Vos questions dressent un tour d'horizon assez complet de l'ensemble des enjeux à court, moyen et long terme.
Monsieur Teston, il existe effectivement un risque que la gestion par activités crée des rigidités. Mais je vous rappelle qu'elle succède, depuis 1991, à la gestion par circonscriptions géographiques qui conduisait à sacrifier systématiquement le fret au profit du transport de voyageurs. Or nous ne pouvons pas nous permettre de délaisser la qualité de service du fret, autrement les industriels se reporteront sur le transport routier. C'est le principe du choix modal : on ne sauvera le fret qu'avec des moyens dédiés !
De la même façon, en parlant d'autorité organisatrice, chaque président de région veut savoir quels sont les moyens effectivement mis en oeuvre par la SNCF pour assurer le service public, afin de pouvoir apprécier la transparence financière et se faire une opinion sur le rapport coût/efficacité des moyens déployés.
En ce qui concerne l'intercité, une vaste remise à plat est nécessaire. Le premier contrat arrive à échéance le 31 décembre 2014. La piste la plus prometteuse est celle de la commission Mobilité 21 qui recommande la création d'une activité de « train rapide de grande ligne », comme il en existe en Allemagne, à savoir des trains roulant à 160, 200, 220 km/h et ne supposant pas d'investissement dans des lignes à grande vitesse. C'est la solution d'avenir pour l'intercité, qui se définit aujourd'hui uniquement par « ni TER, ni TGV ».
Quant à la crise avec les régions, celles-ci ont eu largement raison, je l'ai déjà dit au Sénat. Nous sommes en train de sortir de l'impasse. Tout d'abord, les contentieux financiers sont quasiment tous réglés : il n'y a plus de suspension de paiement et nous avons signé des avenants pour que le devis soit stable à offre constante en 2014 et 2015. C'était une demande des régions en l'absence de recette nouvelle, comme l'a indiqué Roland Ries : leur message a été entendu. Deuxième point, au congrès de l'Association des régions de France (ARF) de l'automne dernier, j'ai proposé trois choses : liberté tarifaire, propriété régionale des matériels et gouvernance régionale des gares. C'est une proposition de l'opérateur, mais c'est au pouvoir politique, Gouvernement et Parlement, qu'il revient de trancher. Enfin, je suis favorable à ce que les comptes TER de la SNCF soient certifiés ou au moins validés par l'ARAF : il s'agit de garantir aux régions qu'elles ne sont en aucune manière surchargées de paiements qu'elles ne devraient pas faire.
Vous avez également évoqué le sujet de la grève. La réforme proposée est l'objet d'un consensus politique sur sa nécessité et son principe. Sur le contenu, la porte reste ouverte. Deux organisations syndicales sur quatre ont d'ores et déjà déposé un préavis de grève, pour le 10 juin, qui me semble prématuré et précipité : le ministre des transports a en effet indiqué qu'il recevrait l'intersyndicale le jeudi 12 juin à 15 heures. Il y a place pour une discussion utile. Et je tiens aussi à faire remarquer que deux organisations syndicales n'ont pas déposé de préavis de grève, ce qui mérite tout autant d'être souligné ! Enfin, je pense que les cheminots savent faire preuve de responsabilité : lundi 16 juin, 600 000 lycéens passent le baccalauréat, il faut que le service public soit au rendez-vous. On ne peut pas imaginer que 600 000 familles puissent être perturbées par un mouvement social sur lequel elles n'ont que peu de prise ! Toutes les garanties d'ouverture sont aujourd'hui sur la table.
Monsieur Nègre, en ce qui concerne l'ARAF, j'ai mentionné qu'en tant qu'opérateur, nous souhaitons un régulateur fort, tant d'un point de vue juridique qu'économique. Mais le réglage de ses compétences relève véritablement du pouvoir politique.
Sur la place des élus et des usagers dans le projet de loi, mon opinion est que l'on n'a pas assez pris conscience du rôle du conseil de surveillance du ferroviaire. C'est une novation considérable. Aujourd'hui, Jacques Rapoport et moi présidons nous-mêmes nos conseils d'administration, ce qui est une particularité française. Le projet de loi propose d'adopter le système allemand, en distinguant ceux qui gèrent et ceux qui contrôlent. Le conseil de surveillance aura deux lourdes responsabilités : il recevra périodiquement un rapport du directoire - en Allemagne, les dirigeants sont passés au grill une demi-journée tous les deux mois ; il définira et mettra en oeuvre la politique ferroviaire du pays, sous le contrôle des autorités politiques. Il s'agit donc d'une institution fondamentale, à l'intérieur de laquelle siégeront des représentants des régions et des usagers.
Monsieur Grignon, vous avez évoqué le directoire. Là encore, on reste dans le système allemand, avec deux entités, l'une de réseau, l'autre de services. Les deux PDG constitueront un couple solidairement responsable, devant le conseil de surveillance et le pays, de la bonne marche du système. Il est difficile de faire plus simple et plus efficace.
La question des gares est très débattue. La moitié des pays d'Europe a mis les gares du côté du réseau, et l'autre moitié du côté du service. Notre recommandation, avec Jacques Rapoport, est de laisser les gares du côté du service pour deux raisons : la réforme est déjà considérable et ajouter un volet gare au réseau, avec 10 000 personnes qui exercent des métiers d'accueil et de clientèle, ne ferait qu'alourdir la barque ; l'autre raison est que le système créé par la loi de 2009, avec une entité « Gares et connexions » au sein de la SNCF, n'est contesté par aucun concurrent, et il n'y a aucune affaire contentieuse devant l'ARAF ou l'Autorité de la concurrence. Il est donc préférable de conserver le système actuel puisqu'il fonctionne. En revanche, les cours marchandises sont clairement transférées par le projet de loi.
S'agissant du fret, évoqué notamment par Francis Grignon et Roland Ries, la situation a beaucoup évolué. Nous étions, il y a quatre ans, en situation de semi-faillite. En 2008, la marge opérationnelle de Fret SNCF était négative à hauteur de - 380 millions. Cette année, cette marge sera négative à hauteur de - 100 à - 120 millions. Nous avons donc parcouru quasiment les trois quarts du chemin de retour à l'équilibre. Nous avons stabilisé les volumes depuis l'année dernière en recentrant Fret SNCF sur les flux de long parcours - sur lesquels nous sommes compétitifs par rapport à la route - et sur le portuaire, le combiné, les autoroutes ferroviaires et les trafics européens. Certes, le niveau est encore très bas, mais Fret SNCF commence à regagner des parts de marché sur ses concurrents. Cette année, nous sommes, en volume, à + 2 %. Enfin, le « plan Borloo » de 2007-2008, qui prévoyait des investissements et des nouveaux produits sur le fret ferroviaire, se met progressivement en oeuvre. Avec les autoroutes ferroviaires, le combiné portuaire, le fret européen, nous inventons, année après année, un nouveau fret ferroviaire.
Concernant la satisfaction des clients, je tiens à saluer le travail extraordinaire des 9 000 cheminots du fret. En 2010-2011, le taux de satisfaction avait progressé de 10 points. En 2012-2013, la progression atteint 18 points d'après l'enquête que nous venons de terminer. Ainsi, 84 % des chargeurs clients de Fret SNCF se déclarent satisfaits ou très satisfaits. Certes, il reste encore des progrès à faire, mais je souhaite réaffirmer que les efforts des cheminots et les très nombreuses suppressions de postes ont permis une restructuration qu'il faut saluer et soutenir.
Les sillons constituent une menace réelle. Il existe aujourd'hui un « péage négatif », c'est-à-dire une sorte de subvention publique au fret ferroviaire dans notre pays qui représente 40 % du coût des sillons. Si ce péage négatif devait disparaître, les 18 opérateurs français devraient redimensionner leur activité. Cela constituerait une menace pour le volume du fret ferroviaire français.
Le projet de loi qui vous est soumis ne remet pas en cause le statut des cheminots, pour ceux qui remplissent les conditions. Celles-ci sont très simples. Les cheminots de moins de 30 ans seront à l'avenir embauchés au statut car cela permet de financier le régime de retraite. Ce dernier est devenu un régime d'État, financé par les cotisations des cheminots, de l'entreprise et par une subvention liée au déséquilibre démographique. Les cheminots de plus de 30 ans, quant à eux, seront embauchés en CDI, au régime général. Le projet de loi ne prévoit pas de changement sur cette question.
Pour répondre à Hélène Masson-Maret, les régions qui le souhaitent pourront acquérir directement leur matériel auprès des constructeurs, en respectant le code des marchés publics. Cela ne pose aucun problème à la SNCF.
La réforme territoriale souhaitée par le gouvernement pourrait, me semble-t-il, être bénéfique. Le système des trains express régionaux est aujourd'hui très émietté, avec des problèmes de liaisons entre régions et des parcs ne pouvant être mutualisés. La création de grandes régions pourrait être une source d'économies, en termes de frais de structure, mais aussi une source d'efficacité pour la SNCF, qui calquera naturellement son organisation sur ces nouvelles régions.
Jean-Jacques Filleul a soulevé un problème technique mais politiquement très important. Au Parlement européen, un mécanisme de sanction a été adopté en février dernier à l'égard des pays qui n'ouvriraient pas progressivement leur marché à la concurrence, en matière ferroviaire, à l'échéance 2019-2023. Les entreprises de ces pays ne pourront pas exercer leur activité dans les États qui, eux, ont ouvert leur marché. Aussi, dans la mesure où le marché français ne comporte pas aujourd'hui de dispositif qui prépare l'ouverture, les entreprises françaises dans le domaine ferroviaire ne pourraient plus s'implanter en Allemagne ou encore en Italie. Le secteur ferroviaire français aura beaucoup à craindre si ce mécanisme n'est pas considéré comme illégal.
Au sujet des compétences de la tête de groupe, le projet de loi rend celle-ci responsable des aspects système, c'est-à-dire de la bonne intégration entre le rail, la voie et le train, au bénéfice de la SNCF mais aussi de toutes les entreprises ferroviaires, sans discrimination. Des amendements examinés par l'Assemblée nationale prévoient en outre de confier la responsabilité du pacte social cheminot à la tête de groupe, de même que des fonctions de pilotage. En matière foncière notamment, il serait opportun que la loi le prévoie. Je pense que l'on pourrait également donner une compétence en matière de sécurité à la tête de groupe, dans le respect de l'indépendance des fonctions essentielles.
Pour répondre à Evelyne Didier, je vous confirme que, de mon point de vue, plusieurs améliorations du projet de réforme sont encore possibles. Ainsi, le degré d'intégration pourrait être renforcé sans pour autant porter atteinte à l'indépendance des fonctions essentielles. Le volet financier pourrait être rendu plus robuste par des mesures complémentaires destinées à stabiliser la dette. Le volet social pourrait être nourri des travaux des commissions. Enfin, les responsabilités des autorités organisatrices de plein exercice pourraient être clarifiées. Il faudra d'ailleurs que les régions aient, à terme, des ressources propres pour financer les TER.
Au sujet de la dette évoquée par Alain Houpert, je préciserai que celle-ci ne concerne pas les retraites. La caisse des retraites de la SNCF est désormais une caisse d'État.
Concernant l'harmonisation sociale, il faudra, une fois celle-ci effectuée en France, l'effectuer au niveau européen pour éviter une guerre des moins disant entre les réseaux. Dans le routier, le moins disant social vient perturber les marchés des États membres qui eux, ont des équilibres sociaux souvent décidés par des conventions collectives. Je considère qu'il faut, dans le ferroviaire, un véritable dialogue social européen et une harmonisation sociale.
S'agissant du coût du train pour les usagers, la baisse des tarifs doit passer par une baisse des coûts.
Enfin, comme vous l'avez demandé, je pense que nous devrons accentuer, avec RFF, la pression sur les opérateurs télécoms qui pratiquent les accords d'itinérance le long des voies.
Sur les remarques de Roland Ries, avec lesquelles je suis très en phase, il existe bien une différence entre un opérateur et une autorité organisatrice, et la SNCF a mis trop de temps à totalement l'intégrer. Aujourd'hui, Alain Le Vern, patron des TER, termine un projet de décentralisation de la SNCF, conduisant à ce que chaque président de région aura face à lui d'ici la fin de l'année, un responsable TER qui ne pourra plus jamais dire « je défère à Paris ou à ma direction centrale ». Désormais, c'est le directeur régional qui sera en charge de la totalité des réponses. Il maitrisera les effectifs, ainsi que les moyens financiers, et il sera responsable des objectifs de qualité et de service. Sur le modèle de délégation de service public, j'y suis également favorable.
Sur la question de la dette, je pense qu'il faut d'abord bien distinguer le surendettement de l'endettement. Nous sommes aujourd'hui surendettés, cela signifie que nous risquons de devoir réemprunter pour assumer la charge de notre dette. Les taux d'intérêt sont très bas, s'ils remontent nous serons en situation de surendettement. C'est pourquoi l'objectif de stabilisation de la dette est vital. Mais, il suppose que les moyens financiers disponibles dans ce pays soient consacrés à la maintenance et à la modernisation du réseau existant, et que l'on réduise la voilure sur la construction de lignes nouvelles. Deuxièmement, il suppose un effort de performance. Nous nous engagerons par un contrat de performance signé avec l'État, sur le contenu de ce milliard d'économies : 500 millions pour le réseau, et 500 millions pour l'entreprise de services.
Enfin, il suppose sans doute que l'État puisse lui aussi faire sa part du chemin. Nous avons d'ores et déjà fait des propositions, et notamment que les dividendes versés soient réinvestis pendant un certain nombre d'années pour accélérer la stabilisation de la dette et que l'impôt sur les sociétés, qui est versé aujourd'hui, soit lui aussi affecté à la stabilisation de la dette. Cette question de la dette est absolument centrale, et l'étape de stabilisation est une première étape nécessaire.
Enfin, sur le patrimoine foncier. Que peuvent « rapporter » des cessions intelligentes ? Nous pensons que cela peut être de l'ordre de 150 à 200 millions d'euros par an, en tenant compte d'une loi que vous avez adoptée, qui prévoit des cessions dans le domaine ferroviaire, à tarif préférentiel pour les logements sociaux.
Sur la question de la mise en cohérence des différentes lignes, des différents services, vous évoquez un aspect essentiel. Il s'agit de la nécessité que les futures autorités organisatrices de plein exercice soient moins nombreuses, avec un ressort plus vaste, pour pouvoir elles même faire ce travail de mise en cohérence. En effet, lorsqu'on voit des bus départementaux en concurrence avec des TER régionaux, et avec des centrales de mobilité gérées par les agglomérations, on se dit que l'argent public n'y trouve pas son compte. Et donc là aussi, on peut faire un rapprochement avec la réforme territoriale.
Enfin pour répondre à la question de Jean-Pierre Bosino, relative aux moyens financiers pour le mur des travaux. Les 500 millions d'euros de RFF, ou du futur SNCF réseau, ne sont pas des économies sur la modernisation ou la maintenance, mais essentiellement sur les achats, les frais de structures et les duplications. Pour vous en citer une, il existe aujourd'hui, un contrat de gestion d'infrastructures de plus de mille pages, qui nécessite plusieurs dizaines de contrôleurs de gestion au plan central et régional, pour régler le ballet entre RFF et SNCF-infra. Il y a des dizaines d'exemples similaires, c'est à dire de personnes qui travaillent dur pour des tâches qui ne présentent finalement aucun intérêt en termes de service public ou de qualité.
Vous évoquiez également la question de l'augmentation des recettes. Dans le projet que je porte à l'intérieur de la SNCF, qui s'intitule « Excellence 2020 », et qui a été adopté il y a huit mois, le chiffre concernant le développement s'élève à 1,3 milliard d'euros sur la période, pour les trains de la vie quotidienne qui sont une priorité absolue, y compris les intercités. Deuxièmement, il s'agit d'être capable d'offrir un service de bout en bout, c'est-à-dire d'offrir là où c'est nécessaire, des trains, des trams, des métros, des bus et des transports à la demande, en somme toute la chaîne, pour que les Français puissent avoir une alternative à la voiture.
Enfin, l'activité internationale du groupe représente 25 % de son chiffre d'affaires, c'est-à-dire entre 9 et 10 milliards d'euros. Je me suis engagé à porter ce chiffre à 33 % d'ici 2017, pour que la France soit, encore plus qu'aujourd'hui, un champion reconnu des systèmes de mobilité au plan mondial, avec derrière ces enjeux en termes de chiffre d'affaires, les exports et l'emploi.