français dans une mesure jusqu’à présent inégalée. Ainsi, sur une période de trente jours, de décembre 2012 à janvier 2013, la NSA a procédé à plus de 60 millions d’enregistrements de données téléphoniques concernant des citoyens français… L’ampleur de ces débordements est édifiante ! Il reste que le traitement de telles masses de données requiert beaucoup de temps.
La proposition de loi de notre collègue Gaëtan Gorce a le mérite de susciter un questionnement. Elle prévoit de conditionner l’autorisation de la mise en œuvre d’un traitement de données biométriques à une « stricte nécessité de sécurité », définie comme « la sécurité des personnes et des biens, ou la protection des informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porterait un préjudice grave et irréversible ». Eu égard à la difficulté de modifier l’état antérieur de la législation, le texte prévoit en outre un dispositif transitoire.
J’en viens maintenant aux quelques réserves que le groupe RDSE tient malgré tout à exprimer. Le texte proposé laisse de côté la construction d’une définition des données biométriques. Par ailleurs, les moyens mis à la disposition de la CNIL sont insuffisants, comme l’a fait remarquer M. le rapporteur.
En outre, il semble que le calendrier de cette proposition de loi ait joué. Étant donné l’état actuel des discussions sur le règlement européen relatif au traitement des données personnelles, le texte ne pouvait être que d’une ambition modeste, et l’on peut dire qu’il nous arrive de manière trop précoce, lançant un débat à venir… Dans un délai de deux années, en fonction de l’avancée des négociations à l’échelle européenne, il sera nécessaire de procéder à un certain nombre d’ajustements de la législation française –notamment de la loi du 6 janvier 1978 – à des fins d’harmonisation. Le règlement européen pourrait ainsi substituer à la contrainte a priori un renforcement a posteriori de la responsabilité des opérateurs. Par ailleurs, le Gouvernement doit prochainement présenter un projet de loi sur les libertés numériques, ce qui permettra un débat global sur ces questions recouvrant des enjeux nationaux et internationaux et évitera l’adoption d’une approche par trop stratifiée.
Sous ces réserves, notamment calendaires, mon groupe approuvera la proposition de loi de notre collègue Gaëtan Gorce.
Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste . – M. Yves Détraigne applaudit également.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les données biométriques ne sont pas des données comme les autres, puisqu’elles présentent la particularité d’être permanentes et spécifiques à un individu. Ainsi, elles permettent le « traçage » des personnes et leur identification certaine. Le caractère sensible et très personnel de ces données impose un encadrement et un contrôle de leur collecte.
Cependant, la frontière entre privé et public tendant aujourd’hui à s’estomper, notamment sur internet, le danger d’une violation de l’espace privé ne se limite évidemment pas à la seule utilisation des données biométriques. Nous attendons donc avec impatience que le projet de loi sur les libertés numériques promis par le Gouvernement soit présenté et soumis au Parlement.
De plus en plus de dispositifs de reconnaissance biométrique sont mis en place, notamment pour contrôler l’accès à des locaux professionnels, commerciaux, scolaires ou de loisirs.
Comme en de nombreux domaines, tout est ici affaire de mesure. Un usage abusif de ces techniques biométriques est à éviter puisque, rappelons-le, les données biométriques ne sont pas des données comme les autres : elles sont intrinsèques à l’individu et le définissent irrémédiablement.
En même temps, il convient de ne pas ouvrir la voie à un verrouillage qui risquerait d’entraver l’innovation en matière de techniques biométriques, d’autant qu’il s'agit d’un domaine pourvoyeur d’emplois, dans lequel la France est en pointe. J’ajouterai qu’il serait chimérique d’envisager un tel verrouillage…
En revanche, est-il bien raisonnable de mettre en place un système biométrique pour autoriser l’accès de jeunes enfants à la cantine ou à la piscine ?
Au sein du groupe écologiste, nous sommes loin d’en être convaincus, et nous souscrivons à ces propos tenus en 2011 par notre collègue Alex Türk : « Face au développement inexorable de la biométrie et à l’ouverture du monde sur les nanotechnologies, la sensibilisation des individus et des juristes à cette question et la volonté d’agir maintenant apparaissent absolument nécessaires ; dans vingt ans il sera trop tard… »
Au regard du droit et des libertés fondamentales, la biométrie oppose, à l’évidence, l’exigence collective de sûreté au droit individuel à la protection des données et au respect de la vie privée. Cela invite donc à trouver un équilibre entre ces droits et intérêts légitimes.
Certes, la mise en place de dispositifs biométriques est soumise à autorisation préalable de la CNIL. Toutefois, la collecte et le traitement des données ne sont conditionnés à la poursuite d’aucune finalité particulière. C’est cette lacune que la présente proposition de loi vise à combler, et nous partageons la volonté de ses auteurs de mettre en place des garde-fous en la matière.
Il s’agit ainsi de compléter la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978, afin de conditionner l’usage des données biométriques à une stricte nécessité de sécurité – et rien d’autre – et de répondre à un souci de proportionnalité entre la nature de l’information ou du site à sécuriser et la technologie utilisée. La sécurité est entendue comme celle des personnes et des biens, ou au sens de la protection des informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porteraient un préjudice grave et irréversible.
Nous nous situons ici dans la droite ligne de la position du Conseil de l’Europe, qui, à l’occasion de la révision de la convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, dite « convention 108 », invitait le législateur français à se pencher sur cette question.
L’article 6 du projet final de convention stipule en effet que le traitement de données biométriques identifiant un individu de façon unique « n’est autorisé qu’à la condition que la loi applicable prévoie des garanties appropriées » venant compléter celles de la convention. Il précise en outre que « les garanties appropriées doivent être de nature à prévenir les risques que le traitement de données sensibles peut présenter pour les intérêts, droits et libertés fondamentales de la personne concernée, notamment un risque de discrimination ».
Le groupe écologiste est très attaché à la protection de la vie privée, du corps humain et, plus généralement, à la défense des libertés individuelles. À condition que son adoption n’entrave pas l’évolution des techniques biométriques sécurisées, nous soutiendrons ce texte. §
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui témoigne une nouvelle fois du souci du Sénat de se dresser en protecteur et défenseur des libertés individuelles. Il est important de le souligner, alors que trop souvent la Haute Assemblée est la cible de critiques : c’est le Sénat qui a joué un rôle pionnier dans les années soixante-dix, lors de la formation des premières autorités administratives indépendantes ; c’est également notre chambre qui a été en avance sur les sujets dits « modernes », par exemple avec l’adoption le 23 mars 2010, pour faire suite au rapport d’information réalisé par Anne-Marie Escoffier et moi-même, de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, jamais inscrite, hélas, à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale !
La biométrie, cette science qui regroupe l’ensemble des techniques informatiques visant à reconnaître automatiquement un individu à partir de ses caractéristiques physiques, biologiques, voire comportementales, évolue toujours plus. La première génération des techniques liées à la reconnaissance anatomique, au travers des empreintes digitales ou oculaires, laisse progressivement place à des procédés de reconnaissance dynamiques tels que l’analyse de la démarche ou même de la frappe au clavier d’ordinateur. Tous ces progrès sont, il est vrai, impressionnants sur un plan technique.
Or, il semblerait que nous assistions aujourd’hui à une banalisation excessive de l’usage de la biométrie, qui touche pourtant à ce qu’il y a de plus intime et de plus personnel pour un individu : ses empreintes, son ADN, son iris, bref tout ce qui le distingue en dernier lieu de toute autre personne sur la Terre. La biométrie s’insinue ainsi dans tous les aspects de notre vie quotidienne.
Le succès, peut-être trop éclatant, de ces technologies fait peser un risque important sur les libertés de nos concitoyens. On imagine encore difficilement à quoi pourrait aboutir un détournement massif des données biométriques, mais il est clair que celles-ci sont trop précieuses et trop sensibles pour que leur usage soit banalisé, et que les techniques permettant leur collecte et leur traitement sont trop intrusives pour être aussi largement diffusées.
Il est donc important qu’intervienne le législateur. En 2011, notre collègue Alex Türk, ancien président de la CNIL, indiquait déjà que, « face au développement inexorable de la biométrie et à l’ouverture du monde sur les nanotechnologies, la sensibilisation des individus et des juristes à cette question et la volonté d’agir maintenant apparaissent absolument nécessaires ». Il ajoutait que, dans vingt ans, il serait trop tard…
En effet, ainsi que le souligne fort justement notre collègue Gaëtan Gorce dans sa proposition de loi, le régime juridique actuel de la régulation des techniques biométriques ne semble plus adapté aux usages contemporains de ces technologies.
La loi du 6 aout 2004 avait pourtant doté la France d’un régime particulièrement protecteur et unique en Europe, avec la mise en place d’un contrôle a priori par la voie de la délivrance d’une autorisation préalable, accordée par une autorité administrative indépendante, la CNIL.
Près de dix ans plus tard, au vu des évolutions technologiques, les législateurs que nous sommes peuvent penser que ce régime laisse peut-être une part trop importante de la décision à la CNIL, qui demeure finalement seule compétente pour autoriser l’emploi des techniques biométriques. Or cette autorité administrative, si elle est indépendante, n’est pas pour autant toute-puissante. Elle ne dispose pas de pouvoirs de contrôle suffisants pour parer à tous les risques potentiels liés à une banalisation ou à une diffusion trop grande de ces techniques et des données collectées.
En outre, la loi en vigueur ne conditionne pas l’octroi de l’autorisation préalable à des finalités particulières ou à des modalités spécifiques de contrôle. La CNIL a donc dû développer sa propre doctrine d’intervention pour faire face à la demande massive et exponentielle d’utilisation de techniques biométriques.
Nous partageons tous, dans cet hémicycle, le sentiment que ce système n’est plus satisfaisant en l’état. En effet, les données biométriques, si elles ne sauraient se confondre avec le corps humain lui-même, sont la production et le prolongement de ce dernier. Elles peuvent donc être utilisées à des fins a priori sensibles.
Dès lors, l’intervention du législateur est justifiée par l’article 34 de la Constitution, qui dispose que « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
Deux voies étaient théoriquement ouvertes au législateur : soit un accroissement des pouvoirs de la CNIL, soit une définition en amont, resserrée et restrictive, du domaine du biométrique et de ses applications. C’est la seconde option qui a été retenue par notre collègue Gaëtan Gorce, auteur de la présente proposition de loi. À titre personnel, je pense que c’est le choix le plus avisé et le plus approprié au regard des enjeux. En effet, afin d’éviter une banalisation excessive, il paraît opportun de limiter ce phénomène en amont plutôt que de chercher à en contrôler les conséquences, qui, pour l’heure, nous dépassent.
Si la rédaction initiale de la proposition de loi avait le mérite de poser le problème, elle ne permettait pas de le résoudre, se contentant de conditionner l’octroi de l’autorisation de la CNIL à de « strictes nécessités de sécurité ». Son adoption en l’état aurait contraint l’administration à formuler un certain nombre de mesures réglementaires aux fins de précision. Or celle-ci n’a pas à donner d’injonctions à une autorité indépendante.
Je tiens donc à saluer le travail effectué par notre commission des lois, sous l’égide de son rapporteur, François Pillet. En dressant une liste plus spécifique d’usages de la biométrie, le texte, tel qu’issu des travaux de la commission, tend à établir un statut, voire une définition, de la donnée biométrique.
Dans tous les cas, le dispositif qui est désormais proposé permet au moins de justifier en droit et au niveau législatif l’autorisation de l’emploi des techniques biométriques. Il prévoit en outre les mesures transitoires nécessaires pour assurer une pleine et entière sécurité juridique de la mise en œuvre du texte.
Au-delà de ce satisfecit adressé à la commission des lois et à son rapporteur, je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Gorce. J’espère que le débat prospérera et que nous parviendrons à transcrire dans la loi l’équilibre manifestement opportun qui a été trouvé par la commission des lois. Le groupe UDI-UC votera en faveur de l’adoption du présent texte dans la rédaction retenue par la commission des lois.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme le souligne le rapport de M. Pillet, « la biométrie est usuellement définie comme embrassant l’ensemble des procédés tendant à identifier un individu à partir de la mesure de l’une ou de plusieurs de ses caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales ».
Au vu de cette définition, si l’on conçoit que les technologies biométriques et leurs usages puissent avoir des finalités bienvenues et ne sont pas mauvais en soi, on devine aussi aisément la gravité des dérives dont ils peuvent faire l’objet. Ainsi, nous avons, me semble-t-il, la responsabilité de légiférer afin de les encadrer et de trouver le juste équilibre qui préservera les droits individuels.
Le régime d’autorisation préalable de traitement de données biométriques dont s’est dotée la France est déjà, en soi, protecteur. Cependant, je partage le constat de mes collègues : la loi de 2004, qui confie à la CNIL la mission d’autoriser les traitements de données biométriques, ne dit rien sur la pertinence des différents usages des techniques biométriques.
C’est cette lacune législative que la proposition de loi de notre collègue Gaëtan Gorce a pour objet de combler, en précisant sous quelles conditions de finalité peuvent être autorisés les « traitements automatisés comportant des données biométriques nécessaires au contrôle de l’identité des personnes ».
L’exposé des motifs de la proposition de loi cite, à titre d’exemple, les dérives constatées dans les cantines scolaires, où l’on use et on abuse de ces technologies. J’évoquerai aussi, pour ma part, le danger d’une telle banalisation dans le milieu de l’entreprise, où la biométrie devient un moyen supplémentaire de suivre à la trace, à la minute, les salariés.
Nous saluons donc la démarche de nos collègues, porteuse de protections supplémentaires pour les libertés individuelles. Cependant, la proposition de loi ne concerne qu’une certaine catégorie de traitements des données biométriques. Elle exclut de son champ les traitements de données biométriques mis en œuvre pour le compte de l’État.
Je comprends que nos collègues, eu égard aux contraintes de temps qui s’imposaient à eux, aient fait le choix de restreindre le champ de leur proposition de loi. Néanmoins, je voudrais utiliser le temps qui m’est imparti pour attirer l’attention sur un autre danger lié à notre législation relative aux traitements de données biométriques.
En effet, la question du respect des libertés publiques se trouve souvent posée s’agissant des traitements de données biométriques mis en œuvre pour le compte de l’État. Je pense notamment ici au fichier automatisé des empreintes digitales, le FAED, ou au fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG.
Alors que les récentes remises en cause de notre législation par la Cour européenne des droits de l’homme concernant le fichier automatisé des empreintes digitales invitent le Gouvernement à modifier le décret du 8 avril 1987 ayant institué ce fichier – je crois que cela est en cours –, le Parlement doit aussi s’emparer de cette question, afin de réformer le cadre général du fichage.
Dans un arrêt du 18 avril 2013 – affaire M. K. contre France –, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, à propos du fichier automatisé des empreintes digitales, que la France avait commis une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel « toute personne a droit au respect de sa vie privée ».
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, la France a « outrepassé sa marge d’appréciation en la matière », au regard tant de l’arbitraire du fichage que de la durée de conservation des données. Elle a estimé que « le régime de conservation, dans le fichier litigieux, des empreintes digitales de personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées, tel qu’il a été appliqué au requérant en l’espèce, ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. Dès lors, la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée, et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. »
La Cour rappelle aussi, de manière plus générale, que « le droit interne doit notamment assurer que ces données soient pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles soient conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. Il doit aussi contenir les garanties de nature à protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées. »
Mes chers collègues, la portée de cet arrêt remettant en cause un décret que seul le Gouvernement peut modifier dépasse le cas du fichier automatisé des empreintes digitales. Il s’applique à notre code de procédure pénale, qui régit un fichier similaire, le FNAEG. À la gestion de ce fichier devraient s’appliquer les mêmes principes de proportionnalité, de pertinence, de non-excessivité et de non-stigmatisation.
Or, on le sait, le champ des infractions relevant du FNAEG, initialement limité aux infractions à caractère sexuel, a été considérablement étendu par Nicolas Sarkozy, pour couvrir la plupart des infractions, même mineures, prévues au code pénal. Notre ex-président s’est toutefois bien gardé de l’élargir aux délits financiers, tels que le délit d’initié, la fraude fiscale ou l’abus de bien social.
Nous refusons que les données biométriques de militants syndicaux, de salariés en lutte pour faire valoir leurs droits sociaux ou encore de simples manifestants puissent être enregistrées, pour une durée indéterminée, au côté de celles d’auteurs de crimes, de viols, de trafics de drogue ou de membres du grand banditisme.
En complément de notre proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion d’activités syndicales et revendicatives, nous avons récemment déposé une autre proposition de loi, visant à encadrer le fichage génétique et à interdire le fichage des personnes poursuivies pour des faits commis à l’occasion d’activités syndicales et revendicatives.
Tout comme le texte qui nous occupe aujourd’hui, notre proposition de loi se veut le reflet des exigences qui se font jour au niveau international, mais surtout celui du refus d’une société que notre code de procédure pénale traite des militants syndicaux comme des criminels en puissance.
Ainsi, si nous votons en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, je suis persuadée que nous aurons très vite à réfléchir de manière plus poussée non simplement à l’usage de l’intégralité des données biométriques, mais aussi à leur traitement. §
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il faut saluer l’auteur de cette proposition de loi : le travail a été bien fait !
Ce soir, il s’agira de dire que l’application du principe de précaution ne doit pas empêcher l’innovation ; cet après-midi, il s’agit plutôt de dire que l’innovation ne doit pas se faire sans précaution… §
Il a été affirmé tout à l'heure que les données étaient le pétrole du XXIe siècle et que ce secteur créerait des milliers d’emplois à l’avenir. C’est à voir ! Même si la France dispose d’une avance technologique dans ce domaine, je ne crois pas que le potentiel, en matière d’emploi, soit aussi important que l’on veut bien le dire.
Je tiens à féliciter l’auteur et le rapporteur de cette proposition de loi. Le développement des techniques biométriques doit certes beaucoup à celui de l’informatique, mais la biométrie existe en réalité depuis longtemps : que l’on pense à la photographie ou aux empreintes digitales.
Cela étant, la reconnaissance biométrique automatique ou dynamique est une véritable innovation, dont les incidences en matière de protection des droits fondamentaux, notamment du droit au respect de la vie privée, nous amènent aujourd’hui à nous interroger.
Monsieur le rapporteur, vous êtes un expert en ce domaine, comme nous avons pu le voir lors des débats sur les fichiers publics ou sur la carte d’identité biométrique.
La jurisprudence a rappelé la nécessité de protéger la vie privée et précisé quels sont les éléments pouvant s’y rattacher : le domicile, l’image, la voix, l’état de santé, les attributs du corps humain, etc.
S’agissant de la collecte, du traitement et de l’utilisation des données biométriques pour un contrôle d’identité, nous pouvons actuellement identifier trois risques d’atteinte à la vie privée : au moment de la collecte, du fait de l’absence de consentement de la personne lorsque celui-ci constitue une condition légale de la collecte d’information ; au moment du traitement des informations, si le contenu des fichiers a été usurpé ; au moment de l’utilisation, chacun laissant des traces de ses empreintes, plus ou moins exploitables, lorsqu’un dispositif de biométrie « à trace » est mis en œuvre.
La présente proposition de loi vise donc à limiter le recours à la collecte et au traitement de données biométriques aux fins de contrôle d’identité, pour renforcer la protection du droit au respect de la vie privée.
Je ne parlerai pas de l’article 2, qui vise à mettre en place une phase transitoire d’adaptation. L’article 1er, en revanche, constitue la substance du texte. Il comporte deux avancées : le renforcement de la doctrine de la CNIL, consacrée à l’encadrement des contrôles biométriques d’identité, et la suppression de la biométrie dite « de confort ».
Les conditions de recours à la biométrie pour procéder à un contrôle d’identité posées par la proposition de loi viennent en quelque sorte donner une valeur législative à la doctrine de la CNIL.
En effet, dans une fiche pratique du 17 décembre 2012 consacrée à la biométrie sur les lieux de travail, la CNIL rappelle que l’autorisation d’utiliser la biométrie dite « à trace » ne peut être délivrée qu’à plusieurs conditions, tenant notamment à la finalité du dispositif, à la proportionnalité, à la sécurité et, bien entendu, à l’information des personnes concernées.
En précisant la notion de « stricte nécessité de sécurité », la commission des lois propose très justement de procéder à droit constant, donnant ainsi une véritable force au travail engagé par la CNIL et à sa doctrine.
En ce qui concerne la biométrie dite « de confort », lorsqu’une demande d’autorisation lui est adressée, la CNIL fixe actuellement des exigences plus ou moins élevées en fonction des finalités du dispositif envisagé.
Dans le cas de la biométrie « de sécurité », la mise en œuvre d’un dispositif biométrique apparaît comme indispensable pour répondre à une contrainte de sécurité physique ou logique d’un organisme. Dès lors, l’utilisation du dispositif biométrique sera exclusive, et les personnes concernées par le contrôle devront s’y soumettre.
Dans le cas de la biométrie « de service », la finalité du dispositif envisagé est double : elle est d’assurer la sécurité d’un site ou la protection d’informations sensibles et de permettre la recherche d’une ergonomie d’utilisation.
Dans ce second cas, l’impératif de sécurité n’est pas strict ; il s’agit d’un dispositif alternatif au dispositif biométrique, qui doit donc nécessairement être proposé aux utilisateurs.
La proposition de loi tend à mettre un terme à l’utilisation de ce type de biométrie, dite « de confort », à juste titre à mon sens, car on peut douter, en l’espèce, de la valeur du consentement des usagers. En effet, dans quelle mesure peut-on refuser de se soumettre à des contrôles biométriques dont l’usage se serait généralisé dans une entreprise ?
De surcroît, on peut aisément convenir qu’en réduisant les possibilités de recours à la biométrie, nous diminuons de fait les risques de dispersion des informations personnelles.
L’ensemble de ces éléments constitue donc une véritable avancée, dont il faut se féliciter, en matière d’encadrement de la biométrie. Je souhaite saluer à nouveau le travail effectué par le rapporteur, qui attire notre attention sur les limites du texte, de telle façon qu’après avoir dégagé des éléments de nature à avancer sur cette question, il nous ouvre des perspectives de réflexion en vue de l’examen d’un projet de loi sur les libertés numériques à venir.
Je tiens à rappeler tout d’abord que la proposition de loi s’inscrit dans le cadre de la loi du 6 janvier 1978, ce qui exclut de son champ d’application les traitements de données biométriques mis en œuvre par un responsable de traitement pour l’exercice d’activités exclusivement personnelles.
Il faut donc s’attendre à ce que le législateur soit sollicité de nouveau, dès lors que la collecte d’informations, bien que réalisée avec le consentement des intéressés, soulève aujourd’hui un certain nombre de questions, notamment quant au droit à l’oubli, au droit de propriété ou, là encore, au droit au respect de la vie privée.
Il faut également rappeler que, comme le souligne très justement le rapport, l’adoption éventuelle de cette proposition de loi devrait aller en principe de pair avec un renforcement des pouvoirs de la CNIL.
En effet, dans le cadre du contrôle a priori que cette instance exerce, le rapport relève que, depuis 2006, le nombre de contrôles rapporté au nombre total d’autorisations délivrées sur la même période montre que les vérifications n’auraient porté que sur 4, 5 % des dispositifs. Il est donc sous-entendu que cet organisme aura besoin de moyens humains supplémentaires pour assumer plus largement sa mission…
Nous nous trouvons là dans un domaine plein d’incertitudes, notamment en raison du projet de règlement européen : celui-ci imposera probablement la suppression des autorisations préalables, au profit d’un contrôle a posteriori. Il faudra alors renforcer les moyens de contrôle.
Au-delà de ces remarques, je crois pouvoir dire, en conclusion, qu’il existe un large consensus en faveur de l’adoption de ce texte, grâce notamment à l’ample travail de réflexion engagé depuis longtemps par la commission des lois sur ce sujet.
Au sein tant de l’Union européenne que du Conseil de l’Europe, la France est plutôt en pointe sur la question de la protection des libertés publiques. Elle doit jouer un rôle moteur dans ce débat.
Nous souhaitons donc instaurer progressivement le cadre législatif le mieux adapté à la protection de la vie privée de nos concitoyens. Nous avons conscience qu’il restera encore à faire, mais nous convenons qu’il s’agit d’une étape indispensable, eu égard au développement exponentiel des techniques biométriques.
Le groupe UMP votera la proposition de loi, que l’amendement du Gouvernement vise à améliorer sans la dénaturer. Je crois que nous pouvons nous féliciter de l’unanimité du Sénat sur la question de la protection de la vie privée et des données personnelles. Beaucoup de sociétés aimeraient pouvoir faire aussi bien ! §
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la biométrie est vieille comme le monde. Comme l’a signalé Virginie Klès, les progrès de l’informatique ont permis le traitement de données multiples, parfois collectées à l’insu de la personne. Je pense en particulier à la reconnaissance faciale, développée grâce à de nouveaux algorithmes : conjuguée à la vidéosurveillance, elle peut porter atteinte à la vie privée.
Il est donc particulièrement opportun de préciser quelles doivent être les finalités de l’usage de la biométrie. Comme le soulignait M. Hyest, la protection du droit au respect de la vie privée est un combat que mènent depuis longtemps le Sénat et sa commission des lois.
Les tentatives de certains gouvernements pour aller plus loin, qu’il s’agisse de la carte d’identité biométrique ou des modalités de collecte des empreintes destinées au fichier des passeports, ont été à chaque fois bloquées, par le Conseil constitutionnel dans le premier cas ou par le Conseil d’État dans le second.
Toutefois, compte tenu des évolutions technologiques, il est important aujourd’hui de s’interroger sur les usages de la biométrie ; je tiens, à cet égard, à saluer l’initiative de notre collègue Gaëtan Gorce.
Les protections que nous pouvons assurer à nos citoyens en ce domaine sont incertaines, dans la mesure où toutes ces données circulent en ignorant les frontières. Telle est la nature de la société de l’information. Par conséquent, il ne saurait y avoir de protection totale sans maîtrise de l’innovation et sans règlements européens et internationaux.
Vous avez évoqué, madame la secrétaire d’État, les élections récemment organisées au Mali, mais ce n’est pas, à l’évidence, en instituant un fichier biométrique de l’ensemble de la population que nous parviendrons à protéger nos données personnelles et les libertés individuelles en France. Cela irait à l’encontre de nos valeurs.
Dans le même esprit, un Français en voyage à l’étranger peut se trouver confronté aux conséquences de l’application de législations autorisant la collecte de données personnelles par le biais de sociétés privées, ces données pouvant ensuite être utilisées en France.
La manière dont nous exploitons un certain nombre de fichiers, tels que AGDREF2 – le fichier d’application de gestion des ressortissants étrangers en France –, EURODAC ou SIV, le système européen d’identification des visas, pose aussi question. Si nous voulons que les données personnelles et la vie privée de nos concitoyens soient protégées, il convient d’apporter les mêmes garanties aux étrangers présents au sein de l’espace Schengen. Dans la mesure où nous externalisons de plus en plus le traitement des demandes de visa déposées à l’étranger, il convient de s’interroger sur les moyens d’assurer une protection satisfaisante des données recueillies à cette occasion.
Par ailleurs, il faudrait se montrer un peu plus audacieux quant à certains usages de la biométrie. En particulier, une plus grande coopération au sein de l’espace Schengen serait souhaitable afin de rendre compatibles les pratiques des différents pays en matière de biométrie, ce qui permettrait que les passeports puissent être délivrés à nos compatriotes résidant à l’étranger ailleurs que dans les consulats français. De même, il serait utile de rendre biométriques les certificats de nationalité française, car cela permettrait d’écarter de nombreuses suspicions de fraude.
En résumé, dans ce domaine, il n’y aura pas de protection sans échanges entre la France et les autres pays, sans coopération européenne et sans respect du droit des étrangers.
Comme vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, la banalisation de l’usage de la biométrie pour les plus jeunes est un danger pour la société. Il faut avoir bien conscience des risques qu’elle emporte.
Bien sûr, rien ne se fera sans un cadre national approprié ; la présente proposition de loi, qui vise à en instituer un, est donc tout à fait bienvenue. Cela étant, sans maîtrise technologique, nous ne pourrons faire respecter la loi et protéger nos concitoyens comme nous le souhaitons. Cela implique de favoriser l’effort d’innovation des sociétés françaises dans ce domaine.
Bien entendu, le groupe socialiste votera la présente proposition de loi, qui tend à préciser les finalités de l’usage de la biométrie. Elle prolonge le combat mené de longue date par notre assemblée sur ces questions, mais son adoption n’aura d’utilité que si le Gouvernement relaie nos préoccupations à l’échelon européen, afin que la société européenne dans son ensemble se mobilise. Cela passe, bien sûr, par la réciprocité. §
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Après le II de l’article 25 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – Pour l’application du 8° du I du présent article, ne peuvent être autorisés que les traitements ayant pour finalité le contrôle de l’accès physique ou logique à des locaux, équipements, applications ou services représentant ou contenant un enjeu majeur dépassant l’intérêt strict de l’organisme et ayant trait à la protection de l’intégrité physique des personnes, à celle des biens ou à celle d’informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porterait un préjudice grave et irréversible. »
L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II bis. – Pour l’application du 8° du I du présent article, ne peuvent être autorisés que les traitements dont la finalité est la protection de l’intégrité physique des personnes, la protection des biens ou la protection d’informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porterait un préjudice grave et irréversible et qui répondent à une nécessité ne se limitant pas aux besoins de l’organisme les mettant en œuvre. »
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Le présent amendement démontre tout l’intérêt du Gouvernement pour le sujet qui nous occupe et sa volonté de nourrir le débat que M. Gorce a voulu engager.
Par cet amendement, le Gouvernement souhaite clarifier le texte établi par la commission des lois sur deux points.
Il s’agit d’abord de préciser la finalité de sécurité pour laquelle les techniques biométriques pourraient continuer à être utilisées. Le texte retient en effet deux types de finalité : le contrôle d’accès physique ou logique, d’une part, et la protection des personnes, des biens et des données, d’autre part.
Le présent amendement tend à préciser que c’est bien la finalité de sécurité – c’est-à-dire la protection des personnes, des biens et des données – qu’il faut viser. L’objectif est également de s’assurer que la loi n’interdit pas certains usages de ces techniques, comme l’authentification d’un paiement par biométrie, par exemple.
Ensuite, afin d’atteindre l’objectif de limiter le recours à la biométrie aux cas pour lesquels il est nécessaire, le Gouvernement propose de retenir une rédaction plus facilement utilisable par le juge et par la CNIL. Celle-ci doit pouvoir recourir, quand elle est saisie d’une demande d’autorisation de traitement de données biométriques, à des outils pertinents, semblables à ceux qu’elle utilise habituellement, mais aussi à des outils plus nouveaux, comme l’analyse des risques pesant sur les données personnelles.
Cet amendement, s’il est adopté, ne modifiera qu’à la marge le dispositif prévu par le présent texte, mais il en affinera la définition juridique, de manière à renforcer la clarté de la loi.
Le sous-amendement n° 2, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Amendement n° 1, alinéa 3
Remplacer les mots :
ne se limitant pas aux besoins
par les mots :
excédant l’intérêt propre
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter ce sous-amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 1.
Madame la secrétaire d’État, nous nous rejoignons sur un regret et sur un accord.
Le regret, c’est que l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information n’ait pas fourni son avis sur ce texte. Ce n’est pas la faute du rapporteur ni de la commission des lois : l’ANSSI n’a pas répondu à notre demande d’audition. Nous partageons avec vous ce regret, madame la secrétaire d’État.
Par ailleurs, l’accord porte sur la création d’un groupe de réflexion, que vous avez suggérée tout à l’heure. Je me réjouis de cette proposition, en espérant que ce groupe fonctionnera au-delà de la navette parlementaire, compte tenu des textes qui seront bientôt soumis à notre examen.
J’en viens à un point qui a été évoqué par plusieurs collègues, notamment par Esther Benbassa. Il ne s’agit pas, avec cette proposition de loi, de freiner l’initiative économique et industrielle ou l’innovation dans ce domaine. La biométrie représente un immense progrès pour l’humanité, comparable à celui qui fut permis par l’invention de l’écriture. Or, en inventant l’écriture, on a également inventé la lettre anonyme : on n’a pas interdit, pour autant, l’usage de l’écriture ! De même, l’écriture peut servir à diffuser des idées repoussantes ; dans ce cas, c’est le livre en cause que l’on interdit, et non pas l’écriture elle-même.
C’est donc à certains usages des techniques biométriques que ce texte tend à apporter des limites, dans des conditions souples et précises et dans le respect des principes qui fondent notre société. Ce faisant, nous n’interdisons absolument pas les progrès techniques.
L’amendement du Gouvernement fait suite à une réflexion que nous avons eue après l’élaboration du texte de la commission des lois, dont la rédaction, je l’admets, était un peu « proustienne », comme l’a relevé le président de la commission des lois…
Je le prends comme tel, monsieur le président !
Il fallait donc simplifier la rédaction. J’avais prévu de déposer un amendement en ce sens, dont j’ai communiqué le texte au Gouvernement voilà deux jours. C’est sur cette base que vous avez vous-même déposé l’amendement que vous venez de présenter, madame la secrétaire d’État, et qui reprend pour l’essentiel le dispositif de la commission, avec en particulier le caractère cumulatif des deux conditions, auquel nous sommes très attachés, et la finalité de sécurité, que vous définissez comme « la protection de l’intégrité physique des personnes, la protection des biens ou la protection d’informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porterait un préjudice grave et irréversible ». En outre, la rédaction se trouve affinée conformément à notre souhait, allégée sans que sa signification et l’objectif visés soient altérés : tout cela nous convient parfaitement.
Reste un point purement rédactionnel, qui a motivé le dépôt d’un sous-amendement par la commission, visant en quelque sorte à passer d’une formulation négative à une formulation positive, en réintégrant la notion d’intérêt propre de l’organisme. Sous réserve de l’adoption de ce sous-amendement, la commission a donné, de façon unanime, un avis favorable à l’amendement du Gouvernement.
Le sous-amendement vise donc à réintroduire la notion d’intérêt propre de l’organisme, que le Gouvernement n’avait pas souhaité conserver parce qu’elle n’est pas définie en droit et parce que le recours à la biométrie peut parfois être utile indépendamment de l’intérêt de l’organisme, par exemple quand il est dans l’intérêt de l’usager lui-même.
J’ai évoqué tout à l’heure, à cet égard, les transactions commerciales avec paiement authentifié par le biais d’un lecteur de données biométriques. Dans ce cas, il est de l’intérêt du consommateur que la transaction soit sécurisée au maximum, sans pour autant que les données biométriques soient stockées ailleurs que dans le matériel utilisé par ce dernier.
Il y va aussi de l’intérêt de l’économie en général que le plus haut niveau de sécurité possible soit assuré sur les marchés.
C’est pourquoi le Gouvernement était réticent à l’emploi de la notion d’intérêt propre de l’organisme. Je crois que le débat entre nous sur ce point se poursuivra.
En attendant, je vous remercie d’avoir attrapé au vol ma suggestion de créer un groupe de travail sur le sujet. C’est là un engagement sérieux du Gouvernement, dont la portée va au-delà du calendrier législatif. Pour l’heure, nous ne savons pas quand le projet de loi sur les libertés numériques sera examiné par le Parlement.
Au bénéfice de ces observations, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur le sous-amendement n° 2.
Le sous-amendement est adopté.
L’amendement est adopté.
L’article 1 er est adopté.
Les responsables de traitements de données à caractère personnel dont la mise en œuvre est régulièrement intervenue avant l’entrée en vigueur de la présente loi disposent, à compter de cette date, d’un délai de trois ans pour mettre leurs traitements en conformité avec les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction issue de la présente loi.
Les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, demeurent applicables aux traitements qui y étaient soumis jusqu’à ce qu’ils aient été mis en conformité avec les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, dans leur rédaction issue de la présente loi, et, au plus tard, jusqu’à l’expiration du délai de trois ans prévu à l’alinéa précédent –
Adopté.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
La proposition de loi est adoptée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à vingt-et-une heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.