La proposition de loi, déposée par la députée Laurence Abeille, a été adoptée par l'Assemblée nationale le 23 janvier dernier. Une première proposition de loi de la même députée, relative à l'application du principe de précaution défini par la charte de l'Environnement aux risques résultant des ondes électromagnétiques, avait été discutée un an plus tôt par l'Assemblée nationale et renvoyée en commission. À la suite de ce vote, le Premier ministre avait confié au professeur Jean-François Girard et à l'ancien député Philippe Tourtelier, secondés par Stéphane le Bouler, un rapport sur le développement des usages mobiles et sur le principe de sobriété. Le rapport a été remis en novembre 2013 et la proposition de loi déposée en décembre 2013.
Le texte a été très largement modifié par l'Assemblée nationale : parmi les 38 amendements adoptés en commission, ceux de la rapporteure pour avis de la commission du développement durable ont réécrit l'article 1er, disposition phare de la proposition de loi. En séance publique, 45 amendements ont été adoptés, conduisant à la réécriture de plusieurs articles du texte, notamment les articles 3, 6 et 7. Nous examinerons la proposition de loi en séance publique, la semaine prochaine, dans le cadre de la « niche » réservée au groupe écologiste.
Ce texte est au carrefour de plusieurs enjeux : enjeu sanitaire et social, enjeu d'aménagement numérique du territoire, enjeu d'innovation et de compétitivité. Aucune étude n'a fait la preuve d'un risque sanitaire induit par l'exposition aux ondes électromagnétiques. L'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail) a publié une première étude en 2009, actualisée en 2013. Elle conclut à l'absence d'effet sanitaire avéré pour l'exposition aux ondes électromagnétiques, ce qui la conduit à ne pas à proposer de nouvelles valeurs limites d'exposition de la population. L'Anses appelle à une certaine vigilance uniquement dans le cas d'une utilisation intensive du téléphone portable, et d'une utilisation par les enfants. Ces conclusions sont confortées par la récente étude de Bordeaux. L'Académie de médecine indique qu'« aucun risque des radiofréquences n'est avéré en dessous des limites réglementaires » et qu'il « n'a pas été mis en évidence de mécanisme pouvant entraîner l'apparition d'une maladie ».
Les inquiétudes persistent cependant au sein de la population, qui a d'autant plus de mal à accepter l'implantation des antennes relais que les opérateurs se sont pendant longtemps comportés comme des « hussards sur les toits ». Face à eux, le maire ne dispose que de sa compétence d'urbanisme ; l'implantation des antennes relais relève en effet de la responsabilité de l'État par le biais de l'Agence nationale des fréquences (ANFR). La loi « Grenelle I » a consacré la nécessité d'associer les élus locaux à l'implantation des antennes-relais. L'Association des maires de France (AMF) et l'Association française des opérateurs mobiles (Afom) ont publié en décembre 2007 un Guide des relations entre opérateurs et communes (Groc), qui organise le dialogue entre opérateurs et élus locaux ainsi que l'information de la population. Enfin, une centaine de chartes ont été conclues entre les opérateurs et des municipalités, qui ont apaisé bon nombre d'inquiétudes sur le terrain, comme à Paris ou à Angers.
Le paradoxe reste que nos concitoyens s'inquiètent beaucoup moins des ondes électromagnétiques émises par leur téléphone mobile. Depuis plus de dix ans et le rapport que j'ai rédigé avec notre regretté collègue Jean-Louis Lorrain au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), les pouvoirs publics recommandent l'utilisation du « kit mains-libres » pour les communications vocales par téléphone mobile. Combien de nos concitoyens - et combien parmi nous, qui sommes des utilisateurs intensifs - suivent cette recommandation ?
Cette proposition de loi pose également la question de l'aménagement numérique du territoire. L'existence des « zones blanches » ou des « zones grises » a donné lieu à de nombreux rapports de notre Haute Assemblée : l'accès à internet et la bonne qualité de service sont une exigence forte de nos concitoyens, un élément indispensable à l'activité des TPE et des PME dans nos territoires. Pour inciter les opérateurs à respecter leurs engagements, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a ouvert, le 27 mai dernier, cinq enquêtes administratives, dont une visant le déploiement du réseau 3G de Free - 75 % de la population doit être couverte d'ici le 12 janvier 2015 - et une autre, le déploiement de la 3G en zone rurale par Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR, les trois premiers opérateurs ayant pris l'engagement de déployer un réseau 3G commun dans environ 3 500 communes rurales d'ici la fin de l'année 2013. Les opérateurs s'inquiètent du délai de déploiement des antennes-relais, près de deux ans, soit un des niveaux les plus élevés d'Europe.
Enfin, le numérique est un secteur clé pour l'innovation et la compétitivité. Parmi les 34 plans de reconquête industrielle que le Gouvernement a mis en place, près du tiers sont liés au secteur du numérique ou aux objets connectés ; et le Commissariat général à la stratégie recommande d'aider ce secteur prioritaire. Enfin, dans les écoles et les collèges, le Gouvernement a prévu une rallonge de crédits pour le développement du numérique.
Le titre Ier du texte porte sur le principe de modération et sur la concertation et l'information en matière d'implantations d'antennes relais. L'article 1er, article phare, consacre un objectif de modération de l'exposition du public aux champs électromagnétiques. Il instaure une procédure d'information du maire sur les nouvelles implantations d'antennes-relais. Il prévoit une procédure de concertation et d'information du public placée sous l'autorité du maire, ainsi qu'un suivi des points atypiques, c'est-à-dire les points du territoire marqués par un niveau d'exposition aux champs électromagnétiques particulièrement élevé à l'échelle nationale - phénomène à résorber.
Le titre II comprend des dispositions relatives à l'information et à la sensibilisation des utilisateurs des équipements radioélectriques. L'article 3 consacre, parmi les missions de l'Anses, une mission de veille et de vigilance en matière de radiofréquences. L'article 4 étend aux équipements terminaux radioélectriques l'obligation d'affichage du débit d'absorption spécifique (DAS) qui existe pour les téléphones mobiles. Le fabricant devra le mesurer et l'afficher sur l'appareil, il devra également inclure sur le matériel un mécanisme simple permettant à l'utilisateur de le désactiver. L'article 5 étend de la même manière l'interdiction de publicité à destination des enfants de moins de 14 ans qui existe depuis le « Grenelle II » pour les téléphones mobiles. Toute publicité pour les téléphones mobiles mentionnera la recommandation d'usage du « kit mains-libres ». L'article 7 interdit, pour les crèches, l'installation d'une « box » dans les espaces dédiés à l'accueil, au repos et aux activités des enfants de moins trois ans. Enfin, l'article 8 prévoit la remise d'un rapport au Parlement sur la question de l'électro-hypersensibilité (EHS).
En tant que rapporteur, j'ai effectué près d'une vingtaine d'auditions - opérateurs, fabricants, associations. Ces auditions étaient ouvertes à l'ensemble des membres du groupe d'études « Poste et communications électroniques » et je tiens à saluer l'assiduité de notre collègue Joël Labbé. Je remercie également notre collègue le président Raymond Vall, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, pour la qualité de ses travaux et des amendements qu'il nous présentera.
Cette proposition de loi comprend plusieurs dispositions intéressantes auxquelles je ne peux être que favorable.
Les dispositions de l'article 1er relatives à l'information du maire sur les nouvelles antennes relais consacrent en droit certaines recommandations du Groc. En tant qu'élu local, je ne peux qu'adhérer à l'idée que le maire est un acteur important de la concertation. Il doit cependant rester libre de mettre en place ou non une telle procédure préalablement à l'autorisation donnée à l'ANFR. L'AMF et l'AdCF (Assemblée des communautés de France), que j'ai entendues, partagent cette position.
En rendant obligatoire la mention du DAS pour d'autres équipements terminaux radioélectriques que les téléphones mobiles - les tablettes par exemple - l'article 4 concrétise une recommandation formulée par l'Anses dans son rapport de 2013. Il est indispensable, dans un souci de transparence, que le consommateur connaisse la puissance des produits qu'il achète. La mention de la recommandation d'usage d'un « kit mains-libres » dans les publicités pour les téléphones mobiles est utile. Enfin, je me félicite que la proposition de loi soulève la question de l'électro-hypersensibilité (EHS) qui reste un sujet de controverse au sein du monde médical, malgré la souffrance avérée d'un certain nombre de personnes. L'Anses devrait remettre une étude sur le sujet au cours de l'année 2015.
Je vous proposerai une quarantaine d'amendements et je vous inviterai à adopter plus d'une dizaine des amendements de la commission du développement durable. Ces amendements clarifieront la rédaction du texte adopté par les députés. Par exemple, l'article 4 mentionne tour à tour les « équipements radioélectriques », puis les « appareils émettant un champ électromagnétique de radiofréquence », puis les « équipements émetteurs de champs électromagnétiques », sans que la portée de chacun de ces termes ne soit définie et sans que personne, au cours des auditions que j'ai effectuées, ne soit en mesure d'en expliquer les nuances. À plusieurs reprises sont également évoqués les équipements terminaux radioélectriques destinés à être connectés à un réseau ouvert au public, alors même que, au vu de la définition donnée par le code des postes et des communications électroniques, tout équipement terminal radioélectrique est destiné à être connecté à un réseau ouvert au public. Certaines dispositions de la proposition de loi sont redondantes entre elles ou avec le droit en vigueur. D'autres ne relèvent clairement pas de la loi : au-delà de la demande de rapport à l'article 8, je pense surtout à l'article 6 sur les campagnes de sensibilisation.
D'autres amendements visent à clarifier certaines procédures prévues par le texte. Je proposerai de substituer le terme « sobriété » à celui de « modération » qui implique une exigence de diminution de l'exposition aux ondes électromagnétiques, alors même qu'aucun risque sanitaire avéré n'existe et que la couverture numérique du territoire est attendue et souhaitée par tous. Il conviendra de préciser qu'il revient au maire de mettre en place ou non une phase de concertation et d'information, qu'il en est l'arbitre sans pour autant émettre d'avis sur les projets d'implantation et que cette phase est préalable à l'autorisation donnée par l'ANFR.
Je vous inviterai à ajuster ou à supprimer des dispositions inapplicables techniquement ou non conformes au droit européen. Dans la définition des points atypiques, je vous proposerai de supprimer la référence à la moyenne nationale, car l'ANFR ne semble pas en mesure de la calculer ; il faudra également indiquer que la résorption de ces points doit se faire sous réserve de faisabilité technique. Je serai contraint de vous proposer de supprimer l'obligation de faire figurer le DAS sur l'appareil, car cette disposition est contraire au droit européen, notamment à la liberté de circulation des marchandises. Les modalités d'affichage du DAS relèvent d'un simple arrêté. Il serait utile de réfléchir à l'idée, développée par l'auteure de la proposition de loi, de faire figurer un autocollant sur les appareils.
Enfin, je vous inviterai à ajuster voire à supprimer certaines dispositions dont l'impact économique pourrait être potentiellement désastreux pour certains secteurs économiques, sans être justifiées par des risques sanitaires avérés. Je pense notamment à l'interdiction de la publicité pour les équipements terminaux radioélectriques autres que les téléphones mobiles pour les enfants de moins de 14 ans. Cette disposition a un champ d'application très flou, elle n'est pas justifiée d'un point de vue sanitaire puisque les appareils visés ne sont pas portés à la tête, et elle pourrait avoir un impact désastreux pour des secteurs économiques tels que la filière du jouet ou des jeux vidéo. Je vous inviterai à adopter l'amendement de suppression du président Raymond Vall.
Sous réserve de ces observations et des amendements que je vous soumettrai, je recommande à la commission d'adopter cette proposition de loi.