À la mission « Engagements financiers de l'État », dont je suis rapporteur spécial, sont rattachés deux comptes d'affectation spéciale (CAS) et deux comptes de concours financiers (CCF).
Le compte de concours financiers (CCF) « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » a été créé en 2006, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Il retrace les avances accordées par le Trésor - et, concrètement, gérées par l'Agence France Trésor - à divers organismes. Les dépenses du compte de concours financiers sont constituées des avances ainsi consenties, et les recettes du compte des remboursements opérés à l'État.
Pourquoi m'être intéressé au CCF « Avances » ? Car nous touchons là à une fonction particulière de l'État, celle de prêteur à d'autres organismes publics - ce qu'on appelle les « organismes divers d'administration centrale » (ODAC) - ou à des organismes gérant des services publics. En d'autres termes, l'État exerce un rôle de banquier pour d'autres administrations, les avances du Trésor étant soit des avances de trésorerie à court terme (à échéance de quelques semaines ou quelques mois), soit des prêts. Dans tous les cas les avances sont remboursées suivant un échéancier et à un taux d'intérêt correspondant à celui des obligations d'État de même échéance.
Je passerai assez rapidement sur les avances de trésorerie à court terme, qui ne donnent pas lieu à des incidents de paiement, mais elles constituent, en volume, les masses financières les plus importantes transitant sur le compte de concours financiers. Il s'agit notamment du préfinancement des aides agricoles communautaires, soit environ 6,5 milliards d'euros par an : la France, comme d'autres États membres de l'Union européenne, verse ces aides aux agriculteurs dans la deuxième quinzaine d'octobre, le remboursement par l'Union européenne n'intervenant que début décembre. Il y a donc un préfinancement sur deux mois qui ne pose pas de réel problème.
Le débat sur les taux d'intérêt est assez largement sans objet, puisque les taux sont ceux des obligations du Trésor de même échéance - l'objet des avances n'étant pas que l'État s'enrichisse au détriment d'autres organismes publics ou d'organismes gérant des services publics. Il s'agit bien de tenir compte de la situation où se trouvent temporairement les bénéficiaires des avances, qui ont des besoins de financement à un moment donné pour, par exemple, réaliser des opérations d'investissement, et qui disposeront dans le futur de ressources supplémentaires qui garantiront le remboursement de l'avance.
Ainsi, deux questions se posent d'emblée : pourquoi accorder une avance (quelles ressources gagent l'octroi de l'avance) ? Le bénéficiaire pourra-t-il honorer ses remboursements ?
Ces deux critères ont guidé mes travaux, notamment lors des auditions qui m'ont conduit à rencontrer non seulement l'Agence France Trésor - avec qui nous avons eu des contacts fréquents - mais aussi les représentants de quatre organismes bénéficiaires d'avances : l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ; l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ; la Cité de la Musique, dans le cadre de l'achat de la salle Pleyel ; enfin, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de l'indemnisation des victimes du benfluorex (commercialisé sous le nom de Mediator).
Un changement législatif important a créé un nouveau cas de recours aux avances : l'article 12 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2011 à 2014 a interdit aux organismes divers d'administration centrale (ODAC) de s'endetter auprès d'un établissement de crédit ou d'émettre un titre de créance d'une durée supérieure à douze mois. Certains ODAC, privés de financements bancaires, se sont alors tournés vers le Trésor pour solliciter des avances. Des avances leur ont été accordées au regard de leurs ressources futures pour assurer le remboursement du prêt.
Un dernier cas d'avances récurrentes, au sens où un montant est inscrit chaque année en loi de finances, est celui de l'ONIAM. Lorsque l'ONIAM estime qu'une victime présente un préjudice imputable au benfluorex, et si le laboratoire ou son assureur ne propose pas une juste indemnisation de ce préjudice, l'ONIAM sert lui-même l'indemnisation à la victime avant de se substituer à elle dans l'action civile contre le laboratoire. Aujourd'hui, les laboratoires Servier ont toujours suivi l'avis des experts pour les indemnisations, et aucune dépense n'a donc été engagée à ce jour au titre des avances. Mais si des avances devaient être accordées à ce titre, leur remboursement reposerait sur l'aléa de décisions de justice favorables à l'État après que l'ONIAM eut assigné les laboratoires Servier pour obtenir le paiement des indemnités aux victimes. Une telle ressource présenterait donc un caractère incertain. Par ailleurs, le montant des avances à l'ONIAM inscrites en loi de finances initiale (soit 15 millions d'euros) est manifestement surdimensionné au regard du montant total des indemnisations versées à ce jour aux victimes (soit 10 millions d'euros).
L'exemple de l'ONIAM pose un certain nombre de questions : était-il pertinent de recourir au dispositif des avances, le remboursement étant aléatoire ? Pourquoi avoir fixé un taux d'intérêt nul pour les avances à l'ONIAM, par dérogation au droit commun dans le cadre d'un décret en Conseil d'État, conformément à l'article 24 de la LOLF ? Il n'existe pas aujourd'hui de doctrine sur l'octroi des avances par le Trésor. Il serait utile, pour l'avenir, que l'Agence France Trésor se dote d'une telle doctrine, précisant notamment le taux d'intérêt, la durée et les ressources permettant le remboursement.
S'agissant des avances récurrentes, depuis l'entrée en vigueur des dispositions législatives interdisant aux ODAC les emprunts bancaires d'une durée de plus d'un an, l'AEFE finance par des avances, et non plus par des prêts bancaires, la construction et la rénovation des écoles françaises à l'étranger, pour les 75 établissements que l'AEFE gère directement. Je me souviens de l'inquiétude de certains de nos collègues fin 2010 : ne risquait-on pas, en interdisant l'emprunt bancaire de longue durée, de mettre en péril le plan de financement des écoles françaises à l'étranger ? L'AEFE m'a fait part de sa satisfaction, et elle honore ses remboursements très régulièrement : le système a bien marché. Les frais de scolarité et le fonds de roulement de l'AEFE comme des établissements concernés assurent par ailleurs un volume suffisant de ressources propres pour cofinancer les projets, puis permettre le remboursement des avances.
D'autres avances, également récurrentes, posent davantage question : il s'agit des avances accordées au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », que connaît bien notre collègue François Fortassin, en sa qualité de rapporteur spécial du budget annexe. Chiffres à l'appui, je ne peux que confirmer ses observations : ces avances n'assurent plus le financement d'un besoin imprévu ou accidentel pour couvrir des besoins ponctuels de trésorerie, mais correspondent bien à des ressources pérennes, puisque le cumul des avances remboursées depuis 2005 est inférieur de plus de 1,2 milliard d'euros à celles accordées. Je recommande donc de ne plus recourir aux avances pour couvrir un déséquilibre financier structurel du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », ce qui implique de trouver d'autres modes de financement de ce budget - subventions, qui supposeraient de réintégrer le budget annexe dans le budget général de l'État, ou augmentation des ressources propre -, ou encore de revoir le montant des dépenses. Mais ce n'est pas à moi d'en juger dans le cadre de ce travail...