Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous achevons ce matin l’examen de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 8 janvier 2014 par le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Je suis heureuse de vous annoncer que la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 4 juin dernier, a réussi à trouver un accord qui conserve presque dans leur intégralité les apports du Sénat.
Je tiens à saluer de nouveau l’implication de nos collègues députés, en particulier celle du rapporteur, Gilles Savary ; ils ont permis que la commission mixte paritaire aboutisse et fasse honneur au travail des parlementaires des deux chambres.
De même, je remercie une nouvelle fois notre collègue Éric Bocquet, dont le rapport d’information sur les travailleurs détachés, fait au nom de la commission des affaires européennes, a apporté une contribution essentielle au débat public.
Comme vous le savez, la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture poursuivait quatre objectifs principaux.
Tout d’abord, elle visait à améliorer la lutte contre les abus et les fraudes constatés lors des détachements de travailleurs en transposant avec diligence les dispositions de la directive d’exécution adoptée par le Parlement européen le 16 avril dernier.
Ensuite, elle était destinée à mettre en œuvre certaines préconisations formulées par l’Assemblée nationale dans sa résolution européenne du 11 juillet dernier, en particulier la création d’une liste noire d’entreprises et de prestataires de services indélicats.
Par ailleurs, la proposition de loi tendait à renforcer notre arsenal juridique de lutte contre le travail illégal, notamment en conférant de nouvelles prérogatives aux agents de contrôle, aux juges et aux autorités administratives.
Enfin, elle comportait diverses mesures visant à améliorer l’encadrement du cabotage routier de marchandises.
La proposition de loi a été sensiblement enrichie par la commission des affaires sociales du Sénat, qui l’a examinée le 30 avril dernier, sans toutefois que nous remettions en cause sa philosophie initiale : donner de nouveaux moyens à la lutte contre la concurrence sociale déloyale.
En premier lieu, notre commission a considérablement renforcé, à l’article 1er de la proposition de loi, les règles applicables au moment de la déclaration de détachement, considérant que ce prérequis était la condition sine qua non d’une lutte efficace contre les fraudes et les abus.
Ainsi, nous avons tenu à élever au niveau législatif l’obligation actuelle pour le prestataire étranger de procéder à une déclaration préalable de détachement auprès de l’inspection du travail et avons prévu que l’employeur devrait en outre fournir les coordonnées de son représentant en France, conformément à l’article 9 de la directive d’exécution.
Nous avons aussi obligé le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage qui recourt à un prestataire étranger à vérifier que celui-ci s’est bien acquitté de son obligation de déclaration, quel que soit le montant de la prestation ; toutefois, les particuliers seront dispensés de cette obligation de vigilance, comme la proposition de loi le prévoyait déjà dans sa rédaction initiale.
Surtout, nous avons franchi un pas décisif en prévoyant que tout manquement à ces règles, de la part du prestataire étranger, mais aussi du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage français dans sa relation avec un cocontractant étranger, serait passible d’une sanction administrative prononcée par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.
Le montant maximal de cette amende sera de 2 000 euros par salarié détaché, et de 4 000 euros en cas de réitération dans un délai d’un an à compter du jour de la notification de la première amende ; le montant total de l’amende sera plafonné à 10 000 euros. Pour fixer le montant de l’amende, l’autorité administrative devra prendre en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de l’auteur de celui-ci ainsi que les ressources et les charges de ce dernier.
Par ailleurs, le Sénat a supprimé la création, prévue par l’Assemblée nationale, d’une déclaration spécifique en cas de sous-traitance, imposée au maître d’ouvrage ou au donneur d’ordre pour les contrats supérieurs à 500 000 euros ; en effet, cette déclaration était rendue superfétatoire par l’obligation générale de vérification imposée au donneur d’ordre ou au maître d’ouvrage « dès le premier euro ». Les députés se sont ralliés à notre analyse et n’ont pas souhaité réintroduire cette déclaration spécifique en commission mixte paritaire.
En deuxième lieu, le Sénat a entériné un dispositif unique de solidarité financière applicable au donneur d’ordre et au maître d’ouvrage, en cas de non-paiement du salaire minimum à un salarié d’un sous-traitant, qu’il soit détaché ou non. Le dispositif de solidarité prévu à l’article 1er, qui concernait seulement les salariés détachés, a donc été supprimé dans un souci de simplicité.
En outre, nous avons élargi le champ d’application de la solidarité financière prévue à l’article 2 : d’une part, les personnes qui recourent aux services d’une entreprise de travail temporaire pourront désormais être mises à contribution ; d’autre part, la solidarité financière protégera aussi les salariés du cocontractant d’un sous-traitant, à condition évidemment que le contrat conclu découle directement du contrat initial, établi entre le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage et l’entreprise principale.
En troisième lieu, le Sénat a procédé à divers aménagements visant à renforcer la cohérence de la proposition de loi.
C’est ainsi que, sur l’initiative de la commission des affaires sociales, il a sécurisé juridiquement les dispositions relatives à l’action en justice d’un syndicat pour défendre les droits d’un salarié détaché sans que celui-ci lui en ait donné mandat. Nous avons aussi conféré au juge la possibilité de prononcer à titre de peine complémentaire, à l’encontre d’une personne condamnée pour travail illégal, l’interdiction de recevoir une aide financière versée par une personne privée chargée d’une mission de service public.
Lors de l’examen du texte en séance publique, le 6 mai, le Sénat a apporté trois modifications importantes à la proposition de loi, dont deux ont été retenues par la commission mixte paritaire.
D’une part, le bilan social devra indiquer le nombre de salariés que l’entreprise détache et le nombre de travailleurs détachés qu’elle accueille.
D’autre part, le seuil de 15 000 euros prévu pour la liste noire instituée à l’article 6 a été supprimé, un amendement en ce sens ayant été adopté à l’unanimité par notre assemblée après que M. le ministre nous eut indiqué que seulement une quinzaine d’amendes pour travail dépassaient le seuil des 15 000 euros en 2011 et en 2012. La commission mixte paritaire a entériné le choix du Sénat en procédant aux coordinations juridiques nécessaires pour supprimer ce seuil, quelle que soit la nature de l’infraction de travail illégal concernée.
Comme je l’ai souligné en introduction, la commission mixte paritaire a conservé tous les apports du Sénat, à l’exception de deux dispositions.
Premièrement, sur l’initiative du rapporteur de l’Assemblée nationale, la commission mixte paritaire a supprimé la possibilité pour le juge de prononcer comme peine complémentaire à l’encontre d’une personne condamnée pour travail illégal le remboursement des aides publiques perçues les cinq années précédentes. Issue d’un amendement du groupe communiste, républicain et citoyen adopté en séance publique au Sénat, cette nouvelle peine complémentaire posait effectivement de nombreux problèmes : source d’insécurité juridique pour les entreprises du fait de sa forte rétroactivité, elle pouvait avoir de graves conséquences sociales en entraînant, notamment, des fermetures d’établissements. J’ajoute que l’article L. 8272-1 du code du travail autorise déjà l’autorité administrative, lorsqu’elle a connaissance d’un procès-verbal pour travail illégal, à demander le remboursement d’une aide publique perçue au cours des douze derniers mois.
Au final, je pense que la suppression de cette peine complémentaire était justifiée et qu’elle ne remet nullement en cause l’ensemble des apports de la proposition de loi.
Deuxièmement, la commission mixte paritaire a derechef changé l’intitulé de la proposition de loi, que nous avions nous-mêmes déjà modifié. Ce texte vise désormais à lutter contre la concurrence sociale déloyale, traduisant ainsi en bon français l’expression à connotation anglo-saxonne de « dumping social ».
En conclusion, je rappelle que cette proposition de loi, malgré des avancées considérables, ne sera pas suffisante à elle seule pour lutter contre les formes de concurrence déloyale qui gangrènent notre modèle social. La majorité des cas de fraudes au détachement pourraient être résolus si nous obtenions une harmonisation sociale par le haut entre les États membres de l’Union européenne, assortie du paiement dans le pays d’accueil des cotisations sociales du travailleur.
Malheureusement, la voie de l’harmonisation sociale sera lente, trop lente pour répondre aux attentes des entreprises françaises soumises à une concurrence sociale déloyale et prédatrice d’emplois, alors même que le règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale constitue un véritable verrou juridique, en posant comme principe général que les cotisations sociales d’un travailleur détaché doivent être payées dans le pays d’origine si le détachement dure moins de deux ans.
Au niveau national, nous devons en revanche nous mobiliser rapidement pour améliorer la réponse pénale et administrative – l’adoption définitive de ce texte devrait nous le permettre –, tout en renforçant l’action, les moyens et les effectifs des corps de contrôle, notamment ceux de l’inspection du travail.
Mes chers collègues, je souhaite que le Sénat vote le plus largement possible les conclusions de la commission mixte paritaire.