Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 12 juin 2014 à 9h30
Lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face au développement du phénomène des travailleurs détachés, le Gouvernement a décidé de légiférer sans avoir à attendre les conclusions des travaux de la Commission européenne.

Comme notre groupe a eu l’occasion de le dire lors de la première lecture, il ne peut être fait grief au Gouvernement d’utiliser une chronologie peut-être contestable en anticipant la future législation européenne puisque tout semble indiquer que cette proposition de loi est eurocompatible.

Tandis qu’on assiste à une véritable explosion du détachement de travailleurs, les travaux de la Commission européenne devraient aboutir d’ici à 2016. Dernière étape majeure de la discussion européenne, le 9 décembre 2013, un accord sur une orientation générale a été conclu lors de la réunion du Conseil « Emploi et affaires sociales ». Autant dire que le droit communautaire ne pourra pas nous venir en aide immédiatement !

Aussi, le groupe UMP et moi-même ne contestons pas l’opportunité d’une telle proposition de loi : elle est nécessaire.

Sur le fond, en revanche, notre groupe est davantage partagé.

En ce qui concerne le principal objet de cette proposition de loi, à savoir la responsabilité solidaire du donneur d’ordre en cas de non-paiement des salaires des travailleurs détachés par un sous-traitant direct ou indirect, nous rejoignons les auteurs de cette proposition de loi. Cette disposition ne permettra sans doute pas de limiter le recours aux travailleurs détachés, en admettant que cela soit notre objectif, mais elle donnera une base légale à l’agent de contrôle et ensuite aux juridictions compétentes pour condamner les professionnels malveillants.

Malheureusement, je ne peux que renouveler l’opposition de mon groupe à l’article 1er, qui tend à élargir le dispositif de responsabilité solidaire à l’ensemble du noyau d’obligations de l’employeur qui détache des travailleurs.

Le phénomène d’ingérence de la part du donneur d’ordre vis-à-vis du sous-traitant a été largement évoqué, et je crois pouvoir dire que les termes employés ne sont en rien exagérés.

Comment les donneurs d’ordre pourront-ils s’assurer physiquement que leurs sous-traitants se plient bien à un ensemble d’obligations aussi variées que le respect des majorations pour les heures supplémentaires, l’assujettissement aux caisses de congés intempéries, ou encore les repos compensateurs ?

Certes, la vérification du paiement des salaires peut être faite en quelques minutes, mais il n’est nul besoin d’être présent physiquement sur les lieux où la prestation est réalisée pour pouvoir s’assurer du paiement des salaires.

À l’inverse, les nouvelles obligations qui incombent au donneur d’ordre le contraindront de facto à être présent sur les lieux où s’effectue la prestation, et nous savons très bien que, dans l’immense majorité des cas, les entreprises ne pourront pas réaliser les vérifications qui s’imposent.

Mais il est un secteur où ces nouvelles obligations semblent totalement inapplicables : celui des transports.

Le donneur d’ordre aura déjà des difficultés à vérifier le respect de l’ensemble de la législation du travail par le sous-traitant lorsque celui-ci concentre son activité sur une zone fixe. Aussi, imaginez un instant le casse-tête pour le donneur d’ordre qui devra procéder à des vérifications sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne et sur des travailleurs qui sont, par essence, en perpétuel mouvement !

Je crois donc que l’article 1er ter sera totalement inopérant en matière de lutte contre le dumping social dans les transports.

Bien sûr, je ne voudrais en aucun cas donner l’impression que les transports sont épargnés par le phénomène, car c’est sans doute le secteur ou les distorsions de concurrence sont le plus préjudiciables aux entreprises françaises. À cet égard, je vous invite à relire les observations du rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, Gilles Savary, qui a justement pointé le comportement de certaines compagnies aériennes low cost. Cependant, dans ce cas, le problème ne vient pas d’une entreprise peu regardante sur le droit du travail applicable aux salariés de ses sous-traitants : il s’agit plutôt d’une fraude massive organisée par le donneur d’ordre lui-même.

Une autre disposition a marqué les échanges que nous avons eus au Sénat : l’article 6, qui vise à mettre en place une liste noire des entreprises indélicates. La Haute Assemblée a souhaité supprimer le seuil de 15 000 euros d’amende permettant l’inscription sur la liste noire. On peut comprendre la logique qui consiste à dire que, si liste noire il doit y avoir, autant que celle-ci ne se limite pas aux entreprises dont les condamnations ont été les plus lourdes, d’autant que les condamnations seront fonction des fraudes, qui seront elles-mêmes fonction de la taille de l’entreprise.

Pour autant, la rédaction qui est désormais soumise à notre examen ne nous satisfait pas davantage que la version initiale. Espérons que les entreprises françaises ne seront pas les seules à faire l’objet d’une telle exposition et que nos voisins européens, à la faveur de lois nationales ou du droit communautaire, verront leurs entreprises soumises au même dispositif !

Le groupe UMP rencontre aussi des difficultés avec les articles 6 bis et 7, qui relèvent de la même logique et, partant, sont contestables pour les mêmes raisons.

L’article 7 offre la possibilité aux syndicats de se constituer partie civile, y compris sans l’accord du salarié lésé. L’article 6 bis, quant à lui, permet aux organisations syndicales représentatives d’ester en justice en faveur du salarié détaché ou, en cas de travail dissimulé, devant le conseil de prud’hommes, sans avoir à justifier d’un mandat de l’intéressé, à condition que ce dernier ne s’y soit pas opposé.

Sur le fond, nous comprenons la volonté qui a présidé à l’adoption de cette disposition. Néanmoins, elle ne peut avoir que deux issues : soit on demande l’accord exprès du salarié et, dans ce cas, il est fort probable que l’action en justice n’aura jamais lieu, puisqu’il sera la plupart du temps physiquement impossible de le joindre ; soit on dispense les organisations syndicales représentatives d’obtenir l’accord du salarié pour s’assurer que les actions en justice pourront avoir lieu, mais on est alors rattrapé par le droit constitutionnel, qui consacre le principe selon lequel nul ne peut plaider par procureur.

Cependant, comme nous l’avons reconnu en première lecture, des précautions ont été prises en ce qui concerne l’article 6 bis puisqu’il prévoit que l’action peut avoir lieu à la condition que le salarié ne s’y soit pas opposé. Reste à savoir comment le salarié sera informé de l’action…

À l’inverse, de telles précautions n’ont pas été prises à l’article 7.

Pour ces raisons, nous ne pouvons pas soutenir ces deux articles.

Enfin, dernier article dont le groupe UMP conteste la pertinence, non du point de vue éthique, mais au regard de son applicabilité : l’article 7 bis. Celui-ci a pour objet d’instaurer deux nouvelles peines pour les entreprises condamnées pour travail dissimulé : l’exclusion de toute aide publique pendant une durée de cinq ans, puis l’exclusion de toute aide financière versée par une personne privée chargée d’une mission de service public.

En plus de ces sanctions, qui sont loin d’être symboliques, sur proposition de nos collègues du groupe CRC, le Sénat avait introduit l’obligation, pour une durée de cinq ans, de reverser aux organismes concernés l’intégralité des sommes perçues au titre des aides publiques durant la période du contrat incriminé.

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