Monsieur le président Sueur, l’interpellation de Mehdi Nemmouche confirme dramatiquement l’actualité et l’ampleur de la menace terroriste qui pèse sur nos démocraties. À mon tour, je veux m’incliner devant les victimes de l’acte odieux commis à Bruxelles.
Cette menace s’accentue avec l’expérience de la violence meurtrière acquise sur les théâtres de combats, notamment en Syrie. Comme j’avais déjà eu l’occasion de le dire ici même, lorsque j’étais ministre de l’intérieur – je sais que ces mots avaient fait débat, mais ils me semblent plus que jamais d’actualité –, l’ennemi de nos valeurs, de notre démocratie est également intérieur.
Dès l’été 2012, en tant que ministre de l’intérieur, j’avais été frappé par la montée en puissance – même si cela ne concernait qu’une poignée d’individus – de Français, ou de citoyens résidant en France, qui voulaient se rendre en Syrie.
La loi de décembre 2012, qui a été votée ici à une large majorité, a permis d’améliorer notre dispositif préventif et répressif de lutte contre ce phénomène. L’accès aux données internet des cyber-djihadistes a été pérennisé dans notre droit, ce qui facilite leur surveillance. Les actes terroristes commis par les Français à l’étranger sont punissables dans notre pays.
Mais j’avais annoncé – et nous en étions tous convenus – qu’il faudrait sans doute aller plus loin.
C’est ce qui a été fait avec la réforme du renseignement intérieur et du renseignement territorial, applicable depuis le 1er mai. À cet égard, je veux rendre hommage au travail qui a été réalisé ici, au soutien que j’ai reçu de votre part et de la part du président Carrère sur ces dossiers qui rassemblent tous les membres de votre assemblée.
C’est également l’objectif du plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes que Bernard Cazeneuve a présenté en conseil des ministres le 23 avril dernier et que j’avais évidemment préparé. Ce plan prévoit plusieurs adaptations législatives dont vous aurez à débattre prochainement, le plus vite possible, je l’espère.
Nous réfléchissons ainsi à la meilleure manière de compléter l’arsenal pénal face à certains comportements individuels. Il faudra sans doute être très ouvert sur ces questions-là. Je crois qu’il ne faut s’interdire aucun sujet, pour autant, bien sûr, que nous le traitons dans le respect de notre droit et de notre Constitution.
Ainsi, nous devons nous poser – et je tiens à le dire à la représentation nationale – la question de savoir comment nous traitons ceux qui reviennent de ces pays, mais aussi ceux qui veulent s’y rendre.
Nous prenons des mesures pour prévenir, contrarier les départs en retirant le passeport, en interdisant certains voyages, en s’opposant à la sortie du territoire des mineurs, en combattant et en démantelant les filières de recrutement, en renforçant la coopération européenne et internationale, et je salue l’initiative de Bernard Cazeneuve d’inviter Joëlle Milquet, ministre de l’intérieur de Belgique, avec qui nous avons passé en revue toutes ces initiatives dimanche dernier, à Paris.
Nous agissons également en facilitant les investigations des services sur internet, notamment sur les réseaux sociaux, et en soutenant les familles au travers d’une plateforme nationale de soutien à un programme de réinsertion, car la question de la prévention est tout à fait essentielle.
Au-delà de ces mesures, qu’il faut continuer à appliquer avec ténacité, nous devons réfléchir de manière très fine, car c’est compliqué – les nombreux juristes qui siègent dans cette enceinte connaissent parfaitement ces sujets –, à la manière dont on peut, notamment en travaillant avec des juges antiterroristes, mieux prévenir, voire punir le seul fait de vouloir aller combattre à l’étranger.
Aujourd’hui, 800 Français ou résidents sont concernés par les filières syriennes ; 490 d’entre eux combattent ou ont combattu sur le sol syrien, 320 sont recensés sur place et 30 y sont morts ; 140 sont revenus de Syrie.
Jamais, mesdames, messieurs les sénateurs, les services de renseignement n’ont eu à affronter un tel défi numérique en matière de terrorisme et donc de suivi. Face à cette menace particulièrement forte et mouvante, il faut s’adapter. Mais jamais notre pays n’a eu à affronter une telle menace.
Plusieurs individus ont été interpellés et plusieurs filières, démantelées. Je vous rappelle que nous avons failli connaître un attentat sur notre sol il y a quelques semaines, à Strasbourg ou dans le sud de la France. Cette menace est réelle. Nous ne devons pas dissimuler à nos compatriotes l’étendue des dangers qu’elle représente.
Nous devons être très attentifs, nous mobiliser pour y faire face, en renforçant la coopération européenne et internationale et notre arsenal législatif.
Dans ce cadre, je sais que je peux compter sur la sagesse et l’esprit de responsabilité des sénateurs pour appuyer le Gouvernement dans sa lutte.
Cette lutte doit rassembler non seulement la représentation nationale, mais tout le pays. Elle doit surtout nous permettre d’éviter les amalgames : je pense à nos compatriotes de confession musulmane, qui doivent se sentir épaulés par la communauté nationale, car, je le rappelle, les musulmans sont les premières victimes du terrorisme. Nous percevons bien que ce mouvement représente un dévoiement de l’islam, en même temps qu’une menace pour l’unité nationale de notre pays.
C’est donc un véritable défi pour la France, et je sais pouvoir compter sur chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour le relever. §