Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 3 juin 2014 à 14h30
Réseau d'infrastructures de recharge de véhicules électriques — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Arnaud Montebourg :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le véhicule électrique est un choix non seulement technologique, mais également, aux yeux du Gouvernement, politique. C’est une révolution qui est en marche, dont nous avons décidé d’accélérer le cours, pour faire en sorte que notre pays puisse rester champion européen et mondial dans la compétition technologique de l’électromobilité.

Cette question est tout à fait centrale pour nous. Si nos constructeurs ont connu des faiblesses, ont pris des décisions sociales parfois douloureuses, des décisions capitalistiques parfois audacieuses, ils ont su promouvoir l’innovation, pour se réinventer. Renault, avec le modèle Zoé, et son allié Nissan, avec la Leaf, ont décidé d’investir l’essentiel de leur énergie dans le développement du véhicule électrique, et ils sont aujourd’hui à l’avant-garde de la révolution que j’évoquais.

Notre pays est déjà le premier marché d’Europe pour les véhicules électriques et hybrides de nouvelle génération, pour lesquels nos constructeurs ont une avance technologique reconnue. Sur le plan mondial, le marché est considérable, car les ventes sont partout en forte progression, à un rythme beaucoup plus rapide que celui des ventes de véhicules hybrides, qui se sont historiquement imposés sur le marché.

À ce sujet, je veux d’ailleurs combattre le pessimisme entretenu par des commentateurs, forcément avisés et autorisés, selon lesquels les ventes de véhicules électriques ne décolleraient pas. En termes d’installation dans l’univers familier des ménages français et européens, les véhicules électriques connaissent un succès éclatant comparés aux véhicules hybrides ! En matière d’innovation technologique, il faut comparer des choux avec des choux, et non des poireaux avec des carottes : il a fallu quinze années pour installer les véhicules hybrides dans le paysage ; aujourd'hui, les véhicules électriques commencent à s’imposer peu à peu dans les flottes privées et publiques, ainsi que chez les particuliers.

Il est d’ailleurs intéressant de voir ce qui se passe dans les pays qui ont investi dans cette technologie un peu avant nous, comme les États-Unis. Une étude du ministère américain de l’énergie a révélé que, au cours des deux premières années de commercialisation, la croissance des ventes des modèles électriques est deux fois plus forte que celle des modèles hybrides. En dix ans, les véhicules électriques ont conquis une part de marché de 3 %. Le gouvernement américain s’est fixé un objectif de 1, 2 million de véhicules électriques en 2015.

En Europe, la croissance des ventes de véhicules électriques est également très forte. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, elles ont été multipliées par vingt entre 2010 et 2012. D’après une étude réalisée par le cabinet Navigant Research, les ventes mondiales de véhicules dotés d’une technologie électrique hybride ou hybride rechargeable et de véhicules électriques représenteront plus de 35 millions d’unités en 2022.

Par ailleurs, certains d’entre vous seront peut-être surpris d’apprendre que c’est davantage dans les petites villes des zones rurales que dans les métropoles que le véhicule électrique rencontre le succès. Ainsi, Renault vend 75 % de ses Zoé dans les villes de moins de 50 000 habitants, là où les transports en commun ne sont pas suffisamment développés, où les trajets pendulaires entre le domicile et le travail ne sont pas assez desservis et où nos compatriotes ont décidé de réduire leurs dépenses de carburant.

Il est vrai que le choix du véhicule électrique est une forme de révolution non seulement économique et technologique, sur les marchés mondiaux où notre industrie automobile se réinvente, mais aussi sociétale : le véhicule électrique concourt à l’émergence d’une société plus respectueuse de son environnement grâce à l’absence d’émissions de gaz carbonique et de nuisances sonores. C’est essentiel pour réduire notre dépendance à l’égard des ressources fossiles et développer notre souveraineté énergétique.

Je profite de cette tribune pour indiquer à nos concitoyens aux revenus modestes que le véhicule électrique permet aussi de se déplacer à moindre coût, en faisant le plein pour 2 euros ! J’ajoute que quand le coût de la batterie commencera à chuter en raison du développement technologique, le prix de location de la batterie chez les constructeurs développant des véhicules électriques baissera.

Le véhicule électrique est donc aujourd’hui compétitif. Nous avons d’ailleurs défini notre politique de bonus de telle sorte qu’il le soit par rapport aux petits modèles de véhicules thermiques, tels que la 208 et la Clio. Ainsi, le montant du bonus est fixé à 6 300 euros pour les véhicules électriques. Nous entrons dans la troisième année de la politique de soutien de l’État à l’électromobilité, qui permet à nombre de nos compatriotes disposant de revenus modestes de diminuer leurs coûts de déplacement.

À ceux qui restent sceptiques, j’indiquerai que 85 % des Français parcourent moins de 65 kilomètres par jour : il n’est donc pas nécessaire d’implanter des points de recharge électrique partout ! Il suffit de les placer au bon endroit – c’est l’esprit de cette proposition de loi –, afin que les utilisateurs de véhicules électriques soient assurés de ne jamais rester en panne.

Pratiquant moi-même l’électromobilité au volant d’une Zoé de fonction, je puis témoigner qu’elle m’a permis de redécouvrir le plaisir de conduire et la liberté, par l’alliance de la nervosité et de la douceur, de l’agressivité et de la délicatesse ! §Nos compatriotes peuvent utiliser les véhicules électriques sans aucune difficulté, car ceux-ci sont équipés de batteries leur permettant de parcourir une distance double de celle qu’ils effectuent chaque jour en moyenne dans 85 % des cas.

Outre les bonus que nous avons décidé de mettre en place dans le cadre du plan automobile présenté en juillet 2012, nous offrons un soutien très important, au titre du grand emprunt, à nos constructeurs et équipementiers afin qu’ils développent davantage encore la technologie. Le préfet Francis Vuibert, présent aujourd’hui à mes côtés au banc du Gouvernement, est le chef de projet de ce plan pour développer l’autonomie et la puissance des batteries, dont la finalité est de nous rendre notre souveraineté dans ce domaine. En effet, aujourd’hui, les technologies sont, pour l’essentiel, importées d’Asie, de la Corée du Sud ou du Japon, de préférence à la Chine. C’est l’une des raisons pour lesquelles, avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, Renault et Nissan, nous avons fait le choix d’investir dans des technologies permettant d’améliorer chacune des « briques » de la technologie des batteries.

Nous investissons donc aussi dans la technologie, en amont des efforts des constructeurs pour concevoir les futures générations de batteries. Cela permettra de créer des emplois pour les Français, qui seront en outre contents de savoir que la Zoé qu’ils achètent est montée à Flins, avec un moteur fabriqué à Cléon : Renault, dans sa stratégie de réinvention de ses métiers, a fait le choix de relocaliser sur le territoire national la fabrication de jusqu’à 700 000 véhicules par an, contre 500 000 il y a deux ans et 1 million voilà une décennie. Nous assistons donc à une remontée de la « base industrielle France » en matière automobile, ce dont je ne peux que me réjouir.

Par ailleurs, la commande publique de l’État a été réorientée de façon obligatoire, à hauteur de 25 %, vers les véhicules électriques et hybrides. La flotte comptait 100 véhicules électriques et hybrides en 2012, 1 270 en 2013 : j’espère que nous progresserons encore en 2014 ! J’ai apprécié que plusieurs de mes collègues ministres se déplacent en véhicule électrique, que la flotte de l’Élysée se dote de Zoé. J’ai vu des députés rouler en Zoé, mais pas encore de sénateurs ! §

J’en viens à la proposition de loi qui a été déposée par Mme Frédérique Massat, députée de l’Ariège : elle vise à faire en sorte que la dynamique enclenchée en France puisse s’étendre, s’accentuer, être partagée par nos compatriotes, et que les obstacles, essentiellement psychologiques, mais aussi parfois techniques, au choix de rouler en voiture électrique soient levés. C'est une demande de nos constructeurs, mais c’est aussi l’axe de notre plan industriel « bornes électriques de recharge » visant à densifier le réseau de ces équipements.

Nous disposons en France du réseau le plus dense d’Europe, avec 8 000 points de charge. Nous le devons essentiellement aux initiatives des collectivités locales qui ont soit décidé d’installer elles-mêmes des points de charge dont elles assurent la gestion en régie directe, soit délégué leur mise en place à des systèmes d’autopartage tels que Autolib’ à Paris, à Lyon ou à Bordeaux. En région parisienne, Autolib’ a ainsi permis l’installation de plusieurs milliers de points de charge dans quarante communes. Soulignons que tout propriétaire d’un véhicule électrique ne relevant pas du système d’autopartage peut recourir, en tant que tiers utilisateur, aux bornes de recharge du réseau Autolib’, construit, sur délégation de service public, par l’entreprise Bolloré. Cette information doit être diffusée plus largement auprès du public.

Aujourd'hui, le nombre de points de charge dans la métropole parisienne est suffisant pour permettre à l’électromobilité de s’y développer. Notre conviction est que l’ensemble du territoire national doit être maillé. C’est la mission qui a été confiée à M. le préfet Francis Vuibert et c’est l’objet du présent texte.

Nous souhaitons donc accélérer la multiplication, sur la carte de France, des zones équipées de bornes de recharge normale ou accélérée – le temps de charge étant respectivement de huit heures et de deux à quatre heures, suivant les technologies –, sur l’initiative des collectivités publiques ou du secteur privé. Aujourd'hui, beaucoup de grandes surfaces, d’agences de La Poste installent des bornes de recharge à leurs abords. Les gares SNCF commencent elles aussi à s’en doter. Nous avons en outre sollicité les grandes compagnies gestionnaires de parkings souterrains pour qu’elles y implantent de tels équipements.

C’est d'ailleurs en ce sens que j’ai demandé l’abaissement des seuils d’éligibilité prévus au cahier des charges de l’appel à manifestation d’intérêt de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, qui faisaient obstacle à l’installation ou à l’accès aux subventions du grand emprunt. Nous disposons d’une enveloppe de 50 millions d’euros pour aider les collectivités locales à s’équiper. Le seuil de 200 000 habitants va notamment être supprimé et remplacé par un seuil de densité, fixé à une borne pour 3 000 habitants. L’arrêté validant ces modifications est à la signature de M. le Premier ministre. Son entrée en application est donc imminente. J’informerai M. le rapporteur de ces évolutions.

De manière complémentaire, il nous a paru nécessaire de relier entre elles l’ensemble des initiatives locales pour leur donner une cohérence nationale. Cet objectif interterritorial nécessite l’intervention de l’État et justifie le dépôt, sur l’initiative de Mme la députée Frédérique Massat, de la proposition de loi dont nous débattons cet après-midi. Pour l’heure, la carte de l’installation des bornes de recharge en France ressemble à une peau de panthère.

Concrètement, cette proposition de loi vise à exonérer de la redevance d’occupation du domaine public l’implantation de réseaux d’infrastructures de recharge de véhicules électriques. Ce texte opérationnel, pragmatique et très concret enclenche une logique incitative et plutôt novatrice pour ce type de projets d’infrastructures nationales.

Bien sûr, les collectivités locales conserveront leur pouvoir d’autorisation d’occupation du domaine public, dans le cadre de la concertation prévue par le texte, et chaque commune sollicitée restera libre de refuser l’implantation de la borne proposée. Nous n’envisageons pas la mise en œuvre de ce réseau sans la coopération des collectivités locales, qui est essentielle. Connaissant mieux que quiconque les flux de déplacements, les collectivités sauront éclairer les décisions des opérateurs. Cette coopération pourra s’exercer dans le cadre légal que nous définissons ensemble cet après-midi.

Le financement reposera intégralement sur les porteurs de projets : une fois que l’opérateur et le maire se seront mis d’accord sur le nombre et la localisation des bornes sur le territoire de la commune, c’est l’opérateur qui paiera. En contrepartie de l’implantation, la personne publique concernée devra ne pas prélever de redevance d’occupation. M. Pélissard, le président de l’Association des maires de France, a donné son accord. Au final, tout le monde sera gagnant : en échange de l’occupation d’une petite partie du domaine public, la collectivité améliorera l’équipement de son territoire et rendra service à la population ; quant à l’opérateur, les coûts à sa charge ne seront pas alourdis, ce qui profitera aussi à l’usager du véhicule électrique. Ce modèle économique me semble viable et équilibré.

Bien sûr, l’État, dont on a toujours besoin – ce n’est pas le colbertiste assumé que je suis qui dira le contraire –, pourra exercer un contrôle afin de s’assurer de la cohérence nationale des projets portés par les entreprises et consortiums privés ou résultant des initiatives locales. Après approbation par les ministres chargés de l’industrie et de l’écologie, ces projets feront l’objet d’un accompagnement de l’État. Si nécessaire, une entrée dans le capital, en qualité d’investisseur avisé, sera possible. Je le dis à l’intention de nos amis bruxellois !

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