Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 3 juin 2014 : 2ème réunion
Certification des comptes de l'état — Exercice 2013 - et rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire de l'exercice 2013 - Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes :

Il me revient de vous présenter l'acte de certification des comptes de l'État et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire pour l'exercice 2013. Ce rapport, riche d'informations, concerne une partie des administrations publiques - l'État et ses opérateurs - et le dernier exercice clos de 2013. Il sera complété par un troisième rapport, relatif à la situation et aux perspectives des finances de toutes les administrations publiques, qui sera présenté le 17 juin prochain. Les deux documents ont été préparés par la formation interchambres que préside Raoul Briet.

Depuis huit ans, la Cour transmet au Parlement son opinion sur les comptes de l'État, tels qu'ils sont arrêtés par le ministre de l'économie et des finances pour être intégrés dans le projet de loi de règlement. La certification permet d'assurer la transparence et l'image fidèle des comptes publics qui est due aux parlementaires, aux citoyens, et aux investisseurs en titres de dette publique. Elle est également un outil d'amélioration de la gestion publique.

Au titre de l'exercice 2013, la Cour certifie que les comptes de l'État donnent une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'État, sous cinq réserves substantielles - il y en avait treize la première année de certification. Deux réserves non substantielles ont été levées cette année suite aux progrès constatés. D'une part, dans le champ du recensement et de l'évaluation du parc immobilier de l'État, où la valeur des immeubles banalisés a été évaluée, au 31 décembre 2013, à 48 milliards d'euros, car l'État a optimisé sa gestion immobilière en menant un nombre croissant d'opérations, pour une recette de 590 millions d'euros en 2013, dont 391 encaissés. La Cour recommande de poursuivre les efforts importants consentis par la Direction générale des finances publiques, notamment pour l'immobilier situé à l'étranger. D'autre part, dans le champ du recensement et de l'évaluation des passifs non financiers de l'État - engagements pris à l'égard des ménages, des entreprises, des organismes de sécurité sociale et des collectivités territoriales, au travers de plus de 3 000 dispositifs ; ce sont 20 milliards d'euros de provisions supplémentaires qui ont été comptabilisés.

La Cour a certifié pour la première fois l'information sectorielle, une innovation consistant à répartir les informations comptables - actifs, passifs, charges, produits, engagements hors bilan - sur sept secteurs d'activité de l'État, qui sont des regroupements de missions budgétaires. Il apparaît ainsi que trois quarts des charges de personnel de l'État sont portés par deux secteurs, celui des finances, pour 60 milliards d'euros, qui inclut les pensions de retraite des fonctionnaires, et le secteur éducation et culture pour 42 milliards. Quant aux actifs corporels de l'État, ils sont à 83 % relatifs au secteur dit « Développement durable », avec les concessions autoroutières, les barrages hydroélectriques et les routes. Ces informations comptables donnent un éclairage nouveau sur le poids respectif des activités de l'État et sont un complément utile à l'approche budgétaire.

Les efforts d'amélioration doivent se porter sur les cinq points qui font l'objet de nos réserves substantielles. La première réserve concerne le système d'information financière de l'État - le logiciel Chorus - qui reste insuffisamment adapté à la tenue de sa comptabilité générale et aux vérifications du certificateur. La deuxième réserve vise le contrôle interne et l'audit interne des ministères, qui sont encore trop peu efficaces. La Cour a comparé pour la première fois, cette année, les performances de onze ministères en la matière. Dans une troisième réserve, la Cour constate que la comptabilisation des produits régaliens et des créances et des dettes afférentes reste affectée par des incertitudes et des limitations significatives. Les systèmes d'information fiscale n'ont pas été conçus pour retracer l'évolution des créances et des dettes fiscales de manière automatisée, en temps réel. En développant l'automatisation, on renforcerait la fiabilité des prévisions de recettes fiscales. J'aurai l'occasion d'insister sur l'importance de l'exactitude et de la précision dans la prévision et l'anticipation du produit des recettes fiscales.

La quatrième réserve porte sur les incertitudes qui continuent à peser sur le recensement et l'évaluation des stocks et des immobilisations du ministère de la défense ainsi que des passifs qui s'y attachent. Les provisions pour démantèlement des réacteurs des sous-marins nucléaires sont calculées selon des modalités peu satisfaisantes, sans intégrer la totalité du processus - notamment le traitement complet du matériau - alors que les opérateurs de la filière civile le font, EDF par exemple. La France n'est pas le seul pays à avoir des difficultés pour recenser les passifs associés aux équipements militaires. Le certificateur américain a, pour la quatorzième année consécutive, refusé de valider les comptes de la défense américaine. Nos homologues britanniques ont formulé une réserve d'ampleur sur les comptes de leur ministère de la défense. En France, le travail de longue haleine doit être impérativement poursuivi.

Enfin, la Cour déplore, dans une cinquième réserve, que l'évaluation des immobilisations financières de l'État - soit 1 854 participations financières de l'État d'une valeur nette de 255 milliards d'euros - continue d'être affectée par un ensemble d'incertitudes significatives. Des progrès ont été observés grâce au recours de plus en plus systématique à la certification des comptes de diverses entités contrôlées par l'État : 90 des 130 plus importantes font désormais appel à des commissaires aux comptes. En octobre 2013, un premier rapport sur la qualité des comptes des administrations publiques a souligné un manque de cohérence dans le champ des administrations concernées ; l'appréciation était globalement positive, mais avec des nuances.

Il appartient à l'administration de consolider dans la durée les progrès réalisés en 2013, d'exploiter les possibilités qu'offre le système d'information financière, et de poursuivre la rationalisation de ce système afin de mieux répondre aux besoins des utilisateurs. Je rappelle que le Sénat, comme l'Assemblée nationale, a choisi de faire certifier ses comptes par la Cour des comptes pour la première fois en 2013. Ce que nous avons fait sans émettre aucune réserve.

Après son essoufflement en 2011, la dynamique d'amélioration de la qualité des comptes de l'État a été relancée en 2012 grâce au logiciel Chorus, résultat d'une importante mobilisation de l'administration. Elle s'est amplifiée en 2013, avec des progrès significatifs qu'il reste à consolider. La qualité des comptes est un facteur puissant de modernisation de l'action publique.

J'en viens à présent au rapport sur l'exécution du budget de l'État en 2013, à comparer à l'exécution de l'année précédente comme aux prévisions figurant en loi de finances initiale pour 2013. L'ambition de ce rapport est d'éclairer le débat sur le projet de loi de règlement et de vous aider à préparer le débat sur la prochaine loi de finances. Nous avons fait cette année un effort de clarification et de précision. Le rapport contient, par exemple, un chapitre plus détaillé que les années précédentes sur la gestion de la dette. Les soixante-trois notes d'analyse de l'exécution budgétaire qui ont contribué à nourrir ce rapport - d'environ 2 000 pages - recèlent une mine d'informations. Y figurent 198 recommandations qui s'ajoutent aux onze recommandations du rapport lui-même. Ce travail a mobilisé toutes les chambres de la Cour.

Quatre constats s'imposent. Premièrement, la réduction du déficit budgétaire a été sensiblement plus faible que prévu et la dette a continué à croître, ce qui maintient l'État dans une zone dangereuse. Deuxièmement, malgré leur forte hausse, les recettes fiscales ont été en net retrait par rapport aux prévisions, lesquelles ont manqué de prudence. Cela a forcément fragilisé l'exécution budgétaire. On s'interroge naturellement sur la qualité et la sincérité des prévisions. Le troisième constat concerne la maîtrise des dépenses, qui ont baissé à la fois par rapport à 2012 et par rapport à la loi de finances initiale. La moindre charge de la dette a été une bonne surprise pour l'État ; mais la maîtrise des dépenses a résulté davantage de la régulation budgétaire que de réformes structurelles. Enfin, quatrième constat, quelques irrégularités demeurent dans la gestion budgétaire : des progrès restent à faire pour mettre fin à des sous-budgétisations récurrentes.

Le déficit budgétaire s'est réduit de 12,3 milliards d'euros par rapport à 2012, alors qu'il avait diminué de 3,6 milliards d'euros entre 2011 et 2012. Évalué à 74,9 milliards d'euros, soit 3,6 % du PIB, il demeure toutefois à un niveau bien supérieur au déficit constaté avant la crise. Il représente le quart des dépenses de l'État et le tiers de ses recettes nettes. Il est supérieur au produit de l'impôt sur le revenu, égal à 67 milliards d'euros. L'encours de la dette de l'État a augmenté pour atteindre 1 457 milliards d'euros, soit les trois quarts de la dette publique, qui se situe à la fin de 2013 à 1 925 milliards d'euros. La dette de l'État a été multipliée par 2,5 depuis 1999. Sur la même période, la charge d'intérêt n'a progressé que de 30 %, en raison de la baisse des taux d'intérêt. Cet effet anesthésiant s'est amplifié ; malgré la hausse du volume de dette, la charge d'intérêt a diminué de 1,4 milliard d'euros. À terme, néanmoins, la remontée des taux d'intérêt est inévitable. L'État devrait donc tirer profit de ce répit provisoire pour stabiliser et réduire l'encours de sa dette.

L'amélioration du solde du déficit budgétaire - 12,3 milliards d'euros - est en net retrait par rapport à la prévision en loi de finances initiale. Le produit des recettes fiscales a augmenté par rapport à 2012, mais se situe en deçà des prévisions, atteignant 15,6 milliards d'euros au lieu des 30 milliards prévus, et cela en tenant compte des 6 milliards de recettes supplémentaires exceptionnelles et imprévues. Les mesures nouvelles ont généré un produit de 20,2 milliards d'euros, presque conforme aux attentes, mais l'évolution spontanée des recettes a été très décevante : elle a été négative de 4,6 milliards d'euros, alors que 7 milliards d'euros étaient escomptés. Seul un quart de cette différence est lié à la révision à la baisse de la prévision de croissance, intervenue en avril à l'occasion de la présentation du programme de stabilité. Le reste, 8,2 milliards d'euros, tient à la révision à la baisse de l'hypothèse d'élasticité des recettes fiscales, qui prend en compte la manière dont le produit des recettes réagit à l'augmentation du PIB. Cette élasticité avait été fixée à 1 en loi de finances initiale, niveau que la Cour avait, dès janvier 2013, jugé optimiste. Le produit attendu des principaux impôts n'était pas réaliste. Comment anticiper, par exemple, une progression de l'impôt sur les sociétés de 5,9 % alors que les résultats des entreprises non financières étaient en recul en 2012 ? L'élasticité s'est finalement établie à un niveau exceptionnellement faible et en grande partie inexpliqué, de - 1,3 %.

En fin d'année, le collectif budgétaire a dégradé fortement le produit des recettes attendues, mais un écart de 3,5 milliards d'euros a encore été constaté entre les prévisions et l'exécution. Cet écart soulève la question de la qualité et de la sincérité des prévisions des recettes fiscales. La constatation en fin d'année d'une moins-value de 1,8 milliard d'euros sur le produit de l'impôt sur le revenu ne peut que surprendre, car ce produit est en principe connu dès septembre. Cette situation met en évidence la difficulté à conduire et à piloter un redressement des comptes publics à travers l'augmentation des recettes, qui font peser un aléa permanent sur l'évolution du solde budgétaire. L'insuffisante qualité des prévisions de recettes fiscales de l'État avait déjà été soulignée par la Cour dans son référé du 16 décembre 2013. Le présent rapport confirme cette analyse et formule des recommandations pour améliorer la transparence de l'élaboration des prévisions.

Le montant des dépenses fiscales, stabilisé à 70,7 milliards d'euros, respectant ainsi le plafond fixé par la loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017. Des mesures d'économie avaient été votées pour 3,6 milliards d'euros, mais l'évolution spontanée du coût des niches fiscales, plus dynamique que prévu, ramène l'économie nette à 500 millions. L'obligation d'évaluer les différentes dépenses fiscales, posée par la loi de programmation, n'a été que partiellement mise en oeuvre.

Troisième constat : les dépenses de l'État ont été maîtrisées en 2013. Inférieures de près de 4 milliards d'euros aux crédits ouverts, les dépenses nettes du budget général ont légèrement diminué par rapport à l'exécution 2012, de 900 millions d'euros. Un tel recul n'avait pas été observé depuis le début de la crise économique, en 2008. Ce bon résultat a été facilité par une diminution de la charge de la dette de 1,4 milliard d'euros. La contribution au compte d'affectation spéciale « Pensions » a été réduite d'1 milliard d'euros en raison de la moindre inflation, et de départs à la retraite moins nombreux que prévu. La contribution au fonds national des aides au logement a été réduite de 600 millions d'euros. Les différentes normes de dépenses du budget de l'État ont été tenues. La régulation budgétaire infra-annuelle a joué un rôle déterminant dans la tenue des dépenses, pour un montant total de 6,2 milliards d'euros, comparable à celui de 2012. Un recours aussi massif et croissant à des annulations touchant tous les services et dispositifs, indépendamment de leur efficacité et de leur efficience - la technique du « rabot » - pose question. Un nombre croissant de services de l'État ne sont plus en mesure de remplir la mission que la loi leur impose, qu'il s'agisse de la sécurité sanitaire des aliments ou de l'entretien des établissements pénitentiaires. La Cour appelle les décideurs à faire reposer la réduction de la dépense sur des choix explicites de priorisation et de ciblage. Le débat sur la loi de règlement est une occasion privilégiée pour le Parlement d'exercer sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement. Ce débat peut être encore revalorisé. Il correspond à une ambition de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

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