Intervention de Patrice Gélard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 juin 2014 : 1ère réunion
Autorités administratives indépendantes — Communication de m. patrice gélard

Photo de Patrice GélardPatrice Gélard :

L'Office parlementaire d'évaluation de la législation m'a confié en 2005 une mission sur les autorités administratives indépendantes (AAI) ; le 15 juin 2006, j'ai remis un rapport dans lequel je présentais une trentaine de recommandations. René Dosière et Christian Vanneste ont travaillé en 2010 sur la question au sein du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale. Depuis lors, onze AAI supplémentaires ont été créées, soit une par an au minimum ; et ce n'est pas fini, puisqu'il y en a deux en préparation !

Leur origine se diversifie. Le Défenseur des droits est d'origine constitutionnelle. En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, il faut une loi organique pour autoriser leur création au niveau local : une création a eu lieu selon cette procédure en Nouvelle-Calédonie cette année. D'autres AAI ont été créées en vertu d'obligations internationales, telles que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) ou la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). À l'exception d'une seule créée par voie réglementaire, les autres sont des créations du législateur. Le Défenseur des droits est né de la fusion de quatre AAI, tout comme l'Autorité de contrôle prudentiel dont l'indépendance vis-à-vis de la Banque de France est à relativiser puisqu'elle est présidée par le gouverneur de la Banque de France et financée intégralement par celle-ci.

On assiste à certains rapprochements : une autorité peut siéger au sein d'une autre comme le Défenseur des droits qui siège à la Cnil, à la Cada et à la CNCDH ; les autorités concluent entre elles des conventions, comme le CGLPL avec le Défenseur des droits pour régler le partage de compétences ; des projets de fusion ou d'absorption ont été présentés, comme entre le CSA et l'Hadopi, le CSA et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) évoquée au Sénat en 2013, ou celle, curieuse, entre l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), et l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD).

Le législateur n'a pas rempli sa mission. Deux AAI inutiles ont ainsi été créées. Le Médiateur du livre, sans aucun pouvoir, créé par un amendement gouvernemental que nous n'aurions jamais dû accepter, ne méritait pas le statut ; le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, un collège d'experts qui détermine le statut de victime des essais, non plus.

Nous assistons à la création de la supercatégorie des autorités publiques indépendantes (API), dotées de la personnalité morale et donc d'une autonomie financière au moins nominale, et qui peuvent ester en justice - ce qui pourrait du reste les empêcher d'exercer certains de leurs pouvoirs sous peine d'être juge et partie au regard de la jurisprudence de Strasbourg.

Il faut constater certains aspects positifs : un contrôle parlementaire renforcé -depuis 2008, notre commission et ses rapporteurs ont ainsi entendu à 117 reprises des AAI, dont 21 fois la Cnil, 11 fois le Défenseur des droits et 17 fois le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Le rapport annuel, qui n'est pas obligatoire pour les AAI, tend à se généraliser, au moins sous la forme d'auditions par les commissions compétente. À cela s'ajoute un contrôle de l'adéquation entre les moyens et les missions, comme le travail de la rapporteure budgétaire Virginie Klès l'a montré. Il y a enfin le contrôle sur les nominations, grâce à la révision constitutionnelle de 2008 et l'introduction de l'article 13 de la Constitution.

Qu'est-ce qu'une AAI, sinon un objet administratif non identifié, qui exerce des fonctions relevant de la compétence du gouvernement, et qui est donc issu d'un abandon de ses attributions par ce dernier ? Il n'existe pas de définition ; le législateur est hésitant : il y a des « autorités administratives » qui ne sont pas « indépendantes » et des « autorités indépendantes » pas « administratives ». Pourquoi certaines AAI sont-elles dotées de la personnalité morale et pas d'autres ? Mystère.

Nous constatons cependant le développement de règles transversales communes aux AAI : la création de la Haute Autorité de transparence de la vie publique (HATVP) a soumis les membres des autres autorités aux mêmes règles de prévention des conflits d'intérêt que les parlementaires. Dans le même ordre d'idées, les règles d'octroi de crédits et autres moyens aux AAI, comme l'a montré Virginie Klès, s'harmonisent ; le projet de regroupement sur le site Ségur-Fontenoy du Défenseur des droits et des autres AAI consacrées à la protection des droits et libertés ouvrirait la voie à une mutualisation des moyens.

À l'avenir, nous devrons harmoniser le fonctionnement de l'ensemble des AAI ; harmoniser les rémunérations des dirigeants, actuellement très variées ; unifier les règles de fonctionnement, la durée du mandat, la composition des organes dirigeants ; mettre en place un commissaire du gouvernement, non pour surveiller, mais pour rapporter ce qui se passe ; clarifier la notion de personnalité qualifiée, qui ne s'applique manifestement pas à toutes les nominations... L'autonomie de recrutement est intéressante, mais elle doit être normalisée. Il manque un corpus déontologique indispensable pour des institutions qui imposent des contraintes aux citoyens. Nous pourrions à cette fin adopter une loi organique pour compléter l'article 34 de la Constitution de manière à fixer la compétence de la loi pour déterminer le statut des AAI. C'est ce que nous proposions en 2006, sans avoir hélas été écoutés.

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