Intervention de Carole Delga

Réunion du 4 juin 2014 à 14h30
Économie sociale et solidaire — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Carole Delga :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a des lois qui complètent et des lois qui réparent. Des lois qui définissent et des lois qui reconnaissent. Des lois qui encadrent et des lois qui recadrent. Et il y a des lois qui embrassent tous ces desseins et qui n’ont donc que trop attendu. Ce projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, l’ESS, est l’une d’entre elles.

Il est temps, et il est même urgent, en 2014, que l’économie sociale et solidaire soit pleinement reconnue comme partie intégrante de notre modèle de développement économique.

À l’heure où je viens vous présenter ce projet de loi pour son examen en deuxième lecture, je souhaite revenir sur l’esprit qui anime ce texte, fidèle aux engagements pris par le candidat François Hollande durant la campagne pour l’élection présidentielle.

Ce projet de loi est la partition ambitieuse et volontariste d’un orchestre d’entreprises, dont nous voulons reconnaître et entendre plus fortement la musique.

Cette partition que nous offrons à l’ESS va lui permettre de se réaliser pleinement et de devenir enfin tout ce qu’elle peut être, c’est-à-dire une économie qui bénéficie à tous, qui crée des emplois non délocalisables et qui en sauve, qui marque la révolution de l’innovation sociale et qui est profondément, et même irrésistiblement, tournée vers l’être humain.

Si l’économie est une science sociale, l’économie sociale et solidaire est une science citoyenne.

Cette prise de conscience, cette détermination et cette volonté politique, ce sont celles du Président de la République et du Gouvernement, qui ont souhaité faire de la loi sur l’économie sociale et solidaire l’une des grandes lois économiques du quinquennat. C’est pourquoi je suis heureuse et fière de venir devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, défendre ce projet de loi.

Tous les débats ayant précédé cette deuxième lecture du projet de loi ont permis de dégager une vision constructive et positive de l’ESS, qui a mis en valeur son importance, sa force, son potentiel, son ancrage dans les territoires. Nous avons aussi pris la mesure de la méconnaissance dont l’économie sociale et solidaire est malheureusement l’objet, une méconnaissance que nous regrettons tous.

Vous le savez, avant d’être présenté en conseil des ministres, ce projet de loi avait déjà une histoire. Il est issu d’un travail de coconstruction, animé par mon collègue Benoît Hamon, avec l’ensemble des réseaux et des acteurs.

Cette vision constructive a également été celle de Marc Daunis, rapporteur du projet de loi, de Christiane Demontès, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales et présidente du Conseil national à l’insertion par l’activité économique, le CNIAE, et d’Alain Anziani, rapporteur pour avis de la commission des lois. Je tiens à les remercier pour leurs analyses, ainsi que pour les travaux de grande qualité qui ont été menés grâce à eux.

Je profite aussi de l’occasion qui m’est donnée de témoigner de la solidarité gouvernementale.

Benoît Hamon vous a présenté ce texte en première lecture, puis il a transmis le flambeau à Valérie Fourneyron, à laquelle je pense particulièrement aujourd’hui. Elle a présenté ce projet de loi en première lecture devant l’Assemblée nationale avec une force admirable et une pugnacité remarquable. Axelle Lemaire et Najat Vallaud-Belkacem ont également été très présentes au banc lors de son examen, et c’est Arnaud Montebourg qui a représenté le Gouvernement lors du vote solennel.

Je reprends aujourd’hui, à mon tour, ce flambeau. C’est donc un projet de loi, vous le constatez, qui est lui-même très solidaire dans toutes ses phases, et qui engage particulièrement le Gouvernement parce qu’il le concerne dans son ensemble.

Le texte que vous avez devant vous a été considérablement enrichi par le débat parlementaire.

Les deux chambres du Parlement, chacune dans leurs points d’attention spécifiques, ont apporté nombre d’améliorations au texte du Gouvernement, lequel a recueilli par deux fois l’unanimité des suffrages des groupes de gauche lors de son adoption finale. Nous sommes donc en présence d’un texte, là encore, coconstruit en bonne intelligence, je peux même dire en harmonie, entre le Gouvernement et chacun de ses rapporteurs. Il est important de le souligner, car cela témoigne d’une mobilisation des parlementaires en faveur de l’économie sociale et solidaire, une mobilisation qui répond en écho à l’urgence criante de reconnaissance dont ce secteur avait besoin.

Cette loi, je le disais précédemment, n’a que trop attendu. Pourquoi est-il temps d’aider les entreprises de l’économie sociale et solidaire à jouer plus fortement leur musique ?

Parce que cette musique, cet orchestre, ces instruments appartiennent à l’un des secteurs les plus prometteurs, en raison de son potentiel de création d’emplois non délocalisables. Je rappelle que 600 000 salariés de l’économie sociale et solidaire partiront à la retraite d’ici à 2020.

C’est un secteur prometteur, aussi, du fait de son ancrage dans les territoires, que chacun de vous ici connaît, et de sa capacité d’innovation.

Quelque 2, 4 millions de salariés, soit un emploi privé sur huit, et 10 % du PIB de la France : c’est cela l’économie sociale et solidaire. Concrètement, elle comprend 70 % des structures d’accueil des personnes âgées dépendantes, neuf structures sur dix accueillant des personnes handicapées, 1, 5 fois les emplois de la construction et 4, 5 fois ceux de l’agroalimentaire.

Ce secteur connaît même de meilleures performances que d’autres, puisqu’il est en phase avec les besoins de la société.

Dans les difficiles années 2000, alors que l’emploi dans le secteur privé marchand classique n’augmentait, en dix ans, que de 7 %, l’emploi dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire croissait de 23 %, soit plus de trois fois plus ! C’est une économie résistante, et qui résiste d’autant mieux qu’elle est libérée de l’emprise des capitaux.

Tout le monde reconnaît la force de l’économie sociale et solidaire en termes d’enjeux, d’avenir, d’emplois – en particulier l’emploi des jeunes –, sur des sujets fondamentaux comme le lien social, la coopération et l’action collective, l’environnement, la transition énergétique ou encore le vieillissement de la population.

Cette deuxième lecture permettra de donner à nouveau à ce secteur la lumière qu’il mérite et de franchir un nouveau cap. Ce projet de loi va en effet permettre à la France de devenir l’un des pays les plus avancés au monde en termes de mesures, d’ambitions et de moyens en faveur de l’économie sociale et solidaire.

La nouveauté radicale apportée par ce projet de loi, et qui est chère au rapporteur Marc Daunis, c’est la manière de définir et d’inclure les entreprises qui relèvent de l’économie sociale et solidaire.

L’ESS, c’est avant tout un mode d’entreprendre, et cette définition inclut non seulement les acteurs historiques de l’ESS que sont les associations, les mutuelles, les coopératives et les fondations, mais aussi les sociétés commerciales qui auront fait le choix volontaire de s’appliquer à elles-mêmes les principes de l’économie sociale et solidaire, c’est-à-dire un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices, une gouvernance démocratique et une lucrativité encadrée. Il s’agit donc d’une loi ouverte, qui respecte la diversité intrinsèque du secteur tout en étant une loi d’affirmation, qui marque bien ses frontières.

Ce qui changera ? Ce sera la modernisation et l’adaptation des différents statuts des entreprises de l’ESS à la France de demain.

Le cadre juridique des sociétés coopératives est modernisé – leur dernière définition datait de 1947 –, pour renforcer leur attractivité et leur donner les moyens de se développer et de créer de l’activité et de l’emploi.

La modernisation du cadre institutionnel et juridique entourant les mutuelles va leur permettre d’affronter les enjeux du secteur assurantiel, renouvelés à la faveur de l’accord national interprofessionnel, l’ANI, du 11 janvier 2013. La coassurance, dont le champ a été élargi lors de la première lecture à l’Assemblée nationale, ainsi que le Gouvernement s’y était engagé ici même, permet aux mutuelles de changer d’échelle et d’œuvrer à armes égales avec les autres acteurs du champ assurantiel, pour garantir à nos concitoyens la généralisation de la couverture complémentaire. Cela est essentiel.

Votre Haute Assemblée a trouvé un point d’équilibre, pour les articles 11 et 12 relatifs au droit d’information préalable, qui a convaincu l’Assemblée nationale, dans sa grande sagesse, de vous suivre. Ces articles ont été votés conformes, et j’y vois un apport considérable des ajouts du Sénat.

Vos travaux ont également permis de conforter la place des territoires dans le projet de loi, assurant ainsi son meilleur ancrage local.

Lors de la première lecture à l’Assemblée nationale, les associations ont fait l’objet d’une attention particulière. Elles sont désormais dotées d’un titre enrichi. Par ailleurs, la déclaration de principes, qui avait fait débat au sein de votre Haute Assemblée, est réintroduite dans le projet de loi, grâce à un travail de concertation avec les acteurs.

Ce travail parlementaire a permis de continuer le travail de concertation autour du projet de loi, afin qu’il soit possible d’aider l’économie sociale et solidaire à se structurer et à se développer.

Au niveau national, pour un meilleur dialogue entre les acteurs et l’État, le texte reconnaît un Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire rénové. À cet égard, je constate que le projet de loi a insufflé une dynamique dans laquelle les acteurs se sont engagés. Le texte acte le principe d’une instance de représentation commune à toutes les familles, la chambre française de l’économie sociale et solidaire.

Au niveau local, les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, coordonnées par le Conseil national des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, le CNCRESS, joueront un rôle important pour répondre aux mutations et aux besoins des territoires. Il est nécessaire de renforcer cet ancrage territorial et de l’articuler aux politiques publiques locales.

Autre point important, la loi reconnaîtra les pôles territoriaux de coopération économique, les PTCE, comme pôles de compétitivité de l’économie sociale et solidaire.

Ces PTCE institutionnaliseront les synergies entre entreprises de l’ESS, entreprises classiques, collectivités territoriales, laboratoires de recherche, structures de formation, au sein d’une filière et d’un territoire. Ils permettront aussi de mutualiser les moyens, de favoriser l’innovation sociale, d’agir pour l’emploi et le développement durable des territoires et de l’environnement.

Une partie des PTCE recevra un soutien de l’État, à la suite d’un appel à projets, comme cela avait déjà été le cas l’année dernière. En 2013 ont été déposés 180 dossiers, et sur les 130 dossiers recevables, 23 lauréats se sont partagés une enveloppe globale de 3 millions d’euros, soit plus de 130 000 euros par projet, ce qui est un montant significatif.

La loi vise donc la création d’un écosystème à partir duquel davantage de financements pourront être orientés vers les entreprises de l’économie sociale et solidaire.

L’un ne va pas sans l’autre. Sans définition claire de l’économie sociale et solidaire, les financements ne peuvent être mis en place. Mais sans financements, l’économie sociale et solidaire ne pourra pas se développer. Cela s’appelle du pragmatisme, lequel est une condition de la réussite.

Ces financements ne relèvent pas de la loi, mais de chantiers que le Gouvernement conduit, parallèlement au cheminement de la loi. Il s’agira des nouveaux dispositifs dédiés à l’économie sociale et solidaire mis en place par Bpifrance, de l’orientation de l’épargne longue vers l’ESS, de l’orientation de la commande publique vers les acteurs de l’ESS, avec la généralisation des schémas de promotion des achats socialement responsables et, enfin, du développement de l’ESS grâce aux fonds d’entrepreneuriat social européens en France.

Ce qui changera avec ce projet de loi, c’est également la reconnaissance et l’encouragement de l’esprit coopératif pour soutenir l’entreprenariat collectif, grâce au nouveau statut de SCOP d’amorçage et au fonds d’investissement dans les coopératives mis en place avec le soutien de Bpifrance, qui complètent le droit d’information préalable.

Notre ambition est de placer les salariés dans la situation d’être des repreneurs et de constituer une solution au problème des nombreuses fermetures d’entreprises saines, faute de repreneurs.

Il faut battre en brèche l’idée selon laquelle les salariés sont des « charges ». Ils sont au contraire une chance pour les chefs d’entreprise : les salariés sont aussi une partie de la solution au problème du chômage dans notre pays.

Grâce à ce projet de loi, performance économique et utilité sociale cesseront d’être considérées comme contradictoires. Elles pourront même, enfin, être considérées comme synonymes.

Chaque génération doit se demander ce qu’elle peut transmettre à la génération qui la suivra. Ce projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire prouve à la jeunesse qu’il y a autre chose que le profit et le capital, qu’au-delà du travail il y a un sens, « un faire autrement », un esprit collectif qui peut, à sa manière, changer le monde.

L’économie sociale et solidaire, ce n’est pas une économie de la réparation ; c’est une économie de la transformation, de la coopération, de l’innovation.

L’économie sociale et solidaire, ce n’est pas une économie du conjoncturel ; c’est une économie patiente et structurante.

L’économie sociale et solidaire, ce n’est pas une économie philanthropique ; c’est une économie démocratique.

C’est l’alliance de la tempérance et de la performance. C’est un projet de société ; c’est un choix politique.

Face aux déclinistes et aux fatalistes, il était grand temps de réinventer l’espoir et de permettre l’avènement d’un « faire autrement », d’un mode d’entreprendre alternatif, qui mérite son changement d’échelle et sa pleine réalisation au service de notre pays. §

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