Intervention de André Vallini

Réunion du 27 mai 2014 à 15h00
Schéma régional des crématoriums — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de André ValliniAndré Vallini :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet sur lequel nous sommes appelés à débattre cet après-midi n’est pas ordinaire. Vous l’avez d’ailleurs souligné, monsieur le président de la commission des lois.

Parler de la mort, même au Parlement, c’est aborder un sujet qui touche au plus intime et souvent au plus douloureux de la vie de chacune et de chacun d’entre nous, un sujet qui cristallise, bien sûr, les émotions humaines et qui renvoie aussi aux croyances philosophiques et religieuses.

Dès lors, la mort est un sujet qui, même sur le plan juridique et législatif, ne peut échapper à sa dimension philosophique.

Légiférer dans ce domaine exige donc d’avoir à l’esprit la nécessaire, mais difficile, recherche de l’équilibre entre l’encadrement des pratiques funéraires et le respect des convictions de chacune et de chacun.

À ce titre, je tiens à saluer le travail approfondi de l’auteur de cette proposition de loi, par ailleurs président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, ainsi que celui du rapporteur, Jean-René Lecerf. C’est avec beaucoup d’humanisme qu’ils ont parlé de cette question à l’instant. C’est avec beaucoup d’humanisme qu’ils ont élaboré et examiné ce texte et je tiens à souligner que c’est le même humanisme qui les inspire l’un comme l’autre quand ils abordent les questions pénales et pénitentiaires.

Ces deux éminents sénateurs, qui avaient déjà œuvré en tant qu’auteur et rapporteur de la loi relative à la législation funéraire du 19 décembre 2008, nous proposent aujourd’hui de traiter, plus spécifiquement, de la question du déploiement des crématoriums sur le territoire national.

Cette question n’est pas nouvelle.

En effet, lors de la discussion de ce qui allait devenir la loi du 19 décembre 2008, vous l’avez rappelé, monsieur le président de la commission des lois, vous aviez déjà eu l’occasion de déposer un amendement visant à instaurer un schéma régional des crématoriums. Sous-amendée par le gouvernement d’alors avant d’être adoptée par le Sénat en première lecture, cette disposition avait finalement été supprimée par l’Assemblée nationale.

La proposition de loi dont nous débattons cet après-midi tend à reprendre le même dispositif.

Depuis la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 modifiant le titre VI du livre III du code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire, seuls les communes et les établissements publics de coopération intercommunale sont compétents pour créer et gérer des crématoriums. Ces dispositions, dont vous êtes l’auteur, monsieur le président de la commission des lois, et qui datent de l’époque où vous étiez membre du gouvernement Bérégovoy, sont désormais codifiées à l’article L. 2223-40 du code général des collectivités territoriales.

La compétence de création d’un crématorium est, de plus, automatiquement transférée aux communautés urbaines, l’article L. 5215-20 mentionnant parmi les compétences obligatoires de ces EPCI les « création et extension des crématoriums ». Cette compétence peut être exercée directement par délégation de service public.

Les communes et les EPCI ne sont toutefois pas libres de créer de tels équipements, mais doivent recevoir une autorisation préfectorale délivrée après enquête publique et avis des conseils départementaux de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques.

Or, depuis une trentaine d’années, vous l’avez l’un comme l’autre rappelé, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, les pratiques funéraires de nos concitoyens ont beaucoup évolué. Longtemps marginale, et controversée, la crémation est aujourd’hui une pratique courante.

En 1975, seulement 0, 4 % des obsèques étaient des crémations. Aujourd’hui, le chiffre atteint 30 % en France, 40 % à Paris et souvent plus de 50 % dans les grandes agglomérations. Cependant, alors que le besoin en équipements de crémation s’accentue, la France ne compte aujourd’hui qu’un nombre modeste de crématoriums : 141 crématoriums, soit un crématorium pour 468 000 habitants, alors que l’Espagne, où le taux de crémation est pourtant plus faible, dispose d’un crématorium pour 343 000 habitants et le Royaume-Uni d’un crématorium pour 246 000 habitants.

La création de nouveaux crématoriums est donc nécessaire.

Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, monsieur Sueur, vous indiquez qu’« il apparaît que les crématoriums sont en nombre insuffisant et que leur implantation géographique ne correspond pas aux besoins ». Le Gouvernement partage ce constat d’une nécessaire rationalisation des conditions de création des crématoriums de manière à obtenir une répartition plus équilibrée sur le territoire, afin que chaque famille puisse bénéficier du principe de la liberté des funérailles garanti par la loi du 15 novembre 1887, tout en évitant la création de crématoriums trop proches les uns des autres et n’atteignant pas un seuil de rentabilité suffisant.

Pour autant, la proposition de loi suscite des interrogations que je ne peux éluder.

Ainsi, les créations ou les extensions de crématoriums qui ne seraient pas compatibles avec les prescriptions du schéma régional pourraient être refusées par le préfet de département.

Or les collectivités territoriales sont confrontées de plus en plus à une multiplication des normes et des schémas de toutes sortes. Face à ces contraintes, le Président de la République a fait du « choc de simplification », annoncée au mois de mars 2013, l’une des priorités du quinquennat. Le gouvernement de Manuel Valls tente, après celui de Jean-Marc Ayrault, de mettre en œuvre ce choc de simplification. Le Gouvernement craint que l’émergence d’un schéma sectoriel supplémentaire ne nuise à l’allégement normatif attendu par tous les élus locaux de notre pays.

La création d’un document supplémentaire de planification à l’échelle régionale irait sans doute à rebours de l’objectif de rationalisation du nombre de schémas porté par le Gouvernement et inscrit dans le projet de loi clarifiant l’organisation territoriale de la République. Ce texte, qui est en préparation, devrait être soumis au Sénat dans les prochains mois.

À cet égard, plusieurs sénateurs avaient appelé de leurs vœux une réduction du nombre de schémas, lors de la discussion parlementaire de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 janvier 2014.

Par ailleurs, alors que le code général des collectivités territoriales indique clairement que « les communes et les établissements publics de coopération intercommunale sont seuls compétents pour créer et gérer les crématoriums et les sites cinéraires », il peut apparaître étonnant de prévoir une consultation du conseil régional sur un sujet pour lequel il ne détient aucune compétence, au sens juridique du terme.

Pour autant, et en conclusion, conscient que la coexistence de plusieurs crématoriums dans des zones géographiques très rapprochées est préjudiciable à l’équilibre économique de ces équipements et contribue à un renchérissement des coûts supportés par les familles endeuillées, conscient que l’insuffisance des crématoriums ne permet pas, dans un certain nombre de secteurs géographiques, de satisfaire les demandes des familles dans des conditions convenables, conscient enfin que, dans l’intérêt des familles, et eu égard à la nécessaire dignité des cérémonies d’obsèques ainsi qu’au souci de maîtriser les finances publiques, il apparaît nécessaire que le développement des crématoriums puisse, pour l’avenir, se faire de manière coordonnée et cohérente, le Gouvernement s’en remettra, sur cette proposition de loi, à la sagesse de la Haute Assemblée.

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