Le droit local alsacien-mosellan, que la proposition déposée par M. André Reichardt et certains membres de son groupe propose de moderniser, est issu des trois conflits mondiaux qui ont opposé la France et l'Allemagne, en 1870, en 1914 et en 1940. Par la loi du 17 octobre 1919, il fut décidé que certaines dispositions issues du droit de l'empire allemand continueraient à s'appliquer. Deux lois de 1924 l'ont confirmé, puis l'ordonnance du 15 septembre 1944 a intégré ce droit local dans la légalité républicaine. En pratique, le droit général est la règle et le droit local l'exception ; l'aménagement de ce dernier ne doit pas étendre son champ d'application.
Nos concitoyens des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle sont très attachés à ces dispositions, certaines parce qu'elles sont plus favorables, comme pour les retraites, d'autres parce qu'elles sont traditionnelles comme le Concordat ou parce qu'elles correspondent à la structure des métiers dans ces départements. Les lois votées gomment tout possible conflit de constitutionnalité, qui ne manquerait pas d'exister sinon, entre le Concordat et la laïcité, entre le régime spécial des retraites et l'égalité devant la loi sur tout le territoire, par exemple.
La proposition de loi comporte cinq titres, d'inégale importance. De toute ma vie parlementaire je n'ai eu autant de doutes et d'interrogations que pour écrire ce rapport et me prononcer sur le texte. Je suis neutre, je n'ai aucun intérêt dans cette affaire, j'ai entendu le maximum de gens pendant le temps imparti : les ministères du travail, de l'économie, de la justice ; la direction générale des collectivités locales ; l'Institut du droit local alsacien-mosellan ; les chambres régionales des métiers de Lorraine et d'Alsace, la confédération de l'artisanat d'Alsace, la fédération française du bâtiment du Haut-Rhin, les unions des corporations artisanales du Bas-Rhin et du Haut-Rhin et l'établissement public d'exploitation du livre foncier informatisé (Epelfi). Les divergences entre eux sont nombreuses.
Les trois premiers articles concernent les corporations. L'organisation des métiers dans ces départements repose en effet sur des chambres des métiers, des syndicats patronaux, mais aussi sur des corporations qui regroupent par département ou par arrondissement les artisans qui exercent exactement le même métier. L'adhésion à certaines est facultative, mais obligatoire à d'autres. Elles présentent un grand intérêt car elles exercent une mission de service public, tendant à valoriser un métier. Pour l'emploi, elles jouent un rôle fondamental : dans ces départements, l'apprentissage est très développé, or les corporations aplanissent les conflits et ont un oeil sur les conventions d'apprentissage.
Hélas, elles ne semblent pas toujours reconnues. Ainsi un artisan contraint de cotiser auprès de deux corporations différentes a saisi le Conseil constitutionnel : celui-ci a estimé dans sa décision du 30 novembre 2012 que la cotisation obligatoire était contraire à la liberté d'entreprendre. Depuis, certaines corporations ont fait faillite, d'autres n'ont survécu qu'avec l'aide des chambres consulaires.
La proposition de loi met en place un nouveau dispositif de financement reposant sur une participation facultative des chambres des métiers et sur un système de redevance pour service rendu - qui pourrait ne pas être constitutionnel, puisque le Conseil interdit un financement qui ne serait pas volontaire. La réponse à M. Roland Ries de la ministre de l'artisanat est éloquente à ce propos. En outre, les acteurs locaux ne sont pas tous d'accord : si la Moselle voit cela de loin - les corporations ne doivent pas y être aussi prégnantes - le président de la fédération du bâtiment du Haut-Rhin, qui regroupe plusieurs corporations, a demandé à être reçu pour s'opposer au « retour à l'ancien régime », selon ses propos.
Le second point concerne l'extension des compétences de l'Etablissement public d'exploitation du livre foncier informatisé (Epelfi). La publicité foncière relève en Alsace-Moselle du juge du livre foncier qui est un juge d'instance. Les relevés cadastraux, faits à la main, sont dans un état lamentable parce qu'ils ont été beaucoup manipulés et compulsés. Ils doivent donc être numérisés. Certains ont pris de l'avance, comme la communauté urbaine de Strasbourg. Mais Bercy, compétent normalement pour ces questions, et le ministère de la justice dont relève la tutelle de l'EPELFI, se renvoient la responsabilité du financement. Voilà où nous en sommes.
Le troisième point est le maintien de la taxe de riverains ; depuis sa création par l'empereur Guillaume 1er - pour financer l'extension de Strasbourg - les communes d'Alsace-Moselle peuvent voter une telle taxe lorsqu'elles ouvrent ou viabilisent une nouvelle voie. Or, la loi de finances rectificative de 2010 a abrogé la taxe à compter du 1er janvier 2015 : la proposition de loi vise à le pérenniser. Cela nécessite réflexion : le ministère de l'intérieur est hostile au rétablissement et la suppression a été faite avec l'accord explicite du rapporteur général du budget d'alors, M. Philippe Marini.
Je n'ai rien à dire sur le quatrième point, qui simplifie le droit des associations coopératives. Le cinquième point modernise le repos dominical ; en effet ; la loi qui fut si difficile à voter ne s'applique pas en Alsace-Moselle. Les dimanches et le vendredi saint, tout est fermé... en principe. Si cela est vrai pour les grandes surfaces, chacun ferme les yeux sur les petits commerces ouverts le dimanche matin à Strasbourg. Une convention a été signée pour libéraliser l'ouverture des commerces le vendredi saint et trois dimanches, avant Noël. Tous, y compris dans le Bas-Rhin, estiment qu'il faut attendre la mise en oeuvre de l'accord du 6 janvier 2014 et la poursuite des négociations avec les organisations syndicales de salariés pour la détermination des compensations. Si les Alsaciens sont favorables à une extension de l'ouverture le dimanche, les Mosellans sont beaucoup plus réservés. Pour le président de la chambre de commerce de Lorraine, le dimanche est sacré.