Intervention de Esther Benbassa

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 11 juin 2014 : 1ère réunion
Présentation du rapport de mme brigitte gonthier-maurin présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes rapporteure sur la proposition de loi n° 207 2013-2014 renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Merci pour cette présentation. Je suis très gênée par l'argument consistant à dire : « aimeriez-vous que votre fille se prostitue ? Souhaiteriez-vous avoir un fils proxénète ? ». Rassurez-vous, cela ne devrait pas arriver à nos propres enfants. Nous savons bien que l'entrée dans la prostitution est en grande partie liée au milieu socio-économique dans lequel ont vécu les personnes. Il est très peu probable qu'un enfant élevé dans un milieu privilégié se tourne vers la prostitution. Vous soulevez là un argument d'ordre émotionnel qui ne permet en aucun cas de faire avancer le débat. Si nous souhaitons trouver un modus vivendi, il faut dépasser ce type de jugements.

Votre recommandation n° 2 vise à « l'instauration de relations confiantes entre les personnes prostituées et la police, dans la logique de l'encouragement des personnes prostituées à s'engager dans un parcours de sortie ». Est-il vraiment prioritaire de transformer les policiers en assistantes sociales ? Soyons réalistes, commençons par faire en sorte que la police exerce correctement les missions qui sont les siennes.

En ce qui concerne l'accompagnement sanitaire et social des personnes prostituées, nous savons très bien que les moyens sont largement insuffisants - 2,4 millions d'euros dans le budget de l'Etat. Compter sur le produit des amendes qui seront prélevées sur les clients est illusoire. Il faut davantage de volontarisme pour qu'un véritable budget soit consacré à ces questions.

Je suis en principe d'accord avec vos recommandations en matière d'éducation sexuelle et d'éducation à l'égalité. L'introduction des ABCD de l'égalité dans les écoles a été difficile, faute d'une communication adaptée. Souhaitons-nous vraiment mettre la France dans la rue en abordant également le sujet de la prostitution ? Ce serait prendre le risque de voir les chefs d'établissements assaillis de protestations. Quant aux écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), elles ont encore beaucoup d'autres sujets à régler avant de commencer à se pencher sur les ABCD de l'égalité.

Votre recommandation n° 9 établit un lien direct entre violences et prostitution. N'oublions pas que nombre de femmes violentées ne se prostituent pas ! Il faut clarifier ce point.

Votre recommandation n° 10 indique que le client se rend complice d'un « système barbare esclavagiste ». Attention au vocabulaire employé ! C'est méconnaître l'histoire que de faire ainsi référence à l'esclavage.

Enfin, concernant votre recommandation n° 11 sur la prostitution étudiante, je peux vous faire part de mon expérience. Voilà quarante ans que j'enseigne à l'université. Nul besoin d'une enquête sociologique pour comprendre que des jeunes femmes qui n'arrivent pas à payer leur loyer à la fin du mois ont besoin de faire quelques passes pour s'en sortir. Je reçois moi-même les témoignages d'étudiantes que j'accompagne en doctorat pendant plusieurs années. Elles ont besoin qu'on les aide. Et cela touche également les garçons ! Les classes moyennes n'ont aujourd'hui plus les moyens de payer les études de leurs enfants. Or rien n'est fait pour remédier à cela. Pensez-vous réellement qu'avec 400 euros de bourse, un jeune puisse payer son loyer à Paris, s'habiller et étudier correctement ? Pas besoin d'enquête pour savoir qu'il faut tout simplement les aider davantage !

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