J’ai pu m’apercevoir que cette information avait été largement relayée par les médias et sur les réseaux sociaux, ce qui traduit sûrement un sentiment de surprise face à cette ampleur financière de la culture, autant qu’un attachement fort à une « industrie » définitivement pas comme les autres !
Rappelons-nous ce que disait Malraux : la culture est « ce qui fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers ». Elle est ce qui permet de lier les individus ensemble, de ne pas les désunir.
Les biens et services culturels véhiculent des valeurs, du contenu et du sens, aussi bien pour l’accomplissement de soi qu’au service de notre construction collective.
Cette idée de cohésion sociale à laquelle j’associe la culture est devenue, à certains égards, un lieu commun. Tout le monde y recourt, tout le temps, prenant ainsi le risque de vider de contenu ce qui, pourtant, représente un fondement de notre société.
Parler de cohésion sociale sous-entend, en premier lieu, qu’il y ait dans notre société un besoin de cohésion entre les individus face à des inquiétudes grandissantes.
Parler de cohésion sociale, c’est ensuite exprimer une démarche volontariste qui vise à rétablir ce lien distendu, parfois même cassé.
La cohésion sociale, c’est donc bien la recherche d’une certaine communauté de valeurs et de projets. C’est l’idée de solidarité qui prévaut, d’une interdépendance entre les membres d’une société, sans que soit pour autant remise en cause une certaine diversité sociale et culturelle. Il est important, je crois, de le rappeler aujourd’hui !
Plus généralement, notre démocratie a besoin de deux piliers essentiels et interdépendants, la culture et l’éducation, sans lesquels elle ne peut être effective. En conséquence, le développement de l’accès au « bien culturel » et à sa pratique, dès le plus jeune âge, à l’égard des publics qui en sont le plus éloignés s’inscrit nécessairement dans cette démarche volontariste dont j’ai parlé.
Le 16 septembre dernier, vous présentiez, madame la ministre, votre grand projet pour l’éducation artistique et culturelle, afin d’améliorer durablement l’enseignement artistique et de développer les pratiques culturelles des jeunes.
Ce projet prend en compte cette double dimension pour un plus juste partage de l’exceptionnelle richesse artistique et culturelle de la France sur l’ensemble de notre territoire. Et cette priorité politique, que je partage en tout point, ne peut être mise en place que par un accompagnement adapté de ceux qui en sont les acteurs, au quotidien, sur nos territoires. C’est pourquoi 10 millions d’euros supplémentaires y ont été consacrés, ce qui marque la volonté d’un engagement durable.
C’est pourquoi, aussi, ce projet reposera sur la mobilisation de toutes les forces qui portent cette ambition pour la jeunesse, particulièrement des acteurs locaux. Ceux-ci sont évidemment directement concernés par la mise en œuvre du parcours d’éducation artistique et culturelle dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et de la réforme des rythmes scolaires.
Les collectivités territoriales savent mobiliser la diversité des intervenants. Elles savent construire en prenant en compte les spécificités locales, sans qu’il soit aucunement question d’établir une concurrence entre les enseignements artistiques dispensés dans le temps scolaire et les pratiques artistiques développées sur le temps périscolaire ou extrascolaire, ou même de substituer les uns aux autres. Le maître mot, c’est la complémentarité ! Car il s’agit non pas d’imposer un modèle d’en haut, mais bien de fixer un cadre général tout en favorisant les initiatives au plus près des besoins et des ressources de chaque territoire.
Voilà deux mois, le Conseil économique, social et environnemental a présenté un projet d’avis intitulé Pour un renouveau des politiques publiques de la culture. L’une de ses propositions phares est de développer l’éducation des jeunes aux médias et à la culture à l’intérieur et en dehors du temps scolaire.
Lors de votre tour de France de l’éducation artistique et culturelle, vous avez pu aussi mesurer, madame la ministre, les besoins spécifiques des territoires les plus éloignés géographiquement ou socialement de l’offre culturelle.
Je sors à présent du cadre éducatif propre, pour revenir à l’articulation, plus générale, des politiques publiques entre l’État et les collectivités locales.
Au début de la décennie 2010, nous le constatons, la politique culturelle est à la croisée de nombreux défis.
Oui, la France est riche de sa culture, de son patrimoine et de ses arts, et dynamique en ce domaine grâce à la vitalité de ses créateurs et de ses techniciens ! Cette réalité, dont nous pouvons être fiers, doit beaucoup à un long processus de développement d’instruments de politiques culturelles, qui ont répondu à deux exigences : d’une part, la préservation d’un environnement favorable pour la création artistique ; d’autre part, l’accomplissement d’une mission de service public et de lutte contre les inégalités culturelles dont je parlais au préalable et dont le parcours artistique sera une composante indispensable.
Oui, les politiques publiques développées par l’État et les collectivités locales favorisent la diversité des expressions culturelles, la pluralité des formes et des genres !
Oui, les politiques publiques soutenues par l’État et les collectivités locales favorisent les activités amateurs, facteurs de « faire ensemble » et de « vivre ensemble » !
Mais cette densité incontestable n’empêche pas aujourd’hui la subsistance, voire l’aggravation, d’inégalités à travers notre territoire, ce qui pose évidemment les questions à la fois du financement et de l’avenir de notre système de régulation.
Les politiques culturelles sont confrontées à la nécessité de devoir s’adapter à de très profondes mutations sociales, sociétales, économiques et politiques, technologiques et artistiques. Elles doivent aussi se construire dans un contexte européen, tout en prenant en compte les contraintes budgétaires et les reconfigurations territoriales à venir.
Aussi, la mise en œuvre des conditions permettant un approfondissement de la décentralisation culturelle est nécessaire, et le rôle de chacun doit être, je crois, clarifié. Des réponses nouvelles doivent être apportées, afin d’éviter que les responsabilités des collectivités locales ne soient marginalisées, parce que nous sommes véritablement passés en quelques années d’une politique de soutien culturel à une véritable politique culturelle des territoires.
À cet égard, un indicateur doit être relevé : l’enquête sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2010 publiée au mois de mars dernier fait apparaître que les communes et leurs groupements en assument près des trois quarts, soit 73 %. Par rapport à 2006, année de la précédente enquête, les dépenses culturelles territoriales ont progressé de près de 10 %, soit une augmentation annuelle de 2, 3 % en France métropolitaine. C’est pourquoi les annonces récentes peuvent susciter l’inquiétude.
Tout le monde s’accorde sur un point : la décentralisation culturelle doit être mieux organisée, afin d’éviter la superposition ou la dispersion d’actions culturelles qui peuvent être constatées ici ou là.
Mais la suppression des départements, le regroupement des régions et la disparition de la clause de compétence générale sont parfois interprétés comme la fin prévisible de ressources publiques importantes en faveur des politiques culturelles territoriales et de la lutte contre les inégalités.
En particulier, la disparition de la clause générale de compétence ne risque-t-elle pas de limiter les financements croisés des projets et infrastructures à l’échelon local, et ainsi d’amoindrir le rôle bénéfique de ces politiques culturelles pour le développement local et pour la cohésion sociale ?
Madame la ministre, je vous poserai trois questions.
Quelle réponse pouvez-vous apporter à ceux qui craignent que la culture ne constitue qu’une variable d’ajustement, et non plus un vecteur de compétitivité, d’attractivité et de cohésion ? Quel sera le nouveau cadre d’action des acteurs publics ? Quelle régulation de l’État mettre en place pour préserver les objectifs d’égalité territoriale et d’excellence culturelle ? §