Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 10 juin 2014 à 21h30
Débat sur les collectivités locales et la culture

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat est une excellente initiative, car nous sommes à la veille d’arbitrages structurels et budgétaires déterminants. Il est nécessaire, car la volonté passée, de celle de Malraux à celle de Jack Lang, a conduit à une démocratisation équipementière qui n’a pas connu sa suite logique : la diversité des publics, des amateurs, des artistes, la synergie avec la vie du territoire, et des moyens durables de fonctionnement des structures.

Ce débat appelle à la cohérence quand les choix faits sur le terrain contrastent souvent avec les beaux discours et les signatures de conventions internationales porteuses de sens, ou quand plane la menace d’un agrément néfaste sur le mauvais accord des annexes 8 et 10 de l’UNEDIC. À quoi serviraient des subventions sans artistes et sans techniciens pour donner vie aux projets ?

L’action des collectivités en matière de culture a été grandissante, conjuguant des cibles propres à chacune et mettant en commun leurs moyens pour rendre possibles des actions d’envergure, au plus près des habitants. Des artistes s’en sont méfiés, ceux qui n’avaient d’yeux que pour la rue de Valois, à l’image de Racine ou Lully n’attendant que l’onction du prince.

Contre cette forme de mépris, les écologistes réaffirment la pertinence d’une démocratie culturelle locale, animatrice du tissu créatif du territoire, garante de la reconnaissance de chacune et de chacun.

Ils soulignent également le rôle indispensable d’un grand ministère de la culture et de ses directions déconcentrées, avec une stratégie et des moyens. Et ce grand ministère ne devrait pas dispenser les autres – ceux de la ville, de l’éducation, de la santé, des transports – de penser culturellement leurs actions. L’art est public, il a droit de cité. Il devrait, au-delà de ses tutelles, bousculer l’organisation en silos de nos ministères et des directions de nos collectivités.

D’ailleurs, le développement durable, dont on décline à l’envi les cibles économiques, sociales et environnementales, ne peut se concevoir sans culture, bien commun essentiel de l’humanité, et que nous pouvons chaque jour accroître.

Ce qui fait culture dans une société, c’est ce qui fait rencontre : reconnaissance mutuelle, tissage de liens, création, héritage virtuel ou matériel.

C’est donc, avant de réfléchir sur qui fait quoi, à la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle que nous devons nous référer pour aspirer à « une plus grande solidarité fondée sur [...] sur la prise de conscience de l’unité du genre humain et sur le développement des échanges interculturels ».

C’est donc, avant de nous emballer pour ou contre la clause générale de compétence, à la Déclaration de Fribourg de 2007 que nous devons penser : « le terme culture recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement », nous rappelait Jean-Michel Lucas lors d’une récente audition.

Car on ne peut à la fois se prévaloir de l’exception culturelle à l’international et jouer la compétition entre les territoires, comme si la culture était une marchandise ou, pis, une « arme » comme les autres.

Quatre départements, dont celui du Nord, se sont engagés à revoir leurs pratiques afin de garantir les droits culturels de chacun. Lors de leur dernière rencontre à Roubaix, Patrice Meyer-Bisch rappelait que l’injonction du « vivre ensemble » n’est pas suffisante si le tissu social est élimé. Ce tissu, y compris dans sa dimension culturelle, doit être enrichi par la densité qu’apporte la diversité des contributeurs.

Être libre, c’est recevoir la capacité de participer, de toucher et d’être touché, de dire pourquoi l’on aime ou pourquoi l’on n’aime pas une œuvre. Ce sont ces critères de l’action publique qui doivent questionner compétences et procédures des institutions, tout autant que la légitimité de l’Art à déranger.

À l’heure des pénuries, auxquelles les écologistes ne sauraient se résoudre, s’il s’agit d’infliger au budget de la culture la même toise qu’aux bétonneurs, pollueurs et spéculateurs, les risques sont réels que la culture soit une variable d’ajustement – le couperet est déjà tombé sur des projets –, que des artistes soient censurés par certaines idéologies ou, comme l’énonce le sociologue Michel Simonot, que l’on fasse « dépendre la valeur de l’art et de l’artiste de son efficacité immédiate éducative, sociale, politique, économique, touristique ». Sommé d’être en mission, l’artiste verrait alors se dissoudre son autonomie et sa turbulence dans des appels à projets mis en concurrence. L’efficience attractive ou le pouvoir de pacification sociale l’emporteraient sur l’intérêt général.

Privés de loi sur la création, les parlementaires auditionnent, travaillent, se positionnent, proposent ; ils seront présents dans le débat sur la décentralisation.

Pour les écologistes, la culture est une responsabilité partagée de l’État et des collectivités locales. Nous ferons en sorte que l’Europe la fasse également sienne, sous un angle qui ne résume pas aux industries culturelles. Ce partage doit garantir que la création, la formation et la diffusion ne seront jamais l’otage d’une idéologie ou l’instrument d’un notable. Ce partage n’exclut pas la définition de domaines d’intervention ciblés, comme les enseignements supérieurs artistiques, qui pourraient être confiés aux régions pour renforcer la professionnalisation et l’équilibre des ressources. Face aux métropoles, les régions doivent avoir un rôle d’équité territoriale.

Nous attendons que décentralisation rime avec justice, démocratie et dialogue intelligent avec les collectivités. Nous attendons que les moyens attribués ou délégués ne soient pas vampirisés par la capitale. Nous n’acceptons pas que les musiques actuelles, auxquelles s’adonnent 80 % des Français –, ne reçoivent que moins de 0, 5 % du budget, alors que la Philharmonie va engloutir 380 millions d’euros.

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