Séance en hémicycle du 10 juin 2014 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • artistique
  • culturel
  • décentralisation

La séance

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La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Je rappelle que la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La Présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du Règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Thierry Repentin membre du Conseil national de la montagne.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

L’ordre du jour appelle le débat sur les collectivités locales et la culture, organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à M. Pierre Laurent, au nom du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Monsieur le président, madame la ministre de la culture, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord vous remercier d’être présents ce soir, car ce débat est, selon notre groupe, de la plus haute importance.

Culture et collectivités territoriales : voilà bien, en effet, un des couples les plus prometteurs, et pourtant l’un des plus menacés, de notre République ! Si nous n’y prenons garde, le cumul des saignées budgétaires et de la dévitalisation des territoires pourrait venir à bout de pans entiers de la création vivante dans notre pays. Notre vigilance doit donc être une priorité nationale.

En ces périodes de crise, je le sais, la tentation de penser l’inverse est forte. Face au chômage de masse, à la précarité galopante au sein de la jeunesse, certains jugeront naturel de reléguer la culture au second plan, de considérer comme superflus les moyens et la place à lui accorder, de transformer progressivement ce qui devait être une priorité en parent pauvre des politiques publiques.

La situation est pourtant alarmante, car la crise frappant notre société n’est pas seulement structurelle sur le plan économique et social. Il s’agit d’une grave crise de sens, de projet, de valeurs, une crise de l’émancipation pour chacun, de la libération pour toutes et tous, une crise de civilisation. C’est, comme nous le voyons chaque jour un peu plus et comme les dernières élections l’ont montré, une crise démocratique et politique au sens le plus profond, une crise de la Cité et du bien commun, qui fait le lit de tous les obscurantismes et réprime les imaginaires quand tout devrait au contraire inviter à leur donner libre cours.

Alors même que la crise bouche l’avenir et rétrécit l’horizon du plus grand nombre, qu’entend-on chaque jour répéter comme une prétendue évidence ? « La culture doit prendre sa part des sacrifices ! »

Paul Krugman, prix Nobel d’économie, résume ainsi la philosophie qui nous gouverne trop souvent aujourd’hui : « L’élite des responsables politiques, [notamment] les élus qui se dressent en défenseurs de la vertu budgétaire, agissent comme les prêtres d’un culte antique, exigeant que nous nous livrions à des sacrifices humains pour apaiser la colère de dieux invisibles ». Ainsi donc, aux dieux Marché et Rentabilité la culture devrait apporter sa part de sacrifices, ainsi qu’une bonne proportion des dépenses qu’y consacrent les collectivités locales.

Dieux invisibles, dit Paul Krugman… Mais ce sont aussi des dieux aveugles, tant est grande l’urgence culturelle de faire ou de refaire société, de penser ou de repenser le monde ! C’est précisément au cœur de la crise que les créations et les pensées nouvelles révèlent ce qui nous aide à faire émerger un autre modèle de société.

Ainsi, malheureusement, la culture n’est pas devenue la priorité tant espérée. La réalisation des « grandes » ambitions annoncées se fait attendre, au point qu’on peut, chaque jour un peu plus, douter qu’elles aient jamais été nourries. Quant au budget consacré par l’État à la culture, loin d’être préservé, il est, comme tant d’autres, programmé à la baisse année après année.

Et voilà que l’offensive annoncée contre les dépenses publiques des collectivités locales et le prétendu millefeuille territorial pourrait porter des coups fatals à l’action culturelle des collectivités locales. En effet, chacun le sait, les collectivités sont devenues des acteurs majeurs de nos politiques publiques culturelles.

Avant d’aller plus loin, je ne peux manquer l’occasion de renouveler notre soutien aux justes exigences des intermittents, si nombreux à faire vivre la création et l’action publique culturelle en région.

Mercredi dernier encore, devant la commission de la culture de notre assemblée, démonstration a été faite de la viabilité de leurs propositions. Celles-ci sont légitimes, équilibrées, utiles à la diversité culturelle, de nature à assurer la viabilité d’un régime d’indemnisation indispensable à la vie des professions artistiques. Seul l’acharnement idéologique du MEDEF y fait obstacle depuis dix ans. Et nous assistons maintenant à l’incroyable ralliement du Gouvernement à ses thèses, au mépris de toutes les promesses, y compris celles qui ont été faites tout récemment par l’actuel ministre du travail ! Les festivals d’été sont menacés par cet acharnement. Pourtant, un geste suffirait : refuser l’agrément.

Je le rappelle, cet accord aggrave encore celui de 2003, que nous n’avions eu de cesse de combattre. L’augmentation des cotisations menace les revenus de nombreux intermittents et la pérennité financière des petites et moyennes structures, mais les conditions de calcul du différé d’indemnisation placent, elles aussi, une grande majorité de ces professionnels dans une situation de grande précarité. Sur ce point, les aménagements récemment opérés ne sont pas suffisants, le nombre d’intermittents concernés par ce différé de paiement restant en très forte augmentation.

C’est pourquoi nous exigeons une fois de plus, madame la ministre, que le Gouvernement n’agrée pas l’accord imposé par le MEDEF en matière d’indemnisation par l’assurance chômage des intermittents du spectacle et rouvre réellement la discussion. Pour notre part, nous resterons solidaires des luttes actuelles des artistes, des techniciens et de l’ensemble des acteurs culturels.

D’ailleurs, si de nombreux élus locaux déclarent tour à tour leur soutien à ce combat, cela ne doit rien au hasard.

En effet, le lien entre collectivités locales et culture n’a cessé de s’approfondir avec les progrès de la décentralisation, au point qu’il est aujourd’hui permis d’affirmer que la politique publique en matière culturelle n’aurait plus de force et de sens sans cette dimension.

La coopération associant État et collectivités territoriales a favorisé l’aménagement culturel du territoire et permis d’œuvrer pour la démocratisation culturelle. Certes, beaucoup d’inégalités subsistent, renforcées par la faiblesse persistante du budget national et l’insuffisante démocratisation de la définition des politiques culturelles. Mais il serait insensé, surtout en ce moment, de mettre en cause les progrès réalisés.

Cette coopération a souvent permis d’innover et d’aider un milieu fragile à dégager les moyens de son existence et de sa capacité de création. Dans bien des cas, création et action culturelles survivent uniquement grâce à un équilibre précaire, impliquant une pluralité d’acteurs et de financements publics.

C’est pourquoi l’impact des réformes annoncées de gouvernance et de financement des collectivités territoriales sur la culture doit être envisagé avec la plus grande attention.

Qu’adviendra-t-il si, la culture n’étant déjà pas une priorité nationale, l’action des collectivités territoriales est de surcroît réduite à peau de chagrin ? Poser la question, c’est malheureusement y répondre. La menace est extrêmement sérieuse et quelques belles paroles ne suffiront pas à l’écarter.

Tout l’objet du débat de ce soir est de remettre l’ambition culturelle au centre de la discussion, avec l’objectif, au moment où nous allons à nouveau nous pencher sur la question des collectivités territoriales, d’affirmer son rôle et sa place comme ferment de la démocratie et de la vie citoyenne, levier du développement local, outil d’éducation et d’émancipation, tant à l’école que dans la Cité ou encore dans le monde du travail.

Pour nous, la compétence culturelle des collectivités territoriales est indissociable du maintien de la clause générale de compétence, la préservation des financements croisés, mais aussi l’affirmation du rôle de l’État. Il faut s’assurer que les compétences des collectivités, comme celles de l’État, seront préservées, avec les moyens nécessaires à la clé.

La compétence culturelle des collectivités territoriales, fondée sur la clause générale de compétence, est un principe démocratique qui garantit la libre intervention des collectivités.

En 1982, ce principe, valable pour toutes les collectivités, permettait à celles-ci de se protéger contre les empiétements de l’État, mais il a aussi permis la coopération croissante entre les différents niveaux de collectivités par le biais de financement croisés.

Ce sont ces financements croisés et ces compétences partagées qui permettent aujourd'hui de garantir la vitalité de bon nombre d’activités culturelles.

La culture fournit une belle illustration de l’aveuglement technocratique qui nourrit le discours sur le prétendu « millefeuille ». Pourquoi tous les niveaux de collectivités interviennent-ils, ou cherchent-ils à le faire, dans le champ culturel ? Tout simplement parce que la culture est comme l’air qu’on respire : c’est en quelque sorte une compétence vitale pour construire du bien-être commun. La culture est une compétence naturellement partagée.

Or chaque nouvelle réforme des collectivités menace ce principe de compétence partagée. C’était déjà le cas de la loi du 16 décembre 2010, qui prévoyait la suppression de la clause de compétence générale. Il a fallu toute la bataille parlementaire pour que soit finalement arraché, de justesse, en deuxième lecture, le maintien de la clause de compétence générale, mais uniquement dans des domaines particulièrement sensibles comme la culture et le sport.

Après d’autres tentatives de suppression de même nature, la clause de compétence générale a finalement été rétablie par la loi du 27 janvier 2014. Or, quelques mois plus tard, les menaces sont de nouveau d’actualité avec les projets portés par le Président de la République et le Premier ministre.

Dans le cadre de sa grande réforme territoriale, et au nom de la clarification des compétences, le Premier ministre propose de nouveau la suppression de la clause de compétence générale et le retour à des compétences des collectivités spécifiques et exclusives. Quant aux conseils départementaux, leur existence est, à terme, purement et simplement remise en cause.

On dit à nouveau, ici ou là – mais nous sommes dans le plus grand flou –, que la culture pourrait faire figure d’exception. Quel crédit accorder à un tel engagement si tout se réduit comme peau de chagrin : crédits, compétences, taille et nombre des assemblées élues ?

Pour conjurer le danger et maintenir un haut niveau d’action culturelle, l’heure n’est plus aux approximations, aux bricolages, aux allers et retours inconséquents.

L’action et la décentralisation culturelles sont aujourd’hui des co-constructions entre l’État et l’ensemble des collectivités ; elles doivent le rester et être confortées. L’art et la culture sont d’intérêt national. Le rôle de l’État et celui des collectivités doivent être préservés. S’il fallait légiférer dans ce domaine, c’est sans aucun doute vers l’établissement d’une compétence partagée entre l’État et l’ensemble des collectivités qu’il faudrait aller.

En l’absence d’engagements clairs, nombreux sont les périls qui nous guettent : dévitalisation des communes, suppression des départements, dont les effets pourraient être très lourds sur la politique culturelle des villes moyennes et des territoires ruraux.

Quant aux métropoles, elles sont souvent regardées avec méfiance par nombre de services culturels, lesquels redoutent d’être noyés dans un immense ensemble métropolitain, le risque étant qu’aux fractures sociales et spatiales existantes vienne s’ajouter une fracture territoriale.

Quid de la culture dans des métropoles vouées à la mise en concurrence des territoires, aux antipodes de l’action attendue en faveur de la réduction des inégalités culturelles sur le territoire ?

Comment les politiques culturelles locales trouveront-elles leur place dans le futur paysage territorial de la France ? Tous les acteurs culturels rencontrés par vous, madame la ministre, comme par moi et beaucoup d’autres, sont inquiets.

Toutes ces inquiétudes sont évidemment avivées par le contexte d’austérité budgétaire dans lesquelles elles s’inscrivent, la réforme territoriale se doublant d’un plan d’économie de 50 milliards d’euros, dont 11 milliards d’euros sur les dépenses des collectivités.

Le maintien de la clause générale de compétence et la participation de tous les échelons territoriaux et de l’État, aussi importante soit-elle, ne suffiront pas à préserver l’action culturelle locale si les collectivités n’ont plus les moyens d’exercer les compétences dont elles ont la charge. Des compétences sans moyens seraient évidemment vides de sens.

La fragilisation des politiques publiques est d’autant plus à craindre dans le domaine culturel que les collectivités sont devenues, je l’ai dit, d’importants financeurs de la culture.

La montée en puissance des collectivités n’a pas cessé depuis 1978, comme l’indiquent des études du département des études, de la prospective et des statistiques, la DEPS, sur les dépenses culturelles locales. Ces études, respectivement menées en 2006 et en 2010, font apparaître une augmentation régulière des dépenses des collectivités de 10 % en quatre ans. Elles démontrent, chiffres à l’appui, que les dépenses des collectivités territoriales en matière culturelle sont désormais nettement supérieures au budget du ministère de la culture ! L’étude de 2010 évalue en effet le financement des collectivités à la culture à 7, 6 milliards d’euros, soit 118 euros par habitant, alors que le budget du ministère pour la même année était de 2, 9 milliards d’euros.

À titre d’exemple, les financements accordés par les collectivités au spectacle vivant sont dix fois supérieurs aux crédits que l’État y consacre. Ils représentent aujourd’hui 70 % du financement public de ce secteur pour son fonctionnement, ses créations, mais aussi ses équipements. Les collectivités assurent ainsi de nombreux emplois permanents et intermittents.

Parmi les collectivités, ce sont les communes et les groupements de communes qui, aujourd’hui, prennent en charge la plus grande partie des financements culturels. Elles assument en effet les trois quarts des financements des collectivités, soit 4, 6 milliards d’euros pour les communes et 1 milliard d’euros pour leurs groupements, contre respectivement 18 % et 9 % pour les départements et les régions.

Le soutien à l’expression artistique et aux activités culturelles représente près de 60 % des dépenses des communes et de leurs groupements. Il s’agit en grande partie de dépenses de fonctionnement.

Départements et régions se sont eux aussi investis de manière croissante dans le patrimoine, qui représentait 59 % des dépenses culturelles départementales et 23 % des dépenses culturelles régionales en 2010.

Les communes gèrent souvent les services et les équipements culturels de proximité, tels les bibliothèques, les conservatoires, les écoles d’art et les musées. Il est intéressant de noter que la moitié de ces dépenses de fonctionnement sont des dépenses de personnels.

En effet, il ne faut pas oublier qu’une grande partie des dépenses des collectivités permet directement, notamment par l’emploi de fonctionnaires et de contractuels, ou indirectement, via des subventions, de financer un très grand nombre d’emplois dans le milieu culturel.

Une diminution de la participation financière des collectivités à la culture risquerait donc de se traduire par une grave remise en cause de l’emploi, du fait du non-renouvellement de nombreux contractuels et du non-remplacement de fonctionnaires partant à la retraite. Cela fragiliserait l’ensemble du secteur.

Au même moment, la part du budget de l’État consacrée aux missions du ministère de la culture confirme, elle aussi, un désengagement financier dans la durée, programmé dans le plan annoncé par le Premier ministre.

Telles sont, mes chers collègues, les raisons de notre inquiétude.

Notre assemblée a souvent inscrit à son ordre du jour, ces dernières années, la défense de l’exception culturelle. Aujourd'hui, c’est l’exceptionnel engagement de nos collectivités qui doit être défendu et protégé. Nous n’aurons pour notre part de cesse de mener ce combat.

Adossée aux 50 milliards d’euros de coupes budgétaires, la réforme territoriale que le Gouvernement continue de chercher à faire passer au forceps risque d’être foncièrement antidémocratique, politicienne et au service d’une vision concurrentielle et libérale de l’aménagement du territoire. Elle représente un très grand danger pour le mouvement artistique et culturel, pour l’avenir même de la culture dans notre pays.

L’affaiblissement des moyens des collectivités, la suppression de la clause générale de compétence, la suppression des conseils généraux, le regroupement autoritaire des communes et des agglomérations, la formation de métropoles et de très grandes régions, représentent au total un danger quasi létal pour des pans entiers des politiques publiques de soutien à l’art et à la culture, à la création comme à l’éducation populaire.

Si nous ne réagissons pas, nous sommes à la veille d’un processus de déculturation de nos territoires et des populations qui y vivent. Une fois de plus, nous constatons qu’il faut défendre le lien étroit existant entre la culture et la démocratie, la mise en cause de l’une affaiblissant gravement l’autre. Nous refusons de nous engager sur ce chemin dangereux, préférant continuer à construire l’émancipation par l’art et la culture. §

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat est une excellente initiative, car nous sommes à la veille d’arbitrages structurels et budgétaires déterminants. Il est nécessaire, car la volonté passée, de celle de Malraux à celle de Jack Lang, a conduit à une démocratisation équipementière qui n’a pas connu sa suite logique : la diversité des publics, des amateurs, des artistes, la synergie avec la vie du territoire, et des moyens durables de fonctionnement des structures.

Ce débat appelle à la cohérence quand les choix faits sur le terrain contrastent souvent avec les beaux discours et les signatures de conventions internationales porteuses de sens, ou quand plane la menace d’un agrément néfaste sur le mauvais accord des annexes 8 et 10 de l’UNEDIC. À quoi serviraient des subventions sans artistes et sans techniciens pour donner vie aux projets ?

L’action des collectivités en matière de culture a été grandissante, conjuguant des cibles propres à chacune et mettant en commun leurs moyens pour rendre possibles des actions d’envergure, au plus près des habitants. Des artistes s’en sont méfiés, ceux qui n’avaient d’yeux que pour la rue de Valois, à l’image de Racine ou Lully n’attendant que l’onction du prince.

Contre cette forme de mépris, les écologistes réaffirment la pertinence d’une démocratie culturelle locale, animatrice du tissu créatif du territoire, garante de la reconnaissance de chacune et de chacun.

Ils soulignent également le rôle indispensable d’un grand ministère de la culture et de ses directions déconcentrées, avec une stratégie et des moyens. Et ce grand ministère ne devrait pas dispenser les autres – ceux de la ville, de l’éducation, de la santé, des transports – de penser culturellement leurs actions. L’art est public, il a droit de cité. Il devrait, au-delà de ses tutelles, bousculer l’organisation en silos de nos ministères et des directions de nos collectivités.

D’ailleurs, le développement durable, dont on décline à l’envi les cibles économiques, sociales et environnementales, ne peut se concevoir sans culture, bien commun essentiel de l’humanité, et que nous pouvons chaque jour accroître.

Ce qui fait culture dans une société, c’est ce qui fait rencontre : reconnaissance mutuelle, tissage de liens, création, héritage virtuel ou matériel.

C’est donc, avant de réfléchir sur qui fait quoi, à la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle que nous devons nous référer pour aspirer à « une plus grande solidarité fondée sur [...] sur la prise de conscience de l’unité du genre humain et sur le développement des échanges interculturels ».

C’est donc, avant de nous emballer pour ou contre la clause générale de compétence, à la Déclaration de Fribourg de 2007 que nous devons penser : « le terme culture recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement », nous rappelait Jean-Michel Lucas lors d’une récente audition.

Car on ne peut à la fois se prévaloir de l’exception culturelle à l’international et jouer la compétition entre les territoires, comme si la culture était une marchandise ou, pis, une « arme » comme les autres.

Quatre départements, dont celui du Nord, se sont engagés à revoir leurs pratiques afin de garantir les droits culturels de chacun. Lors de leur dernière rencontre à Roubaix, Patrice Meyer-Bisch rappelait que l’injonction du « vivre ensemble » n’est pas suffisante si le tissu social est élimé. Ce tissu, y compris dans sa dimension culturelle, doit être enrichi par la densité qu’apporte la diversité des contributeurs.

Être libre, c’est recevoir la capacité de participer, de toucher et d’être touché, de dire pourquoi l’on aime ou pourquoi l’on n’aime pas une œuvre. Ce sont ces critères de l’action publique qui doivent questionner compétences et procédures des institutions, tout autant que la légitimité de l’Art à déranger.

À l’heure des pénuries, auxquelles les écologistes ne sauraient se résoudre, s’il s’agit d’infliger au budget de la culture la même toise qu’aux bétonneurs, pollueurs et spéculateurs, les risques sont réels que la culture soit une variable d’ajustement – le couperet est déjà tombé sur des projets –, que des artistes soient censurés par certaines idéologies ou, comme l’énonce le sociologue Michel Simonot, que l’on fasse « dépendre la valeur de l’art et de l’artiste de son efficacité immédiate éducative, sociale, politique, économique, touristique ». Sommé d’être en mission, l’artiste verrait alors se dissoudre son autonomie et sa turbulence dans des appels à projets mis en concurrence. L’efficience attractive ou le pouvoir de pacification sociale l’emporteraient sur l’intérêt général.

Privés de loi sur la création, les parlementaires auditionnent, travaillent, se positionnent, proposent ; ils seront présents dans le débat sur la décentralisation.

Pour les écologistes, la culture est une responsabilité partagée de l’État et des collectivités locales. Nous ferons en sorte que l’Europe la fasse également sienne, sous un angle qui ne résume pas aux industries culturelles. Ce partage doit garantir que la création, la formation et la diffusion ne seront jamais l’otage d’une idéologie ou l’instrument d’un notable. Ce partage n’exclut pas la définition de domaines d’intervention ciblés, comme les enseignements supérieurs artistiques, qui pourraient être confiés aux régions pour renforcer la professionnalisation et l’équilibre des ressources. Face aux métropoles, les régions doivent avoir un rôle d’équité territoriale.

Nous attendons que décentralisation rime avec justice, démocratie et dialogue intelligent avec les collectivités. Nous attendons que les moyens attribués ou délégués ne soient pas vampirisés par la capitale. Nous n’acceptons pas que les musiques actuelles, auxquelles s’adonnent 80 % des Français –, ne reçoivent que moins de 0, 5 % du budget, alors que la Philharmonie va engloutir 380 millions d’euros.

Mme Maryvonne Blondin s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

La lisibilité ne se construira pas en coupant la culture en rondelles, elle se construira dans la transparence des arbitrages et la qualité des outils de dialogue, à travers, par exemple, la requalification des établissements publics de coopération culturelle – EPCC – ou la revitalisation des conférences régionales. §

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Bordier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, les collectivités locales sont les premiers financeurs de l’activité culturelle en France. Elles prennent en charge 70 % des dépenses, et leur contribution financière a progressé de 12 % depuis 2006, selon un rapport commun des inspections générales des affaires culturelles et des finances publié en janvier dernier. Cette contribution se chiffre à 7, 6 milliards d’euros. Ce sont les régions et les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, qui ont le plus augmenté leur effort financier, tandis que les communes, propriétaires de la plupart des équipements culturels et monuments historiques, sont désormais les principales contributrices de la dépense culturelle publique ; celle-ci représente 8 % du budget des communes de plus de 10 000 habitants.

La décentralisation culturelle a permis la démocratisation de l’accès à la culture et la diffusion de l’action culturelle sur l’ensemble du territoire, à travers le soutien à un réseau de structures très dense. Les collectivités assurent la mise en œuvre opérationnelle et, notamment, le financement des grandes politiques culturelles définies par l’État. Elles pallient de plus en plus la faiblesse des crédits engagés par l’État, par exemple dans les domaines de l’archéologie préventive, du patrimoine, du spectacle vivant ou de l’accès aux savoirs.

Aujourd’hui, dans un contexte de crise économique et sociale, et à l’approche d’une recomposition territoriale, certains principes doivent être réaffirmés. Ce doit être également l’occasion d’une clarification des rôles. Je pense qu’il existe deux enjeux : la clarification des différentes interventions au niveau local et la réaffirmation d’une direction générale définie par l’État.

Tout d’abord, la Cour des comptes a relevé les chevauchements des actions culturelles menées aux niveaux territorial et national, un manque de cohérence entre les interventions et un empilement de dispositifs contractuels complexes. Un rapport d’information rédigé en 2009 par Yves Krattinger et Jacqueline Gourault au nom de la commission des finances du Sénat a fait le même constat.

Certes, la réalisation de projets importants repose souvent sur un partenariat entre plusieurs acteurs, mais l’empilement des structures et l’enchevêtrement des compétences et des financements peuvent être sources d’erreurs, de doublons, de perte de temps et de moyens. Aussi la commission des finances avait-elle cherché des voies de clarification, pour une meilleure coordination et une meilleure lisibilité. Elle préconisait notamment de généraliser des instances et outils de concertation entre les acteurs au niveau régional, afin d’assurer la coordination des actions, de simplifier les modalités de financement et de définir des objectifs partagés.

Madame la ministre, pourriez-vous préciser la politique du Gouvernement sur cette question de la clarification des rôles ?

Je voudrais à présent évoquer une réforme majeure, celle des établissements publics de coopération culturelle, dont la création provient d’une initiative sénatoriale prise il y a un peu plus de dix ans. La loi relative à la création des EPCC, votée en 2002, visait à organiser le partenariat entre l’État et plusieurs collectivités territoriales, ou seulement entre ces dernières, sur la base du volontariat, autour d’un projet culturel de territoire. Le but était de partager les initiatives culturelles et de leur donner plus d’ambition, de mutualiser les projets pour les rendre plus efficaces et plus visibles.

On compte aujourd’hui plus de 90 EPCC. Cela démontre que cette création était nécessaire et que les territoires – départements, régions, communes – se sont emparés des EPCC, notamment pour gérer leur patrimoine, le mettre en valeur et l’ouvrir le plus largement possible au public, ou pour développer les enseignements artistiques, notamment dans le cadre des écoles d’art, afin de permettre à un plus grand nombre d’usagers d’en bénéficier. À titre d’exemple, je citerai l’Opéra de Lille, le Centre Pompidou-Metz, le Louvre-Lens ou l’École supérieure d’art et de design de Saint-Étienne.

En 2011, j’ai présidé avec Cécile Cukierman une mission destinée à faire le bilan de dix années d’EPCC. Nos travaux ont montré les atouts des EPCC, mais également l’existence de dysfonctionnements. Certains EPCC n’ont pas été suffisamment préparés en amont ; d’où des désaccords entre partenaires ou la sous-estimation des coûts engendrés. La place de l’État, investisseur souvent minoritaire, face aux collectivités locales, n’est pas toujours facile à trouver. L’État doit pourtant exercer ses missions d’expertise, de conseil et parfois d’arbitre.

Les EPCC ont surtout pâti d’un statut fiscal complexe et défavorable. J’ai pu le constater dans mon département, où un EPCC que j’avais créé et présidé regroupait le conseil général de l’Yonne et la ville d’Auxerre. Après deux ans et demi de fonctionnement, les services fiscaux ont réclamé le paiement de la taxe sur les salaires, alors que les deux collectivités concernées n’y étaient pas assujetties auparavant pour les mêmes activités. Cette situation pour le moins surprenante est due à l’évolution de la jurisprudence européenne et à son respect par l’instruction fiscale. Les EPCC ayant une forte masse salariale ont ainsi pu voir leur charge fiscale décuplée. Au final, l’EPCC de l’Yonne a été dissous, la ville d’Auxerre et le conseil général reprenant leurs compétences et financements antérieurs. Piètre résultat !

Pour éviter que de nombreux projets soient ainsi privés du cadre offert par les EPCC, notre mission avait proposé soit que le ministère interprète favorablement les dispositions législatives concernant la taxe, soit que des dérogations soient accordées. Depuis, le dossier n’a pas du tout avancé. Madame la ministre, je souhaiterais connaître vos intentions à ce sujet.

Notre mission avait également pointé le problème des établissements d’enseignement artistique, auxquels le statut d’EPCC a été imposé. Sans anticiper sur ce que nous dira certainement Catherine Morin-Desailly, je tiens à rappeler que, si cette transformation obligatoire poursuivait l’objectif louable d’une plus grande autonomie des établissements, elle n’en a pas moins engendré de nombreuses difficultés : mise en place précipitée, diversité des statuts des personnels et inégalité des rémunérations, déficit d’information, problèmes de participation à la gouvernance.

Si le bilan des EPCC demeure globalement positif, sans doute faudrait-il procéder à des ajustements législatifs en ce qui concerne l’enseignement artistique. Notre débat est l’occasion de le rappeler.

Autre point que je souhaitais aborder : la place de l’État au moment où une réforme des collectivités territoriales est en cours de discussion et sera bientôt débattue au Parlement.

Par le passé, l’État a été le décideur en matière de politique culturelle. Aujourd’hui, il est davantage un facilitateur, accompagnant les projets des collectivités. Je pense que la culture doit demeurer un champ d’intervention commun, dans lequel l’État et les collectivités peuvent travailler ensemble de façon complémentaire.

Or, madame la ministre, l’article 1er de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, adoptée en décembre 2013, a éveillé les craintes des organisations professionnelles du secteur des arts et de la culture. Cet article permet en effet à l’État de déléguer par décret certaines de ses compétences à une collectivité qui en ferait la demande. Le fonctionnement du réseau des directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, pourrait donc se trouver affecté, ce qui nuirait à l’homogénéité de la politique nationale de soutien à la culture.

La présence de l’État à travers ses services déconcentrés est fondamentale. Elle garantit l’égalité territoriale, qui irrigue les territoires ou les quartiers éloignés d’une offre culturelle de qualité. Lorsque la compétence « culture » aura été déléguée, comment l’État pourra-t-il tenir son engagement de ne supprimer aucune DRAC ? Je pense que cette disposition ouvre la voie à un désengagement de l’État, et il me semble donc souhaitable qu’un prochain texte législatif, par exemple le projet de loi sur les territoires actuellement en préparation, établisse clairement une compétence partagée et réaffirme le rôle de l’État.

La culture et les arts favorisent l’épanouissement personnel et collectif des individus, ainsi que la cohésion et le dialogue social. Ces activités constituent également un formidable enjeu économique. . Selon le rapport commun des inspections générales des affaires culturelles et des finances, elles représentent 3, 2 % du PIB de la France et 670 000 emplois ; en valeur ajoutée, c’est autant que l’agriculture et l’agroalimentaire, deux fois plus que les télécommunications et sept fois plus que l’automobile. C’est dire combien l’État et les collectivités territoriales, qui sont directement concernés, doivent veiller au maintien et à l’essor des industries culturelles et créatives.

Le processus de décentralisation en cours – métropoles, intercommunalité, etc. – mettra chaque élu devant une situation politique largement inédite. Aussi l’État devra-t-il jouer pleinement son rôle de facilitateur des actions locales. J’espère que ce débat nous permettra d’obtenir une clarification quant à ses intentions.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, réjouissons-nous que le sujet de la culture, dont je ne rappellerai pas ici l’importance, fasse ce soir l’objet d’une réflexion et d’un débat spécifique, bien en amont des discussions que nous aurons sur la réforme territoriale.

Il ne suffit plus aujourd’hui de proclamer une « exception culturelle » ; il faut aussi, plus de cinquante ans après la création du ministère de la culture, dresser un bilan, prendre acte de la situation et mesurer l’implication grandissante des collectivités locales, devenues également, au fil du temps des acteurs majeurs de la culture.

Depuis 1959, grâce à la politique dite de « décentralisation culturelle », notre pays a vu se développer nombre d’institutions de référence, d’équipements de proximité, d’associations culturelles portant un certain nombre de missions. Mais force est aujourd’hui de constater l’essoufflement de l’action publique : stagnation, voire baisse des moyens financiers, mais aussi absence de projets mobilisateurs et de perspectives nouvelles. Le ministère de la culture paraît à ce jour incapable de faire face aux missions qu’il prétend exercer et de définir ses propres priorités.

Cette situation explique le réel malaise dans lequel se trouvent ainsi la plupart des professionnels de la culture, malaise encore accru par le développement du numérique, avec le bouleversement tant des modes de production et de diffusion des écritures que du financement de la création.

Certes, il serait injuste de faire porter au seul ministère de la culture et à l’actuel gouvernement l’ensemble des responsabilités, mais il nous faut cependant bien constater l’inaction, pour ne pas dire la panne, devant laquelle nous nous trouvons depuis maintenant deux ans.

Une priorité avait été tout d’abord affichée en faveur de l’éducation artistique et culturelle. Nous attendions par conséquent la définition de cadres spécifiques : rôle des établissements d’enseignement spécialisé, formation des professeurs et des intervenants, définition des financements, articulation avec les nouveaux rythmes scolaires. Or on en reste à la promotion de quelques initiatives de terrain, certes pertinentes, voire exemplaires, mais dont la simple juxtaposition ne saurait en aucun cas dessiner une politique.

Nous attendions également la mise en œuvre de « l’acte II de l’exception culturelle à l’ère du numérique », qui devait faire suite au rapport Lescure, porteur de propositions concrètes. Nous avons finalement eu une multitude d’autres études et rapports, tous sans lendemain...

Nous sommes aussi toujours en attente des projets de loi annoncés, qu’il s’agisse de la création ou du patrimoine.

Par ailleurs, nous pouvons mesurer les baisses réelles du budget de la culture. Entre la loi de finances initiale de 2012 et celle de 2014, le total des crédits alloués aux missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles » est passé de 3, 846 milliards d’euros à 3, 440 milliards d’euros, marquant ainsi la baisse de l’implication de l’État dans ces domaines. Ce n’est pas exactement ce qu’avait promis le candidat François Hollande...

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Madame la ministre, vous assumez, avec courage, les choix du Gouvernement. Mais pourriez-vous nous préciser les perspectives que vous offrez aux opérateurs culturels pour leur permettre d’inscrire leurs actions dans la durée ?

Le ministère de la culture était un ministère de mission, d’impulsion, dont l’expertise et les conseils étaient précieux. Il est devenu aujourd’hui, faute de projet politique, une bureaucratie qui gère la pénurie en tentant de préserver le statu quo.

La politique contractuelle, qui était la base des relations entre le ministère et les institutions culturelles, est aujourd’hui mise à mal. On veut faire croire que l’on fera toujours autant avec moins de moyens : comment s’assurer ainsi une réelle crédibilité ?

Dans ce contexte, il est un sujet qui semble avoir mobilisé ces derniers mois : la disposition de la loi du 19 décembre 2013 qui prévoit que l’État peut « déléguer par convention à une collectivité territoriale ou à un EPCI qui en fait la demande l’exercice de certaines de [ses] compétences ».

Les explications que vous avez apportées, madame la ministre, se voulaient rassurantes, à défaut d’être toujours très claires. Cette disposition s’articulait avec le retour à la clause de compétence générale, sur laquelle on semble aujourd’hui vouloir revenir.

Surtout, dans le domaine de la culture, et à l’exception de quelques secteurs très particuliers tels que le patrimoine, on voit mal en quoi cette disposition ouvre des perspectives vraiment nouvelles : la plupart des actions conduites dans le domaine de la création ne le sont-elles pas déjà sur des bases contractuelles, en partenariat avec des collectivités locales ? N’est-ce pas là justement ce qui caractérise depuis l’origine le mouvement de décentralisation culturelle ?

Cependant, il est clair que, si ce mouvement devait aboutir à une sorte de décentralisation à la carte, chaque collectivité prenant ce qu’elle souhaite, il deviendrait difficile de concevoir et de mettre en œuvre toute politique culturelle un tant soit peu cohérente.

Pour autant, il nous semble bien que le modèle français de partage et de coresponsabilité tel qu’il s’est développé paraît aujourd’hui à bout de souffle. Dans le contexte actuel de rigueur budgétaire, plus personne ne fait de vrais choix assumés et les professionnels, renvoyés d’un partenaire à l’autre, se trouvent perdus dans d’épuisantes discussions.

À l’occasion des discussions sur la prochaine réforme de l’organisation territoriale, le groupe UDI-UC se fera force de proposition afin de sortir de cette impasse et d’opérer dans le domaine de la culture – mais cela vaut sans doute aussi pour d’autres secteurs, tels le tourisme ou le sport – une véritable répartition des compétences.

Il ne s’agira pas d’organiser le « saucissonnage », comme cela a été dit, mais de mieux coordonner pour une nouvelle dynamique. Cela suppose que soient clairement affirmées dans la loi les compétences de l’État, de la région, des établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre, des métropoles, des agglomérations ou encore des communautés de communes, et cela en fonction, bien entendu, des objectifs visés, des publics potentiellement concernés et des moyens mobilisables.

Ensuite, il importera de prévoir, à un moment ou à un autre, le vote d’une série de lois-cadres propres à chaque secteur culturel, définissant le rôle de chacun, la façon dont ces compétences s’exercent et organisant les transferts de moyens correspondants.

Bien sûr, il est permis de déplorer les tendances au retrait que manifestent certaines régions et dont sont victimes des institutions telles que le centre Pompidou à Metz ou encore le centre dramatique du Nord. Justement, ces attitudes illustrent bien les inconvénients du cadre actuel, marqué par l’absence de cohérence tenant aux objectifs multiples imposés aux acteurs culturels, aux attentes formulées, mais surtout aux moyens alloués.

Nous entendons bien le discours selon lequel seul l’État saurait imposer, dans un souci d’équité, une même approche sur l’ensemble du territoire national. Mais c’est aussi au bilan de cette ambition que nous sommes aujourd’hui confrontés : une récente étude de l’Arcade montre que sur les quatre régions étudiées, à savoir Lorraine, Poitou-Charentes, PACA et Rhône-Alpes, la dépense culturelle par habitant de l’État varie de 17, 67 euros à 23, 27 euros. On mesure donc bien la relativité du poids de l’État en région, sa faible capacité à opérer de réelles redistributions, et, bien sûr aussi, la concentration de son intervention, la proportion des communes concernées variant de 8 % à 19 %. Sans doute les écarts seraient-ils encore plus importants si nous disposions de données pour la France entière.

Combien de scènes nationales dans le Nord ou en Seine-Maritime, combien en Gironde ou dans les Vosges ? Que comprendre à la façon dont les labels sont attribués ? Pourquoi quasiment la moitié du budget du ministère se trouve-t-elle dépensée à Paris intra-muros ?

Comment penser que l’État fera demain, avec des moyens réduits, ce qu’il n’a pas fait durant plus de cinquante ans ? Un État qui, aujourd’hui, se montre incapable d’engager sa signature dans des contrats pluriannuels, pourtant indispensables au fonctionnement des institutions culturelles, et qui leur impose de fonctionner au rythme capricieux des annonces de gels et de dégels.

Nous avons pourtant pu le vérifier, lorsque des compétences sont effectivement transférées, les collectivités savent s’en saisir. Dans le domaine des archives ou de la lecture publique, non seulement les moyens ont été globalement accrus, mais les disparités territoriales se sont réduites.

Nous entendons aussi les inquiétudes exprimées par certains acteurs culturels qui considèrent que seul l’État protégerait leur liberté artistique face aux décisions subjectives parfois discutables des élus. Là aussi, mesurons concrètement ce que pèsent réellement les services du ministère dans les choix qui sont opérés tant pour les nominations que dans le cadre des évaluations des responsables de structures.

En réalité, nous voyons bien que les collectivités ont su se doter de services compétents et que bon nombre d’élus savent que l’action culturelle repose sur la collaboration de professionnels reconnus et respectés au profit des territoires qu’ils gèrent et de leurs habitants.

Même dans le secteur du spectacle, ou plus largement de la création, que nous savons sensible, seule une véritable décentralisation portée par les régions et les communautés de communes permettra justement une meilleure couverture de notre territoire national.

Ce mouvement poussera l’État à s’affirmer dans un rôle de médiation, qui permettra aux partenaires sociaux, dans le dossier de l’intermittence par exemple, de dépasser les approches à courte vue pour assurer, dans des conditions financières supportables, l’efficience et la survie du dispositif.

Je rappelle que le Sénat a, dans ce domaine, fait des propositions dont le Gouvernement pourrait s’inspirer dans le cadre de la discussion prochaine prévue par l’accord de mars 2014. Là encore, vous faites des déclarations de principe, mais vous ne proposez pas d’orientations sur l’évolution du système

Bien sûr, nous sommes conscients que le problème du financement de la culture ne passe pas seulement par de simples transferts entre collectivités publiques, les biens culturels étant une ressource irremplaçable pour les industries culturelles et pour les nouveaux services qui se développent sur internet.

Or les évolutions que connaît le monde numérique fragilisent le financement même de la création, et ce dans tous les domaines. Dès lors, il importe que, sur le modèle du CNC – Centre national du cinéma et de l’image animée – ou du Centre national des variétés, l’État mette en place de nouveaux mécanismes de collecte et de redistribution de recettes. Aussi, on ne peut que regretter l’abandon par le ministère du projet de Centre national de la musique, sur lequel la réflexion engagée par le gouvernement précédent avait pourtant bien progressé.

N’oublions pas non plus les évolutions qu’une réelle décentralisation imposera aux secteurs du patrimoine.

Comment opérer le transfert des archives, dès lors que les départements disparaissent ?

Comment organiser les compétences relatives aux monuments historiques, aux abords, aux objets mobiliers ?

Que deviendront les missions exercées par les architectes des bâtiments de France ? À cet égard, je rappelle la proposition de loi déposée par notre collègue Françoise Férat, qui tend à la création d’un Haut conseil du patrimoine permettant de rendre plus transparentes les décisions prises par l’État.

Comment articuler ces décisions avec les pouvoirs des collectivités en matière d’urbanisme ?

Tout cela doit être clarifié.

Enfin, je veux dire quelques mots sur la confusion dans laquelle se trouvent aujourd’hui les secteurs de la formation supérieure, de l’enseignement spécialisé et de l’éducation artistique et culturelle.

S’agissant de l’enseignement spécialisé, après les tergiversations imposées par certaines régions et malgré les expérimentations concluantes conduites en Poitou-Charentes et en Nord-Pas-de-Calais, la mise en œuvre de la loi de 2004 reste, hélas, au point mort. Pis, les crédits préservés par le précédent gouvernement ont aujourd’hui disparu !

Le travail d’élaboration de lois-cadres permettra ainsi non d’affaiblir le rôle de l’État, mais de le mettre au contraire à sa juste place, qui consiste à définir les cadres nationaux dans lesquels s’exercent et se financent les activités culturelles et artistiques, alors même que la capacité d’impulsion et de garant dont il se prévaut encore se trouve aujourd’hui mise à mal par sa propre inaction. À l’État aussi de définir, en lien avec les institutions européennes, les modalités de l’inscription de l’art et de la culture dans le monde et les pratiques d’internet.

Au moment où le Gouvernement semble vouloir engager une nouvelle étape pour notre organisation territoriale, nous voulons ainsi affirmer notre vision résolument décentralisatrice. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bosino

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, évoquer la relation entre culture et collectivités territoriales revient à poser avec force la question de la décentralisation culturelle, ainsi que celle, non moins essentielle à mes yeux, de la démocratisation culturelle.

La richesse du paysage culturel et artistique, la vitalité de la création que doit garantir une politique culturelle digne de ce nom ne se conçoivent en effet que dans une perspective d’exigence démocratique en termes d’accès à la culture.

Les collectivités territoriales jouent, vous le savez, un rôle primordial et déterminant dans ces domaines. Elles contribuent pleinement au dynamisme de la culture française, à côté de l’État, dans des domaines tels que le livre, avec les bibliothèques et les médiathèques, la musique, avec les écoles et les conservatoires, le spectacle vivant, avec les troupes en résidence, les arts de la rue.

Elles sont en réalité les principaux financeurs de l’action culturelle en France puisque les budgets qu’elles y consacrent annuellement dépassent le budget de l’État attribué à la culture !

Les collectivités territoriales trouvent pleinement la spécificité et le sens de leur intervention dans la relation de proximité qu’elles entretiennent sur leurs territoires, avec leurs habitants, pour réaliser l’objectif d’accès de toutes et de tous aux œuvres culturelles.

Ainsi, l’action des collectivités, consacrée par les différentes phases de décentralisation, doit, à mon sens, être intimement liée à la volonté de lutte contre les inégalités culturelles, territoriales ou sociales. Elle doit permettre de s’assurer que tous les citoyens, quels que soient leur lieu de résidence et leur milieu, ont accès à la culture.

Malraux, en 1966, parlait de la « culture pour chacun » à propos de la responsabilité de l’État dans cette mission : garantir l’accès de tous ceux qui le souhaitent à la culture et développer une offre culturelle sur tout le territoire, en particulier pour la jeunesse. Il la concevait alors comme un déploiement des services culturels sur l’ensemble du territoire : les services déconcentrés, les maisons des jeunes et de la culture. Cela trouvera une suite avec les lois de décentralisation, à partir de 1982.

La culture pour tous, c’est aussi, j’en suis convaincu, dans le prolongement de Jean Vilar et d’Antoine Vitez avec son « théâtre élitaire pour tous », le souci d’allier démocratisation culturelle et exigence artistique. C’est accompagner les publics les plus éloignés de la culture par une action spécifique, qui permette la rencontre entre artistes, œuvres et population. En réalité, il s’agit de réduire la distance symbolique qui existe entre les milieux populaires et la culture, encore assimilée au monde « bourgeois ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bosino

C’est à tout cela qu’œuvrent, ou devraient pouvoir œuvrer, les collectivités locales.

En matière de réduction des inégalités territoriales, les collectivités jouent donc un rôle fondamental, qui suppose également une volonté forte d’accompagnement, d’aide et de soutien de la part de l’État.

La coopération à tous les échelons d’intervention est en effet la clé de la vitalité culturelle : tous participent au financement, au rayonnement de projets, de structures, de compagnies qui ont besoin de cette complémentarité pour exister.

Effectivement, cela a été dit, la compétence dans le domaine culturel est partagée, et elle doit le rester. Les lois de décentralisation ne précisent d’ailleurs pas les rôles respectifs de l’État et des collectivités territoriales en matière de financements, ce qui permet à chacun de se saisir de cette question. La clause de compétence générale donne la possibilité d’agir dans le domaine culturel, mais ne confère pas de compétence obligatoire ou exclusive.

L’annonce d’une énième réforme des collectivités territoriales pourrait remettre en cause cette clause et cet équilibre déjà très précaire, à l’image de la précarité des intermittents du spectacle. Eu égard aux objectifs d’une telle réforme, les enjeux culturels risquent fort d’être négligés, car rien ne garantit leur pérennité. Ainsi, la clause de compétence générale, supprimée par l’ancien gouvernement et tout juste rétablie par le nouveau, serait finalement remise en cause. Telle est du moins l’annonce qu’a faite le Premier ministre lors de son discours de politique générale.

Or c’est précisément cette clause de compétence générale, avec la possibilité qu’elle ouvre d’effectuer des financements croisés, qui permet au milieu culturel de vivre – plus précisément, de survivre – via la participation de collectivités locales de divers niveaux. Il faut donc impérativement la préserver.

L’action culturelle locale est fondée sur l’entente et la coopération de différents acteurs, parmi lesquels figure l’État. Comment les collectivités locales vont-elles pouvoir continuer leur action culturelle quand, outre la perte envisagée de la clause de compétence générale, une ponction de 11 milliards d’euros va d’ores et déjà être opérée dans leurs budgets ? Rappelons également que la réforme des rythmes scolaires, qui aurait pu permettre une véritable avancée dans l’accès à la culture des enfants, va surtout se traduire par une dépense supplémentaire considérable.

Pour indispensables que soient les collectivités locales, elles ne peuvent jouer leur rôle si l’État se désengage de ses missions et de ses responsabilités financières.

Si les mots ont un sens, la décentralisation correspond bien à un transfert de missions de l’État vers les communes, départements et régions, ce transfert de compétences devant alors s’accompagner d’un transfert de financements, c’est-à-dire par le versement de dotations de l’État aux collectivités locales à la hauteur des missions qui leur sont confiées.

Or, force est de le constater, le montant de ces dotations n’a jamais été estimé à la juste valeur des missions des collectivités locales et, plus grave, il n’a en fait cessé de diminuer.

Le précédent gouvernement dénonçait la prétendue « folie fiscale » des collectivités territoriales. Si les termes employés sont moins provocateurs aujourd’hui, malheureusement, le discours n’a pas fondamentalement changé.

Telle est la situation que nous connaissons, alors que les moyens des collectivités locales ont déjà été rigoureusement réduits en 2009 par le biais de la suppression de la taxe professionnelle appliquée aux entreprises ! Rappelons que cette taxe représentait plus de 50 % des moyens propres des collectivités locales.

Nous sommes donc particulièrement préoccupés, car la capacité d’intervention de celles-ci, dans le domaine de la culture peut-être encore plus dans d’autres secteurs, va s’amenuiser, ce qui éloignera la perspective d’un développement territorial équilibré de la culture et remettra en cause l’existence de certaines compagnies et structures particulièrement fragiles.

En effet, la culture est toujours la première que l’on sacrifie. Mais comme le dit Jack Ralite dans sa lettre au Président de la République : « La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend au contraire plus indispensable. La culture n’est pas un luxe, dont en période de disette il faudrait se débarrasser, la culture c’est l’avenir, le redressement, l’instrument de l’émancipation. C’est aussi le meilleur antidote à tous les racismes, antisémitismes, communautarismes et autres pensées régressives sur l’homme. »

C’est avec cette vision que, pour ma part, en tant qu’élu local et avec mes collègues, j’ai jusqu’à présent, malgré les diminutions budgétaires, maintenu les financements du budget culturel de ma ville et de sa salle de spectacles. Un tel choix est malheureusement trop rare, et surtout de plus en plus difficile à faire d’année en année, car les mauvaises nouvelles ne cessent de pleuvoir.

La situation financière mène à des décisions absurdes. Je pense, par exemple, aux compagnies en résidence – il en existe une dans ma ville –, dont on réduit le budget consacré à la production tout en épargnant le budget dédié à la diffusion. Mais que diffuseront-elles, à terme, si elles n’ont même plus les moyens de créer ?

L’annonce de la baisse des dotations de l’État ne nous permet pas d’être optimistes quant à la capacité de financement d’un véritable service public de la culture. Le désengagement de ce même service public est dramatique, car on abandonne, ce faisant, la culture à des intérêts privés qui se substituent au vide laissé peu à peu par l’action publique. Nous sommes bien loin de la vision pourtant développée et défendue par la France avec la notion d’exception culturelle !

Attachés à ne pas considérer les biens et les services culturels comme de simples marchandises, en raison du sens et des valeurs que la culture porte en elle, nous nous opposerons ainsi à tout ce qui, dans une réforme des collectivités locales, pourrait provoquer une nouvelle déstabilisation de l’action culturelle, de la même manière que nous combattrons toute diminution du budget de la culture, qu’il s’agisse de celui de l’État ou des moyens que lui consacrent les collectivités locales.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la culture n’est peut-être pas la préoccupation première de nos concitoyens, mais nous sommes à la veille d’une grande réforme administrative et politique, dans un contexte de baisse des dotations publiques. Le moment me semble tout à fait indiqué pour procéder à un état des lieux et avancer quelques propositions. Je remercie donc mes collègues du groupe CRC d’avoir pris l’initiative du présent débat.

Après trente ans de démocratie culturelle, avec un territoire maillé par un grand nombre d’équipements, la mise en œuvre de politiques culturelles locales diverses et variées, la tentation est grande de relâcher nos efforts face à la réduction des moyens accordés aux collectivités locales.

Mes chers collègues, imaginons que tout le secteur culturel disparaisse de nos villes : plus de spectacles dans nos rues, plus de musique dans nos quartiers. Nos territoires ne perdraient-ils pas de leur saveur et de leur couleur ? Nous risquerions, à terme, une perte de notre identité et, par voie de conséquence, une uniformisation de l’image de notre pays, voire du monde.

Or, on le sait, la culture est un vecteur de partage, de vitalité, de démocratie et du vivre ensemble. Les collectivités locales l’ont bien compris : en 2010, leurs dépenses culturelles ont atteint 7, 6 milliards d’euros, soit près du triple du budget du ministère de la culture qui s’élevait, cette année-là, à 2, 9 milliards d’euros.

Si la culture est une dépense, elle est aussi source de richesse pour notre pays. Selon une étude conjointe de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale des affaires culturelles, l’industrie culturelle représente 3, 2 % du PIB national, soit 58 milliards d’euros de valeur ajoutée, presque autant que l’agriculture et les industries alimentaires. D’après la même étude, cette industrie emploie par ailleurs 670 000 personnes, représentant 2, 5 % de l’emploi total en France. Parmi celles-ci, on dénombre 200 000 intermittents qui sont des acteurs économiques à part entière, sans lesquels il n’y aurait pas de vie culturelle !

Une toute jeune circassienne me disait la semaine dernière : « Un artiste, madame Blondin, est un acteur et un poète, prêt à émerveiller son public, à oublier sa situation de précaire pour produire un rêve commun le temps d’un spectacle. » Cette jeune fille est âgée de dix-neuf ans, elle connaît toutes les difficultés de ce métier, mais elle a cette passion chevillée au corps. Je crois que nous devons encourager et aider ces intermittents !

Est-il nécessaire de rappeler le préambule de l’Acte constitutif de l’UNESCO, ratifié par la France en 1946 ? La diffusion de la culture est l’un de nos devoirs sacrés. L’accès de tous à la culture et à l’éducation fait partie intégrante de la dignité humaine et des droits de l’homme ; il est aussi important pour le genre humain que la biodiversité l’est pour le vivant.

Les collectivités locales se sont saisies de la culture, bien au-delà des compétences qui leur avaient été attribuées, à savoir la gestion des bibliothèques départementales de prêt et des archives départementales. Elles ont bien compris l’enjeu de développement culturel, social et territorial.

J’en veux pour preuve l’engagement tout récent d’un bourg rural du Finistère comptant 800 habitants, plutôt tourné vers les activités sportives traditionnelles, comme le football et le tennis. Grâce à l’intervention d’une artiste dans l’école, cette commune a mis en place un partenariat avec une petite compagnie pour proposer des activités culturelles de proximité, en complémentarité avec celles de la communauté de communes, à la satisfaction des habitants. Cet exemple montre bien le rôle de la médiation culturelle qu’il ne faut pas non plus négliger.

De plus grandes collectivités locales, comme le conseil général du Finistère, ont fait de la culture pour tous un axe essentiel de leur projet stratégique. Je ne citerai que quelques actions.

Le conseil général contribue au financement des structures labellisées afin d’agir au plus près de la population. Il a mis en œuvre un schéma départemental d’éducation artistique et culturelle, un schéma d’orientation de développement des lieux de musiques actuelles, ou SOLIMA, un plan de développement de la lecture publique. Je rappelle que le Finistère est l’un des dix départements qui font partie de l’Observatoire de la lecture publique.

Je n’oublie pas non plus le soutien qu’apporte notre département aux pratiques amateurs – on en a peu parlé jusque-là, mais celles-ci sont très importantes en Bretagne, surtout dans le domaine de la culture bretonne ; en bénéficient 38 bagadou – pluriel de bagad –, 4 000 sonneurs, 1 200 écoles de musique, ainsi que des professeurs qui circulent dans tout le département pour enseigner et diffuser la musique, le chant, la danse et la langue bretons. Le conseil général consacre plus de 2, 3 millions d’euros à la promotion et au développement du breton depuis plus de vingt ans : sans les collectivités territoriales, ce magnifique et unique patrimoine immatériel que représente une langue régionale aurait disparu de la surface de la terre !

Avec l’inscription de la culture dans son pacte territorial d’insertion, le conseil général agit pour l’insertion des personnes les plus fragiles économiquement parlant ou en situation de handicap. La culture peut leur donner le moyen de redynamiser leur parcours personnel, de reprendre confiance en elles-mêmes et de s’engager dans un vrai parcours d’autonomie.

La Plateforme d’initiatives pour les artistes du Finistère, également appelée PIAF – quel beau nom, n’est-ce pas ? –, est un autre exemple de cette action. Ce dispositif s’adresse aux artistes bénéficiaires du RSA : il vise à les accompagner individuellement dans la structuration de leur projet artistique et à les rendre autonomes financièrement.

Un autre outil de démocratisation culturelle permettant d’associer partenaires et financeurs multiples est constitué par les EPCC, dont a parlé M. Bordier. En France, il en existe entre 90 et 100, dont la majorité a pris la forme d’EPIC. Les acteurs s’accordent à reconnaître que ces structures – qui se sont souvent substituées à d’anciens services publics ou régies – ont permis une meilleure coopération entre les différents échelons et une meilleure offre de services, même s’il faut peut-être revoir le dispositif et envisager quelques évolutions qui ont été mentionnées précédemment.

Les quelques exemples que je viens de vous donner, madame la ministre, mes chers collègues, nourrissent ma conviction que les collectivités, quel que soit leur niveau, ont un rôle à jouer dans le soutien à la création et à l’accessibilité de tous à la culture

Dans le cadre des futures lois de décentralisation – et je ne parle pas du projet de loi en préparation sur la création artistique –, la possibilité d’une délégation des compétences de l’État dans le domaine culturel et de compétences partagées semble avoir été retenue. C’est bien la transversalité qui justifie que la culture soit une compétence partagée.

Bien que je sois contrainte par le temps, je souhaite évoquer, pour terminer, le pacte d’avenir pour la Bretagne signé à Rennes en 2013. Il prend en compte le fait que la culture a été envisagée comme un élément central de développement de la région par la signature d’une convention spécifique consacrée à la culture pour les années 2014-2020 dont les principaux axes sont : une gouvernance partagée entre l’État, le conseil régional et les collectivités territoriales dans le cadre d’un processus de coordination régionale des politiques culturelles publiques ; la reconnaissance des spécificités du développement culturel en Bretagne ; la recherche d’une simplification administrative, le tout dans un dialogue étroit, une concertation et une volonté permanente de coconstruction avec les conseils généraux, les grandes villes et l’État, qui reste le garant de l’intérêt national et des personnels dans les régions.

Pour reprendre les mots de Pierre Curzi, coprésident de la Coalition canadienne pour la diversité culturelle, « l’art et la culture sont les ferments essentiels de l’identité et de la cohésion d’une société. »

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis ce soir pour un débat qui eût mérité un temps plus long que celui qui lui est consacré. Néanmoins, je ne serai pas un trouble-fête et ne bouderai pas mon plaisir de réfléchir sur un sujet essentiel pour notre pays !

Essentiel, car la France est, par tradition, ce pays où la culture a engendré de vrais progrès, de vraies révolutions qui ont bouleversé nos modes de pensée, nos façons de vivre, nos comportements sociaux, économiques, nos modes éducatifs. Toutes les formes de culture y ont contribué, toutes les formes artistiques y ont participé.

Essentiel encore, car la culture est ce puissant levier qui fonde la cohésion sociale, dynamise les territoires, vivifie l’économie. Pour s’en convaincre, il n’est que de prendre quelques exemples des festivals les plus réputés : je citerai indifféremment les Chorégies d’Orange, la Cinéscénie du Puy-du-Fou, ou encore les fresques vivantes créées et interprétées par les habitants de certains villages. Ainsi, dans ma petite commune de l’Aveyron, Flagnac, le spectacle Hier un village fait participer tous les habitants du village et même des environs. Ici et là, on retrouve le même engouement, la même fièvre pour organiser, dans les meilleures conditions possible, des spectacles qui drainent quelques centaines, voire plusieurs milliers de spectateurs, et qui soudent dans un même élan population locale et population de passage.

J’ai pris à dessein ces exemples, non pas qu’ils soient les seuls dans ce domaine, mais parce qu’ils font intervenir les collectivités territoriales à leurs trois niveaux : régional, départemental et communal. L’un des problèmes qui nous sont posés est celui du rôle respectif de l’État et des différentes collectivités territoriales en matière de culture. Ce problème, madame la ministre, est au cœur de notre actualité avec la prochaine réforme des collectivités territoriales, et qui n’est pas de tout repos !

Permettez-moi de faire un peu d’histoire pour rappeler que la loi initiale de décentralisation de 1982, assortie de la loi de 1983, n’avait pas fait de la culture une compétence exclusive de l’une ou de l’autre de ces collectivités. Il s’en était ensuivi une certaine forme de désordre permettant notamment les trop fameux « financements croisés », sources de dépenses publiques non maîtrisées, de lenteur administrative, de dilution des responsabilités.

La loi du 16 décembre 2010 avait inscrit le principe – et seulement le principe ! – de suppression de la clause de compétence générale, sauf pour le tourisme, le sport et – mes collègues qui m’ont précédée l’ont dit – la culture, mesurant ainsi l’intérêt de permettre aux collectivités de soutenir la culture, à quelque niveau que ce soit, en veillant aux conditions d’une intervention financière raisonnée.

Puis la loi du 27 janvier dernier a prévu le rétablissement de la clause de compétence générale, accompagnée de l’instauration des conférences territoriales de l’action publique. L’objectif est clair : grâce à ces conférences territoriales, permettre un exercice concerté des compétences des collectivités locales, de leurs groupements et de leurs établissements publics.

Cette disposition, si elle était judicieusement utilisée – j’en forme le vœu ! –, permettrait de sortir du désordre ambiant et d’ordonner les politiques culturelles entre tous les acteurs. Elle permettrait aussi, par un dialogue constructif entre toutes les parties, de privilégier les formes de culture les plus adaptées aux différents territoires, et d’éviter d’assister de nouveau au spectacle aujourd’hui affligeant de ces collectivités qui, au prétexte de maîtriser judicieusement leurs dépenses, réduisent drastiquement leur soutien aux actions culturelles en pensant qu’il y aura bien une autre collectivité, quelle qu’elle soit, pour prendre le relais en dehors d’elles-mêmes !

En réalité, qu’adviendra-t-il, dans le texte qui va nous être soumis, des compétences des collectivités locales ? Pour le moment, les informations fournies me paraissent quelque peu brouillonnes, voire contradictoires, nous amenant les uns et les autres à nous interroger.

Nous nous demandons, par exemple, si la région deviendra le chef de file en matière de culture, dans une vision souple et différenciée du rôle de chacun sur la base de véritables engagements conclus conventionnellement. Ou bien allons-nous nous diriger vers une formule plus autoritaire, la culture s’inscrivant dans un schéma prescriptif, certes négocié, mais s’imposant ensuite aux collectivités, départements, communes et à leurs groupements ?

Pour ma part, je suis et je reste convaincue que l’intelligence des élus locaux – celle qui relie, au sens premier du mot latin intelligentia, composé du préfixe inter et du radical legere – peut permettre de continuer d’offrir à nos concitoyens la richesse infinie de nos ressources culturelles, sans qu’il soit besoin de s’inscrire dans un carcan normatif dont chacun s’attachera à sortir le plus rapidement possible.

D’ores et déjà, les mesures existent qui ont permis aux régions, aux départements et aux communes d’être pleinement responsables de secteurs entiers d’activités – les bibliothèques, les musées, les archives – ou de s’en répartir la responsabilité – l’enseignement artistique, l’inventaire général du patrimoine culturel, l’archéologie préventive.

Chacun d’entre nous en est particulièrement conscient, il reste, il est vrai, des points à clarifier, à simplifier, y compris dans les domaines qui relèvent encore de l’État. Je pense, par exemple, à la définition des normes nationales en matière d’inventaire ou au classement sur la liste des monuments et mobiliers historiques. Ces clarifications et simplifications permettront une meilleure efficacité de l’action publique, tout comme une meilleure maîtrise des ressources dont disposent les collectivités.

Je vous sais, madame la ministre, très attachée au principe de partenariat des collectivités locales avec l’État. Plusieurs exemples le démontrent de façon éminente : l’antenne du Louvre à Lens, avec un partenariat exemplaire entre l’État, la région Nord-Pas-de-Calais et l’établissement public du musée du Louvre, lequel reçoit notamment des fonds issus de l’accord sur le Louvre Abu Dhabi. Je veux également citer l’antenne lorraine du Centre Pompidou à Metz, ou encore la Maison des cultures et des mémoires de la Guyane.

Madame la ministre, nous partageons l’une et l’autre un bien beau souvenir tout récent qui me donne l’occasion de signaler la place prépondérante du ministère de la culture dans la naissance du musée Soulages de Rodez. Le Président de la République, qui l’inaugurait le 30 mai dernier, voilà huit jours, a su dire avec conviction, avec enthousiasme même, son adhésion à ce projet né du mariage du génie d’un artiste natif de la ville de Rodez avec la détermination des élus locaux. Quel splendide exemple de ce que la confiance en la culture peut apporter à l’échelon non plus seulement local, mais également national, voire international !

Vous n’aurez pas manqué d’entendre que les membres de mon groupe et moi-même serons toujours à vos côtés, chaque fois que vous défendrez la place de la culture, aussi bien dans le cadre de ses compétences étatiques redessinées – je pense au patrimoine et au projet de loi que vous nous présenterez – que dans celui d’un vrai partenariat entre collectivités territoriales et entre ces dernières et État.

Je sais que vous mettrez toute votre vigueur, toute votre force à défendre le budget de votre ministère, entraînant une attitude aussi volontariste des élus locaux, conscients de ce qu’apporte la culture.

Je forme le vœu qu’État et collectivités territoriales prennent ensemble tout le sens de ce qu’est la culture en soi – faut-il rappeler que le mot culture vient du mot latin cultus, le sillon ? La culture est ce sillon profondément creusé pour y planter les semences héritières d’un passé qui feront de demain l’harmonie de ce monde.

Madame la ministre, je fais confiance à votre sens de l’intérêt général pour tracer ce sillon porteur d’espérance ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai mon intervention en rebondissant sur les propos que vient de tenir Anne-Marie Escoffier et en évoquant une réalité. Très souvent, trop souvent, les budgets consacrés à l’action culturelle peuvent paraître aux yeux de certains superflus, et les élus locaux, voire nationaux, doivent quelquefois se battre et ferrailler pour obtenir des budgets à la hauteur de leurs ambitions.

Or, cela a été dit, en ce début d’année, un rapport des inspections générales des finances et des affaires culturelles a rappelé le poids considérable de la culture dans notre richesse nationale : 3, 2 % du PIB, soit autant que l’agriculture et l’agroalimentaire, et deux fois plus que les télécommunications.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

J’ai pu m’apercevoir que cette information avait été largement relayée par les médias et sur les réseaux sociaux, ce qui traduit sûrement un sentiment de surprise face à cette ampleur financière de la culture, autant qu’un attachement fort à une « industrie » définitivement pas comme les autres !

Rappelons-nous ce que disait Malraux : la culture est « ce qui fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers ». Elle est ce qui permet de lier les individus ensemble, de ne pas les désunir.

Les biens et services culturels véhiculent des valeurs, du contenu et du sens, aussi bien pour l’accomplissement de soi qu’au service de notre construction collective.

Cette idée de cohésion sociale à laquelle j’associe la culture est devenue, à certains égards, un lieu commun. Tout le monde y recourt, tout le temps, prenant ainsi le risque de vider de contenu ce qui, pourtant, représente un fondement de notre société.

Parler de cohésion sociale sous-entend, en premier lieu, qu’il y ait dans notre société un besoin de cohésion entre les individus face à des inquiétudes grandissantes.

Parler de cohésion sociale, c’est ensuite exprimer une démarche volontariste qui vise à rétablir ce lien distendu, parfois même cassé.

La cohésion sociale, c’est donc bien la recherche d’une certaine communauté de valeurs et de projets. C’est l’idée de solidarité qui prévaut, d’une interdépendance entre les membres d’une société, sans que soit pour autant remise en cause une certaine diversité sociale et culturelle. Il est important, je crois, de le rappeler aujourd’hui !

Plus généralement, notre démocratie a besoin de deux piliers essentiels et interdépendants, la culture et l’éducation, sans lesquels elle ne peut être effective. En conséquence, le développement de l’accès au « bien culturel » et à sa pratique, dès le plus jeune âge, à l’égard des publics qui en sont le plus éloignés s’inscrit nécessairement dans cette démarche volontariste dont j’ai parlé.

Le 16 septembre dernier, vous présentiez, madame la ministre, votre grand projet pour l’éducation artistique et culturelle, afin d’améliorer durablement l’enseignement artistique et de développer les pratiques culturelles des jeunes.

Ce projet prend en compte cette double dimension pour un plus juste partage de l’exceptionnelle richesse artistique et culturelle de la France sur l’ensemble de notre territoire. Et cette priorité politique, que je partage en tout point, ne peut être mise en place que par un accompagnement adapté de ceux qui en sont les acteurs, au quotidien, sur nos territoires. C’est pourquoi 10 millions d’euros supplémentaires y ont été consacrés, ce qui marque la volonté d’un engagement durable.

C’est pourquoi, aussi, ce projet reposera sur la mobilisation de toutes les forces qui portent cette ambition pour la jeunesse, particulièrement des acteurs locaux. Ceux-ci sont évidemment directement concernés par la mise en œuvre du parcours d’éducation artistique et culturelle dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et de la réforme des rythmes scolaires.

Les collectivités territoriales savent mobiliser la diversité des intervenants. Elles savent construire en prenant en compte les spécificités locales, sans qu’il soit aucunement question d’établir une concurrence entre les enseignements artistiques dispensés dans le temps scolaire et les pratiques artistiques développées sur le temps périscolaire ou extrascolaire, ou même de substituer les uns aux autres. Le maître mot, c’est la complémentarité ! Car il s’agit non pas d’imposer un modèle d’en haut, mais bien de fixer un cadre général tout en favorisant les initiatives au plus près des besoins et des ressources de chaque territoire.

Voilà deux mois, le Conseil économique, social et environnemental a présenté un projet d’avis intitulé Pour un renouveau des politiques publiques de la culture. L’une de ses propositions phares est de développer l’éducation des jeunes aux médias et à la culture à l’intérieur et en dehors du temps scolaire.

Lors de votre tour de France de l’éducation artistique et culturelle, vous avez pu aussi mesurer, madame la ministre, les besoins spécifiques des territoires les plus éloignés géographiquement ou socialement de l’offre culturelle.

Je sors à présent du cadre éducatif propre, pour revenir à l’articulation, plus générale, des politiques publiques entre l’État et les collectivités locales.

Au début de la décennie 2010, nous le constatons, la politique culturelle est à la croisée de nombreux défis.

Oui, la France est riche de sa culture, de son patrimoine et de ses arts, et dynamique en ce domaine grâce à la vitalité de ses créateurs et de ses techniciens ! Cette réalité, dont nous pouvons être fiers, doit beaucoup à un long processus de développement d’instruments de politiques culturelles, qui ont répondu à deux exigences : d’une part, la préservation d’un environnement favorable pour la création artistique ; d’autre part, l’accomplissement d’une mission de service public et de lutte contre les inégalités culturelles dont je parlais au préalable et dont le parcours artistique sera une composante indispensable.

Oui, les politiques publiques développées par l’État et les collectivités locales favorisent la diversité des expressions culturelles, la pluralité des formes et des genres !

Oui, les politiques publiques soutenues par l’État et les collectivités locales favorisent les activités amateurs, facteurs de « faire ensemble » et de « vivre ensemble » !

Mais cette densité incontestable n’empêche pas aujourd’hui la subsistance, voire l’aggravation, d’inégalités à travers notre territoire, ce qui pose évidemment les questions à la fois du financement et de l’avenir de notre système de régulation.

Les politiques culturelles sont confrontées à la nécessité de devoir s’adapter à de très profondes mutations sociales, sociétales, économiques et politiques, technologiques et artistiques. Elles doivent aussi se construire dans un contexte européen, tout en prenant en compte les contraintes budgétaires et les reconfigurations territoriales à venir.

Aussi, la mise en œuvre des conditions permettant un approfondissement de la décentralisation culturelle est nécessaire, et le rôle de chacun doit être, je crois, clarifié. Des réponses nouvelles doivent être apportées, afin d’éviter que les responsabilités des collectivités locales ne soient marginalisées, parce que nous sommes véritablement passés en quelques années d’une politique de soutien culturel à une véritable politique culturelle des territoires.

À cet égard, un indicateur doit être relevé : l’enquête sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2010 publiée au mois de mars dernier fait apparaître que les communes et leurs groupements en assument près des trois quarts, soit 73 %. Par rapport à 2006, année de la précédente enquête, les dépenses culturelles territoriales ont progressé de près de 10 %, soit une augmentation annuelle de 2, 3 % en France métropolitaine. C’est pourquoi les annonces récentes peuvent susciter l’inquiétude.

Tout le monde s’accorde sur un point : la décentralisation culturelle doit être mieux organisée, afin d’éviter la superposition ou la dispersion d’actions culturelles qui peuvent être constatées ici ou là.

Mais la suppression des départements, le regroupement des régions et la disparition de la clause de compétence générale sont parfois interprétés comme la fin prévisible de ressources publiques importantes en faveur des politiques culturelles territoriales et de la lutte contre les inégalités.

En particulier, la disparition de la clause générale de compétence ne risque-t-elle pas de limiter les financements croisés des projets et infrastructures à l’échelon local, et ainsi d’amoindrir le rôle bénéfique de ces politiques culturelles pour le développement local et pour la cohésion sociale ?

Madame la ministre, je vous poserai trois questions.

Quelle réponse pouvez-vous apporter à ceux qui craignent que la culture ne constitue qu’une variable d’ajustement, et non plus un vecteur de compétitivité, d’attractivité et de cohésion ? Quel sera le nouveau cadre d’action des acteurs publics ? Quelle régulation de l’État mettre en place pour préserver les objectifs d’égalité territoriale et d’excellence culturelle ? §

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par citer une phrase d’Antonio Machado qui, je crois, peut tout à fait s’inscrire dans le cadre de ce débat et que nous pouvons, nous, élus, partager : « Pour nous, diffuser et défendre la culture sont une même chose : augmenter dans le monde le trésor humain de conscience vigilante ». Il y va en effet, en la matière, de notre responsabilité à tous.

En tant que dernier orateur inscrit dans ce débat et en introduction de mon intervention, j’aimerais rappeler ce que Claudy Lebreton a l’habitude d’affirmer concernant les collectivités locales et la culture : « Aujourd’hui sans collectivité territoriale, il n’y aurait pas de création ni de diffusion » artistique. Et force est de le constater, pour des raisons tout à la fois historiques et économiques, les faits lui donnent raison.

La participation des collectivités locales représente, en matière de dépenses aussi bien de fonctionnement que d’investissement, 80 % du financement de la culture.

Grâce aux grands mouvements de décentralisation initiés par la gauche, nous sommes progressivement passés d’une forme d’application territoriale des systèmes d’intervention de l’État à un soutien public local des activités artistiques. Cette plus grande proximité a permis le développement de nombreuses initiatives artistiques locales en dehors des grands plans nationaux. S’est alors progressivement installé un nouveau rapport à la culture en tant qu’élément permettant, localement, de recréer des espaces vivants, des dynamiques fondamentales pour le lien social et le vivre ensemble.

Dans ce nouveau schéma culturel, qui s’est établi dans nos territoires au fil des actes de décentralisation, les collectivités locales ont pris toute leur place. Et au fur et à mesure qu’elles s’emparaient de la question culturelle, les services se sont dotés d’expertises.

Ce sont ces collectivités qui sont capables de créer des passerelles entre les acteurs culturels, qui accompagnent les porteurs de projets, qui mettent en place des actions éducatives. Toutes ces actions reposent sur des fondements élargis, comme les notions d’aménagement du territoire et de création d’emplois, et n’oublions pas le fait que travaillent dans le domaine culturel entre 300 000 et 400 000 personnes.

La culture apparaît donc aujourd’hui comme une vraie fonction transversale et un puissant moyen de développement local, auquel les élus locaux sont particulièrement attachés. Elle est devenue un réel élément d’attractivité, de rayonnement, d’identité et de lien social sur lequel je reviendrai. Et quoi qu’en disent certains, c’est également un facteur de développement économique qu’il faut savoir mieux mettre en avant.

Dans ce domaine comme dans d’autres, les compétences sont réparties entre les différentes strates de collectivités.

La commune, échelon de proximité par excellence, reste la collectivité qui intervient le plus au plan culturel. Ses interventions concernent tout aussi bien le patrimoine, avec des dizaines de milliers de monuments classés en France, les musées, dont plus des deux tiers relèvent des collectivités locales, le patrimoine immobilier, qui est considérable : en effet, comme vous le savez, après la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, la propriété des cathédrales a été transférée à l’État, tandis que celle des églises l’a été aux communes. Enfin, les différentes écoles artistiques sont souvent gérées par les communes, tout comme les bibliothèques.

Les départements, quant à eux, détiennent des compétences en matière d’archives et de bibliothèques, et les régions, comme bien souvent, jouent un rôle de coordination.

Ces premiers éléments me conduisent nécessairement à établir, comme vous avez été nombreux à le faire, mes chers collègues, un rapprochement avec l’actualité brûlante de la réforme territoriale, si importante pour l’avenir de la France et de nos territoires. Car, en matière culturelle comme dans d’autres domaines, qui dit diversité des échelons et clause de compétence générale peut vouloir dire, comme l’a rappelé Françoise Cartron, doublons et chevauchements de financements.

Dans un cadre budgétaire de plus en plus contraint pour les collectivités locales, il est, à mon sens, important que ces points fassent partie des éléments de discussion dans le cadre de la prochaine réforme territoriale. Et ce, en ayant tout de même à l’esprit que la culture fait partie de ces domaines, relativement instables sur le plan financier, des politiques volontaristes non obligatoires.

La clause de compétence générale prend alors tout son sens pour les acteurs culturels, notamment dans les territoires ruraux, un peu plus isolés. Le fait, qui s’observe très fréquemment dans mon département des Pyrénées-Atlantiques, de pouvoir diversifier, sur un même projet, les tutelles financières est capital pour parvenir à établir le budget d’un projet et pour pérenniser une activité.

Pour autant, et dans le cadre d’un grand chantier de modernisation et de regroupement des collectivités locales comme celui qu’ont lancé le Président de la République et son Premier ministre, une clarification et une simplification des compétences paraissent également nécessaires en matière culturelle. D’autant qu’un relatif consensus se dégage sur cette question : les départements, ou les futures grandes intercommunalités censées les remplacer, seraient chargés de la lecture publique et des archives, et les grandes régions du développement économique et de l’aménagement du territoire.

Mais, là encore, les acteurs du monde de la culture souffrent du manque de lisibilité au moment de l’instruction des dossiers. Chaque sénateur siégeant dans cet hémicycle se rend compte de cela tous les jours, lorsqu’on lui demande de soutenir telle ou telle demande de subvention auprès de la DRAC, du ministère de la culture et de la communication, de la région, de l’euro-région, de la commune, de l’intercommunalité : il est à chaque fois confronté à la nécessité d’établir un nouveau dossier.

Alors que cette situation fait perdre beaucoup de temps et nuit à la lisibilité du financement des projets, pourquoi, dans le cadre du choc de simplification, ne pas pousser plus loin le développement des guichets uniques ? Je vous rappelle que cette formule est déjà expérimentée, par exemple pour les résidences d’auteurs, ainsi qu’entre les DRAC et les régions.

Dans le même souci de simplification et d’efficacité, madame la ministre, la question de la mutualisation des fonds pourrait être évoquée.

Cependant, en tant que parlementaires, et peut-être plus encore en tant que parlementaires de gauche, nous avons la responsabilité de reconnaître que l’accès à la culture doit encore être amélioré.

En effet, la grande promesse de la politique culturelle, reprise et amplifiée dans les intentions décentralisatrices, semble avoir été contrebalancée par la place prédominante d’un public bien défini dans la consommation artistique. Différentes études concordantes font apparaître que ce public est, de façon très schématique, majoritairement urbain et diplômé. Preuve qu’un travail important reste à accomplir pour permettre au plus grand nombre de bénéficier d’une offre culturelle attractive et de qualité.

Comme nos collègues Yves Krattinger et Jacqueline Gourault l’ont rappelé dans leur rapport Faire confiance à l’intelligence territoriale, pour tous les acteurs locaux, dans les municipalités, les intercommunalités et les conseils départementaux, la culture est « un levier de cohésion sociale, d’expression d’une identité locale, d’attractivité, de rayonnement, de développement économique et touristique des territoires. » Ce levier doit continuer à être développé pour jouer un rôle croissant dans la sphère publique.

La culture produit un effet sur les habitants des territoires eux-mêmes : elle est bien souvent pour eux un élément de fierté et d’identité, qu’ils participent ou non aux actions menées.

À cet égard, permettez-moi de citer l’exemple d’un festival qui se tient non loin des Pyrénées-Atlantiques, et que vous connaissez, madame la ministre : le festival de jazz de Marciac, qui montre à quel point une population peut s’approprier un projet culturel ; en vérité, ce festival est un facteur de fierté et de développement économique pour la commune et pour tout le département !

Parfois, la culture joue même un rôle plus important encore, lorsque le développement culturel devient le point de départ d’un développement urbain et d’actions de modernisation de la ville ; le musée Guggenheim de Bilbao, au Pays basque espagnol, illustre parfaitement ce mécanisme.

Je veux profiter de ce débat sur la culture et les collectivités territoriales pour évoquer un sujet qui, vous le savez tous, me tient particulièrement à cœur : la valorisation des langues régionales, qui passe notamment par la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, adoptée par le Conseil de l’Europe en 1992.

Le Président de la République, lorsqu’il était candidat, avait pris l’engagement de faire ratifier cette charte ; c’était, pour être précise, le cinquantième-sixième engagement de son programme. Par la suite, il avait ajouté : « le prochain acte de décentralisation devra y contribuer ». Eh bien, nous y sommes, avec le projet de réforme territoriale !

De ce projet, madame la ministre, nous connaissons aujourd’hui les grandes lignes ; mais je souhaiterais obtenir de vous des détails, notamment en ce qui concerne la protection et la promotion des langues régionales.

Je pense que cette réforme offre l’occasion d’avancer sur cette question, en particulier pour ce qui est du fonctionnement des collectivités territoriales. L’article 10 de la charte, consacré aux autorités administratives et aux services publics, énumère, dans son alinéa 2, les dispositions éventuellement applicables aux collectivités territoriales.

Le Conseil d’État a émis un avis négatif sur la ratification de cette charte, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir plus tard, au motif que son article 10 mais aussi son article 9 relatif à la justice ne seraient pas conformes à l’article 2 de la Constitution.

Je comprends qu’il existe des réticences d’un point de vue légal, mais aussi des difficultés techniques et opérationnelles liées à la mise en œuvre de l’article 10 à l’échelon de l’administration centrale. Je voudrais cependant apporter certaines précisions, qui semblent avoir été oubliées.

Tout d’abord, les États parties ne sont pas tenus d’appliquer l’ensemble des articles et paragraphes de la charte : celle-ci offre en quelque sorte un programme à la carte, chaque État devant appliquer au moins 35 des 98 paragraphes qu’elle comprend. Un caractère obligatoire s’attache seulement à certains articles, au titre desquels les États parties doivent mettre en œuvre un minimum d’engagements.

Or, dans le cas de l’article 10, l’obligation est fixée à un paragraphe. La France pourrait mettre en œuvre au minimum l’alinéa 2, relatif aux collectivités territoriales, et rejeter les autres alinéas de cet article. Il suffirait d’arrêter une liste officielle des langues régionales et minoritaires de la République française pour que les collectivités territoriales concernées par ces langues puissent adopter, si elles le souhaitent, les dispositions relatives à leur fonctionnement prévues par l’alinéa 2 de l’article 10 de la charte.

Comme le soulignait Guy Carcassonne, éminent constitutionnaliste qui nous a malheureusement quittés voilà un an, d’ailleurs quasiment jour pour jour, l’article 2 de la Constitution « n’était pas vraiment nocif jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel l’invoque de manière excessivement rigide pour faire échec à la ratification de la Charte européenne ». Je pense, avec sans doute de nombreux autres parlementaires, que l’on pourrait faire de cet article une lecture plus conciliante, qui autorise la ratification de la charte et mette un terme à l’opposition stérile entre la langue française et les langues régionales.

Madame la ministre, vous comprendrez que j’aie tenu à rappeler la promesse qui nous a été faite. Vous savez qu’un certain nombre d’initiatives ont été lancées ; je pense en particulier à celle qui vient de l’Assemblée nationale. En tant que sénatrice d’un département, les Pyrénées-Atlantiques, où le basque, le gascon et l’occitan sont régulièrement parlés, je suis soucieuse du rôle majeur que les collectivités territoriales peuvent jouer pour les défendre !

Debut de section - Permalien
Aurélie Filippetti

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie la Haute Assemblée d’avoir inscrit à l’ordre du jour de ses travaux ce débat sur la place de la culture dans la collaboration entre l’État et les collectivités territoriales.

De fait, l’État et les collectivités territoriales sont des acteurs majeurs de la culture dans notre pays, avec bien sûr, les créateurs et les publics de la culture.

Les collectivités territoriales s’engagent sur le fondement de la clause de compétence générale, avec ou sans l’État – mais en général avec lui ; leur action est au cœur du service public de la culture depuis plus de cinquante ans.

Dans le contexte politique et institutionnel d’aujourd’hui, ce constat prend une importance nouvelle. En effet, le travail conjoint de l’État et des collectivités territoriales nous donne la responsabilité d’assurer l’avenir des politiques culturelles. Tel sera l’objet de mon intervention de ce soir.

Ce que nous entendons par « culture » dans notre pays fait l’objet de l’intervention de multiples acteurs, qui, tous ensemble, contribuent à son financement : c’est sans doute l’une des grandes caractéristiques de notre système culturel qui explique que la France soit un pays tout à fait unique au monde en matière de soutien et d’accompagnement des politiques culturelles.

La politique culturelle résulte d’une forte tradition nationale, mais aussi de l’engagement important des collectivités territoriales.

Toutefois, il faut le rappeler, le financement de la culture vient d’abord du public des concerts, des acheteurs de livres, des habitués des musées. Ce financement est à la fois fragile et indispensable, mais il est insuffisant pour créer les conditions d’une production artistique et d’un entretien du patrimoine conformes à l’ambition et à la mission historique de notre pays.

C’est au nom de cette ambition que l’État et les collectivités territoriales se sont engagés à soutenir la culture, à la fois dans sa dimension de création et dans sa dimension patrimoniale.

Comme tous les orateurs l’ont souligné, les collectivités territoriales apportent non seulement des financements déterminants pour la culture, mais aussi leur capacité d’innovation et leurs initiatives, qui ont fortement contribué à modeler l’histoire et les contours de la politique culturelle dans notre pays.

Des chiffres permettant de mesurer l’engagement des collectivités territoriales ont été donnés. Selon les travaux menés par le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la culture et de la communication, les collectivités territoriales ont dépensé 7, 47 milliards d’euros en faveur de la culture en 2010, une somme qui augmente de 2, 3 % par an ; les communes de plus de 10 000 habitants ont financé à elles seules 4, 6 milliards d’euros, tandis que les départements et les régions ont consacré à la culture respectivement 1, 4 milliard d’euros et 662 millions d’euros.

En 2010, la culture représentait 8 % du budget des villes, 7 % de celui des EPCI, 2 % de celui des départements et 2, 6 % de celui des régions.

Reste que la part de l’État dans le financement de la politique culturelle demeure tout à fait importante. En effet, selon une étude récente de l’inspection générale des affaires culturelles et de l’inspection générale des finances, les crédits budgétaires et les dépenses fiscales s’élèvent au total à plus de 13 milliards d’euros par an.

La France investit dans une politique culturelle, sur tous les territoires, dans un souci d’égalité et d’équité entre eux. Elle a aussi une vision de la politique culturelle. À cet égard, on n’a peut-être pas suffisamment souligné dans ce débat que la responsabilité partagée de l’État et des collectivités territoriales est aussi de garantir la liberté de création des artistes, ainsi que la liberté de programmation des responsables des établissements ; elle est également de garantir à tous les citoyens un égal droit d’accès aux politiques et aux établissements culturels.

Mesdames, messieurs les sénateurs, notre responsabilité est pleine et entière dans cette mission essentielle, qui incombe à l’État, mais aussi à tous les acteurs des territoires.

Toujours est-il que la culture, ce ne sont pas simplement des chiffres et des investissements. C’est aussi, pour un maire, une bibliothèque – une institution dont les missions se sont profondément renouvelées depuis trente ans –, un conservatoire, impliqué dans la sensibilisation et l’éveil artistiques sous toutes leurs formes, ou un théâtre, dont les portes sont ouvertes à tous ; c’est encore un musée ou un patrimoine, élément du patrimoine national dont la préservation est à mettre au compte des plus grandes réussites de notre pays.

Si le poids de la culture dans le budget des villes et des agglomérations est important, c’est parce que la culture est vivante, qu’elle est une réalité palpable, sensible, sur tous les territoires de France.

Sans doute, des inégalités existent, qui conduisent l’État à s’interroger sur son rôle de garant d’une bonne péréquation entre les territoires – j’y reviendrai – ; mais une formidable ambition est à l’œuvre, qui prend autant de visages que nos territoires sont divers.

L’État est aux côtés des collectivités territoriales pour la plupart des projets structurants en matière culturelle. Cette présence sur l’ensemble des territoires est la mission essentielle du ministère de la culture. À cet égard, j’ai veillé, depuis deux ans, à ce que s’opère un rééquilibrage, non pas au détriment de Paris, mais en faveur des territoires.

L’héritage historique du ministère de la culture explique que, parmi les établissements nationaux financés par l’État, musées ou théâtres, un très grand nombre soient situés à Paris. L’effort de l’État pour les soutenir, tout à fait indispensable, se traduit par un déséquilibre extrêmement important dans les chiffres quand on les considère d’une manière statique. Reste que j’ai veillé, malgré les difficultés budgétaires, à maintenir une dynamique en faveur des crédits déconcentrés de l’État, pour que la création, le spectacle vivant et les arts visuels soient soutenus sur tous les territoires et pour que l’État irrigue, aux côtés des collectivités territoriales, l’ensemble des politiques culturelles.

Tous les orateurs ont souligné que le rôle de l’État en matière culturelle avait évolué. Par exemple, la loi du 7 janvier 1983 a prévu le transfert aux départements des archives départementales et confirmé que les bibliothèques seraient organisées et financées par les communes ; elle a également transféré aux départements les bibliothèques centrales de prêt à compter du 1er janvier 1986.

Elle a ainsi posé un certain nombre de jalons, qu’il faut aujourd’hui prolonger au moyen d’expérimentations et d’initiatives qui peuvent prendre différentes formes ; c’est ainsi que, dans le Lot, une expérimentation très intéressante a permis un transfert de crédits de l’État au département dans le domaine des monuments historiques : l’État conserve ses compétences régaliennes, notamment en matière d’expertise scientifique et technique, mais c’est le département qui gère les fonds au plus près des intérêts du territoire.

En définitive, la loi de 1983 était peu diserte en matière de transfert de compétences culturelles, et pour cause : l’action culturelle des collectivités territoriales et les principes de partenariat avec l’État reposaient largement sur la clause de compétence générale.

Ainsi, dans le domaine culturel, la décentralisation, dès l’origine, a moins répondu à une logique de blocs de compétences ou de spécialisation des compétences qu’à une logique de domaines communs d’action, d’exercice conjoint d’une compétence générale par chacun des niveaux de collectivités publiques.

Aujourd’hui, la règle est que la culture est une compétence partagée. Ce principe a été réaffirmé d’une manière extrêmement claire, y compris lors de la préparation du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui sera soumis au Sénat au mois de juillet prochain.

Je le répète : la culture est une compétence partagée, de sorte que chaque niveau de collectivités territoriales est compétent pour exercer l’ensemble des fonctions culturelles, aux côtés de l’État, qui, à partir d’une vision nationale des enjeux de la culture, oriente, soutient, accompagne, décide, réglemente aussi, notamment dans le domaine du patrimoine où il joue un rôle tout à fait indispensable d’expertise scientifique et technique. Cette compétence partagée sera préservée dans les réformes à venir.

Ce partage des compétences culturelles qu’a permis la clause de compétence générale se traduit, notamment, cela a été souligné, par l’importance des financements croisés, qui ont constitué la clef de voûte de la politique culturelle de la France. Ainsi, les subventions versées entre collectivités représentaient 240 millions d’euros en 2010, soit 3, 2 % des dépenses culturelles nettes locales

L’État, quant à lui, hormis ses grands opérateurs que j’ai évoqués, n’intervient quasiment jamais seul. C’est en particulier le cas en matière de politique des labels et des réseaux dans le cadre de la décentralisation.

Dans ce contexte, la loi de 2010 avait suscité de nombreuses inquiétudes, de la part non seulement des élus, mais aussi de l’ensemble des acteurs culturels, lesquelles portaient sur l’encadrement des financements croisés et sur la répartition des compétences.

Grâce à la mobilisation des élus et des acteurs concernés, les principes avaient été assouplis à l’égard d’un certain nombre de domaines dans lesquels l’attribution d’une compétence exclusive à un niveau de collectivité aurait été arbitraire ou inadaptée à la nature même de la compétence exercée. Ainsi le sport, la culture et le tourisme avaient-ils été exclus de cet exercice de répartition des compétences.

La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles procède d’une autre logique : elle repose d’abord sur la confiance dans la capacité des collectivités à exercer leurs compétences au plus près des besoins des territoires et à coordonner leurs interventions. Plutôt que de définir des blocs de compétences, ce texte désigne des chefs de file dans certains domaines et détermine un cadre d’organisation des missions de service public pour d’autres. Il place la collaboration entre les collectivités locales et la concertation au cœur du projet de réforme institutionnelle.

Cette loi donne des moyens nouveaux permettant de créer une différenciation d’actions et de réaliser des expériences là où elles semblent se justifier, sans remettre en cause le rôle et les missions essentielles de l’État. Malgré ces précautions, ce texte a suscité des craintes et nourri des inquiétudes, en particulier chez les acteurs de la culture.

Je le répète à cette tribune : cette loi ne procède pas à de nouveaux transferts de compétences, mais elle mise sur la responsabilité des collectivités, sur leur capacité à soutenir des politiques structurantes adaptées aux réalités et aux enjeux territoriaux.

Cette confiance est assortie de l’institution de conférences territoriales de l’action publique, instances de dialogue et de concertation entre les différents niveaux de responsabilité ; elles seront présidées par le président de la région. Par conséquent, quand la culture sera à l’ordre du jour, des représentants de l’État seront évidemment autour de la table. Comment il pourrait en être autrement ?

Comme je vous l’ai annoncé, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que vous examinerez dans quelques semaines reconnaîtra enfin la notion de compétence partagée en matière culturelle. L’un de ses articles est dédié à cette « exception » que la culture partage avec le sport et le tourisme. Il s’agissait d’une revendication très forte du secteur de la culture, tant du ministère de la culture, que des collectivités territoriales ou des acteurs. Par conséquent, c’est pour moi une grande satisfaction de constater que cette exception sera reconnue dans la future loi.

La reconnaissance de cette compétence partagée représente une victoire, car c’est la reconnaissance de la spécificité de l’organisation du secteur culturel en tant que domaine d’intervention ne pouvant se découper en tranches de compétences. Néanmoins, la compétence partagée peut aussi constituer une source de fragilité dans un contexte de bouleversement institutionnel et de difficultés budgétaires.

Aussi, cette reconnaissance de la spécificité de l’organisation en matière culturelle doit renforcer notre responsabilité commune de repenser les conditions de nos interventions, afin de garantir la place de la culture au cœur des questions d’aménagement du territoire, de justice sociale et de solidarité.

Plusieurs arguments plaident en faveur de ce grand chantier.

Tout d’abord, on parle souvent de coconstruction des politiques entre les collectivités locales et l’État, mais est-ce bien toujours le cas ? On le sait très bien, la réalité est parfois beaucoup moins enchantée que les grands discours qui peuvent être tenus. Coexistent dans les conventions d’objectifs, dans les adresses aux acteurs, des attentes qui ne sont pas toujours compatibles et qui sont plus ou moins coordonnées. Des quiproquos subsistent, et les travaux des conseils d’administration ou des comités de suivi ne reflètent pas toujours une volonté commune.

Par ailleurs, si l’État porte sa part de responsabilité dans les critiques qui peuvent lui être adressées, le monde des collectivités territoriales en matière culturelle n’est pas non plus uniquement pavé de roses !

Ensuite, le contexte budgétaire actuel constitue un véritable défi et conduit chacun à réaliser des économies. Aussi est-il nécessaire de travailler ensemble, avec des objectifs coordonnés et réfléchis, afin de maintenir un fort tissu de création et de diffusion de la culture sur l’ensemble du territoire. En effet, il est important d’éviter les effets « boule de neige ». Comme certains l’ont parfaitement souligné ce soir, si chaque niveau de collectivité choisit de sacrifier la culture en vue d’effectuer des économies, des pans entiers de la vie culturelle profonde de notre pays s’en trouveront durablement affectés.

Il faut donc que nous nous organisions mieux pour conserver des moyens d’intervention, des crédits affectés à la culture, à l’innovation culturelle, et aussi, bien sûr, des espaces et des territoires d’émergence artistique pour les jeunes artistes, pour les nouveaux artistes, ainsi que pour les artistes aux esthétiques exigeantes. Cela a été souligné, la culture ne saurait répondre à la seule logique de la rentabilité économique. Des études ont été menées. Toutes soulignent – point important – que la culture n’est pas une dépense inutile, et qu’elle ne doit pas être jugée à la seule aune de sa rentabilité économique. Il est de la responsabilité conjointe de l’État et des collectivités locales d’agir avec force pour maintenir la création, dans toute sa diversité, vivace sur notre territoire.

Enfin, le prochain examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République nous permettra de discuter du rôle des intercommunalités dans la politique culturelle ; la création des métropoles, la fusion des régions, la perspective de disparition des départements, toutes ces grandes décisions bouleverseront fortement l’organisation actuelle de la politique culturelle. Nous devons donc nous poser la question de la place et du rôle du service public de la culture, notamment sur les territoires. Quel est le rôle souhaité et souhaitable de l’État ? Doit-il être le même quelle que soit la région ? Maryvonne Blondin a évoqué tout à l’heure le pacte d’avenir pour la Bretagne. Nous travaillons actuellement avec la région Bretagne pour organiser un certain nombre d’actions au plus proche des besoins des habitants, sans que l’État se dépouille pour autant ou que soit mis en place un régime d’exception en faveur de cette région. Il s’agit simplement de répondre de manière pragmatique aux attentes et aux spécificités de chaque territoire.

J’en suis convaincue, l’État doit garder une administration de proximité, sans doute même plus proche encore qu’aujourd’hui, concomitamment à l’évolution institutionnelle et administrative à venir. C’est pourquoi j’encourage une déconcentration plus importante des crédits du ministère de la culture en direction des DRAC.

Pour engager ce travail, inventer un nouveau mode d’exercice de compétences partagées, nous disposons d’atouts en matière culturelle, et tout d’abord, une habitude de travailler ensemble, qui ne se retrouve peut-être pas autant dans d’autres domaines. J’en veux pour preuve le CCTDC, le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel. Vous le savez, j’ai souhaité donner une nouvelle impulsion à cette institution à mon arrivée. Je n’ai de cesse de me féliciter avec les associations d’élus de l’existence de cette instance consultative tout à fait unique dans le paysage institutionnel national. Je salue le climat de confiance qui préside aux séances plénières et aux réunions de préparation. C’est essentiel, mais ce n’est pas encore suffisant.

Le CCTDC doit être pour le ministère une instance politique de référence dans le dialogue avec ses partenaires politiques, complémentaire des instances techniques ou paritaires : Conseil national des professions du spectacle, comité technique ministériel, Observatoire des monuments historiques, notamment.

Le CCTDC doit être l’instance de référence dans la réflexion sur l’évolution des politiques publiques en matière culturelle. Ses travaux doivent pouvoir constituer des orientations reconnues et une base de travail pour les territoires.

Par ailleurs, une parole commune des collectivités et de l’État dans une période d’agitation et d’incertitude peut également contribuer à apaiser les inquiétudes, notamment lorsqu’elles sont d’ordre budgétaire.

Voilà pourquoi je vous propose de faire du CCTDC l’unique point d’entrée des concertations engagées par l’État. Aujourd'hui, tel n’est pas toujours le cas. Cette situation contribue à brouiller les grands exercices du ministère et engendre un certain agacement chez les élus, qui sont parfois sollicités par plusieurs biais.

De même, le CCTDC devrait être le lieu d’observation des dynamiques régionales à l’œuvre. À l’inverse, il est nécessaire de réfléchir à la façon dont ses travaux peuvent faire référence pour les instances régionales de coopération.

L’année dernière avait été évoquée la création d’un haut conseil des territoires. Si cette instance avait été créée, mon souhait aurait été qu’il puisse intégrer le CCTDC comme une « commission culture ». En l’absence de ce haut conseil, compte tenu des enjeux et de la responsabilité que le CCTDC est amené à assurer, je souhaite mettre la formalisation de l’existence de ce dernier à l’ordre du jour, car il n’est régi aujourd'hui par aucun texte de nature législative ou réglementaire. Il faut donc lui donner plus de force normative.

C’est au sein de cette vision renouvelée de notre organisation que les questions de la délégation des compétences et des guichets uniques doivent être replacées. C’est clair et net, nous ne découperons pas le ministère de la culture et de la communication à la carte. Ce ministère, je m’y suis engagée, conservera tout son rôle en matière d’impulsion, de contrôle scientifique et technique, de préservation de l’équité entre les territoires, d’innovation, son rôle de garant de la liberté de création et des créateurs, etc. Il sera toujours au plus proche de chaque territoire. Je veux être la ministre de la culture qui territorialisera ce ministère.

Cela étant, nous engageons une réflexion au cas par cas sur ce qui peut être expérimenté, sur ce qui peut fonctionner mieux. J’ai évoqué le Lot pour les monuments historiques ou le pacte d’avenir pour la Bretagne, mais d’autres actions peuvent être expérimentées, par exemple dans le Nord-Pas-de-Calais. Nous devons être extrêmement ouverts et pragmatiques, et étudier ce qui peut être généralisé ou pas, transposé ou pas.

Nous voulons évidemment tous que soit garantie l’égalité des territoires, celle des citoyens – et c’est l’objectif du ministère –, mais nos territoires n’ont pas tous les mêmes spécificités ; c’est ce qui fait d’ailleurs leur richesse. Par conséquent, leurs besoins sont différents. C’est de cette réalité-là, de cette diversité-là que nous devons faire un atout.

Les problématiques sont très nombreuses, mais le chantier n’est pas insurmontable, tant s’en faut.

Parmi les questions que nous devrons traiter, relevons, par exemple, celle d’une vision renouvelée du partage des responsabilités en matière culturelle, sur la base d’un sens partagé des politiques publiques, afin de faire pendant, en quelque sorte, à la compétence partagée.

Une compétence, c’est le droit d’exercer un certain nombre de pouvoirs. Et qu’est-ce que la responsabilité ? Que peut-on faire et que ne peut-on pas faire ? Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais ce dont je ne veux pas, à savoir une politique culturelle qui se réduirait à du clientélisme en direction de tel ou tel élu, une politique culturelle qui se réduirait à un quelconque folklore plus ou moins local. Nous voulons une politique culturelle exigeante sur tous les territoires, parce que chaque Français, où qu’il habite et d’où qu’il vienne, quelle que soit son origine sociale, a droit au meilleur de la création. C’est ainsi que l’on peut toucher le public le plus large et réussir le pari de la démocratisation.

Une autre question concerne la nécessité de répondre de manière différenciée aux besoins des territoires, en fonction de leurs identités, de leurs forces, de l’état d’avancement de la construction de leurs politiques culturelles, en gardant à l’esprit la nécessaire équité dans l’allocation des moyens de l’État et la vocation de celui-ci à contribuer à la résorption des inégalités d’accès à la culture.

Autre chantier à étudier : l’amélioration de la coordination des interventions tant des collectivités par elles-mêmes que de l’État et des collectivités par une instance ad hoc.

Nous devons également travailler à une meilleure gouvernance de nos projets qui doit se traduire par un allégement des charges administratives pesant sur les acteurs de la culture et qui laisse toute sa place à la vitalité, à l’envie d’agir et de partager de nos concitoyens.

J’ai bien entendu les remarques et les interrogations au sujet de l’assujettissement des EPCC à la taxe sur les salaires. Une instruction fiscale serait nécessaire afin de clarifier la situation. Puisqu’un tel document n’a pas encore été publié, je vais réitérer ma demande en ce sens.

Enfin, nous devons évidemment continuer à étudier la question du contenu et du périmètre du rôle de l’État garant d’une vision nationale et d’une équité d’accès à la culture.

Pour ce qui concerne les enseignements artistiques, par exemple, j’ai été jusqu’au bout de cette logique de clarification des compétences entre la région et l’État. J’ai dit que l’État devait s’engager à financer les conservatoires quand ceux-ci ont une vocation professionnalisante – je pense aux filières qui permettent ensuite d’accéder aux professions du spectacle –, alors que l’enseignement de base, l’enseignement spécialisé des conservatoires relève des collectivités.

La liste est longue, les sujets sont tous extrêmement importants et denses, mais le chantier est passionnant. J’ai confiance en la capacité du ministère, des collectivités territoriales et des acteurs de la culture pour le mener à bien.

Nous sommes à un moment charnière de réforme de l’organisation de l’État et des territoires. Nous avons également une obligation commune : bien gérer l’argent public. De fait, notre responsabilité, c’est de travailler encore mieux ensemble pour maintenir haute et exigeante l’ambition culturelle nationale qui est l’une des fiertés de notre pays, chantier ô combien passionnant.

Je remercie chacun des orateurs d’être intervenu, ainsi que Pierre Laurent d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour du Sénat ce soir.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 11 juin 2014 :

À quatorze heures trente :

1. Débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales.

À dix-sept heures :

2. Débat sur les agences régionales de santé.

À vingt et une heures trente :

3. Débat sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.