En effet, ainsi que je l’avais exprimé devant M. Sapin, comme sur de nombreux textes – j’en citerai certains que j’avais déjà retenus à ce moment-là, les emplois d’avenir, le compte de pénibilité, les contrats de génération –, textes souvent adoptés suivant la procédure d’urgence, sans véritable évaluation, avec une concertation réduite à sa plus simple expression, je crains que, pour ce qui concerne la formation et l’accompagnement des demandeurs d’emploi, devant l’urgence de ce problème, le Gouvernement ne doive, dans un proche avenir, revoir sa copie.
Je me permettrai simplement, sans être exhaustif, de rappeler que, lors du débat sur la loi relative à la formation professionnelle, le groupe UMP avait multiplié les avertissements et les propositions en déposant de nombreux amendements, en vue d’améliorer les conditions de la formation professionnelle des demandeurs d’emploi. Je reviendrai sur les principaux d’entre eux.
D’abord, nous avions à l’époque souligné l’insuffisance des fonds dédiés dans ce texte à la formation des demandeurs d’emploi. Si les 600 millions d’euros ont été portés à 900 millions d’euros au travers du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, le FPSPP, on sait toutefois qu’en corollaire la baisse de la cotisation pour la formation professionnelle va priver les organismes paritaires collecteurs agréés, les OPCA, qui abondaient précisément ce FPSPP, d’une partie de leurs ressources. Dans ces conditions, il risque d’être difficile d’alimenter ces fonds dédiés aux demandeurs d’emploi.
Nous avions aussi proposé par voie d’amendement de porter de 150 à 250 heures le fameux compte personnel de formation, le CPF, pour les demandeurs d’emploi. Cet amendement a été refusé, le ministre nous ayant expliqué qu’au-delà de 150 heures la règle générale s’appliquait et qu’il était donc possible d’abonder le CPF au-delà de 150 heures.
Mais quand on sait que ce possible abondement trouverait sa source éventuelle auprès des régions, de Pôle emploi et des entreprises, que ces trois « structures, » pour les appeler ainsi, ont des difficultés financières et des budgets extrêmement contraints, pour des raisons diverses les unes et les autres, on peut craindre que cette possibilité d’abondement ne soit réduite à sa plus simple expression. À cette observation, M. Sapin avait alors répondu que la remarque pouvait évidemment être reçue, mais qu’il se fondait en fait sur un pari. Il est tout de même un peu gênant de se fonder sur un pari quand il s’agit de formation des demandeurs d’emploi !
Ensuite, nous avions demandé une simplification concernant les trois listes de formations qualifiantes. Ces listes, qui ont des origines différentes – État, Pôle emploi, région –, qui se croisent, se superposent, représentent un parcours du combattant pour un demandeur d’emploi – parfois un peu démuni, redoutant les refus, qui lui sont d'ailleurs souvent opposés – à la recherche de formations. Nous avions souhaité qu’elles soient réduites à deux, voire à une liste unique à l’échelon national de matière à simplifier l’approche. Amendement refusé !
Nous avions aussi, sur l’initiative de Jean-Claude Carle, proposé un amendement permettant qu’une formation socle des connaissances soit jumelée avec une formation qualifiante. Cela paraissait la moindre des choses puisqu’on sait qu’un des principaux freins à la reprise d’activité par des demandeurs d’emploi en précarité est bien souvent l’absence des savoirs de base : lecture, écriture, expression. On se rend compte que, dans le cadre d’une formation qualifiante qui peut aboutir à un métier, le demandeur d’emploi à qui on redonne ces savoirs de base reprend confiance en lui et voit ainsi augmenter ses chances de déboucher sur un emploi. Cet amendement, qui était de sagesse, a été repoussé.
J’ajouterai, comme Mme Archimbaud l’a souligné à propos des personnes handicapées, que l’apprentissage – même si M. Sapin affirme le contraire – a bien été sacrifié comme variable d’ajustement financière. Nous avons les plus grandes craintes quant au développement de l’apprentissage dans la mesure où, aux termes de cette loi sur la formation, le désengagement de l’État s’est traduit par le transfert de la compétence de la quasi-totalité de l’apprentissage aux régions, auquel s’est ajoutée la suppression des exonérations de charges sociales dont certaines entreprises bénéficiaient auparavant.
Cela fait beaucoup. Je rappelle que nous avions formulé toutes ces propositions lors du débat sur la loi relative à la formation professionnelle. Je suis persuadé que, si certaines d’entre elles avaient été adoptées, un petit plus aurait pu être constaté pour cette catégorie de demandeurs d’emploi.
Et puis il y a l’actualité plus récente.
J’évoquerai le conflit qui oppose l’État et les chambres de commerce et d’industrie – CCI –, sur fond de désengagement financier une fois de plus.
Je pense que les CCI ont écrit à la plupart des parlementaires dans le cadre du « bras de fer » qui les oppose à l’État pour signaler que, si le Gouvernement allait jusqu’au bout de sa résolution concernant les CCI, elles pourraient être contraintes de fermer un certain nombre de CFA, de réduire, sur trois ans, le nombre d’apprentis de 100 000 à 70 000, et surtout d’arrêter des actions de formation en direction des demandeurs d’emploi et des salariés en reconversion.
Et puis il y a la réforme des collectivités territoriales, dont nous avons d'ailleurs parlé cet après-midi dans le cadre des questions cribles.
Nous avons tous compris que cette réforme, dont on commence à deviner les contours, qui sera débattue au Sénat au début du mois de juillet, aboutirait à l’émergence de régions découpées sans cohérence – c’est un jugement personnel mais que partagent beaucoup de mes collègues. Ces collectivités, pour certaines tentaculaires – je me ferai quand même plaisir en citant la région Centre, qui sera la plus grande région de France si nous allons jusqu’au bout de cette réforme –, seront les seules compétentes en matière de formation professionnelle et d’apprentissage.
D’abord, il faudra gérer cette transition brutale ; ensuite, tout le monde le sait, M. Desessard l’a souligné, pour être efficace dans un domaine aussi sensible, il faut des actions de proximité, des actions d’accompagnement, d’autant plus simples à mettre en place que la circonscription territoriale est restreinte. Je crains que l’émergence de ces super-régions, sans relais en matière de formation et sans relais locaux, n’aboutisse à de véritables usines à gaz – expression que j’emploie beaucoup mais qui dit bien ce qu’elle veut dire ! – et n’éloigne encore plus les demandeurs d’emplois de la formation continue dont ils ont besoin.
Je ferai un autre commentaire, qui est aussi un corollaire des propos que je viens de tenir. Tout le monde reconnaît – et je plaide coupable puisque c’est l’ancienne majorité qui avait introduit ce dispositif – l’échec évident du revenu de solidarité active, le RSA, et plus précisément du RSA activité.
Des analyses récentes démontrent que 70 % des personnes éligibles au RSA activité ne sollicitent pas la prestation et qu’un très faible pourcentage des bénéficiaires du RSA socle a retrouvé un emploi en passant par le RSA activité. C’est quand même la traduction d’un échec.
Comment cela s’explique-t-il ?
Pourtant, l’intention était bonne. Avantager financièrement ceux qui décident de reprendre un emploi était un objectif tout à fait louable et souhaitable. Mais une fois de plus, les conseils généraux ont été contraints d’appliquer la procédure administrative. Les complications et les obstacles administratifs à l’instruction des dossiers étaient tels que beaucoup ont finalement renoncé à instruire ces dossiers.
En fait, cela n’a jamais vraiment été efficace, d’autant que les effets de seuils, dont on connaît la perversité, ont pu jouer. Dès lors qu’on dépasse un certain plafond, on perd un certain nombre d’avantages indirects, on le sait bien. Beaucoup disent, après avoir fait leurs calculs, additionné les plus et les moins, que in fine, même s’ils y gagnent un petit peu financièrement, il vaut mieux rester chez soi. Il n’y a pas de véritable incitation à la recherche d’emploi. Il faut donc revoir le problème.
D’autant que, parallèlement, on se rend compte que la prime pour l’emploi, qui continue de produire ses effets, n’a pas atteint véritablement son but.
Vous savez tous comment elle est distribuée : elle prend la forme d’un avoir fiscal. Habitant en face d’une recette perception, au moment du versement de la PPE, je vois arriver beaucoup de ses bénéficiaires munis de la lettre leur permettant de récupérer leur chèque. Le versement s’effectue sans contrepartie ; il n’y a pas de sensibilisation, un effet quasi mécanique s’attache à la perception de cette prime pour l’emploi, qui est à la limite d’un effet d’aubaine.
Il me paraît donc fondamental d’engager une réflexion sur la pertinence du maintien du RSA activité et de la prime pour l’emploi : si l’on récupérait une partie des fonds qui sont dédiés à ces deux politiques, on pourrait bâtir un dispositif cohérent, qui donnerait réellement des avantages financiers aux demandeurs d’emplois qui sont en recherche de formation.
Sur ces deux points, de nombreuses personnes sont d’accord avec moi, mais elles le disent tout bas. À un moment, il faut tout de même provoquer un déclic pour que certains aient le courage de dire qu’il convient d’arrêter. Majorité et opposition pourraient travailler ensemble, puisque nous en sommes les instigateurs, afin de faire avancer le dossier dans ce sens.
J’en ai fini avec ce qui n’est pas vraiment un réquisitoire, mais plutôt des observations. Avant de conclure, je vous ferai simplement observer, mes chers collègues, qu’il me reste treize minutes de temps de parole, que je n’utiliserai pas. J’avais sciemment fait laisser sur le dérouleur de séance les vingt-sept minutes initialement accordées au groupe UMP parce que je voulais faire à mes collègues qui avaient fait l’effort d’être présents aujourd'hui pour ce débat une bonne surprise : celle de gagner près d’un quart d’heure pour partir plus tôt et, surtout, ne pas être confrontés aux difficultés de circulation résultant des grèves ! §
Pour conclure, vous l’aurez compris, monsieur le ministre, j’estime – et je pense que mon groupe est du même avis – que la question posée par M. Desessard est justifiée. Nous ne sommes pas toujours d’accord sur certaines de vos préconisations, monsieur Desessard, mais, sur le fond, votre question, au moment où vous la posez, est tout à fait pertinente. Aussi, j’y reviendrai, j’espère que votre sagesse sénatoriale, monsieur le ministre, vous conduira à retenir quelques-unes des orientations que j’ai eu la modestie de vous exposer, afin que nous puissions avancer en la matière.