Intervention de François Fortassin

Réunion du 10 juin 2014 à 14h45
Débat : « quel avenir pour les colonies de vacances ? »

Photo de François FortassinFrançois Fortassin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le temps des « jolies colonies de vacances » chères à Pierre Perret, qui ont illuminé notre jeunesse, semble, hélas ! terminé. En effet, selon les chiffres fournis par l’Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes, l’attrait pour les colonies de vacances ne cesse de diminuer depuis près de deux décennies, le dernier pic de fréquentation remontant à 1995. La fragmentation des séjours, apparue dans les années quatre-vingt-dix, a compliqué le comptage, mais le nombre de nuitées est un indicateur très parlant ; or ce sont 28 millions de nuitées qui ont été recensées en 1995, contre 14 millions pour les années 2011 et 2012. C’est dire l’effondrement de l’attrait pour les colonies de vacances !

Cette baisse très significative a bien sûr remis en cause l’engagement financier de l’État, des collectivités locales et des comités d’entreprise, qui étaient les principaux soutiens aux associations organisatrices de séjour.

En tant qu’élu local, il suffit de se référer aux réalités de terrain pour s’en convaincre. De nombreuses communes, qui avaient acquis des centres de vacances en bord de mer ou à la montagne, les ont revendus ou reconvertis. Le site Belles demeures de France propose des annonces de petits châteaux indiquant clairement « colonie de vacances à vendre ». Mon département des Hautes-Pyrénées est naturellement affecté par ce phénomène d’extinction des centres de vacances, lié au coût croissant des réparations, qui, de ce fait, ne peuvent être effectuées.

L’âge d’or des colonies de vacances est donc derrière nous, en particulier cette période de l’après-guerre durant laquelle on voyait des trains remplis d’enfants partant en « colo » se diriger vers des lieux de séjour dont le nombre, en 1951, atteignait près de 13 300 centres.

Devenus adultes, tous n’ont sans doute pas gardé la nostalgie des « colos », mais celles-ci ont globalement rempli un rôle social, qu’il convient de saluer et de perpétuer.

Si, à l’origine, leur organisation était guidée par des considérations hygiénistes, voire confessionnelles, elles ont ensuite été massivement récupérées par des associations laïques. Elles ont alors intégré des enjeux éducatifs, les ayant rendues beaucoup plus attrayantes pour toutes les classes sociales, ainsi que pour les autorités publiques qui leur ont longtemps apporté un soutien prioritaire.

Toutefois, plusieurs facteurs ont porté un coup d’arrêt à cette évolution, et l’adaptation aux nouvelles périodicités de vacances, avec le développement des « mini-camps » de moins d’une semaine dans les centres de loisirs communaux ou les camps de scouts, n’a malheureusement pas compensé ce phénomène.

Nos collègues députés Annie Genevard et Michel Ménard ont recensé ces facteurs dans leur rapport d’information datant de 2013, dans lequel ils avançaient « 21 propositions pour les colos du XXIe siècle ». Nous ne pouvons bien entendu que partager leur constat.

Précisons tout de même que, si certains éléments sont mesurables, d’autres ne le sont pas. Ainsi, l’attrait décroissant des enfants pour les colonies de vacances peut s’expliquer par une raison toute simple : on est tenu d’y respecter des horaires, notamment de lever, alors que les familles font parfois preuve d’un grand laxisme dans ce domaine.

Reste que le coût est l’une des raisons souvent avancées par les familles. En effet, pour s’adapter aux nouvelles exigences de la société, les organisateurs de colonies ont dû proposer des formules plus coûteuses. L’enfant du XXIe siècle n’est plus celui du milieu du XXe siècle, que l’on faisait marcher dans la campagne au seul rythme d’« un kilomètre à pied, ça use les souliers » ! Aujourd'hui, avec ce genre de propositions, vous ne risquez pas d’attirer le chaland… §Certes le développement des séjours thématiques, souvent orientés sur un sport ou l’apprentissage d’une langue étrangère, a répondu à une nouvelle demande. Malheureusement, cette offre s’adresse aux milieux sociaux favorisés, que ce soit sur le plan matériel ou sur le plan culturel. Les milieux les plus modestes en sont exclus ou, du moins, n’affichent pas un attrait considérable pour ce genre d’activités.

Comme cela a déjà été indiqué, il faut désormais compter 400 à 600 euros par semaine, soit un coût moyen de 63 euros par jour. On est loin des 10 à 15 euros par jour demandés pour les séjours de scoutisme, et même des 35 euros exigés pour une journée en centre de loisirs sans hébergement, du type des centres aérés. Il semblerait que cette hausse s’explique en partie par la réorientation des aides sociales. Prenant acte de la désaffection des enfants pour les colonies, dans leur format traditionnel, les caisses d’allocations familiales ont favorisé les aides aux séjours de proximité, à travers le soutien aux accueils de loisirs et aux familles. On peut difficilement le leur reprocher, car elles ont inscrit leur politique dans une tendance, qui, certes, a peut-être accentué le phénomène de désaffection pour les colonies, mais a laissé progressivement entrer celles-ci dans une logique commerciale.

Le même phénomène s’observe au niveau des comités d’entreprise, qui privilégient les aides financières directes aux familles, par le biais des chèques-vacances, par rapport au maintien de grands centres. Ainsi, si la SNCF a conservé ses 45 centres et propose encore des départs en vacances pour 15 000 enfants, La Poste, quant à elle, a cédé tout son patrimoine et n’a plus de colonies de vacances.

J’ajouterai que la multiplication des normes d’encadrement imposées par l’État a ajouté aux difficultés des associations, alors que, contrairement à une idée reçue, les colonies sont moins accidentogènes que le milieu familial ou amical.

En schématisant un peu, il résulte de tous ces éléments un système à deux vitesses comprenant, d’un côté, un secteur associatif et caritatif qui propose des garderies d’été très demandées en milieu périurbain ou des « journées à la mer » pour les enfants des quartiers fragiles et, de l’autre, une offre commerciale de colonies thématiques réservées aux enfants les plus favorisés. Dans ce contexte, les enfants des classes moyennes sont souvent écartés.

J’évoquais précédemment le moindre attrait pour les colonies de vacances du fait d’une discipline plus difficilement acceptée. À l’approche des vacances d’été, ce débat, fort opportun, doit sensibiliser le Gouvernement sur la nécessité de donner une nouvelle ambition à la politique d’aide au départ en vacances. C’est en tout cas une préoccupation pour nous, radicaux de gauche. Les inégalités persistantes dans l’accès aux vacances constituent une brèche du pacte social républicain. Parce que les vacances contribuent à la cohésion des liens familiaux et sociaux, elles doivent devenir un droit fondamental.

Je rappellerai à ce titre l’action de Sylvia Pinel, qui, lorsqu’elle avait en charge le secteur du tourisme, se proposait de « lutter contre la fracture touristique ». Compte tenu de la permanence de l’État dans ce pays, madame la ministre, mes collègues et moi souhaitons ardemment que vous repreniez ces idées à votre compte. Le départ en vacances des enfants est une grande cause, qui, indépendamment de nos sensibilités, doit nous rassembler tous !

Face à ce problème d’importance, il faut essayer de trouver des solutions pour redonner aux enfants le goût des colonies de vacances, et cela ne passe pas forcément par des moyens financiers supplémentaires. D’autres leviers sont nécessaires, que je n’hésiterais pas à préciser si je les connaissais ! Je me contente donc simplement de faire l’observation suivante : lorsque les travaux de modernisation sont réalisés, l’offre peut intéresser les adultes qui, enfants, ont fréquenté les colonies de vacances – ceux-ci savent que l’on trouve beaucoup de plaisir dans ces séjours, moins onéreux qu’en hôtellerie traditionnelle, à la montagne, à la mer ou à la campagne –, mais cette solution est insuffisante pour relancer le dispositif. C’est pourquoi, madame la ministre, il nous faut faire collectivement preuve d’imagination. Mais vous avez pour vous un argument que je n’ai plus, celui de la jeunesse !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion