Intervention de Michel Bécot

Réunion du 4 juin 2014 à 14h30
Économie sociale et solidaire — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel BécotMichel Bécot :

Si on peut comprendre l’esprit de telles mesures, et si on peut s’émouvoir du sort réservé à certains sites de production démantelés, je continue de penser que, avec ces articles 11 et 12, vous allez vous tirer une balle dans le pied.

Certes, la rédaction définitivement adoptée par notre assemblée est moins extravagante que la version initiale. À l’origine, les articles 11 et 12 disposaient que la cession par un propriétaire d’un fonds de commerce ou d’une participation ne pouvait « intervenir avant l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification de son intention de vendre » ; je dis bien « intention » de vendre. Désormais, l’article 12 prévoit que, « lorsque le propriétaire d’une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d’une société à responsabilité limitée ou d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société par actions veut les céder, les salariés en sont informés ». Nous sommes donc passés de l’intention de vendre à la volonté de vendre.

Je voulais en venir à la constatation suivante : ce qui caractérise les articles 11 et 12, ce n’est peut-être pas un problème rédactionnel, mais tout simplement le fait que la volonté du législateur ne puisse trouver de traduction légale juridiquement acceptable. Je le dis sans volonté de polémiquer, puisque, je le répète, je comprends le fondement éthique de ces dispositions. Elles me semblent cependant inapplicables, et c'est pourquoi j’ai souhaité m’y attarder une minute. L’insécurité juridique qu’elles créeront mettra en difficulté nos entreprises, car, même si les salariés seront tenus à un devoir de réserve, les petites entreprises seront exposées à des tentatives de déstabilisation et deviendront de surcroît moins attractives pour les repreneurs étrangers, qui, dans leur grande majorité, soutiennent un vrai projet industriel.

Pour ne pas être injuste, je tiens à souligner aussi quelques-unes des avancées que contient le projet de loi. Je pense d'abord aux articles 19 et 20, qui visent à permettre aux SCOP et aux SCIC d’adopter le statut de société par actions simplifiée, et à l’article 23 sur la promotion des mécanismes de solidarité financière entre les coopératives. Je pense également aux articles 15 à 18, qui visent à simplifier le rachat des parts sociales au sein des SCOP. Nous verrons comment ces dispositions trouveront à s’appliquer, mais, sur le principe, nous y sommes favorables.

Nous souscrivons enfin aux dispositions des articles 24, 24 bis et 25, qui, je l’espère, aideront les coopératives de commerçants à pérenniser leur activité, tout comme nous soutenons l’article 26, qui tend à permettre la constitution d’une coopérative sous forme de SARL à capital variable entre au moins quatre associés, et à faciliter le passage à la forme de SA une fois que les conditions requises sont remplies et que les associés le souhaitent.

Venons-en aux points négatifs, si vous le voulez bien.

Même si ces dispositions n’ont fait l’objet que de très légères modifications, elles restent toujours en débat. Il s’agit des articles 1er et 7 sur la détermination du champ de l’ESS et les modalités d’obtention de l’agrément. Nous pensions déjà en première lecture, et nous pensons toujours que ces articles constituent une formidable occasion de donner un nouvel élan au secteur des services à la personne.

Pour rappel, ce secteur compte 1, 8 million de salariés, hors assistantes maternelles, et représente près de 5 % des salariés en France. Malheureusement, comme nous le révèle l’INSEE, ce secteur n’a pas été épargné par la crise économique. Ainsi, entre 2008 et 2010, le nombre d’heures rémunérées pour des activités de services à la personne, salariées ou non salariées, n’a augmenté que de 1, 2 % par an, contre 4, 7 % entre 2000 et 2007, avant de diminuer de 1, 8 % en 2011.

C’est pour cette raison que notre groupe a regardé avec vigilance les articles 1er et 7.

Les dispositions déterminant le champ de l’économie sociale et solidaire à l’article 1er serviront de base à l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale ». Par conséquent, si l’on est exclu du champ de l’ESS, on est privé non seulement de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale », mais également des prêts de la BPI, sans oublier que c’est cet agrément qui rend éligible aux dispositifs de soutien fiscal dits « ISF-PME » et « Madelin ».

Or, et c’est la question que nous nous sommes posée en première lecture, toutes les entreprises spécialisées dans le service à la personne pourront-elles intégrer l’ESS ? Force est de constater que tel ne sera pas le cas.

Quels sont donc ces blocages qui font de l’économie sociale et solidaire un secteur sanctuarisé aux seules associations et coopératives ?

L’article 1er tend à prévoir que les sociétés commerciales souhaitant intégrer l’ESS devront supporter le prélèvement d’une fraction au moins égale à 20 % des bénéfices de l’exercice, lequel sera affecté à la constitution d’une réserve statutaire obligatoire dite « fonds de développement », ainsi que le prélèvement d’une fraction au moins égale à 50 % des bénéfices, qui sera, lui, affecté au report bénéficiaire ainsi qu’aux réserves obligatoires, et, enfin, l’interdiction du rachat par la société d’actions ou de parts sociales. En plus de ces restrictions propres aux sociétés commerciales, ces dernières devront bien évidemment poursuivre un but « autre que le seul partage des bénéfices ».

Au cours de la discussion générale de la première lecture, j’avais donné comme exemple les réserves légales d’une entreprise, seule réserve obligatoire par défaut pour une entreprise, qui s’élèvent à 5 % du bénéfice de l’exercice, diminué de l’éventuel report à nouveau débiteur. C’est pour moi l’occasion de le répéter, vos conditions pour intégrer l’ESS, notamment les conditions liées aux réserves statutaires ou aux réserves obligatoires, sont tout simplement inaccessibles.

Il suffit pour cela de se référer à la définition de l’entrepreneuriat social présentée à l’occasion de l’initiative pour l’entrepreneuriat social de la Commission européenne, fin 2011, selon laquelle le principal objectif de ces entreprises doit être « d’avoir une incidence sociale plutôt que de générer du profit pour ses propriétaires et ses partenaires ».

Enfin, même le Centre d’analyse stratégique explique que « les entrepreneurs sociaux cherchent à conjuguer efficacité économique et finalité sociale ».

Vous comprendrez donc la finalité des amendements à l’article 1er que nous avons déposés.

J’en viens à l’article 7, qui porte sur l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale ». Il faut pour cela que l’entreprise fasse la preuve que « la charge induite par son objectif d’utilité sociale a un impact significatif sur le compte de résultat ou la rentabilité financière de l’entreprise ».

Cette disposition est pour le moins incertaine, et je ne parlerai pas de la répartition de la masse salariale : certes, les articles 6 et 7 posent des critères restrictifs, mais ils ne sont pas insurmontables.

Pour conclure, si l’article 1er est déjà, à lui seul, un obstacle pour de nombreuses entreprises, sa cohabitation avec l’article 7 ne laisse que de minces espoirs aux entrepreneurs qui se sont pourtant engagés dans une démarche sociale. En plus de l’exclusion de ces entrepreneurs, comme cela vous a déjà été dit, il existe un risque de distorsion de concurrence au détriment des sociétés commerciales évoluant dans le secteur des services à la personne, parce que celles-ci seront privées du soutien fiscal dont leurs principaux concurrents, associations ou organismes d’insertion, pourront bénéficier.

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’adoption de ce projet de loi va donc, malgré les meilleures intentions du monde, freiner le développement de secteurs à dimension sociale. Ce texte va également, à cause des dispositions déjà adoptées en formes identiques par les deux assemblées, créer une incertitude supplémentaire en cas de départ de l’actionnaire principal.

Pour ces deux raisons, qui ne sont pas des moindres, le groupe UMP, une nouvelle fois, votera contre ce projet de loi. §

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