Merci de m'offrir cette opportunité de m'exprimer devant vous. Je voudrais tout de suite préciser, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, que la réforme est le projet du Gouvernement et du ministre, présenté devant l'Assemblée nationale et le Sénat. Je n'interviens ici qu'en tant que responsable de la SNCF, qui est l'opérateur public national de transport. Je ne suis pas là pour présenter le détail de cette réforme, mais pour indiquer ce que peut apporter la SNCF avec cette réforme, si le Parlement l'adopte.
De notre point de vue d'opérateur ferroviaire, cette réforme doit être faite pour améliorer la vie des voyageurs et des chargeurs. Il ne faut jamais perdre de vue cet objectif central qui est de rendre un meilleur service public ferroviaire. Je pense que c'est ce que le pays attend de la SNCF si la réforme est votée. Concrètement, qu'allons-nous faire ?
Premièrement, nous allons mieux organiser nos travaux, car il y a un mur de travaux sur le réseau aujourd'hui. Deuxièmement, nous devons obtenir une meilleure cohérence « système », avec la préoccupation constante d'instaurer le meilleur lien entre l'infrastructure et le ou les transporteurs. Troisièmement, il nous faut améliorer l'utilisation du réseau. Il y a un et un seul réseau, qui doit se partager entre les travaux, de maintenance et de régénération, et les circulations. Pour avoir vécu ces quinze dernières années le face-à-face de deux établissements publics, qui auraient pourtant dû être côte-à-côte, et la guerre ouverte qu'ils ont menées pendant quelques années, on voit bien que l'utilisation du réseau n'était pas optimale. Tout le monde connaît des tas d'exemples où des travaux prévus empêchaient la circulation des trains, alors que ces travaux n'avaient finalement pas lieu et inversement, des trains empêchant la réalisation de travaux alors que, finalement, le train ne circulait pas. De l'avis général, le réseau ferroviaire français est sous-utilisé, faute de coordination entre celui qui a la charge du réseau et ceux qui sont responsables des transports.
Si la réforme est adoptée, je m'engagerai à ce que la régularité des trains augmente d'un point supplémentaire tous les deux ans, soit d'un demi-point par an sur les quatre à cinq ans qui viennent. C'est un pari audacieux, dans une période de travaux tous azimuts. Mais je suis tellement convaincu que nous pouvons mieux faire fonctionner le système que je prendrai cet engagement.
Tous les élus de France ont vécu ces dernières années l'incroyable complexité du système ferroviaire, dans lequel les élus sont ballottés, renvoyés de Gares et connexions vers l'infrastructure, de l'infrastructure vers le transporteur... Ce n'est ni décent ni efficace, et cela a bloqué un nombre considérable de projets d'aménagement urbain et foncier. Par conséquent, je m'engage, si la réforme est votée, à unifier la gestion du patrimoine foncier et immobilier immédiatement. Au-delà du régime juridique et des personnes juridiques, nous allons mettre en place, avec Jacques Rapoport, dès le lendemain de la réforme, un plateau commun qui sera l'interlocuteur unique de tous les élus aux plans local et national pour simplifier les problèmes de foncier et d'immobilier. Il y aurait bien d'autres exemples à donner, mais celui-là me semble le plus frappant. Simplifier la vie des élus et des collectivités pour accélérer les opérations d'aménagement, et au-delà, la valorisation, pour le logement social et les équipements collectifs, ainsi qu'un meilleur traitement des délaissés. Il existe en effet dans toutes les agglomérations et dans toutes les villes des délaissés ferroviaires, qui sont dans un état déplorable et posent problème pour les élus. Nous allons nous engager à les traiter lorsque la réforme sera adoptée.
Comment peut-on s'engager vis-à-vis des autorités organisatrices ? J'espère que, dans votre sagesse, vous ferez des régions des autorités organisatrices de plein exercice, et que nous sortirons du milieu du gué actuel, où l'on ne peut pas vraiment dire que celui qui paie décide. C'est beaucoup plus compliqué que cela. Chacun sait par exemple que l'augmentation des tarifs TER est fixée chaque année lors d'une réunion interministérielle de l'État, mais s'applique aux régions. C'est un système un peu paradoxal. Juridiquement, les trains sont payés à 100 % par les régions, mais ne leur appartiennent pas. Une simplification et une clarification sont nécessaires autour de « qui paie décide ».
En tant que responsable de l'opérateur, je voudrais aussi indiquer que le Parlement européen a adopté un texte qui fixe des échéances en 2019 et en 2023. Le texte du Gouvernement ne traite pas de la préparation de l'ouverture à la concurrence. Mais pour l'opérateur, il faudra traiter cette question ultérieurement. Souvenons-nous en effet du choc massif subi lorsque le fret a été ouvert à la concurrence en 2007-2008, en raison de sa malheureuse impréparation : recul de tous les trafics fret, quasi-faillite de Fret SNCF... Il faudra donc se préparer à cette ouverture à la concurrence. Les personnels nous posent cette question : si la SNCF perd un marché en 2023, que se passera-t-il pour les personnels qui travaillent sur la ligne concernée ? Seront-ils transférés au nouvel opérateur, comme c'est le cas dans les villes ? Ou bien resteront-ils à la SNCF, qui les réaffectera sur d'autres lignes qu'elle gère, comme c'est le cas en Allemagne ? Plusieurs systèmes sont possibles, mais on ne peut pas attendre que cela arrive, en 2023, pour régler la question.
D'un point de vue économique, nous partageons la même analyse avec Jacques Rapoport. Le projet de loi tel qu'il est permet aux deux établissements publics de stabiliser leur dette à une échéance proche de 2020. Mais il s'agit de la stabiliser, et à un niveau très élevé. Ce n'est donc qu'une première étape, qui n'en reste pas moins fondamentale, puisque, aujourd'hui, suivant le loyer de l'argent et le nombre de projets de grande vitesse, la dérive se situe entre 1,5 et 3 milliards d'euros. Cet objectif de stabilité est ambitieux. Il suppose trois choses. Premièrement, que notre pays réduise la voilure sur les nouveaux projets de lignes à grande vitesse. Deuxièmement, que le système ferroviaire fasse un effort de performance sans précédent. Avec Jacques Rapoport, nous nous engagerons, si la loi est votée, à faire 1 milliard d'économies sur la facture ferroviaire de la France en trois à cinq ans : 500 millions du côté du réseau, 500 millions du côté de l'opérateur de mobilité. Troisièmement, l'État devra accompagner cet effort de stabilisation de la dette. Sans cet effort, la réforme n'atteindra pas son objectif de consolidation du système ferroviaire. D'autres étapes interviendront après cette stabilisation, mais commençons par celle-là, qui est déjà ambitieuse.
On ne peut pas préparer l'avenir en faisant l'impasse sur les règles sociales du système. Cela reviendrait à faire des cheminots la variable d'ajustement et à laisser leurs questions sans réponse. De ce point de vue, le projet de loi comporte une disposition fondamentale, le maintien du statut pour les cheminots aujourd'hui employés sous ce régime, comme cela a été prévu dans d'autres réformes, à EDF, à la météo, etc. et la prescription par la loi de la négociation d'une convention collective applicable à 100% des salariés du secteur. Cette convention collective devra fixer les règles d'emploi, l'application des 35 heures, les amplitudes, les repos, tout ce qui fait la vie quotidienne des cheminots du public ou du privé. Nous soutenons fermement cette disposition avec Jacques Rapoport, car elle incarne la préparation de l'avenir. Cette discussion s'est déjà amorcée : sept syndicats sont autour de la table, tous les salariés sont représentés et nous avons déjà obtenu un accord de méthode, ce qui est un point fondamental. Les syndicats et le patronat se sont engagés, sous l'autorité de l'État, dans cette négociation en partageant ses objectifs et la façon de négocier, ce qui est de bon augure, même si chacun sait que ce sera compliqué.
J'en viens à la question européenne. Lors de ma précédente audition à l'occasion de mon renouvellement, j'avais évoqué les positions de la Commission qui paraissaient très tranchées, un peu dogmatiques, puisqu'elle avait affirmé que seule la séparation serait à terme acceptée en Europe. La France, avec l'Allemagne, a joué son rôle, la France par la négociation, l'Allemagne plus par le rapport de force, et le vote du Parlement européen en février laisse ouvert le choix entre deux systèmes : le système intégré que vous vous apprêtez à examiner et un système séparé que d'autres pays ont choisi. Ces deux systèmes sont autorisés par l'Europe à la condition qu'il y ait un régulateur - en France, l'ARAF - et que ceux qui choisissent l'unité respectent le principe de non-discrimination des entreprises privées ferroviaires. Jacques Rapoport et moi-même sommes décidés à respecter ce principe, parce que c'est la condition d'existence d'un système intégré.
Pour finir, que peut apporter cette réforme à l'exportation et à l'emploi ? Il s'agit pour moi d'un point essentiel. On ne le sait pas, mais la SNCF est un champion industriel français, européen et international. Elle fait aujourd'hui presque dix milliards de volume d'affaires hors de France. Pour certaines de ses activités, la logistique, le métro, les tramways, la moitié de notre activité est réalisée en Europe ou dans le reste du monde. Nous sommes le deuxième groupe mondial de services de mobilité derrière le groupe allemand Deutsche Bahn. Ces activités sont en très forte croissance dans le monde entier. L'urbanisation et le développement de grandes métropoles exigent des solutions de transport écologiques et acceptables en termes énergétiques. Ces activités sont donc vitales dans le monde entier et c'est l'un des points forts de notre pays. Avec une nouvelle organisation, nous agirons, en tant qu'acteur majeur du système ferroviaire. Nous apportons des solutions globales à des villes et des entreprises : nous ne vendons pas le savoir-faire français par tranches. Nous arrivons avec des ETI françaises, avec des entreprises de génie civil, avec des constructeurs de matériel français. Cette dimension offensive de champion industriel français est la finalité. La chancelière allemande nous a un jour dit que le fonctionnement de la Deutsche Bahn faisait l'objet d'un consensus politique en Allemagne : quelles que soient les coalitions, le fait d'avoir un champion industriel lui permet de jouer un rôle prépondérant dans les systèmes de transport en Europe et dans le monde. Cette dimension est créatrice d'emplois, de croissance et d'équilibre pour le commerce extérieur.