Nous savons en effet que la prise de risque est inhérente à la compétitivité ; elle est l’un des fondements de la recherche et développement, générateur d’innovations et de croissance.
En octobre 2013, la commission « Innovation 2030 », présidée par Anne Lauvergeon, proposait « de reconnaître, au plus haut niveau, l’existence d’un principe d’innovation équilibrant le principe de précaution, yin et yang du progrès des sociétés ». Les membres de cette commission considéraient qu’il fallait « réapprendre à oser, à accepter le risque » et encourager « l’expérimentation l’audace, la création » et l’innovation qui « permet à l’Homme d’évoluer sans cesse ». Ils concluaient ainsi : « L’innovation est indispensable pour que la France, dans dix ans, soit dans la course mondiale et conserve son niveau de vie et son modèle social. »
Il convient de redire aujourd’hui haut et fort que l’innovation, fruit de la recherche et de sa valorisation, est devenue, en ce début de XXIe siècle, le moteur de la croissance économique et de la création d’emplois. L’innovation est la clef des grands défis auxquels nous devons faire face, à commencer par celui de la compétitivité internationale. Oui, l’innovation est au cœur de la nouvelle économie de la connaissance et de la sortie de la crise de la mondialisation.
Enfin, le récent rapport d’Alain Feretti – c’est le dernier rapport que je citerai –, adopté à l’unanimité des membres du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, préconise lui aussi une meilleure articulation entre principe d’innovation et principe de précaution, après avoir souligné que le principe de précaution est souvent dévoyé par la gestion émotionnelle des crises, l’emballement médiatique et les attentes irrationnelles de la société face aux inquiétudes et même aux peurs qui la caractérisent aujourd’hui : peur du nucléaire et des gaz de schiste, peur des biotechnologies et des nanotechnologies, peur des OGM et des ondes électromagnétiques.
Je partage les réflexions et les préconisations des auteurs des rapports que je viens de citer. Le principe de précaution ne peut être appréhendé, compris, appliqué qu’à travers un autre principe, celui d’innovation. Il ne s’agit pas d’opposer l’un à l’autre, puisqu’ils sont complémentaires, mais de reconnaître l’un et l’autre.
Il ne me paraît guère possible aujourd’hui d’ôter au principe de précaution sa portée constitutionnelle. Ce serait incompris ; ce serait un recul et non un progrès. En revanche, la reconnaissance d’un principe d’innovation adossé au principe de précaution et conçu comme un principe de vigilance et de transparence, d’expertise et d’action, serait un progrès.
Le principe de précaution est essentiel. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler les tragédies du sang contaminé, de l’amiante, de l’hormone de croissance ou encore de l’épidémie de la vache folle. Cependant, le principe de précaution ne doit pas être considéré comme un principe d’interdiction et d’immobilisme, comme une méfiance à l’égard de l’innovation et du progrès technologique. Il ne peut pas être un frein aux activités de recherche et développement, puisque la mise en application du principe de précaution nécessite précisément le développement des connaissances scientifiques. Ainsi interprétés, principe de précaution et principe d’innovation vont de pair ; ils sont indissociables.
Le redressement de notre économie, le développement de notre société, la foi républicaine dans la science et le progrès, qu’il nous faut d'ailleurs retrouver, passent par la double reconnaissance du principe de précaution et du principe d’innovation, sans que l’un prime sur l’autre. Nous n’avons pas à choisir entre précaution et recherche ou entre compétitivité et précaution. Dans la société de la connaissance et du risque qui est la nôtre aujourd’hui, le progrès repose sur un équilibre responsable entre le principe de précaution et le principe d’innovation.
Précaution, innovation et progrès sont des principes fondamentaux qui doivent être inscrits dans notre Constitution. La proposition de loi constitutionnelle que nous examinons concourt opportunément, utilement, sagement à l’approfondissement du débat public sur ces principes, un débat qui se prolongera d'ailleurs le 5 juin prochain lors de l’audition publique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, sur le principe d’innovation, qui vise en particulier à analyser ce que pourraient être demain – rêvons un instant – les fondements d’une Charte de l’innovation.