Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 27 mai 2014 à 15h00
Schéma régional des crématoriums — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes saisis, sur l’initiative du groupe socialiste, d’une proposition de loi visant à instaurer un schéma régional des crématoriums.

On sait l’attention que porte la commission des lois, et tout particulièrement son président, à la législation funéraire. Je rappellerai simplement, pour la période récente, la mission d’information que nous avons conduite ensemble sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire, que nous avions intitulée Sérénité des vivants et respect des défunts, et qui s’est très vite concrétisée par le dépôt d’une proposition de loi : adopté à l’unanimité par le Sénat, le texte est devenu, après quelques aléas liés à son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire.

La présente proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur s’inscrit dans le même mouvement, en s’attachant toutefois à la seule question de la création et de l’extension des crématoriums. Il est vrai que de nombreux problèmes ont été réglés par la loi de 2008, tandis que ceux qui, à mon avis, perdurent, comme la qualité des sites cinéraires ou le déficit de carrés confessionnels, soit relèvent de la compétence réglementaire, soit font craindre des reproches d’inconstitutionnalité. Quant aux devis type ou devis modèles, ou à la moralisation des contrats d’obsèques, ils n’ont pas échappé à la nécessaire vigilance du président de notre commission des lois.

Rappelons d’abord quel est le paysage français de la crémation.

Si la loi du 15 novembre 1887, qui a consacré la liberté des funérailles, a placé la crémation sur un pied d’égalité avec l’inhumation, cette pratique concernait moins de 1 % des décès jusqu’en 1980. Mais la progression a été, depuis, très importante : 10 % en 1993 ; 23, 5 % en 2004 ; 32, 15 % en 2011. Dans notre rapport de 2006, nous observions déjà que la crémation figurait alors dans les intentions de 40 % à 50 % des souscripteurs de contrats en prévision d’obsèques.

Dans ce contexte, l’adaptation de l’offre de crémation aux besoins de la population se révèle donc plus que jamais d’actualité.

La loi du 19 décembre 2008 a doté la pratique de la crémation d’un encadrement juridique complet, en trois volets.

Le premier volet portait sur la qualification juridique des cendres, lesquelles cessaient d’être considérées comme des choses pour devenir des restes humains exigeant respect, dignité, décence.

Dans le deuxième volet, relatif à la destination juridique de ces cendres, qui est en quelque sorte la conséquence juridique du premier, il était mis fin à l’appropriation privative des urnes ainsi qu’à certaines situations totalement inacceptables.

Enfin, le troisième volet portait sur l’encadrement de la création, de l’extension et de la gestion des crématoriums et des sites cinéraires.

Mettant fin à la détention de tels équipements par des entreprises privées, le législateur a confié aux seules communes ou établissements publics de coopération intercommunale la compétence pour les créer et les gérer, tout en les autorisant cependant à en déléguer la gestion à un opérateur funéraire dûment habilité. En tout état de cause, crématorium et site cinéraire sont la propriété de la collectivité, ou y font retour au terme de la gestion déléguée.

La création ou l’extension d’un crématorium sont, par ailleurs, soumises à l’autorisation préalable du préfet de département, précédée d’une enquête publique destinée à associer les citoyens et à évaluer l’impact du projet sur l’environnement.

La jurisprudence invite également le préfet à examiner l’intérêt de l’opération au regard des besoins de la population, comme la pertinence de l’implantation précise de l’équipement au vu, notamment, de ses facilités d’accès.

Pourquoi convient-il, aujourd’hui, de mieux réguler l’implantation des crématoriums ?

Lors de l’examen de la proposition de loi adoptée en 2008, dont j’étais également le rapporteur, je relevais déjà de nombreuses lacunes dans ces implantations. En 2006, on comptait 115 crématoriums, gérés en régie pour moins d’un tiers, et en gestion déléguée pour le reste. En étaient totalement dépourvus dix-sept départements métropolitains. Certains choix d’implantation étaient déraisonnables, comme Roanne, qui en comptait deux à moins de 8 kilomètres de distance, au prix d’une concurrence préjudiciable.

Si la couverture du territoire a progressé, avec aujourd’hui 167 crématoriums et 32 en projet, quatre départements métropolitains et deux d’outre-mer en restent toujours dépourvus.

Demeurent surtout des problèmes d’implantation concurrente, sans lien avec les besoins réels de la population. Il en va ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, des crématoriums de Sarrebourg et Saint-Jean-Kourtzerode, en Moselle, de ceux de Beaurepaire et de Marcilloles, en Isère, ou du projet de Mareuil-lès-Maux, à proximité du crématorium de Saint-Soupplets, en Seine-et-Marne.

La Direction générale des collectivités locales ne semble pas disposer d’une carte des implantations à jour. Le législateur a pourtant expressément confié au préfet, dans la loi de 2008, le soin de délivrer les autorisations, ce que le Gouvernement avait alors jugé suffisant pour organiser adéquatement l’offre. Or une relative anarchie persiste, dont les conséquences se révèlent redoutables tant pour les citoyens que pour les collectivités territoriales.

Certaines zones restent dépourvues de tout équipement, tandis que d’autres sont saturées. Dans ce dernier cas, les gestionnaires, pour préserver leur rentabilité malgré la faiblesse de l’activité, fixent des frais de crémation très élevés. Or la demande est largement, et par nature, captive, d’autant plus qu’il s’agit de familles endeuillées, donc vulnérables.

Par ailleurs, cette pratique s’est intégrée au rituel du deuil. Au Père-Lachaise, la cérémonie civile organisée dans ce cadre est, dans 66 % des cas, la seule qui soit prévue au titre des funérailles. Ainsi que le souligne notre collègue Jean-Pierre Sueur dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, « le souci de la rentabilité des équipements créés peut conduire à privilégier des crématoriums mal dimensionnés, ce qui peut se traduire par la diminution des surfaces des salles dédiées à l’accueil des familles et au déroulement des cérémonies civiles ».

En outre, le risque financier d’une exploitation non rentable pèse, en dernier lieu, sur les collectivités locales, auxquelles revient la gestion du crématorium quand le délégataire l’abandonne.

Ajoutons que l’évolution de la réglementation européenne en matière de protection de l’environnement alourdit les contraintes de rentabilité de ces équipements, puisque les gestionnaires sont tenus de mettre aux normes avant 2018 leur dispositif de filtrage des effluents toxiques, pour des coûts très significatifs.

Il est donc apparu nécessaire à la commission des lois d’élaborer un nouveau modèle de régulation pour une meilleure adéquation entre les besoins et l’offre de crémation, tout en veillant à ne pas privilégier à l’excès les situations acquises au détriment de l’entrée de nouveaux acteurs. C’est la finalité essentielle de cette proposition de loi.

Ce texte renoue ainsi avec l’inspiration initiale de la proposition de loi qui avait abouti à la loi relative à la législation funéraire de 2008. En effet, un schéma régional des crématoriums, proposé dans le rapport d’information, avait été adopté par le Sénat en première lecture, avant d’être supprimé par l’Assemblée nationale. Les députés s’étaient rangés à l’avis du Gouvernement et avaient estimé qu’il était préférable d’éviter d’ajouter les contraintes d’un schéma, dans la mesure où la procédure d’autorisation après enquête publique leur paraissait suffisante pour réguler harmonieusement les projets d’implantation de crématoriums.

Cette espérance a été déçue. Elle reposait sur une mauvaise appréhension de l’enquête publique, qui porte sur l’impact environnemental du projet et non sur son adéquation avec les besoins de la population en matière de crémation.

Cette proposition de loi compte trois articles.

L’article 1er est consacré à la définition de l’objet du schéma ainsi qu’à sa procédure d’élaboration. Le schéma découpera le territoire d’une région en zones géographiques en indiquant pour chacune d’entre elles le nombre et la dimension des crématoriums nécessaires. La référence à la dimension des équipements vise à la fois leur capacité, c’est-à-dire le nombre des crémations qu’ils permettront d’accomplir, et la taille des bâtiments.

La commission des lois a précisé qu’il fallait tenir compte des équipements funéraires existants, par exemple une vaste salle de cérémonie, qui peuvent justifier que le crématorium ne soit pas nécessairement doté d’une salle de même taille.

Ce schéma serait délibéré par le préfet de région en collaboration avec les préfets de département. La procédure d’adoption débuterait par une consultation du conseil régional.

La commission des lois a précisé que le schéma devrait prendre en compte les exigences environnementales liées à la pollution, ce qui conforte la compétence régionale.

La consultation concernerait également les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de crématoriums, mais ils ne sont que 52 dans les 15 communautés urbaines pour lesquels la compétence est obligatoire.

Aussi la commission des lois a-t-elle ajouté la consultation des communes de plus de 2 000 habitants – elles sont environ 5 000 –, ce chiffre correspondant au seuil à partir duquel la commune doit prévoir un site cinéraire.

Enfin, la commission a prévu l’avis du Conseil national des opérations funéraires, le CNOF, ce qui permettra non seulement d’associer tant les professionnels du funéraire que les représentants des familles, mais aussi de prendre en compte la cohérence des éventuelles implantations à la frontière de deux régions. Si le nombre des régions est appelé à diminuer, monsieur le secrétaire d’État, il en restera tout de même quelques-unes !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion