Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 11 juin 2014 : 2ème réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission procède à l'examen du rapport et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de loi n° 496 (2013-2014) de Mme Aline Archimbaud et plusieurs de ses collègues relative à la nocivité du diesel pour la santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

J'ai le plaisir d'accueillir parmi nous Aline Archimbaud, qui a demandé, en application de l'article 18 du règlement du Sénat, à être entendue par notre commission, ce à quoi nous avons agréé lors de notre réunion de mercredi dernier.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Miquel

La proposition de loi qui nous est soumise vise à instaurer une taxe additionnelle de 500 euros à la taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules dont le moteur fonctionne au gazole.

L'objectif de notre collègue Aline Archimbaud est de réduire les émissions de substances polluantes liées au diesel, dans un souci de santé publique, pour répondre au constat scientifiquement prouvé selon lequel les substances polluantes, et tout particulièrement les particules fines, très nocives pour la santé, sont à l'origine de milliers de décès prématurés. C'est d'ailleurs pourquoi des directives européennes fixent des niveaux maximum de particules admissibles dans l'air - régulièrement dépassés dans nos grandes agglomérations.

Les véhicules diesel, majoritaires au sein du parc automobile français, sont une des sources d'émission de particules. Relevons que le niveau d'émission varie beaucoup selon l'âge et la technologie du véhicule diesel. La pollution aux particules est particulièrement le fait des véhicules anciens, soit sept millions de véhicules représentant 27 % du parc en circulation.

Les progrès technologiques et l'évolution de la réglementation européenne ont rendu les nouveaux véhicules diesel légers beaucoup plus performants en matière d'émissions de substances polluantes. Depuis la norme Euro 5 de janvier 2011, les filtres à particules sont obligatoires sur les véhicules diesel et des seuils d'émissions de particules identiques, en masse et en nombre, sont fixées pour les moteurs diesel et essence. J'ajoute qu'avec l'application de la norme Euro 6 à tous les véhicules neufs mis en circulation à compter du mois de septembre 2014, l'écart de pollution liée aux oxydes d'azote entre essence et diesel sera ramené à 20 mg/km, contre 350 mg/km environ au début des années 2000 dans le cadre de la norme Euro 3.

Un exemple concret permet de mesurer l'ampleur des progrès réalisés dans la réduction des émissions de substances polluantes au fil de normes Euro toujours plus exigeantes : un véhicule diesel léger respectant les normes Euro 5 et 6 émet une masse de particules 600 fois plus faible qu'un véhicule Euro 1, datant des années1992-1996. Autrement dit, il faut 600 véhicules diesel Euro 5 et 6 pour émettre autant de particules qu'un seul véhicule diesel ancien. Le problème de la pollution liée au diesel concerne donc d'abord les véhicules les plus anciens.

Pour être complet, il me faut préciser que, contrairement aux véhicules légers, les véhicules lourds tels que camions, bus, engins de travaux publics ont été très tôt équipés de systèmes avec réservoirs d'urée captant le dioxyde d'azote. En revanche, ils émettent encore beaucoup de particules fines, car le filtre à particules ne leur a été imposé que depuis 2005. Il conviendrait de mettre en place un système de contrôle pour vérifier la fiabilité de ces équipements au cours du temps.

Le dispositif proposé par notre collègue Aline Archimbaud est une taxe additionnelle de 500 euros sur les cartes grises des véhicules diesel, dont le montant serait revalorisé chaque année de 10 %. Cette taxe atteindrait ainsi 1 297 euros au bout de dix ans, et 3 364 euros au bout de vingt ans.

Je comprends l'inspiration de ce dispositif qui répond à une préoccupation de santé publique ; il appelle toutefois un certain nombre de remarques.

Tout d'abord, l'assiette de la taxe est très large et n'est pas définie avec suffisamment de précision. Elle ne détermine pas quels véhicules sont concernés et traite donc de manière équivalente les différents types de véhicules - véhicules particuliers, véhicules utilitaires légers, poids lourds - quel que soit leur tonnage, leur âge ou leur usage - transport de marchandises, de voyageurs, véhicules utilisés par les activités artisanales, engins de chantiers, véhicules à usage agricole - indépendamment de leur niveau d'émission de particules.

Ensuite, une ambiguïté demeure sur le champ d'application de la taxe : je crois comprendre que les auteurs de la proposition de loi souhaitaient en limiter l'application aux seuls véhicules neufs, et en exempter les véhicules d'occasion. Cependant, la rédaction proposée aboutit à taxer tous les véhicules fonctionnant au gazole, qu'ils soient neufs ou d'occasion, puisqu'elle s'applique à toutes les délivrances de certificats d'immatriculation et non au seul premier certificat délivré.

La taxe serait recouvrée comme un droit de timbre et s'appliquerait six mois après la promulgation de la loi, pour un rendement estimé à 650 millions d'euros par an. En l'absence d'information sur le marché des véhicules diesel d'occasion, ce chiffrage suppose que la taxe proposée porterait uniquement sur les achats de véhicules particuliers neufs.

Troisièmement, la taxe pose un problème de cohérence fiscale. Elle est contradictoire avec le bonus-malus. La coexistence des deux dispositifs pourrait aboutir à ce que certains modèles soient à la fois subventionnés et taxés ! Par exemple, une Peugeot 208 1,4 litre e-HDi serait pénalisée de 500 euros par la nouvelle taxe, tout en bénéficiant de 150 euros de bonus (barème 2014) en raison d'un niveau de CO2 de 87 grammes par kilomètre.

Il convient également de rappeler que le diesel n'est pas l'unique source d'émission de particules. Le domaine du transport dans son ensemble est responsable de 14 % des émissions de particules fines de moins de 2,5 micromètres (PM 2,5) au niveau national, contre 41 % pour le secteur résidentiel tertiaire et 31 % pour l'industrie manufacturière. On peut relever qu'un chauffage au bois très performant du point de vue environnemental selon le classement de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) produit annuellement autant de particules que 1 000 véhicules diesel récents. Ajoutons que les moteurs à essence à injection directe de dernière génération émettent eux aussi des particules.

Enfin, du point de vue des émissions de CO2, le diesel présente un avantage sur l'essence. Je rappelle à cet égard que les normes européennes portent à la fois sur les émissions de substances polluantes - ce sont les normes Euro - mais aussi sur les émissions de CO2, dans le cadre d'un règlement qui impose des objectifs particulièrement stricts - 95 grammes de CO2 par kilomètre à l'horizon 2020 pour les véhicules neufs - aux constructeurs automobiles, qui comptent sur le diesel pour les atteindre. C'est ainsi que l'on voit le parc automobile allemand, mais aussi américain, se diéséliser. Le diesel joue donc un rôle important dans la lutte contre le changement climatique, alors que le taux de CO2 dans l'atmosphère atteint des sommets. Ainsi, l'Organisation météorologique mondiale vient de révéler que, pour la première fois, la concentration de CO2 dans l'air que nous respirons a dépassé le seuil symbolique de 400 parties par mission (ppm) dans l'ensemble de l'hémisphère nord.

Or, la taxation de 500 euros sur chaque véhicule diesel ne permettrait pas aux constructeurs automobiles de rentabiliser les investissements réalisés pour atteindre les normes européennes, dans un contexte déjà difficile pour eux. En outre, l'application de la taxe se traduirait par des coûts supplémentaires liés à la reconversion de leur outil industriel afin de le mettre en mesure de répondre à la hausse non anticipée de la demande de véhicules à essence.

Mais une telle reconversion prend du temps, et, dans l'intervalle, cette offre pourrait être fournie par les constructeurs étrangers, alors que la compétition est particulièrement intense. Cette mesure aurait donc pour conséquence de fragiliser notre industrie automobile.

Enfin, la taxe vise indifféremment les véhicules anciens et les véhicules neufs. Elle ne cible donc pas spécifiquement les véhicules les plus anciens qui demeurent très présents dans le parc automobile, tout en étant de loin le plus polluants. Sa conséquence probable étant de ralentir le renouvellement du parc automobile en dissuadant les automobilistes roulant beaucoup de changer de véhicule, elle ne permettrait pas de réduire significativement et durablement les effets nocifs du diesel sur la santé.

Pour conclure, je pense que la fiscalité ne peut être qu'un outil parmi d'autres pour répondre au problème de santé publique posé par le diesel. Il ne me paraît pas opportun de créer une taxe de plus dans le contexte actuel, d'autant plus que son efficacité n'est pas démontrée. Je relève en outre que cette proposition de loi, qui porte sur un dispositif fiscal, ne respecte pas le principe du monopole des lois de finances.

Je crois que la meilleure manière d'améliorer rapidement la qualité de l'air en zone urbaine consiste d'abord à prendre des mesures ciblées sur les véhicules anciens - telle que la prime à la casse - pour accélérer le renouvellement, sachant qu'il faut environ huit ans pour renouveler 50 % et 20 ans pour renouveler 90 % du parc automobile. Mais en avons-nous vraiment les moyens ? Il s'agit, ensuite, de creuser la piste d'une évolution du bonus-malus pour introduire dans son barème une composante liée aux émissions de substances polluantes. Je compte pour ma part déposer un amendement en ce sens dans le prochain collectif budgétaire ou en loi de finances pour 2015. Le bonus-malus, qui ne tient compte aujourd'hui que des émissions de CO2, n'est pas complet : il faudrait lui ajouter un paramètre relatif à l'émission de particules fines.

Je remercie Aline Archimbaud de nous avoir permis de lancer ce débat. Toutefois, pour les raisons précédemment évoquées, je vous invite à ne pas adopter la présente proposition de loi. Je vous rappelle que si nous n'adoptions pas de texte, la discussion en séance porterait sur le texte de la proposition de loi tel que rédigée par ses auteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Je remercie la commission des finances d'avoir bien voulu m'entendre, et le rapporteur pour son écoute et son attention à mes préoccupations. Nous avons en effet beaucoup discuté et échangé. L'objectif de ce texte est avant tout sanitaire. Il s'agit d'entendre enfin les alertes lancées par de nombreux médecins, et non des moindres. Jocelyne Just, chef du service de pneumologie de l'hôpital pour enfants Armand Trousseau, que j'ai rencontrée, dénonce ainsi le danger des particules fines, responsables, selon les chiffres les plus récents de l'Institut national de veille sanitaire, de 15 000 décès prématurés par an. Il est vrai que ces particules, ainsi que l'a rappelé Gérard Miquel, ne sont pas produites par les seuls moteurs diesel, mais il reste que la responsabilité du diesel est prépondérante. De multiples pathologies pulmonaires leur sont imputables, et une étude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en date de juin 2012 les classe parmi les éléments cancérigènes certains.

Le rapporteur a évoqué les nouveaux filtres à particule diesel, mais le débat n'est pas clos : un certain nombre de tests - réalisés en laboratoire, et non dans des conditions réelles de circulation - indiquent que l'on ne trouve plus de particules à la sortie des filtres, mais d'autres études montrent qu'à un ou deux mètres de distance, elles se reconstituent. Les médecins estiment qu'il faudrait un recul de dix ans pour déterminer si ces filtres sont vraiment efficaces, étant entendu qu'ils émettent des nanoparticules qui, pénétrant plus profondément dans les voies respiratoires, peuvent être plus dangereuses encore pour la santé - provoquant asthme, bronchopneumopathies, voire risque d'accidents vasculaires cérébraux (AVC).

En déposant cette proposition de loi, nous entendons enclencher une dynamique vertueuse. Connaissant les limites de l'initiative parlementaire, je sais que ce texte ne saurait se suffire à lui-même : il doit être relayé par les autorités et par d'autres mesures qui le complètent. Nous ne pouvions ainsi prévoir la création d'un fond au bénéfice d'une nouvelle prime à la casse, car l'article 40 nous serait aussitôt opposé, mais c'est une voie qui mériterait d'être suivie. Le rapporteur a souligné que ce sont les véhicules anciens qui sont les plus polluants : il faudrait trouver le moyen d'encourager les propriétaires, souvent modestes, de tels véhicules, à en changer. Gérard Miquel a d'ailleurs eu raison de dire que la rédaction actuelle du texte pose problème : nous n'entendions instituer de taxe que sur les nouveaux véhicules, et non sur tous. Ceux qui ont, dans le temps, acheté un véhicule diesel parce qu'une fiscalité avantageuse les y poussait ne doivent pas être pénalisés.

Nous avons tous le souci des finances publiques. L'absence de convergence de la fiscalité sur le diesel et l'essence représente, chaque année, un manque à gagner de l'ordre de 7 milliards d'euros. En outre, dans une étude de juillet 2012, le Commissariat général au développement durable estime le coût pour la société des pathologies associées aux particules fines entre 20 et 30 milliards d'euros. Ce sont des sommes énormes, qui seraient mieux utilisées dans des démarches positives, depuis la prime à la casse, pour encourager les propriétaires de véhicules diesel, et notamment les plus modestes, à se débarrasser de véhicules anciens, jusqu'à l'encouragement des constructeurs dans la recherche et développement en faveur de véhicules propres.

Le rapporteur suggère d'introduire dans le bonus-malus un nouveau critère, pour prendre en compte l'émission de particules fines. Cette proposition a le mérite de se greffer sur un dispositif déjà existant. En attendant qu'avance le débat sur l'efficacité des filtres diesel de même que celui sur les moteurs essence à injection rapide, elle me paraît fort intéressante à étudier.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

Je me pose les mêmes questions que le rapporteur. Il n'est pas de bonne méthode de traiter de la même manière tous les véhicules diesel, qu'ils soient neufs ou anciens. Pénaliser les véhicules anciens, ce serait pénaliser tous les Français qui ont choisi le diesel parce que, pour des raisons professionnelles ou vivant loin de tout, ils roulent beaucoup. La prime à la casse avait donné, il est vrai, de bons résultats. Cela ne sera pas facile par les temps qui courent, mais il faudrait trouver le moyen d'alimenter un fond pour la réactiver. Il me semble bien préférable d'inciter que de pénaliser en créant une taxe de plus.

Je remercie notre rapporteur pour les précisions qu'il nous a apportées quant aux normes nouvelles en matière de diesel. On comprend qu'une entreprise comme Peugeot paye aujourd'hui une stratégie largement orientée, par le passé, vers le diesel. Attention à ne pas trop charger la barque.

Pour toutes ces raisons, je ne pourrai voter ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Je suis très attachée au monopole des lois de finances et j'estime que la fiscalité écologique mérite une approche globale.

J'ai lu attentivement votre exposé des motifs, et ressenti un certain embarras. Car votre proposition de loi touche à des enjeux économiques, de politique industrielle, fiscale, sociale, qui débordent largement son seul cadre. Je veux ici souligner que dès 1998, dans le premier rapport consacré à la fiscalité écologique, je préconisais un relèvement des accises sur le diesel, afin de nous faire entrer dans la moyenne européenne. La Commission européenne a d'ailleurs relevé, il y a quelques jours, dans son avis sur notre programme national de réforme pour 2014, le problème qui est le nôtre. J'ajoute que la spécificité de notre parc automobile nous oblige à importer du diesel. La carte des raffineries s'en est également trouvée modifiée, puisque certaines implantations ont été supprimées faute d'être rentables. Tout cela pèse lourd sur notre balance commerciale.

Cependant, on ne peut traiter comme vous le faites un problème aussi global. Outre que la question du parc ancien emporte une dimension sociale qui ne peut être négligée, du point de vue de notre politique industrielle, alors que notre économie est à plat et a besoin de relance, le moment me semble mal choisi pour mettre en place le dispositif que vous proposez. Il n'en est pas moins vrai qu'il y a là un problème sanitaire majeur, qui finira par nous rattraper. Et c'est bien pourquoi je regrette que le mouvement lancé du temps du gouvernement Jospin pour faire entrer nos accises dans la moyenne européenne ait été interrompu : c'était une mesure sage, qui nous permettait de lisser l'effort. Et nous n'en serions pas là où nous en sommes aujourd'hui, avec certains parcs de bus dont la durée d'utilisation ne fait de surcroît qu'augmenter, par exemple en Ile-de-France.

Si donc je reconnais que le problème que vous soulevez est réel, j'estime que la solution que vous proposez n'est pas la bonne, et je voterai contre ce texte.

Présidence de M. Philippe Marini, président.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Je souscris évidemment à ce texte porté par les écologistes. Je ne conteste pas les arguments qu'a avancés Nicole Bricq, mais il existe toujours de bonnes raisons de ne rien faire. J'ai prédit, il y a quelques années, aux responsables de Renault et Peugeot en Seine-Saint-Denis, que si leur stratégie n'allait pas à une reconversion écologique, ils disparaîtraient. Or, elle est allée à l'inverse : Peugeot s'est orienté vers le diesel, allant même jusqu'à inventer cette curiosité bien française qu'est l'hybride diesel ! Et c'est ainsi que le défaut d'innovation stratégique va finir par faire d'un grand groupe français une société chinoise.

Prendre ses responsabilités, ce n'est pas dire les choses, mais les faire. À ne rien faire, on prend la voie qui a conduit aux drames de l'amiante et du sang contaminé, et j'assume mes propos. L'OMS classe les particules fines parmi les cancérigènes certains : 42 000 décès leur sont imputables, dont 14 000 directement liés au diesel. Et puisque le sujet francilien a tout à l'heure affleuré, je dirai que je me réjouis du souci de la maire de Paris d'éradiquer le diesel, comme l'a fait le Japon. Après les succès plus que mitigés du Concorde, du minitel, allons-nous continuer nos errements, et nous obstiner dans cet avantage donné au diesel, quand les Américains lui imputent un désavantage et assument une politique entièrement tournée vers l'essence ?

Nous avons voté la taxe carbone, la contribution climat-énergie : il faut poursuivre dans cette voie de la fiscalité écologique, et prendre des mesures sur les particules fines. La proposition d'Aline Archimbaud a le mérite d'évoquer tous les aspects du problème. Oui, Nicole Bricq, la question doit être envisagée globalement. Certes, elle comporte une dimension sociale, et il faut penser à tous ceux qui ont investi dans une voiture diesel sans même en avoir encore amorti le coût. Mais dans sa dimension industrielle, je demande que l'on y réfléchisse, car il est des orientations qui sont de moins en moins efficaces en termes de dynamique industrielle et de compétitivité à l'exportation. Quant à sa dimension environnementale, je n'y reviens pas.

Je note et je m'en félicite, pour en avoir discuté avec lui, l'idée pertinente du rapporteur d'améliorer le bonus-malus en intégrant un critère relatif aux particules fines dans son barème. Notre proposition de loi visait à replacer ce sujet important sur le devant de la scène, pour trouver ensemble des propositions. Les écologistes sont prêts à travailler de concert sur toute initiative.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Je remercie le néo-maire lotois pour sa sagesse. Nous avons tous le souci de réduire la pollution. Et les progrès sur cette voie sont indéniables. Mais sortons, de grâce, du dogmatisme : pourquoi sanctionner les véhicules diesel si les modèles nouveaux ne sont pas polluants ? Outre que la taxation doit être proportionnelle à la pollution, on ne saurait sanctionner quelqu'un que pour avoir fait un mauvais choix. Or, alors que les tracteurs à essence ne sont plus que des pièces de musée, un agriculteur n'a d'autre choix que celui du tracteur diesel : il serait inique de le soumettre à une telle pénalité indifférenciée.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabienne Keller

Je salue le travail d'Aline Archimbaud. Sur le constat, il y a consensus. Les études relatives aux effets des particules fines sur la santé sont nombreuses et convergentes, et plusieurs contentieux européens sont en cours car toutes nos agglomérations ne respectent pas les seuils fixés par les directives, dont je rappelle qu'elles ne font que décliner les règles de l'OMS.

J'ai eu la chance de participer aux travaux du groupe de travail sur la fiscalité environnementale, qui a longuement débattu de ces questions et qui a conclu à la nécessité d'une convergence de la fiscalité sur le diesel et l'essence. Préconisation qui ne s'est pourtant pas retrouvée dans la loi de finances... Voilà qui témoigne, pour le moins, d'un manque de volonté de l'exécutif. C'est pourtant ce double mouvement qu'il faudrait enclencher : convergence fiscale et accompagnement de l'industrie, qui est prête à aller de l'avant, mais a besoin d'un processus planifié, et stabilisé, pour ne pas détruire d'emplois.

Je m'interroge donc sur ce texte, certes convaincant, mais dont l'efficacité me paraît limitée. Pour arrêter un dispositif d'ensemble efficace, il faut faire pression au sein de l'exécutif. Moyennant quoi votre texte d'initiative parlementaire, s'il est certes une belle opération de communication, met en relief l'absence de décision de l'exécutif dans le projet de loi de finances pour 2014, et sans doute pour 2015...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Nous le déplorons d'autant plus que la fiscalité écologique devait être un moyen de financer le crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE). On n'en a pas vu le premier centime d'euro.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Chiron

Je partage le sentiment du rapporteur. Je rappelle toutefois qu'un rattrapage de l'écart de fiscalité avait été entamé en 1998, à la suite du rapport de Nicole Bricq, dont Dominique Voynet avait mis en oeuvre les préconisations. Puis le mouvement s'est arrêté à partir des années 2003-2004.

Une mise au point, enfin : si les familles modestes achètent des véhicules diesel, c'est qu'elles se fournissent bien souvent sur le marché de l'occasion, où ces voitures, qui, étant plus résistantes, ont une durée de vie plus longue, sont nombreuses. L'aspect social de ce dossier est donc fort.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Il n'est jamais mauvais de rappeler que le diesel est dangereux pour la santé, mais je n'irais pas, comme Jean-Vincent Placé, jusqu'à évoquer le scandale du sang contaminé. J'observe, cependant, que le Gouvernement n'est pas allé dans le sens de la convergence diesel-essence dans le projet de loi de finances pour 2014, et ne semble pas prêt à le faire dans celui de l'année à venir.

Mettre en cause les exécutifs des collectivités qui choisissent tel ou tel modèle de bus est absurde : on ne peut pas, après nous avoir poussés, au moment de passer commande, à choisir tel ou tel modèle, au motif qu'il préservait mieux la qualité de l'air, nous reprocher, quelques années après, d'avoir fait un choix scandaleux. Cessons de culpabiliser les élus, et essayons d'évoluer.

Parce que je vois mal l'intérêt et la portée de ce texte, je ne le voterai pas.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Je réagis aux propos de Philippe Marini sur la fiscalité écologique, dont il nous dit que nous en aurions bien besoin pour financer le CICE. Je rappelle que la loi de finances pour 2014 a institué la contribution climat-énergie (CCE), qui doit monter en puissance d'ici 2016 pour atteindre un produit de plusieurs milliards d'euros. Là se trouve la composante écologique du financement du CICE.

S'agissant de la fiscalité sur le gazole, la loi de finances pour 2014 comporte deux dispositions. Son article 32, dans le cadre de la contribution climat-énergie, prévoit une augmentation de la taxation sur le gazole plus rapide que sur l'essence entre 2013 et 2016 : respectivement 9,7 % et 5 %. Son article 30, ensuite, introduit une composante air dans la taxe sur les véhicules de société, qui pénalise davantage les véhicules diesel que ceux à essence. Même si ces dispositions restent insuffisantes au regard des objectifs de cette proposition de loi, elles ont le mérite d'exister : la machine est en route.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Le projet de loi de finances rectificative sera l'occasion d'échanger plus avant sur le sujet...

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Miquel

On ne peut pas accuser tel ou tel constructeur. Tous ont fait des efforts de recherche remarquables. Le groupe PSA a créé, avec un industriel japonais, le premier pot catalytique en céramique, qui casse les particules fines. Ces pots, certifiés par un organisme suisse indépendant, équipent la plupart des véhicules légers. Reste le problème des flottes de camions et engins de travaux publics, qui ont été très tôt équipés de filtres avec réservoirs à urée piégeant les oxydes d'azote - technologie aujourd'hui transférée sur les véhicules légers - mais qui, n'étant pas équipés de pots catalytiques, émettent des particules fines en quantité. Les véhicules utilitaires, nombreux à Paris, n'étaient pas équipés. Ils le sont à présent.

J'ai visité un centre de recherche à Vélizy-Villacoublay : un hybride essence à air comprimé verra bientôt le jour, qui consommera deux litres à deux litres et demi d'essence aux cent kilomètres. Mais cela ne vaut que pour les petits véhicules. Il est difficile, en revanche, de passer tout notre parc de gros véhicules à l'essence. Une Peugeot 5008 diesel - équipée d'un pot catalytique - consomme neuf litres aux cent. À l'essence, elle en consommerait vingt. Imaginez les émissions de CO2 à Paris !

C'est pourquoi la solution consistant à modifier le bonus-malus me semble préférable. A l'heure actuelle, un moteur diesel, ayant un taux d'émission de CO2 inférieur au moteur à essence, ne paye pas de malus. Si l'on ajoute une composante particules fines, on rétablit l'équilibre. Cela ne résoudra pas le problème des camions venus d'Espagne ou d'ailleurs qui, ayant fait le plein avant la frontière, traversent la France jusqu'au Nord en empruntant nos routes départementales, et qui ne sont pas équipés de pots catalytiques. C'est pourquoi j'estime que ce sujet important appelle une réflexion d'ensemble, tout en s'orientant, pour l'heure, vers cette piste du bonus-malus.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Nous serons très attentifs à cette initiative dès le projet de loi de finances rectificative. Nous allons maintenant passer au vote, et je remercie Mme Archimbaud, avant qu'elle ne se retire comme le veut l'article 18 du règlement, de son initiative. (Mme Aline Archimbaud se retire).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Je ne participerai pas au vote puisque le rapporteur, qui a fait un travail très sérieux et que je remercie, nous a fait une proposition alternative qui nous permettra d'avancer dans le consensus, au service de l'intérêt général.

La commission décide de ne pas adopter de texte sur la proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé.

En conséquence et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.

La commission entend ensuite une communication de M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial, sur le compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

À la mission « Engagements financiers de l'État », dont je suis rapporteur spécial, sont rattachés deux comptes d'affectation spéciale (CAS) et deux comptes de concours financiers (CCF).

Le compte de concours financiers (CCF) « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » a été créé en 2006, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Il retrace les avances accordées par le Trésor - et, concrètement, gérées par l'Agence France Trésor - à divers organismes. Les dépenses du compte de concours financiers sont constituées des avances ainsi consenties, et les recettes du compte des remboursements opérés à l'État.

Pourquoi m'être intéressé au CCF « Avances » ? Car nous touchons là à une fonction particulière de l'État, celle de prêteur à d'autres organismes publics - ce qu'on appelle les « organismes divers d'administration centrale » (ODAC) - ou à des organismes gérant des services publics. En d'autres termes, l'État exerce un rôle de banquier pour d'autres administrations, les avances du Trésor étant soit des avances de trésorerie à court terme (à échéance de quelques semaines ou quelques mois), soit des prêts. Dans tous les cas les avances sont remboursées suivant un échéancier et à un taux d'intérêt correspondant à celui des obligations d'État de même échéance.

Je passerai assez rapidement sur les avances de trésorerie à court terme, qui ne donnent pas lieu à des incidents de paiement, mais elles constituent, en volume, les masses financières les plus importantes transitant sur le compte de concours financiers. Il s'agit notamment du préfinancement des aides agricoles communautaires, soit environ 6,5 milliards d'euros par an : la France, comme d'autres États membres de l'Union européenne, verse ces aides aux agriculteurs dans la deuxième quinzaine d'octobre, le remboursement par l'Union européenne n'intervenant que début décembre. Il y a donc un préfinancement sur deux mois qui ne pose pas de réel problème.

Le débat sur les taux d'intérêt est assez largement sans objet, puisque les taux sont ceux des obligations du Trésor de même échéance - l'objet des avances n'étant pas que l'État s'enrichisse au détriment d'autres organismes publics ou d'organismes gérant des services publics. Il s'agit bien de tenir compte de la situation où se trouvent temporairement les bénéficiaires des avances, qui ont des besoins de financement à un moment donné pour, par exemple, réaliser des opérations d'investissement, et qui disposeront dans le futur de ressources supplémentaires qui garantiront le remboursement de l'avance.

Ainsi, deux questions se posent d'emblée : pourquoi accorder une avance (quelles ressources gagent l'octroi de l'avance) ? Le bénéficiaire pourra-t-il honorer ses remboursements ?

Ces deux critères ont guidé mes travaux, notamment lors des auditions qui m'ont conduit à rencontrer non seulement l'Agence France Trésor - avec qui nous avons eu des contacts fréquents - mais aussi les représentants de quatre organismes bénéficiaires d'avances : l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ; l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) ; la Cité de la Musique, dans le cadre de l'achat de la salle Pleyel ; enfin, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de l'indemnisation des victimes du benfluorex (commercialisé sous le nom de Mediator).

Un changement législatif important a créé un nouveau cas de recours aux avances : l'article 12 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2011 à 2014 a interdit aux organismes divers d'administration centrale (ODAC) de s'endetter auprès d'un établissement de crédit ou d'émettre un titre de créance d'une durée supérieure à douze mois. Certains ODAC, privés de financements bancaires, se sont alors tournés vers le Trésor pour solliciter des avances. Des avances leur ont été accordées au regard de leurs ressources futures pour assurer le remboursement du prêt.

Un dernier cas d'avances récurrentes, au sens où un montant est inscrit chaque année en loi de finances, est celui de l'ONIAM. Lorsque l'ONIAM estime qu'une victime présente un préjudice imputable au benfluorex, et si le laboratoire ou son assureur ne propose pas une juste indemnisation de ce préjudice, l'ONIAM sert lui-même l'indemnisation à la victime avant de se substituer à elle dans l'action civile contre le laboratoire. Aujourd'hui, les laboratoires Servier ont toujours suivi l'avis des experts pour les indemnisations, et aucune dépense n'a donc été engagée à ce jour au titre des avances. Mais si des avances devaient être accordées à ce titre, leur remboursement reposerait sur l'aléa de décisions de justice favorables à l'État après que l'ONIAM eut assigné les laboratoires Servier pour obtenir le paiement des indemnités aux victimes. Une telle ressource présenterait donc un caractère incertain. Par ailleurs, le montant des avances à l'ONIAM inscrites en loi de finances initiale (soit 15 millions d'euros) est manifestement surdimensionné au regard du montant total des indemnisations versées à ce jour aux victimes (soit 10 millions d'euros).

L'exemple de l'ONIAM pose un certain nombre de questions : était-il pertinent de recourir au dispositif des avances, le remboursement étant aléatoire ? Pourquoi avoir fixé un taux d'intérêt nul pour les avances à l'ONIAM, par dérogation au droit commun dans le cadre d'un décret en Conseil d'État, conformément à l'article 24 de la LOLF ? Il n'existe pas aujourd'hui de doctrine sur l'octroi des avances par le Trésor. Il serait utile, pour l'avenir, que l'Agence France Trésor se dote d'une telle doctrine, précisant notamment le taux d'intérêt, la durée et les ressources permettant le remboursement.

S'agissant des avances récurrentes, depuis l'entrée en vigueur des dispositions législatives interdisant aux ODAC les emprunts bancaires d'une durée de plus d'un an, l'AEFE finance par des avances, et non plus par des prêts bancaires, la construction et la rénovation des écoles françaises à l'étranger, pour les 75 établissements que l'AEFE gère directement. Je me souviens de l'inquiétude de certains de nos collègues fin 2010 : ne risquait-on pas, en interdisant l'emprunt bancaire de longue durée, de mettre en péril le plan de financement des écoles françaises à l'étranger ? L'AEFE m'a fait part de sa satisfaction, et elle honore ses remboursements très régulièrement : le système a bien marché. Les frais de scolarité et le fonds de roulement de l'AEFE comme des établissements concernés assurent par ailleurs un volume suffisant de ressources propres pour cofinancer les projets, puis permettre le remboursement des avances.

D'autres avances, également récurrentes, posent davantage question : il s'agit des avances accordées au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », que connaît bien notre collègue François Fortassin, en sa qualité de rapporteur spécial du budget annexe. Chiffres à l'appui, je ne peux que confirmer ses observations : ces avances n'assurent plus le financement d'un besoin imprévu ou accidentel pour couvrir des besoins ponctuels de trésorerie, mais correspondent bien à des ressources pérennes, puisque le cumul des avances remboursées depuis 2005 est inférieur de plus de 1,2 milliard d'euros à celles accordées. Je recommande donc de ne plus recourir aux avances pour couvrir un déséquilibre financier structurel du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », ce qui implique de trouver d'autres modes de financement de ce budget - subventions, qui supposeraient de réintégrer le budget annexe dans le budget général de l'État, ou augmentation des ressources propre -, ou encore de revoir le montant des dépenses. Mais ce n'est pas à moi d'en juger dans le cadre de ce travail...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

J'en viens à présent aux avances accordées ponctuellement, sur une base pluriannuelle. D'emblée, je tiens à préciser qu'il n'existe pas une procédure normée : l'octroi d'une avance apparaît comme une procédure exceptionnelle, dans le cadre de négociations longues entre le bénéficiaire de l'avance, le ministère de tutelle et la direction du budget. L'avance n'est alors souvent que l'une des composantes de plans de financement complexes... Toutes les avances répondent ainsi à du sur-mesure.

Certaines avances se sont avérées être des subventions déguisées, puisqu'elles n'ont jamais été remboursées : par exemple, une avance de 22 millions d'euros au Centre national pour l'aménagement des structures des exploitants agricoles (CNASEA), octroyée en 2006, et a donné lieu en totalité à un constat de perte en 2007 ; toujours en 2006, une avance de 50 millions d'euros a été octroyée à l'Office national interprofessionnel des produits de la mer et de l'aquaculture (OFIMER), et a fait l'objet d'un constat de perte en 2007 en presque totalité pour un montant de 47,6 millions d'euros. Ces deux avances (qui ont simplement transité par le CNASEA et l'OFIMER) avaient le même objet - permettre au Fonds de prévention des aléas pêche (FPAP) de mettre en place un dispositif assurant aux entreprises de pêche professionnelle adhérentes un plafonnement du prix du gazole ; le dispositif reposait sur des achats d'options sur les marchés du gazole, jusqu'à ce que le FPAP mette fin à ses activités à la fin de l'année 2006.

Une avance à l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM), accordée en 2007 pour un montant de 32,5 millions d'euros, a été renouvelée en 2008 et a fait l'objet d'un constat de perte en totalité ; il s'agissait d'aider les producteurs antillais de bananes, confrontés à une perte de compétitivité et à des aléas climatiques, notamment le passage du cyclone Dean en août 2007.

Au total, les pertes d'avances inscrites sur le CCF se sont élevées à 102,1 millions d'euros en 2007 et 2008, qui ont été à ce sujet des années noires. Il existait d'autres mécanismes que les avances pour financer ces opérations - les subventions budgétaires ou encore les décrets pour dépenses accidentelles dans le cas de l'ODEADOM. Le principe même des avances avait ainsi été contourné, mais félicitons-nous qu'il n'y ait plus eu, depuis la loi de règlement pour 2008, de constats de perte au titre d'avances du Trésor. Heureusement, de tels cas appartiennent désormais au passé !

Par ailleurs, les incidents de paiement peuvent prendre la forme du renouvellement de l'avance, ou de son rééchelonnement.

Ainsi, l'avance dont a bénéficié l'Institut national de la recherche d'archéologie préventive (INRAP) en 2006, à hauteur de 23 millions d'euros, n'a été remboursée qu'à hauteur de 7,5 millions d'euros ; pour le solde (soit 15,5 millions d'euros), l'avance a été dépréciée et renouvelée ; ce montant reste donc à rembourser, dans l'attente - comme l'a indiqué l'AFT - « d'une amélioration de la santé financière de l'INRAP », liée notamment aux incertitudes sur la redevance d'archéologie préventive qui finance l'INRAP, et qui est un sujet bien connu de notre commission - nos collègues Yann Gaillard et Aymeri de Montesquiou ne me contrediront pas.

L'AFITF a également bénéficié d'avances dont l'une, octroyée fin 2009 à hauteur de 143 millions d'euros, aurait dû initialement être remboursée le 15 décembre 2011 et a été rééchelonnée dans un contexte d'incertitudes sur le financement global de l'AFITF - notamment en ce qui concerne l'écotaxe « poids lourds ». Sur le capital restant dû de 91,4 millions d'euros fin 2013, l'AFITF s'est engagée à rembourser 45 millions d'euros cette année, et le solde en 2015. Mais avec quelles ressources, si l'écotaxe n'est pas mise en place ?

L'avance octroyée à la Cité de la Musique n'a, elle, jamais été rééchelonnée - et pour cause, le ministère de la Culture n'ayant pas défini d'échéancier de remboursement, compte tenu des incertitudes pesant non seulement sur les ressources de la Cité de la Musique, mais aussi sur les conséquences du démarrage de la Philharmonie de Paris : la Cité de la Musique est consciente des problèmes mais n'a pas de recettes suffisantes pour honorer ses engagements. Ainsi, pour rembourser l'avance de 60,5 millions d'euros octroyée en 2009, le remboursement annuel est jusqu'à présent de l'ordre de 2,8 millions d'euros par an, le capital restant dû s'élevant à 51,1 millions d'euros fin décembre 2013. Le choix de l'achat de la salle Pleyel et d'immeubles de bureaux, dégageant des ressources propres, est apparu opportun par rapport à la location de la salle Pleyel qui prévalait auparavant, mais la Cour des comptes est très sévère sur le rythme de remboursement et l'absence de rééchelonnement. Tout ceci mériterait d'être davantage cadré.

Il ne m'appartient pas de juger de l'opportunité de telle ou telle gestion des ODAC par les ministères de tutelle. Ce qui ressort en revanche est un certain manque de visibilité et de plan d'ensemble. C'est pourquoi je crois non seulement nécessaire de définir une doctrine d'octroi des avances, comme je l'ai déjà observé dans le cas particulier de l'ONIAM, mais aussi d'améliorer le suivi en renforçant le rôle de l'Agence France Trésor. Il me semble nécessaire, d'une part, de mettre en place des dispositifs contractuels (comme les conventions de gestion) pour s'assurer du remboursement des avances suivant l'échéancier prévu. Par ailleurs, une procédure d'avis de l'AFT serait souhaitable lors de l'instruction de la demande d'avance et en cas de modification du plan initial (renouvellement, rééchelonnement, constat de perte probable). Si l'instruction de la demande resterait bien du champ de compétences des autorités de tutelle des bénéficiaires de l'avance, l'avis de l'AFT - en tant que gestionnaire du mécanisme des avances - permettrait d'éclairer la décision et de renforcer le suivi.

Telles sont, mes chers collègues, mes conclusions sur un dispositif complexe, original mais la plupart du temps efficace, touchant à des domaines très divers, mais qui me semble mériter d'être conforté dans son pilotage et son suivi.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Je vous remercie d'avoir choisi ce sujet : les enjeux financiers sont significatifs et il est utile que notre commission des finances puisse s'investir dans ce domaine, d'autant que, compte tenu de la grande diversité des activités concernées, il y aurait avantage à ce que certains principes soient appliqués et les propositions formulées me semblent très concrètes et utiles.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Vos propos m'interpellent. Les avances sont accordées et gérées par l'AFT, mais elles n'ont d'incidence budgétaire que lorsqu'il s'agit de pertes. Je suis surpris qu'aucune doctrine ne soit mise en place vu les montants en jeu. Je suis en désaccord avec vous en ce qui concerne la décision d'accorder une avance : je pense que celle-ci doit être centralisée et que c'est le ministère chargé du budget, et non les autorités de tutelle, qui doivent la prendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

En cas de double tutelle par le ministère sectoriel et le ministère chargé de l'économie, la direction du budget donne son avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je pense que le dernier mot doit revenir à Bercy.

Par ailleurs, la doctrine devrait être d'accorder une avance quand il existe un léger décalage entre les dépenses et les recettes qui doivent être perçues - comme pour les aides agricoles par exemple, cela me semble évident. Par contre, pour le reste, je ne suis pas du tout convaincu qu'il faille une avance, notamment pour acheter la salle Pleyel : je pense qu'il s'agit d'un déguisement budgétaire car, si je comprends bien, alors que l'achat est intervenu en 2009, 51 millions d'euros n'ont pas encore été remboursés.

De plus, s'agissant du contrôle aérien, je ne comprends pas pourquoi une perte de 1,2 milliard d'euros n'est pas constatée, alors qu'il s'agit, en quelque sorte, d'une créance irrécouvrable si l'on ne constate pas de recettes à venir à court terme correspondant.

L'AFT devrait uniquement accorder des avances à court terme et non à long terme, pour des décalages de trésorerie ; elles devraient être remboursées dans l'année et n'être récurrentes que dans le cas des décalages de trésorerie. À défaut, il s'agit de subventions, et non d'avances.

Enfin, j'aurais aimé disposer du montant total des avances accordées par l'État qui ne correspondent pas à un décalage de recettes - la salle Pleyel, le budget annexe du contrôle et de l'exploitation aériens... - pour chiffrer le risque pour l'État de la non constatation d'une charge supplémentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

En cette période de rareté des crédits budgétaires, tous les succédanés sont bons à prendre et cette procédure des avances peut camoufler des insuffisances de financement. Par ailleurs, ce processus d'avance peut être une façon de détourner l'impossibilité de recourir à l'emprunt...

S'agissant des règles du jeu, on peut estimer que dans la période actuelle, il faut « serrer les boulons », et il appartiendrait à la direction du budget de fixer une doctrine d'emploi. Certains, dans l'administration, pourraient dire qu'affirmer une règle publique puisse inciter le recours à cette possibilité peu connue au sein du secteur public. Cet argument ne me paraît pas recevable. Je crois qu'il faut, ici comme ailleurs, plaider en faveur de la transparence.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

Au budget 2013, le solde du compte d'avances s'élève à + 135 millions d'euros : il s'agit de la différence entre les montants accordés et les montants remboursés. Le flux d'avances s'est élevé à 6,6 milliards d'euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Au sein des 6,6 milliards d'euros, figure la somme de 1,2 milliard d'euros pour le transport aérien ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

Ce montant élevé de 6,6 milliards d'euros comprend notamment les aides agricoles, qui représentent une somme très importante, mais qui sont remboursées chaque année. C'est un bon système. D'ailleurs, d'autres pays européens utilisent des systèmes identiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Mais le montant de 6,6 milliards d'euros correspond au financement mis en place, au total de l'argent qui est avancé ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

Au cours de l'exercice 2013, 6,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement ont été décaissés, et le solde du compte d'avances a été excédentaire en 2013 à hauteur de 135 millions d'euros.

Les avances au budget annexe ont dépassé les remboursements de plus de 1,2 milliard d'euros depuis 2005 ; d'autres avances n'ont pas été remboursées depuis la mise en place de ce système - l'INRAP y contribue pour 15 millions d'euros, la Cité de la Musique pour 51,5 millions d'euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Il faudrait disposer d'un tableau avec l'équilibre global, quelle que soit l'utilisation faite de l'avance.

Pouvez-vous nous rappeler sur quoi porte le vote du Parlement : s'agit-il d'un plafond ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

C'est une question que nous avons intérêt à creuser : j'ai coutume de dire que le rapporteur spécial chargé de cette mission a le plus gros budget ! Vous êtes le digne successeur de Jean-Pierre Fourcade.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

Vincent Delahaye a dit qu'il fallait faire uniquement des avances à court terme, mais je ne suis pas tout à fait d'accord : ainsi, l'AEFE n'a plus accès, depuis 2012, aux crédits bancaires, mais recourt, pour financer les travaux dans les lycées, à ses ressources propres et aux avances.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

En ce qui concerne la salle Pleyel, la Cité de la Musique a acquis la salle Pleyel il y a quelques années et a demandé une avance à ce titre. Elle a alors profité d'une opportunité en achetant des bureaux alors mis en vente et situés à côté de la salle Pleyel, dans le même corps de bâtiment : ils les ont aménagés et loués, ce qui leur rapporte désormais quelque 2 millions d'euros de ressources propres par an, qui permettent de rembourser l'avance et de diminuer l'emprunt. Était-ce une bonne opération ? En réalité, c'est un bon système pour bénéficier de ressources propres. Il faut être moins sévère que vous ne l'avez été sur cette opération qui, dans son ensemble, rapporte de l'argent.

La commission donne acte de sa communication à M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

La commission entend le compte rendu du déplacement effectué par une délégation du Bureau de la commission en Iran du 22 au 29 avril 2014.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Dans le cadre de ses déplacements annuels à l'étranger, une délégation du Bureau de la commission a effectué un déplacement en Iran du 22 au 29 avril 2014. Elle a eu pour objet d'étudier les perspectives d'évolution de l'Iran en matière économique et financière. La délégation était composée de six sénateurs, trois de la majorité, trois de l'opposition : Michèle André, première vice-présidente de la commission des finances, Aymeri de Montesquiou, par ailleurs président du groupe d'amitié France-Iran, ainsi que Jean-Claude Frécon, Gérard Miquel, Philippe Dallier et votre serviteur.

Nous avons passé cinq jours à Téhéran et deux à Tabriz, une grande ville du Nord-Ouest de l'Iran. Les autorités iraniennes ont bien accueilli notre délégation et nous estimons avoir atteint les objectifs politiques et économiques que nous visions. En effet, notre objectif était notamment de nous entretenir avec les hautes autorités iraniennes ainsi qu'avec des acteurs économiques et financiers, et nous avons eu nos rencontres, qui étaient de très bon niveau. Je cite, pour mémoire, quelques exemples. Au Parlement, nous avons vu M. Ali Larijani, président, M. Gholam Reza Mesbahi Moghaddam, président de la commission des finances, M. Kamran, député d'Ispahan, président du groupe parlementaire d'amitié Iran-France et sa femme, Mme Kamran, députée d'Ispahan elle aussi.

Du côté du pouvoir exécutif, nous nous sommes entretenus avec M. Ali Akbar Velayati, conseiller diplomatique du Guide de la Révolution et président du Center for Strategic Research (CSR), think tank dont sont issus de nombreux dirigeants iraniens. M. Hassan Rohani était ainsi le président du CSR avant d'être élu en 2013 Président de la République. Nous avons également vu Mme Masoumeh Ebtekar, vice-présidente de la République, chargée de l'environnement, M. Mohammad Nahavandian, secrétaire général de la présidence de la République, M. Mohammad-Javad Zarif, ministre des affaires étrangères, M. Mohammad Reza Nematzadeh, ministre de l'industrie et du commerce, M. Behrouz Alishiri, vice-ministre des finances chargé des investissements internationaux, M. Alireza Daemi, vice-ministre de l'énergie, M. Ali Majedi, vice-ministre du pétrole, chargé des affaires internationales, M. Majid Takht-Ravanchi, vice-ministre des affaires étrangères, chargé de l'Europe et des Amériques. Nous avons aussi rencontré M. Gholamali Kamyâb, vice-gouverneur de la Banque centrale d'Iran, chargé des affaires de devises étrangères, ainsi que des représentants des banques Saman et des responsables de l'Association iranienne des victimes du terrorisme.

A Tabriz, le déplacement a surtout été consacré à des visites de sites industriels, nous y avons rencontré : M. Sadegh Najafi-Khazarlou, maire de Tabriz, M. Morteza Abdar, l'adjoint au maire de Tabriz chargé des investissements et de l'économie, des vice-gouverneurs de la province et des responsables d'entreprises : l'usine de fabrication de voitures Iran Khodro, l'entreprise pharmaceutique Dana, l'usine de carreaux Naqchineh, la chocolaterie Aïdine, etc. Nous avons également eu divers entretiens préparatoires au déplacement à Paris, avec des représentants du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), des groupes Renault ou Total par exemple, ainsi qu'avec des spécialistes de l'Iran.

Ce déplacement s'inscrivait dans un contexte opportun pour deux raisons : les élections présidentielles iraniennes ont créé une nouvelle dynamique et, surtout, la levée partielle des sanctions contre l'Iran depuis le 20 janvier 2014, suite à l'accord intérimaire signé à Genève le 24 novembre 2013, a permis d'avancer dans les discussions avec l'objectif de parvenir à un accord définitif d'ici le 20 juillet. Cet accord temporaire d'une durée de six mois, entre l'Iran et le groupe « 5+1 » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations-Unies : États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, Chine, ainsi que l'Allemagne), porte le nom de « Joint Plan of Action » (JPOA). Il prévoit en effet le gel d'une partie des activités nucléaires sensibles et la levée partielle des sanctions contre l'Iran.

S'agissant du nouveau contexte politique en Iran tout d'abord, l'élection du Président Hassan Rohani, en juin 2013, a largement contribué à faire évoluer la situation. Le nouveau Président, conservateur modéré, a fait campagne sur un programme de modernisation et a obtenu l'appui des grandes figures réformatrices, telles que l'ancien président Mohammad Khatami. Sur place, nous avons relevé la cohérence de l'équipe gouvernementale réunie autour de M. Rohani, qui s'est engagée dans une véritable démarche de modernisation de l'économie iranienne. Leurs nouvelles approches méritent l'attention particulière de l'Occident et, surtout, de la France. La communauté internationale et nos autorités nationales doivent bien comprendre à quel point l'Iran est un acteur à même d'agir sur la stabilité du Moyen-Orient et qui a beaucoup à apporter en raison de son potentiel politique, économique et culturel.

Nous avons également constaté la diversité des cercles de pouvoir iranien, de nombreuses équipes sont en concurrence les uns avec des autres. Les projets politiques et économiques de ces différentes équipes sont loin de converger. Ainsi, certains conservateurs radicaux ne veulent surtout pas d'un accord avec l'Occident et s'opposent aux négociations. On nous a cependant expliqué à plusieurs reprises que les négociations étaient souhaitées par le Guide suprême dans le but d'aboutir à un accord et qu'il était en mesure d'imposer sa volonté à tous les Iraniens. Cette question m'amène à apporter des précisions sur la question des sanctions.

Il existe en fait trois régimes de sanctions qui ont été élaborés dans la décennie 2000 : celui qui résulte de six résolutions du Conseil de Sécurité des Nations-Unis, aux effets limités, celui de l'Union européenne plus contraignant et, enfin, le régime issu de la législation américaine particulièrement riche et complexe et visant une application extraterritoriale. Ce millefeuille d'interdiction d'entités et d'activités puise à plusieurs sources : executive orders présidentiels, législations fédérales, législations des États et action du Trésor américain à travers l'Office of Foreign Assets Control (OFAC). L'accord temporaire conclu à Genève le 24 novembre 2013 entre l'Iran et le groupe « 5+1 » a ouvert une période transitoire qui court du 20 janvier 2014 au 20 juillet 2014. Le JPOA prévoit le gel d'une partie des activités nucléaires sensibles : suspension de l'enrichissement d'uranium à 20 %, arrêt de la construction du réacteur d'Arak, renforcement des contrôles de l'AIEA... Il prévoit aussi la levée partielle des sanctions contre l'Iran, à l'instar de la « facilitation du canal humanitaire » (exportation vers l'Iran de produits alimentaires ou médicaux) ainsi que par la mise à disposition de l'Iran de 4,2 milliards de dollars. Ces fonds devaient notamment être utilisés par l'Iran dans son commerce avec l'Union européenne mais nous verrons que ce JPOA souffre d'une application défaillante en raison de l'absence de canaux financiers solides entre l'Iran et l'Europe et, singulièrement, la France. Les allègements sectoriels prévus par le JPOA tardent donc à se concrétiser qu'il s'agisse des biens humanitaires ou de l'automobile. Avant d'aborder la question des flux financiers, voici quelques éléments concernant l'économie iranienne.

Il convient tout d'abord de relever le potentiel important de l'économie iranienne, qui dispose de 10 % des réserves pétrolières mondiales (quatrième rang mondial) et de 18 % des réserves gazières mondiales (deuxième rang mondial). S'agissant de l'impact des sanctions, il est réel puisque, d'après le Fonds monétaire international (FMI), la croissance est négative en 2012 et 2013 (- 5,8 % puis - 1,7 %) et devrait revenir à + 1,5 % en 2014. Toutefois, ces chiffres ne montrent pas une récession brutale. Nous avons vu sur place que l'économie iranienne, bien qu'affaiblie, fait preuve d'une résilience remarquable : la situation économique et politique de l'Iran est différente de ce qui est montré dans les médias occidentaux. A Tabriz, ville dynamique, nous avons visité des entreprises particulièrement compétitives, performantes et modernes. Les Iraniens, ayant l'expérience d'une économie de guerre dès les années 1980, ont donc su trouver des moyens adéquats pour leur production et leurs activités, en dépit de conditions difficiles et du poids des sanctions internationales. Dans la période récente, une amélioration de la situation en matière d'inflation est notable (autour de 20 % en 2014 après deux années à plus de 30 %) du fait d'une relative appréciation du rial, la monnaie iranienne. Et l'on peut, de plus, voir des signes de reprise de la production industrielle, sans doute en lien avec l'allègement des sanctions : la production de véhicules automobiles est supérieure de 70 % en avril 2014 par rapport à son niveau d'avril 2013. Enfin, nous avons appris sur place que le gouvernement iranien, avec la Banque centrale d'Iran (BCI), conduisait des réformes économiques, financières et bancaires ambitieuses à même de dynamiser davantage l'économie en améliorant l'environnement des affaires, et souvent en écho aux préconisations du FMI. Ces réformes attendues dont les contours et les modalités restent encore flous concernent :

- les privatisations, qui doivent permettre de réduire la domination du secteur public ;

- la réduction effective des subventions publiques. Les réductions de subventions décidées par le précédent gouvernement, celui de M. Ahmadinejad, avaient conduit à des compensations individuelles, pour lesquelles 73 millions d'Iraniens se sont inscrits sur les listes prévues, le coût de la réforme avait alors été plus important que le statu quo. Il s'agit désormais en 2014 de procéder à de nouvelles baisses des subventions, surtout sur les prix de l'énergie afin de s'approcher des prix mondiaux ;

- une politique monétaire et une politique de change plus rigoureuses. L'objectif de la BCI est notamment de limiter l'inflation par une maîtrise de la masse monétaire et d'unifier les taux de change officiels et libres autour d'un taux de 25 000 rials pour un dollar ;

- la consolidation du secteur bancaire avec un rôle central de la BCI qui contrôle la santé des établissements bancaires et met en oeuvre les règles prudentielles du comité de Bâle ;

- un cadre fiscal plus attractif et plus clair, des réglementations plus simples, la lutte contre la corruption ainsi qu'une ouverture aux capitaux étrangers avec un régime favorable aux investissements directs étrangers (IDE). Ainsi, il existe en Iran une loi sur la protection des investissements étrangers qui offre un dispositif assez complet pour les investisseurs. Des zones franches ou spéciales viennent encore accroître cette attractivité. L'un des enseignements du déplacement est que les autorités iraniennes veulent plus que jamais attirer les investissements étrangers. Leurs besoins d'investissements dans de nombreux secteurs comme l'énergie, l'automobile ou l'environnement sont très grands. L'Iran en appelle explicitement aux entreprises étrangères, notamment européennes et américaines.

J'en viens à l'état des relations économiques entre la France et l'Iran et à l'avenir de ces relations. Compte tenu de nos constats durant le déplacement, nous nous sommes parfois demandé à qui les sanctions faisaient le plus de mal. Elles sont en effet douloureuses et pénibles pour l'Iran mais aussi pour les compagnies occidentales, surtout pour les entreprises françaises qui avaient des échanges importants avec l'Iran. La France est la grande perdante des sanctions prises contre l'Iran. Suite aux sanctions contre l'Iran, le niveau des échanges économiques bilatéraux entre nos deux pays a connu une chute brutale entre 2011 et 2013, il est d'environ 500 millions d'euros en 2013 au lieu de 4 milliards d'euros en 2004. La France était l'un des meilleurs partenaires commerciaux de l'Iran et les Iraniens s'en souviennent. La reprise des relations est souhaitable. Un colloque récemment organisé au Sénat, le 23 mai 2014, par le groupe d'amitié France - Iran et le Cercle Iran-Économie démontre que cette dynamique peut et doit se poursuivre. Son titre « vers l'ouverture des échanges commerciaux avec l'Iran » illustre l'état d'esprit de nombreux entrepreneurs français. Notons aussi que MEDEF International a organisé la visite à Téhéran du 3 au 5 février 2014 d'une délégation de 130 personnes, représentant 116 entreprises françaises.

Les Iraniens nous ont fait part de leur disponibilité pour coopérer dans tous les domaines avec les secteurs privé et public français. Compte-tenu de nos relations anciennes et profondes avec l'Iran, la France y conserve une bonne image, notamment liée au souvenir qu'a la nation iranienne de l'asile qui a été offert à l'ayatollah Khomeyni avant la Révolution islamique. Cette perception de la France par les Iraniens constitue un atout précieux pour le développement et le renforcement des relations bilatérales dans différents domaines. Parmi ceux-ci, nous avons relevé l'industrie de manière générale, notamment l'automobile, le secteur pétrolier et l'énergie, l'environnement, le recyclage, les médicaments, les cosmétiques, mais aussi le tourisme, l'agriculture, l'agro-alimentaire, l'aviation, l'industrie du luxe, entre autres... Nos entreprises sont donc très attendues en Iran, même si la concurrence sera rude. Cette attente vaut notamment pour l'automobile, l'Iran disposant d'une capacité de production de l'ordre de 2 millions de voitures produites par an. Les sites ne tournent qu'à 25 % ou 30 % de leurs capacités alors que l'Iran était le onzième fabricant mondial en 2011 avec 1,6 million de voitures. Nos entreprises, Renault et surtout PSA, ont auparavant été des leaders (plus de 30 % du marché) et ont désormais fortement réduit leurs activités, voire les ont totalement interrompu dans le cas de PSA, et ce sous l'effet des sanctions américaines. La Chine, presque absente du secteur automobile iranien auparavant (1 %), y pèse désormais environ 10 %.

En matière d'énergie, les entreprises françaises sont également attendues, notamment pour des projets de centrales combinées de production d'énergie. L'Iran veut accompagner une transition de ses centrales à gaz vers des modèles polyvalents, y compris en recourant aux énergies renouvelables, telles que la géothermie, le solaire ou l'éolien. Un budget de 3 milliards d'euros par an est ainsi alloué par l'État iranien à ce programme. Autre exemple, les autorités iraniennes nous ont présenté leur disposition à exporter le gaz iranien en Europe, en passant par la Turquie ou ailleurs. Et nos intérêts se rejoignent : d'une part, l'Iran a de grands gisements de gaz et souhaite diversifier ses destinations d'exportation et, d'autre part, nous avons intérêt à diversifier nos fournisseurs de gaz. Sur le pétrole, le ministère du pétrole nous a expliqué que la rentabilité des contrats à droit de rachat, dits « buy-back » avait été plus faible que prévu, ce que Total nous avait également expliqué. On estime aujourd'hui que les exportations pétrolières de l'Iran sont bloquées à 50 % de leur potentiel (seuls six importateurs sont autorisés par les États-Unis actuellement : Chine, Japon, Inde, Corée du Sud, Turquie et Taïwan). L'Iran se prépare donc à redevenir un grand exportateur pétrolier et a engagé une réflexion sur de nouveaux modèles de contrat de longue durée (environ vingt ans), que le gouvernement est en train de concrétiser : ces contrats devraient ainsi être annoncés officiellement en novembre et permettre un rendement de 13 % à 14 % pour les investisseurs étrangers.

Aujourd'hui, le premier poste de nos exportations concerne les produits pharmaceutiques et nos importations en provenance d'Iran sont essentiellement constituées de produits agro-alimentaires et de textiles. En dépit de l'attractivité de l'économie iranienne, de son régime favorable aux investissements étrangers et à l'existence des zones franches ou spéciales, les sanctions, ou, surtout, leur interprétation par les acteurs publics et privés, freinent notre retour en Iran. Ainsi, dans les secteurs autorisés, la Coface ne couvre pas les entreprises et n'accorde pas la garantie de l'État et il en est de même pour les assureurs privés. Nous observons au niveau international des distorsions dans l'application des sanctions. Nous avons constaté une logique de « deux poids - deux mesures » en visitant des usines dans lesquelles nous avons vu des équipements récents, allemands ou italiens ; je note que les banques régionales allemandes n'ont pas d'exposition aux États-Unis. Nous l'avons aussi constaté avec la présence d'entreprises américaines sur place, comme Boeing, qui exerce dans un secteur, l'aéronautique, qui est autorisé par le JPOA. Il nous a aussi été rapporté des phénomènes de contournement des sanctions américaines par des entreprises américaines avec des flux transitant via l'Amérique du Sud.

Mais il y a pire que ces inégalités. Le point de blocage majeur reste en France celui des flux financiers, qui sont taris comme nous allons le voir. La principale conclusion de notre déplacement c'est que les flux financiers restent bloqués en dépit de la période de six mois de levée partielle des sanctions. Aucune banque française n'accepte aujourd'hui d'accompagner nos entreprises dans leurs projets en relation avec l'Iran. La Banque centrale iranienne nous a rappelé que la Société Générale avait refusé d'être le canal de paiement entre la France et l'Iran des denrées humanitaires autorisées par le JPOA. Et l'actualité nous rappelle douloureusement cette réalité difficile et complexe avec le dossier du risque d'amende de BNP-Paribas. Accusée d'avoir transgressé certaines sanctions américaines et accompagné des opérations compensées en dollars en lien avec l'Iran, Cuba et le Soudan, notre banque risque aujourd'hui une suspension partielle de ses activités aux États-Unis et une amende de 10 milliards de dollars. Rappelons qu'elle n'a provisionné à ce titre que 1,1 milliard de dollars. Cette affaire constitue un nouvel exemple de l'extraterritorialité du droit américain, qui pourrait conduire à paralyser nos initiatives, nos entreprises étant incitées à ne plus prendre aucun risque. L'Europe se refuse à prendre des sanctions extraterritoriales mais respecte ces sanctions extraterritoriales quand elles sont prises par les États-Unis. Il faudra que nous ayons cela en tête lorsque l'on nous demandera, sans doute dans les prochaines semaines, de ratifier l'accord Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA).

Pour en revenir à l'Iran, le contexte de blocage des flux financiers et bancaires entre la France et l'Iran rend difficile l'enrichissement des échanges économiques et commerciaux entre nos deux pays. Nous estimons que les conditions juridiques et pratiques doivent permettre aux entreprises françaises, dans le respect du JPOA, d'investir en Iran et de gagner des parts de marché, dans un contexte concurrentiel. Nous condamnons cette forme particulière de violence qui s'apparente à une sorte de « kidnapping économique » : nous vivons en un temps où un seul pays impose au monde entier sa volonté, son droit et ses règles en utilisant toute sa puissance politique et économique.

Compte tenu du nouveau contexte international, il convient maintenant de lever ces obstacles et de permettre à la France et à l'Iran de reconstruire des relations bilatérales politiquement constructives et économiquement fructueuses. À Téhéran, nous avons vu à quel point il était nécessaire de restaurer un climat de confiance. Or un premier pas vers le rétablissement d'une relation de confiance avec l'Iran appelle des rapports fondés sur la réciprocité, le respect et la transparence. Le respect et la transparence sont des clés qui doivent permettre de résoudre les problèmes liés au programme nucléaire civil de l'Iran. Je le dis avec d'autant plus de force que la réunion qui s'est tenue à Vienne les 14, 15 et 16 mai derniers a montré que les négociations restaient difficiles.

S'agissant du blocage des flux financiers et bancaires, nous proposons le rétablissement effectif de circuits viables, à la faveur par exemple du recours à un établissement qui n'est pas exposé aux États-Unis et qui n'est pas susceptible d'être victime de représailles, à l'instar de la Banque Postale. Par ailleurs, nous demandons au Gouvernement de prévoir une clarification de la portée des sanctions américaines : puisque ce qui est autorisé dans le JPOA ne peut être effectif à défaut d'accompagnement au niveau bancaire, nous pouvons faire l'hypothèse que la signature d'un accord global par le 5+1 en juillet ne résoudra pas par elle-même la difficulté.

Ensuite, nous proposons d'encourager de manière générale la coopération économique et culturelle entre la France et l'Iran. Nous pouvons envisager des coopérations entre nos deux pays sur des projets de grande envergure, par exemple face à la menace de disparition du lac Oroumieh. En termes de relations économiques et commerciales entre nos deux pays, je relève que le retour d'un conseiller économique sur place depuis le mois d'avril va dans le bon sens. En matière culturelle, les liens se sont malheureusement distendus et beaucoup de projets restent à reconstruire. Je relève que la réouverture provisoire cet hiver du centre de langue française à Téhéran va aussi dans la bonne direction.

Pour ce qui concerne nos entreprises, nous les invitons à maintenir des contacts sur place en tissant des relations personnelles et en organisant des visites régulières. Pour certaines, il convient d'ores et déjà de pré-négocier des contrats en attendant la levée des sanctions, avec des partenariats solides inscrits dans la durée. Les obstacles sont réels et la concurrence internationale est rude mais le contexte actuel représente une occasion qui ne doit pas être manquée. Il y a donc urgence pour les entreprises françaises à préparer leur retour en Iran.

Je finirai ma communication avec un optimisme réaliste : les négociations en cours ont pour la première fois de réelles chances d'aboutir. Au-delà même de nos intérêts économiques, il est urgent de parvenir à un accord. L'Iran, ayant intérêt à s'ouvrir, peut aider à la paix et à la stabilité au Moyen-Orient et, dans cette perspective, son retour au sein de la communauté internationale lui permettra d'apporter une contribution constructive.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Je remercie le Président Marini pour ce tracé fidèle. Sur le fond, je n'ai rien à ajouter mais je souhaite évoquer le contexte difficile dans lequel travaillent en Iran notre ambassadeur, ses collaborateurs, ainsi que les ressortissants français. Je tiens à les féliciter pour leur sang-froid, surtout le personnel de l'ambassade. Nous voulions voir la réalité sur place, ce qui avait été encouragé par notre collègue Nicole Bricq, alors ministre du commerce extérieur. Sur place, nous étions très encadrés. Ce n'est pas un pays comme les autres, son régime est très dur et les touristes que nous avons croisés sur place, y compris des Français, n'ont pas conscience de cette réalité. Ce régime n'épargne pas les femmes. Certes il y a des femmes actives, dans les entreprises ou dans la vie politique, mais leur condition est particulière. Suite à mon intervention auprès de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, une rencontre a été organisée entre cette dernière et Mme Shahindokht Molaverdi, la vice-présidente iranienne chargée des affaires des femmes et de la famille, qui était en visite à Paris à l'occasion du Forum mondial des femmes. Son témoignage est éclairant. Les femmes ont des droits inférieurs aux hommes en Iran. Par exemple, dans les procédures judiciaires, leur témoignage a une valeur moitié moindre que celui d'un homme. Cela me rappelle la notion d'incapable majeure dans le code civil napoléonien, ce qui montre que la France n'a pas non plus de leçons à donner. Le cas de ces femmes iraniennes qui utilisent les réseaux sociaux sans leur voile m'interpelle également et montre qu'il existe une volonté d'en finir avec le voile obligatoire. L'Iran est un grand pays et je voulais rappeler la situation des femmes sur place et le fait que les Français établis là-bas ne vivent pas des situations sereines. Nous devons être attentifs à ces réalités.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Le Président Marini vient de nous faire un exposé très exhaustif. Il n'y a rien à ajouter. J'aurais apprécié qu'on donne une tonalité encore plus politique à ce rapport : l'attitude des Etats-Unis pose des questions de politique internationale et me parait inacceptable. Les seules sanctions applicables devraient être celles des Nations-Unies. Nous n'en sommes plus à l'époque de l'unilatéralisme dans les relations internationales. Au nom de quoi les Etats-Unis décident-ils vers quels pays l'Iran peut exporter ou non son pétrole ? Nous n'avons pas à nous soumettre à ce pays, dont nous subissons les conséquences de l'impérialisme. Nous avons dû fermer des sites de PSA en France en raison du retrait de l'activité de ce groupe en Iran et pendant ce temps les voitures américaines se vendent sur place ! Et M. Velayati nous a parlé des relations commerciales entre l'Iran et Boeing ! Ces diktats américains sont inacceptables. Il faut réagir. Nous avons du mal à comprendre l'Iran, sa théocratie et la place de la religion dans les affaires politiques. Mais c'est un grand pays, avec de nombreux étudiants, dont une majorité de femmes. Il est doté d'une industrie dynamique. Je connais bien ce pays, depuis quarante ans. Lors de la visite à Téhéran d'une délégation de 116 entreprises françaises, du 3 au 5 février 2014, les autorités américaines ont dit « faites attention ! ». Or nous n'avons pas à nous coucher. Un règlement européen du 22 novembre 1996 conteste les effets de l'application extraterritoriale l'une législation adoptée par un pays tiers, tel que les États-Unis. Je me rappelle avec fierté que l'ancien Président de la République Jacques Chirac s'était opposé à la loi d'Amato-Kennedy, adoptée par le Congrès américain le 8 août 1996, qui prévoyait des sanctions extraterritoriales. Cette loi visait à sanctionner les investissements étrangers supérieurs à 20 millions de dollars par an effectués dans le secteur énergétique en Iran et en Libye, qu'ils soient américains ou non. En mai 1998, les États-Unis ont fini par accepter de lever les sanctions prises contre les sociétés européennes, en échange de l'engagement de l'Union européenne (UE) de tenter de dissuader l'Iran d'acquérir des armes de destruction massive. Total a alors pu engager ses investissements en Iran. L'extra-territorialité du droit américain n'est pas acceptable, il faut le dire.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Je félicite mes collègues pour le choix de ce déplacement et pour leur rapport. Il faut parler de l'Iran et il faut y être présent. C'est la position que j'ai défendue en tant que ministre. J'ai, par exemple, obtenu le retour d'un conseiller économique sur place. Par ailleurs, la question des circuits financiers est un problème réel. Il est vrai que la France applique de manière très stricte les sanctions contre l'Iran. Pourtant, l'Iran est une priorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Sans même nous concerter, je constate avec satisfaction que nous partageons une vision commune !

La commission donne acte de sa communication à M. Philippe Marini, président, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est levée à 12 h 10

Présidence de M. Philippe Marini, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30