Intervention de Robert Tropeano

Réunion du 27 mai 2014 à 15h00
Schéma régional des crématoriums — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Robert TropeanoRobert Tropeano :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’organisation des obsèques représente, pour les proches du défunt, un temps d’urgence et d’obligations qui s’ajoute à la douleur de la perte. Les délais entre le décès et les obsèques sont assez brefs. Il faut alors respecter de nombreuses contraintes, effectuer des démarches administratives, faire des choix, contacter des personnes.

Contrairement aux pays d’Europe du Nord ou de tradition protestante, la France a connu un développement de la crémation longtemps erratique, du fait de sa tradition catholique. Cette différence historique avec l’inhumation est à l’origine de nombreux désagréments pour les familles : temps d’attente trop long, trajets rallongés du cortège funéraire, renchérissement des tarifs.

À titre d’exemple, mon collègue Alain Bertrand nous a fait part de grandes difficultés pour les habitants de la Lozère : du fait de l’absence de crématoriums dans ce département, les cortèges funéraires sont contraints de se rendre en Aveyron.

Dans le contexte particulier de la perte d’un être cher, comme cela a été souligné par le président de la commission, cela n’est ni acceptable ni rationnel. Aussi avons-nous déposé un amendement visant à attirer l’attention sur une situation qui concerne de nombreux territoires.

Aujourd’hui, la crémation ne constitue plus une pratique exceptionnelle, et son développement est exponentiel. Alors que seulement 0, 9 % des Français y avaient recours en 1980, ils étaient 10, 5 % en 1994 et 30 % en 2010. En parallèle, le développement des structures adaptées a été moins spectaculaire : en 1980, la France comptait 9 crématoriums ; en 2006, il en existait 120. Une trentaine de projets sont aujourd’hui en cours d’étude ou de réalisation.

La loi du 15 novembre 1887 a autorisé les modes de sépulture autres que l’inhumation. Les formalités de l’incinération furent réglementées par le décret du 27 avril 1889. Le premier incinérateur fut installé peu après, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Suivirent ensuite celui de Rouen, en 1899, de Marseille, en 1907, de Lyon, en 1914, et, plus près de nous, de Béziers, dans le département de l’Hérault, en 1998.

De nombreux progrès ont été faits en la matière, grâce aux efforts constants et répétés de notre collègue Jean-Pierre Sueur, qui a fait de l’amélioration du droit funéraire un véritable cheval de bataille.

La loi du 19 décembre 2008 a réformé le sort des cendres en les protégeant comme le corps inhumé et en organisant un régime juridique proche de celui de l’inhumation. Cette loi a également fait de l’existence d’un site cinéraire une obligation pour les communes. Comme nous le rappelle le code civil, le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit de créer un schéma régional des crématoriums. La création et l’extension des crématoriums font d’ores et déjà l’objet d’une autorisation délivrée par le préfet du département. Mais, aux fins d’assurer une meilleure répartition territoriale, et dans le souci également de respecter le deuil des proches, le texte prévoit une concertation entre les acteurs concernés – les conseils régionaux, les organes délibérants des EPCI compétents en matière de crématoriums, ainsi que les communes de plus de 2 000 habitants.

Le schéma sera délivré après avis du Conseil national des opérations funéraires à l’échelon national, en prenant en compte les contraintes environnementales. Cette dernière précision est de taille : les sites cinéraires sont source d’une grande pollution du fait des rejets du mercure contenu dans les amalgames dentaires et les responsables ont jusqu’à 2018 pour équiper les crématoriums de filtres antipollutions.

Enfin, pour tenir compte des contraintes temporelles de cette élaboration, le schéma régional sera renouvelé tous les six ans, cette durée étant alignée sur celle du mandat des élus locaux.

Si cette initiative est bienvenue, elle devra être mise en œuvre dans le respect de la liberté du commerce et de l’industrie, ainsi que du droit de la concurrence.

La Cour de justice des communautés européennes considère en effet que, lorsque le service public est confié à un tiers, la collectivité concédante, État ou collectivité locale, doit, même en l’absence de texte le lui imposant, organiser, par des mesures de publicité adéquates, une mise en concurrence des prestataires intéressés. C’est la jurisprudence Telaustria, bien connue.

Compte tenu du développement exponentiel de la crémation et des crématoriums, n’y aura-t-il pas des recours, dans le futur, contre des refus de délivrer une autorisation d’installation, en raison de ce même schéma régional ? Pis encore, ne peut-on y voir une entrave au principe de libre établissement ?

Par ailleurs, dans le contexte actuel de restrictions budgétaires, nous nous interrogeons sur le financement des nouveaux crématoriums par les collectivités locales. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ?

Deux préoccupations s’imposent : d’un côté, celle de la neutralité au service de tous, en particulier des entreprises de pompes funèbres, qui favorise la création et la gestion par des opérateurs spécialisés ; de l’autre, celle, tout aussi légitime, d’éventuelles entorses à la libre concurrence, ainsi que de possibles rentes de situation, qu’il s’agit d’empêcher les unes et les autres.

Enfin, comment sera financée l’extension de ces services publics, sachant que la construction d’un crématorium coûte des millions d’euros ? En la matière, il faudra compter sur la sagesse et la sagacité des différents acteurs, notamment du préfet de région.

L’avenir nous dira si nous avons eu raison de voter ce texte. En attendant, nous espérons que la création de schémas régionaux permettra de rééquilibrer la donne territoriale entre les départements.

Mais, parce que l’usage veut que penser à la mort raccourcisse la vie, il me semble vital d’abréger mon propos.

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