Il faut le rappeler, le rôle du politique n’est jamais de freiner le progrès. Il lui revient de décider de ce qui peut être jugé comme un risque acceptable, conformément à l’interprétation retenue du principe de précaution, inscrit dans le droit européen depuis le traité de Maastricht, par une communication de la Commission européenne datant du 2 février 2000. Ainsi, une lecture raisonnée de ce principe aboutirait à une maîtrise du risque plutôt qu’à l’interdiction de toute prise de risque.
Reconnaissons-le, le bilan de l’application est pour le moins contrasté. Bien que nous ayons pu constater quelques dérives en première instance, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation et surtout du Conseil d’État est stable et en général prudente. Comme l’a justement rappelé Patrice Gélard dans son rapport, elle n’a pas conduit à une application extensive du principe. Les dérives ont notamment pu être évitées grâce à la nécessité d’évaluer le risque préalablement et au caractère provisoire et proportionné requis par la Charte. En effet, le risque étant méconnu, toute interdiction ne peut revêtir qu’un caractère temporaire en l’attente de nouvelles données scientifiques.
Certes, y compris avant 2005, nous pouvons regretter le développement de ce contentieux, qui peut se révéler dissuasif en soi. Dans le cadre des organismes génétiquement modifiés par exemple, si les arrêtés d’interdiction ont été annulés par le Conseil d’État, la prise de position des pouvoirs publics a frappé la recherche française dans ce domaine. Pourtant, ces décisions sont établies sur le fondement du droit européen.
La nature du problème n’est donc pas juridique. C’est la communication faite autour de ce principe qui engendre aversion du risque et lecture erronée. La présente proposition de loi constitutionnelle permet de tempérer la rédaction de notre Constitution pour que ces fausses interprétations cessent d’instiller une peur irrationnelle chez nos concitoyens. Elle a pour avantage d’instaurer un climat de confiance nécessaire pour donner de la visibilité à la recherche et à l’industrie. Cela passe également par le renforcement des moyens de la recherche publique, propice à l’indépendance de l’expertise dont nous avons de plus en plus besoin.
Mes chers collègues, notre pays a accueilli longtemps de nombreux experts – maintenant, il les fait plutôt partir –, sans lesquels notre société n’aurait pu se développer.
Comme Gaston Bachelard, je conclurai que « c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique ». Seul cet état d’esprit nous permettra de les dépasser et d’éviter toute régression du savoir et, plus encore, d’accompagner le progrès scientifique et l’innovation auxquels, nous, nous croyons toujours.