Si le titre indique que cette proposition de loi est relative à la nocivité du diesel pour la santé, son dispositif est en réalité un peu différent, même s'il n'est pas sans lien, puisqu'il vise à créer une nouvelle taxe additionnelle sur les véhicules diesel dans le but de renchérir progressivement leur prix et de parvenir - je cite l'exposé des motifs - à une « quasi-extinction de la filière d'ici dix ans ».
L'article unique est donc simple : il insère dans le code général des impôts une taxe additionnelle sur les certificats d'immatriculation de véhicules diesel d'un montant de 500 euros, revalorisée de 10% tous les ans. L'entrée en application est prévue dans un délai de six mois.
Une précision : tel qu'il est rédigé, cet article applique la taxe à tous les véhicules diesel, alors que l'exposé des motifs souligne qu'elle doit viser les seuls véhicules neufs ; dans mon rapport, je m'en suis tenue à cette intention.
Nous sommes tous conscients de l'importance du débat de santé publique qui est en jeu - et c'est bien l'une des ambitions de ce texte, que d'alerter, de dire, de débattre, d'informer et de réfléchir collectivement pour trouver une réponse adaptée : « c'est une question de responsabilité », comme l'indique l'exposé des motifs. Les pics de pollution de mars dernier ont marqué nos esprits ; mais, au-delà, nous avons aujourd'hui suffisamment d'informations pour ne pas dire, demain, que nous ne savions pas.
On le sait : les fumées émises par les moteurs diesel ont un impact sur notre santé, elles contiennent un peu moins de CO2 que les moteurs à essence - 123 grammes par kilomètre contre 127 grammes pour les véhicules à essence en 2012 -, mais elles contiennent d'autres substances nocives, en particulier des oxydes d'azote, les NOx, et les fameuses particules fines ; ces particules fines peuvent atteindre 10 micromètres, mais les plus petites d'entre elles, les PM 2,5, font moins de 2,5 micromètres et ce sont elles qui pénètrent le plus profondément nos poumons, s'y accumulent dans les alvéoles et, de là, peuvent passer dans notre sang.
Si les véhicules diesel et les transports en général ne sont pas les seuls à émettre de telles particules, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a établi que le transport routier avait contribué à environ 19% des émissions de particules fines PM 2,5 dans l'air en 2010. C'est une moyenne, qui ne se focalise pas sur les pics de pollution. Autre donnée : le secteur des transports occasionne plus de la moitié des émissions d'oxyde d'azote.
Les conséquences de ces substances sur notre santé sont connues.
D'une manière générale, l'exposition à ces particules fines entraîne un vieillissement prématuré et affecte l'appareil cardio-vasculaire. Elles sont également à l'origine de pathologies pulmonaires, comme la bronchite ou l'asthme.
Un impact des particules fines issues du trafic routier a aussi récemment été observé dans une étude en Californie sur les naissances prématurées et le faible poids de naissance.
L'Institut de veille sanitaire, que nous avons interrogé, relève aussi que l'exposition aux particules aggrave d'une manière générale les symptômes de nos pathologies chroniques en quelques heures ou quelques jours après l'exposition, y compris à des concentrations faibles.
Les chiffres dont nous disposons ne distinguent certes pas l'aggravation de la mortalité due spécifiquement au diesel, parmi les autres sources de pollution. L'an passé, l'Anses a lancé une grande étude sur les particules fines présentes dans l'air, notamment celles émises par les véhicules diesel, pour déterminer l'origine et le profil de ces substances, qui aujourd'hui ne font l'objet que de mesures massiques et non par profil.
Malgré cette limite, on sait aujourd'hui que les particules fines sont une source de mortalité et que les véhicules diesel ont une part importante dans les émissions - en 2010, le Centre interprofessionnel technique d'étude de la pollution atmosphérique évalue la part des véhicules diesel à 12 % du total des particules fines.
L'exposé des motifs cite le chiffre de 42 000 morts prématurées - c'est-à-dire de vies raccourcies d'au moins dix années - à cause de l'exposition à ces particules ; ce chiffre provient d'un rapport du programme « Air Pur pour l'Europe » de 2005 qui s'appuie lui-même sur des mesures réalisées en 1997.
Les études les plus récentes, par exemple celles du Programme de surveillance air et santé de l'Institut de veille sanitaire, établissent un lien entre les variations d'un jour à l'autre des niveaux de pollution et celles de la mortalité pour différentes causes dans plusieurs villes françaises.
Une enquête portant sur la période 2000-2006 montre que la mortalité non-accidentelle journalière augmente lorsque les concentrations en particules PM 2,5 s'accroissent. En Île-de-France par exemple, l'augmentation des concentrations s'accompagne également d'un bond de 2 à 7 % des passages aux urgences d'enfants pour causes respiratoires.
L'étude de 2011 du programme européen Aphekom, également citée par la proposition de loi, estime qu'on éviterait 2 900 morts prématurées par an si les concentrations moyennes annuelles respectaient les valeurs de référence fixées par l'OMS, soit 10 microgrammes par mètre cube.
Ces particules présentent donc un danger avéré pour notre santé. En juin 2012, l'OMS a du reste placé les gaz d'échappement des moteurs diesel dans le Groupe 1, reconnaissant leur caractère cancérogène pour l'homme, alors qu'ils étaient, depuis 1988, dans le groupe des substances « probablement cancérogènes ».
On sait également que les dioxydes d'azote contenus dans les fumées diesel sont nocifs pour la santé, alors que leurs émissions sont plus nombreuses à cause des filtres à particules installés sur les nouveaux véhicules diesel.
Au-delà de ce problème de santé publique grave, le débat porte aussi sur le modèle économique lié au diesel. Initialement destiné aux poids lourds à usage professionnel, le gazole a bénéficié d'une fiscalité préférentielle, qui a encouragé la « diéselisation » de notre parc automobile : les véhicules diesel représentent environ 60 % du parc, 70 % des véhicules neufs, et 27 % du parc automobile est constitué par des véhicules diesel de plus de 12 ans ; la part de gazole dépasse 80 % des consommations de carburants, ce qui oblige notre industrie de raffinage à en importer, car nous produisons plus d'essence que de diesel.
L'écart de taxation entre l'essence et le gazole, qui est de 17 centimes par litre en faveur du gazole, contre 12 en moyenne dans l'Union européenne, a récemment été critiqué par la Cour des comptes, qui relevait une perte de recettes de 6,9 milliards d'euros en 2011.
De plus, aujourd'hui, pour se conformer à la réglementation européenne en matière d'émissions de polluants, Euro 5 et bientôt Euro 6, les constructeurs automobiles investissent dans des techniques de « dépollution » très coûteuses, comme les filtres à particules ou encore la technologie dite SCR.
Enfin, la France fait l'objet d'un contentieux devant la Cour de justice de l'Union pour non-respect des valeurs limites de concentration dans l'air de particules PM 10, contentieux qui pourrait bientôt aboutir à une condamnation de plusieurs dizaines de millions d'euros et à une astreinte quotidienne de l'ordre de 200 000 euros.
Tous ces éléments feront comprendre que je souscris pleinement à l'ambition de cette proposition de loi : il faut agir, et vite, face à ce problème de santé publique, c'est une question de volonté politique et de responsabilité, comme il est écrit dans l'exposé des motifs.
Pour autant, la taxe proposée ne me paraît pas la plus adaptée, parce qu'elle ne ciblerait pas bien les émissions de polluants, mais aussi, et surtout, parce qu'elle aurait des conséquences trop lourdes pour les ménages et pour les entreprises - autant d'effets pervers qu'il nous faut redouter.
Cette taxe aurait un coût social important, en particulier pour les ménages modestes qui n'ont pas d'autre choix que d'utiliser leur voiture pour aller travailler ; elle affecterait la compétitivité de nos constructeurs automobiles, qui, en six mois, ne pourraient adapter leur outil industriel, après des années passées à innover pour rendre le diesel moins polluant ; elle déstabiliserait une filière déjà fragilisée par la crise, alors que c'est avec les constructeurs, progressivement, que nous devons réussir à faire monter en puissance la mobilité propre, par exemple avec les véhicules électriques, nous venons de voter dans cet objectif un texte sur les bornes de recharge électrique.
Je m'interroge, ensuite, sur le ciblage de la taxe proposée : le principal danger pour notre santé venant des fumées émises par les véhicules diesel les plus anciens, il serait judicieux d'agir d'abord sur le parc existant. Ne faudrait-il pas, également, différencier la taxation des véhicules les plus lourds et celle des véhicules légers ? Enfin, on sait que les véhicules à essence à injection directe, les plus récents, émettent également des particules fines : pourquoi traiter différemment ces émissions elles aussi dangereuses ?
Il me semble donc que l'héritage du « tout diesel » appelle une réforme large - fiscale, économique, sociale - mais progressive et bien préparée.
Plusieurs pistes ont été avancées, nous en débattrons lors du prochain collectif budgétaire et surtout lors du débat sur la transition énergétique.
La question d'une réduction de l'écart de taxation entre le gazole et l'essence a été débattue par le Comité pour la fiscalité écologique, qui n'a pas tranché entre la proposition faite par son président, Christian de Perthuis, de réduire cet écart de 1 centime par an, et celle de la Fondation Nicolas Hulot, pour 2 centimes par an. Le principe d'une telle réduction avait cependant été retenu dans la résolution adoptée le 4 juin 2013 par nos collègues de l'Assemblée nationale, pour une fiscalité écologique au coeur d'un développement soutenable.
La piste d'un élargissement du bonus-malus écologique aux particules fines, alors qu'il ne concerne aujourd'hui que les émissions de CO2, pourrait aussi être envisagée.
En tout état de cause, c'est une réforme plus globale, plus progressive, et complétée par des mesures d'accompagnement de la filière industrielle et des ménages les plus modestes, qui serait la voie la plus efficace.
Enfin, d'autres outils doivent également être envisagés, comme la circulation alternée, et surtout l'encouragement aux modes de transport durables, comme le véhicule électrique.
Pour toutes ces raisons, je vous proposerai un avis défavorable à l'adoption de cette proposition de loi. Elle doit cependant être un texte d'appel, une occasion que nous ne devons pas manquer, pour réfléchir à une réforme d'ampleur et interroger le Gouvernement sur ses intentions à ce sujet.