Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 10 juin 2014 à 21h30
Débat sur les collectivités locales et la culture

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis ce soir pour un débat qui eût mérité un temps plus long que celui qui lui est consacré. Néanmoins, je ne serai pas un trouble-fête et ne bouderai pas mon plaisir de réfléchir sur un sujet essentiel pour notre pays !

Essentiel, car la France est, par tradition, ce pays où la culture a engendré de vrais progrès, de vraies révolutions qui ont bouleversé nos modes de pensée, nos façons de vivre, nos comportements sociaux, économiques, nos modes éducatifs. Toutes les formes de culture y ont contribué, toutes les formes artistiques y ont participé.

Essentiel encore, car la culture est ce puissant levier qui fonde la cohésion sociale, dynamise les territoires, vivifie l’économie. Pour s’en convaincre, il n’est que de prendre quelques exemples des festivals les plus réputés : je citerai indifféremment les Chorégies d’Orange, la Cinéscénie du Puy-du-Fou, ou encore les fresques vivantes créées et interprétées par les habitants de certains villages. Ainsi, dans ma petite commune de l’Aveyron, Flagnac, le spectacle Hier un village fait participer tous les habitants du village et même des environs. Ici et là, on retrouve le même engouement, la même fièvre pour organiser, dans les meilleures conditions possible, des spectacles qui drainent quelques centaines, voire plusieurs milliers de spectateurs, et qui soudent dans un même élan population locale et population de passage.

J’ai pris à dessein ces exemples, non pas qu’ils soient les seuls dans ce domaine, mais parce qu’ils font intervenir les collectivités territoriales à leurs trois niveaux : régional, départemental et communal. L’un des problèmes qui nous sont posés est celui du rôle respectif de l’État et des différentes collectivités territoriales en matière de culture. Ce problème, madame la ministre, est au cœur de notre actualité avec la prochaine réforme des collectivités territoriales, et qui n’est pas de tout repos !

Permettez-moi de faire un peu d’histoire pour rappeler que la loi initiale de décentralisation de 1982, assortie de la loi de 1983, n’avait pas fait de la culture une compétence exclusive de l’une ou de l’autre de ces collectivités. Il s’en était ensuivi une certaine forme de désordre permettant notamment les trop fameux « financements croisés », sources de dépenses publiques non maîtrisées, de lenteur administrative, de dilution des responsabilités.

La loi du 16 décembre 2010 avait inscrit le principe – et seulement le principe ! – de suppression de la clause de compétence générale, sauf pour le tourisme, le sport et – mes collègues qui m’ont précédée l’ont dit – la culture, mesurant ainsi l’intérêt de permettre aux collectivités de soutenir la culture, à quelque niveau que ce soit, en veillant aux conditions d’une intervention financière raisonnée.

Puis la loi du 27 janvier dernier a prévu le rétablissement de la clause de compétence générale, accompagnée de l’instauration des conférences territoriales de l’action publique. L’objectif est clair : grâce à ces conférences territoriales, permettre un exercice concerté des compétences des collectivités locales, de leurs groupements et de leurs établissements publics.

Cette disposition, si elle était judicieusement utilisée – j’en forme le vœu ! –, permettrait de sortir du désordre ambiant et d’ordonner les politiques culturelles entre tous les acteurs. Elle permettrait aussi, par un dialogue constructif entre toutes les parties, de privilégier les formes de culture les plus adaptées aux différents territoires, et d’éviter d’assister de nouveau au spectacle aujourd’hui affligeant de ces collectivités qui, au prétexte de maîtriser judicieusement leurs dépenses, réduisent drastiquement leur soutien aux actions culturelles en pensant qu’il y aura bien une autre collectivité, quelle qu’elle soit, pour prendre le relais en dehors d’elles-mêmes !

En réalité, qu’adviendra-t-il, dans le texte qui va nous être soumis, des compétences des collectivités locales ? Pour le moment, les informations fournies me paraissent quelque peu brouillonnes, voire contradictoires, nous amenant les uns et les autres à nous interroger.

Nous nous demandons, par exemple, si la région deviendra le chef de file en matière de culture, dans une vision souple et différenciée du rôle de chacun sur la base de véritables engagements conclus conventionnellement. Ou bien allons-nous nous diriger vers une formule plus autoritaire, la culture s’inscrivant dans un schéma prescriptif, certes négocié, mais s’imposant ensuite aux collectivités, départements, communes et à leurs groupements ?

Pour ma part, je suis et je reste convaincue que l’intelligence des élus locaux – celle qui relie, au sens premier du mot latin intelligentia, composé du préfixe inter et du radical legere – peut permettre de continuer d’offrir à nos concitoyens la richesse infinie de nos ressources culturelles, sans qu’il soit besoin de s’inscrire dans un carcan normatif dont chacun s’attachera à sortir le plus rapidement possible.

D’ores et déjà, les mesures existent qui ont permis aux régions, aux départements et aux communes d’être pleinement responsables de secteurs entiers d’activités – les bibliothèques, les musées, les archives – ou de s’en répartir la responsabilité – l’enseignement artistique, l’inventaire général du patrimoine culturel, l’archéologie préventive.

Chacun d’entre nous en est particulièrement conscient, il reste, il est vrai, des points à clarifier, à simplifier, y compris dans les domaines qui relèvent encore de l’État. Je pense, par exemple, à la définition des normes nationales en matière d’inventaire ou au classement sur la liste des monuments et mobiliers historiques. Ces clarifications et simplifications permettront une meilleure efficacité de l’action publique, tout comme une meilleure maîtrise des ressources dont disposent les collectivités.

Je vous sais, madame la ministre, très attachée au principe de partenariat des collectivités locales avec l’État. Plusieurs exemples le démontrent de façon éminente : l’antenne du Louvre à Lens, avec un partenariat exemplaire entre l’État, la région Nord-Pas-de-Calais et l’établissement public du musée du Louvre, lequel reçoit notamment des fonds issus de l’accord sur le Louvre Abu Dhabi. Je veux également citer l’antenne lorraine du Centre Pompidou à Metz, ou encore la Maison des cultures et des mémoires de la Guyane.

Madame la ministre, nous partageons l’une et l’autre un bien beau souvenir tout récent qui me donne l’occasion de signaler la place prépondérante du ministère de la culture dans la naissance du musée Soulages de Rodez. Le Président de la République, qui l’inaugurait le 30 mai dernier, voilà huit jours, a su dire avec conviction, avec enthousiasme même, son adhésion à ce projet né du mariage du génie d’un artiste natif de la ville de Rodez avec la détermination des élus locaux. Quel splendide exemple de ce que la confiance en la culture peut apporter à l’échelon non plus seulement local, mais également national, voire international !

Vous n’aurez pas manqué d’entendre que les membres de mon groupe et moi-même serons toujours à vos côtés, chaque fois que vous défendrez la place de la culture, aussi bien dans le cadre de ses compétences étatiques redessinées – je pense au patrimoine et au projet de loi que vous nous présenterez – que dans celui d’un vrai partenariat entre collectivités territoriales et entre ces dernières et État.

Je sais que vous mettrez toute votre vigueur, toute votre force à défendre le budget de votre ministère, entraînant une attitude aussi volontariste des élus locaux, conscients de ce qu’apporte la culture.

Je forme le vœu qu’État et collectivités territoriales prennent ensemble tout le sens de ce qu’est la culture en soi – faut-il rappeler que le mot culture vient du mot latin cultus, le sillon ? La culture est ce sillon profondément creusé pour y planter les semences héritières d’un passé qui feront de demain l’harmonie de ce monde.

Madame la ministre, je fais confiance à votre sens de l’intérêt général pour tracer ce sillon porteur d’espérance ! §

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