Monsieur le ministre, vous avez dit que vous réalisiez en deux ans ce que la droite n’avait pas fait en dix ans. Je vous souhaite de réussir et je vous donne rendez-vous dans deux ans : nous verrons alors si l’adoption de cette proposition de loi aura produit des résultats.
Je me permets d’intervenir parce que le recours aux travailleurs détachés m’inquiète énormément. J’ai en effet examiné la situation dans mon département et rencontré des représentants des fédérations professionnelles, notamment ceux de la CAPEB. Ces derniers m’ont communiqué des documents et fait part de leur ressentiment.
Ce ressentiment, à quoi tient-il ? On ne trouve plus un chantier où les ouvriers parlant français sont majoritaires. Le travail fourni par ces travailleurs détachés est excellent, car ils peuvent consacrer tout le temps nécessaire aux travaux minutieux, ce que, souvent, on ne peut plus faire en France compte tenu du coût horaire de la main-d’œuvre. Ces travailleurs peuvent, eux, passer du temps à réaliser des travaux précis parce que les entreprises qui les emploient pratiquent un taux de salaire horaire défiant toute concurrence !
J’ai demandé à mes interlocuteurs comment les choses se passaient concrètement. Permettez-moi de vous lire, monsieur le ministre, le contenu d’un courriel adressé à une entreprise qui avait fait appel à une agence d’intérim.
« Varsovie, 18 novembre 2013. Faisant suite à votre e-mail de ce jour, je reviens vous confirmer les conditions de détachement de nos salariés dans votre entreprise.
« Comme dans le cadre de l’intérim en France, les personnes détachées sont nos salariés : vous ne les embauchez donc pas et ne faites que régler une facture de prestation de services hors TVA, puisqu’il s’agit d’une prestation intracommunautaire.
« Le taux horaire est de 16 euros par heure travaillée, avec un décompte par quarts d’heure. Le calcul du coût du travail est simple : le prix de la prestation est égal à 16 euros multipliés par le nombre d’heures travaillées. Ce taux horaire comprend tout : salaires, charges, congés payés, trajet aller-retour vers la France, nourriture des salariés, à l’exception de l’hébergement, qui reste à votre charge.
« Vous n’avez aucune formalité administrative à accomplir : pas de bulletins de salaire, pas de déclarations d’embauche, pas de charges sociales à payer. Nous nous chargeons de l’ensemble des éléments administratifs, tels que la déclaration de détachement à l’inspection du travail.
« Nos contrats vous proposent une souplesse inédite et maximale : vous pouvez mettre fin à la mission à tout moment, sans motif. Vous disposez d’une semaine pour solliciter, sans frais, le remplacement des salariés qui ne conviendraient pas.
« Les heures supplémentaires réalisées par les salariés restent au même taux horaire : 16 euros hors taxes. Nous payons la majoration au salarié, mais ne vous la répercutons pas.
« Nous sommes en mesure de vous adresser des salariés en une semaine environ. Si vous prenez une équipe de plus de quatre salariés, le taux horaire peut alors diminuer et nous serons en mesure de vous faire une nouvelle offre. »
Vous pouvez constater, monsieur le ministre, la pression concurrentielle qu’exercent les entreprises qui proposent une main-d’œuvre jetable, livrée selon les besoins. Il y a tout de même là de quoi être interpellé !
Or je ne suis pas sûr que la proposition de loi que le Sénat va adopter réponde au problème. En effet, quand on peut bénéficier de telles conditions, pourquoi se placer dans l’illégalité ? Autant recourir aux services du plus grand nombre possible de travailleurs détachés et rester ainsi dans la légalité !
Les mesures que nous votons aujourd’hui sont des mesures de lutte contre le travail illégal. Mais, quand on propose de tels taux horaires dans la légalité la plus complète, il est inutile de prendre le risque de l’illégalité !
C’est pourquoi je crains fort que la présente proposition de loi ne réponde pas à cette situation particulièrement préoccupante. Cela étant, que les choses soient claires : cette initiative reste tout à fait louable, car il faut lutter contre le travail illégal !
Je voulais vous soumettre ce problème, monsieur le ministre, car j’ai été sidéré à la lecture de ce document. Nous allons devoir reprendre notre bâton de pèlerin pour proposer des mesures plus efficaces.
Certes, l’inspection du travail conserve une possibilité d’intervention par le biais de l’hébergement puisque celui-ci reste à la charge de l’entreprise donneuse d’ordre. Vous savez que les conditions d’hébergement des travailleurs détachés sont rarement conformes aux normes en vigueur en France et je pense qu’il serait bon de faire preuve de vigilance sur ce point.
En revanche, pour les donneurs d’ordre qui recourent aux appels d’offres, monsieur le ministre, il va falloir revoir les textes. Dans les appels d’offres publics qui font l’objet d’une attribution au mieux-disant, les entreprises qui recourent en toute légalité à des salariés détachés disposent d’un avantage concurrentiel énorme par rapport aux entreprises françaises employant des salariés français.
Telles sont les raisons pour lesquelles je me suis permis de vous interpeller, monsieur le ministre, et je vous remercie de m’avoir écouté.