Un baptême du feu au Sénat, c’est un rare privilège ! (Sourires.) Je suis persuadé que vous apprécierez la qualité des travaux qui sont conduits par la Haute Assemblée, d’autant que, comme vous l’avez souligné, nous sommes face à un texte remarquable à bien des égards.
En effet, monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, l’économie sociale et solidaire repose sur une idée simple : l’économie doit être au service de la société.
Dans l’économie capitalistique, financiarisée, mondialisée, qui a mené à la crise que nous connaissons, les profits et les outils financiers, de plus en plus complexes, sont – étaient ? – devenus des objectifs en soi. Les acteurs de l’économie sociale et solidaire, eux, ont rappelé à tous que le but premier, essentiel, était l’humain.
Il n’est donc pas étonnant que cette manière d’entreprendre, conçue dès le XIXe siècle, c'est-à-dire bien avant les dérives de l’intermédiation financière, ait survécu à toutes les crises pour connaître aujourd’hui un regain d’intérêt : elle compte aujourd'hui 200 000 établissements et représente 10 % du total de l’emploi salarié. Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d'État, comme nous l’avons fait en première lecture, il était donc temps qu’une loi lui apporte la reconnaissance qu’elle mérite et lui permette de prendre une nouvelle dimension.
Comme son nom l’indique, l’économie sociale et solidaire repose sur deux piliers.
D’une part, l’économie sociale, c’est-à-dire des structures historiques qui, au cours des XIXe et XXe siècles, ont posé quelques principes fondamentaux : des sociétés de personnes, une gestion collective des organisations, autrement dit priorité de l’humain sur le capital, priorité du projet entrepreneurial sur la rémunération des actionnaires. Cette économie s’appuie sur quatre statuts traditionnels : associations, coopératives, fondations, mutuelles.
D’autre part, l’économie solidaire, qui regroupe des entreprises réunies par un projet commun d’utilité sociale. Elles sont de différentes natures : structures d’insertion par l’activité économique, entrepreneuriat social... Ces entreprises ont toute leur place dans l’économie sociale et solidaire, mais elles ne relèvent pas d’un statut réglementé. Il est donc normal de leur assigner un certain nombre de règles pour leur attribuer la qualité d’entreprise de l’économie sociale et solidaire.
Voilà bien la philosophie de ce projet de loi et l’approche inclusive que ce texte adopte. C’est cette approche que j’ai défendue en première lecture, à l’instar de votre prédécesseur, madame la secrétaire d'État, et de vous-même aujourd'hui, et que notre commission des affaires économiques a confirmée en deuxième lecture. C’est l’un des points majeurs de ce texte.
Que ce soit à l’article 1er, qui définit ce qu’est une entreprise de l’économie sociale et solidaire, ou à l’article 7, lequel permet aux entreprises solidaires d’utilité sociale d’accéder à des modes de financement spécifiques, nous ne pouvons pas accueillir des entreprises uniquement en fonction de leur domaine d’activité, aussi noble et louable soit-il. Nous devons nous assurer qu’elles respectent les valeurs fondamentales de l’économie sociale et solidaire, c'est-à-dire un mode d’entreprendre qui n’est pas tourné vers le seul profit et une gouvernance démocratique.
À l’inverse, et c’est l’architecture globale de ce texte, il ne faut pas fermer la porte aux nouveaux entrepreneurs en leur imposant des conditions impossibles à satisfaire. L’économie sociale et solidaire doit, comme elle l’a toujours fait, s’ouvrir aux nouveaux acteurs qui respectent l’essentiel de ses valeurs fondamentales et lui permettent de conserver son dynamisme et une insertion de plain-pied dans l’économie réelle. Le risque de la marginalisation au nom d’une pureté qui serait à bien des égards surannée ne répondrait pas aux enjeux qui se posent aujourd'hui à notre société. À ce titre, le sens des modifications que notre commission a apportées à l’article 1er, tel qu’il avait été transmis par l’Assemblée nationale, prend toute sa force.
Notre assemblée a été saisie en premier de ce projet de loi, présenté par Benoît Hamon. Elle l’a enrichi et adopté le 7 novembre 2013. Les députés l’ont adopté le 20 mai dernier et, madame la secrétaire d'État, vous venez de nous le présenter aujourd'hui en deuxième lecture.
Nous en avons tous fait le constat : le projet de loi a fait l’objet d’une concertation approfondie avec l’ensemble des acteurs concernés par ce texte. C’est sans doute la raison pour laquelle ni le Sénat ni l’Assemblée nationale n’en ont remis en cause les orientations initiales. Les députés ont ainsi confirmé la plupart des apports du Sénat tout en enrichissant à leur tour le texte de plusieurs mesures significatives que je vais présenter.
En premier lieu, l’économie sociale et solidaire repose sur une volonté des acteurs de s’organiser et de suivre des règles qui ne sont pas forcément inscrites dans la loi. C’est pourquoi notre commission, en première lecture, avait prévu la création d’une déclaration de principes. C’est, sous une forme différente, cette idée qu’ont reprise les députés en définissant, à l’article 2 bis, un guide des bonnes pratiques des entreprises de l’économie sociale et solidaire.
Cette excellente initiative a pour but d’encourager les entreprises de l’économie sociale et solidaire à s’engager dans une démarche d’amélioration continue et à aller plus loin que les prescriptions légales et réglementaires, dans des domaines tels que la gouvernance démocratique, la concertation, le dialogue social ou la lutte contre les discriminations de tous ordres.
Nous aurons un débat sur le champ d’application de ce guide des bonnes pratiques, car ont été déposés plusieurs amendements sur les coopératives, qui disposent elles-mêmes d’une procédure de révision ayant fait ses preuves.
En second lieu, la diversité du secteur, qui fait sa richesse, se reflète dans ses modes d’organisation et de représentation.
Le projet de loi, à l’issue de l’examen en première lecture par les deux assemblées, dessine le cadre suivant : le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire est une structure de dialogue entre les acteurs du secteur et les pouvoirs publics ; ces acteurs sont regroupés dans des organisations propres à chaque statut, mais aussi – et c’est une dimension importante de l’économie sociale et solidaire – sur une base territoriale au sein des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, les CRESS, elles-mêmes représentées à l’échelon national par un conseil national des CRESS.
Tous ces organismes existent déjà et le texte leur apporte la reconnaissance dont ils ont besoin. Ce n’est pas une question anecdotique : trop méconnue, l’économie sociale et solidaire doit s’organiser, être accompagnée dans son organisation pour remédier au déficit de visibilité dont elle pâtit encore trop souvent auprès du grand public comme parfois auprès des autres acteurs économiques. Or ces derniers seraient susceptibles de trouver dans ce mode d’entreprendre une plus grande satisfaction que dans des modes plus traditionnels. J’ai pu le constater, y compris dans ma propre circonscription : la première technopole d’Europe, au sein de la pépinière Sophia Antipolis, accueille des start up qui, aujourd'hui, s’interrogent et sont prêtes à se saisir de dispositifs de type coopératives, SCOP – sociétés coopératives et participatives –, SCIC – sociétés coopératives d’intérêt collectif –, pour créer l’entreprise issue de leur incubation. Ce mouvement est particulièrement intéressant et nous devons l’accompagner et être en mesure de le favoriser.
L’un des principaux apports des députés est ainsi la création, au sein de cette architecture, d’une chambre française de l’économie sociale et solidaire, qui aura une vision d’ensemble de ce secteur et aura vocation à contribuer à sa représentation auprès des pouvoirs publics nationaux. Agréée par l’État, cette association sera chargée de représenter l’ensemble des familles du secteur : d’une part, les différentes formes statutaires traditionnelles comme les sociétés commerciales ; d’autre part, les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire à travers leur conseil national.
J’en viens au rôle des régions. Notre commission a restauré, à l’article 5 A, une disposition supprimée par les députés, à savoir l’élaboration par la région d’une stratégie régionale de l’économie sociale et solidaire, en raison du rôle de la région en matière de développement économique. En revanche, nous ne faisons plus référence au schéma régional de développement économique, afin de ne pas préjuger le contenu du projet de réforme des régions et de leurs compétences.
Les députés, à l’article 7, ont précisé les conditions d’application de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale », sans modifier le cadre que nous avions proposé. Notre commission a aussi complété la liste des organismes qui bénéficient de plein droit de cet agrément, en l’ouvrant à des organismes dont l’adhésion aux principes de l’économie sociale et solidaire ne fait guère de doute.
Les députés ont également supprimé l’article 9 A par lequel le Sénat avait proposé une transposition partielle de la nouvelle directive Marchés publics. Ils ont considéré, suivant les arguments présentés par le Gouvernement, que cette directive devait faire l’objet d’une transposition globale et coordonnée entre les différents niveaux concernés, législatif et réglementaire.
Les députés ont enfin créé de nombreux articles additionnels, parmi lesquels je soulignerai en particulier une première reconnaissance et réglementation des monnaies locales complémentaires. Notre commission a toutefois supprimé deux de ces articles : l’article 10 quinquies qui modifiait le régime des dons effectués par les comités d’entreprise – nous avons estimé qu’une telle disposition, dont la portée était difficile à mesurer, devrait d’abord être concertée avec les partenaires sociaux – et l’article 10 sexies qui prévoyait que les structures représentant l’économie sociale et solidaire devaient organiser une réflexion sur les conditions de financement du secteur.
Au titre II, je me réjouis tout particulièrement de l’adoption sans modification par les députés de l’ensemble des dispositions relatives à la reprise d’une entreprise par les salariés. Il s’agit d’un point fort du texte, qui a fait l’objet d’un examen très approfondi et de qualité au Sénat – ces efforts n’ont pas été vains puisqu’ils ont permis d’aboutir à un texte que les députés ont accepté dans sa totalité.
Il faut également noter deux articles qui tirent les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite « loi Florange ». Il s’agit de dispositions de coordination et de simplification. L’article 12 bis soumet ainsi l’homologation par l’administration d’un plan de sauvegarde de l’emploi au respect par l’entreprise de son obligation d’information et de recherche d’un repreneur. L’article 12 ter permet à l’autorité administrative, sans passer par le tribunal de commerce comme le prévoyait la « loi Florange », de demander le remboursement des aides publiques perçues au cours des deux dernières années en cas de fermeture d’un établissement.
L’économie sociale et solidaire, par sa définition même, ne peut se réduire à un type unique d’organisme et d’activité. C’est pourquoi le projet de loi, après avoir posé les principes généraux, apporte des réponses spécifiques à des questions ou à des besoins qui sont apparus dans chaque type de structure. J’ai pu constater, au cours des auditions que j’ai conduites en première lecture, que toutes ces dispositions avaient fait l’objet de concertations approfondies avec les acteurs concernés. Certaines de ces concertations étaient en cours à l’automne dernier : c’est la raison pour laquelle plusieurs dispositifs n’ont été introduits dans le texte que lors de l’examen de ce dernier par l’Assemblée nationale.
Sur les coopératives au titre III, les députés n’ont pas modifié les équilibres d’ensemble auxquels nous étions parvenus.
À l’article 13, qui modifie le statut des coopératives, ils ont rétabli la notion d’effort commun dans la définition de la coopérative et ont souhaité soumettre les coopératives à des obligations renforcées en matière de responsabilité sociétale des entreprises, ou RSE. Ils ont aussi permis la dévolution des réserves d’une coopérative dissoute à toute entreprise de l’économie sociale et solidaire, et pas seulement les coopératives.
En ce qui concerne la révision coopérative, les députés ont recentré les missions du réviseur sur le respect des dispositions spécifiques aux coopératives, excluant que le réviseur aille jusqu’à faire un contrôle de gestion des coopératives, mission dévolue aux commissaires aux comptes. Ils ont interdit au réviseur de poursuivre sa mission après la remise du rapport en conseillant la coopérative pour la mise en œuvre des mesures qu’il recommande, afin d’éviter tout conflit d’intérêts. Ils ont enfin raffiné la procédure en matière de révision, en faisant intervenir les unions et fédérations de coopératives avant de saisir le juge, lorsque les recommandations du réviseur ne sont pas suivies.
Ils nous proposent de porter de cinq à sept ans la durée de détention des parts des associés non coopérateurs dans les SCOP – nous nous étions laissés le temps de la navette pour trancher ce débat –, afin de permettre un amorçage sur une durée plus longue. Ils ont également sécurisé le statut des dirigeants des SCOP.
Ils ont aussi créé un article 24 bis, pour permettre aux coopératives de commerçants de reverser à leurs associés une ristourne résultant de la mise en œuvre d’une politique commerciale commune.
Afin de favoriser le financement des coopératives maritimes, ils ont prévu, à l’article 33 ter, un adossement du crédit maritime au réseau des banques populaires.
Dans le titre IV consacré aux assurances, mutuelles et institutions de prévoyance, ils ont surtout, à l’article 34, étendu le mécanisme de coassurance aux contrats collectifs facultatifs.
Le titre V relatif aux associations a été considérablement enrichi. En premier lieu, les députés ont déplacé, dans le titre V relatif au droit des associations, les articles consacrés à la définition de la subvention publique et aux dispositifs locaux d’accompagnement. Comme ces dispositifs ne visent en fait pas uniquement les associations, notre commission a légèrement modifié la structure du projet de loi en regroupant ces articles au sein d’un titre IV bis distinct.
Les députés, et tout particulièrement le rapporteur, notre collègue Yves Blein, ont ajouté différentes dispositions relatives aux associations, rappelées par Mme la secrétaire d’État, et sur lesquelles nous aurons l’occasion de débattre.
Ainsi, ils ont modifié et étendu le domaine des organismes qui peuvent bénéficier d’une exemption du versement transport ; ils ont facilité l’obtention de la validation des acquis de l’expérience pour les bénévoles membres du bureau d’une association ; ils ont aussi facilité l’adhésion d’un mineur à une association et la réalisation par lui d’actes d’administration de cette association.
L’une des évolutions majeures apportées par les députés concerne, au titre VII, les articles 49 et suivants, relatifs aux éco-organismes. Conformément aux orientations annoncées dans la feuille de route de la dernière conférence environnementale, le contrôle des éco-organismes sera renforcé, ainsi que la place des parties prenantes et de l’État, en particulier dans la mise en œuvre de leur politique de communication. Sur ce sujet, je vous proposerai trois amendements susceptibles de conserver un équilibre entre la rédaction initiale du Sénat et celle qui a été retenue par l’Assemblée nationale.
Enfin, à l’article 50, les députés ont prévu que tout consommateur pourrait obtenir, de la part du producteur ou importateur, des informations sur le respect des droits humains dans le processus de production.
Pour finir, les députés ont demandé une demi-douzaine de rapports au Parlement : notre commission, sur la proposition de son président, et avec mon accord global, en a supprimé la plupart, …