Intervention de David Assouline

Commission pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 17 juin 2014 : 1ère réunion
Rapport annuel sur l'application des lois

Photo de David AssoulineDavid Assouline, président :

La situation est un peu moins mauvaise que certaines années mais, sur le plan des principes, nous vivons mal que le Gouvernement impose au Parlement d'examiner de nombreux projets de loi en procédure accélérée, alors que la publication de leurs décrets d'application prend souvent plusieurs mois.

Il faudrait vraiment qu'à l'avenir, si le Gouvernement nous presse, les assemblées demandent que les décrets d'application sortent rapidement.

Même réserve quant à l'apurement du « stock ancien » - j'entends par là les lois antérieures à 2007 - auquel j'ai consacré d'amples développements l'an dernier : les lois que l'on n'applique pas parce qu'on les considère comme obsolètes devraient être abrogées ; à défaut, elles doivent recevoir leurs textes d'application. Il n'y a eu sur ce point aucun progrès significatif cette année, et tout porte à croire qu'il n'y en aura jamais, à moins d'une impulsion volontariste de l'exécutif, pour le moins improbable.

Les commissions semblent s'y être résignées comme à une évidence : les alternances, les changements de priorités politiques et les nouvelles exigences du moment ont pour effet quasi-mécanique de reléguer les vieilles lois aux oubliettes réglementaires...

Quant aux rapports que le Gouvernement doit remettre au Parlement, la situation demeure assez contrastée. Les commissions déplorent que le Gouvernement ne dépose pas tous les rapports qu'on lui demande, ou qu'il le fasse dans des délais souvent beaucoup plus longs que prévu : en moyenne, seulement un rapport sur deux est déposé en temps utile. Cette tendance générale, à peu près constante d'une année sur l'autre, est bien peu respectueuse de la volonté du Parlement !

D'un autre côté, nous nous plaignons souvent d'être submergés de rapports que nous n'avons pas le temps d'exploiter de manière optimale. Si je voulais être provocateur, je dirais que ça donne peut-être une bonne excuse au Gouvernement pour ne pas nous remettre tous les rapports demandés !

Selon les décomptes de la direction de la séance, le Gouvernement a déposé, au cours des cinq dernières sessions, plus de 450 rapports, sans compter tous ceux qui nous arrivent par d'autres canaux, comme celui de la Cour des comptes...

C'est une technique parlementaire classique : on demande un rapport toutes les fois qu'un amendement n'est pas adopté. Comment s'étonner, dans ces conditions, qu'ils soient de qualité très inégale ? Nous devrions être plus mesurés dans nos demandes de rapports, et tirer un meilleur parti de ceux qui nous sont fournis. Je pense en particulier à l'exploitation des rapports dits « de l'article 67 », qui font état, dans les six mois suivant sa promulgation, de la mise en application de toute nouvelle loi.

En définitive, il est regrettable que beaucoup trop de mesures votées par le Parlement ne soient pas encore entièrement applicables, mais nous devons reconnaître les efforts accomplis depuis trois ans par le Gouvernement et par son secrétaire général pour un respect plus vigilant de ses obligations. Sans être optimaux, les chiffres de l'année parlementaire 2012-2013 sont bons : ils traduisent une réelle prise de conscience de la nécessité de publier rapidement les décrets d'application, et la volonté politique d'y parvenir.

J'en viens maintenant à plusieurs recommandations techniques de nature à améliorer notre contrôle. La première serait de mieux réguler la pratique du renvoi à un décret en Conseil d'État, dont l'audition de la semaine dernière a bien montré les effets pervers : on abuse du procédé -sans doute parce qu'il est plus valorisant qu'un décret ordinaire- et cela provoque l'engorgement du processus réglementaire. Dans la plupart des cas, on obtiendrait les mêmes garanties en renvoyant à un décret simple, voire sans renvoi du tout... J'ai été renforcé dans cette conviction par le secrétaire général du Gouvernement, qui nous a dit lutter contre l'usage de cette mention dans les avant-projets de lois. Guerre perdue d'avance, si le renvoi supprimé est rétabli au stade de la discussion parlementaire, parfois même à l'instigation du ministre intéressé...

On pourrait aussi tirer meilleur parti des questions parlementaires au service de l'application des lois. D'après les statistiques établies par la division des Questions, plus de 150 des quelque 6 300 questions écrites posées par les sénateurs en 2013 ont porté précisément sur les difficultés ou les retards de mise en application des lois. Le problème, c'est que beaucoup de ces questions demeurent elles aussi sans réponse....

C'est d'autant plus dommageable que les sénateurs, en bons connaisseurs des réalités locales, posent des problèmes très concrets d'application des lois dans leurs questions écrites : c'est une mine d'informations dont nous n'avons pas toujours connaissance, alors que ces problèmes relèvent pourtant directement de notre champ de compétence.

Lors de son audition, le ministre nous a proposé de réfléchir à un nouveau parcours des questions écrites portant sur l'application des lois. Si la réponse tardait, elle pourrait être relancée par le Président de la commission pour le contrôle de l'application des lois, qui saisirait le ministère chargé des relations avec le parlement pour activer le ministère concerné.

Ce « nouveau parcours » ouvre sans aucun doute des perspectives intéressantes que le Sénat pourrait essayer de suivre, au moins à titre expérimental, dès la prochaine rentrée parlementaire.

Le contrôle n'est pas une fin en soi : il n'a d'intérêt que s'il débouche sur des mesures effectives mettant en oeuvre les observations et les recommandations qui en ressortent. Cela suppose un dispositif en aval permettant d'en apprécier les effets concrets.

Dans cette perspective, je souhaiterais également un suivi plus spécifique des propositions formulées par les rapporteurs des bilans d'évaluation de notre commission, en coordination bien sûr avec les commissions permanentes.

J'en viens à quelques réflexions plus générales sur l'amélioration de la qualité de notre législation.

La nouvelle culture normative, promue notamment par l'OCDE, est sous-tendue par l'idée que, pour pouvoir s'appliquer, la loi doit être rentable et réaliste.

Il ne faut cependant pas aller trop loin sur ce terrain, car il recèle un risque pour notre liberté d'appréciation et de proposition : qui décidera si une loi est réaliste ? Nous ne devons pas nous autocensurer au nom de la qualité de la loi ; pour autant, les mauvaises habitudes parlementaires consistant à doubler ou tripler la longueur des textes législatifs au fil de la navette ne contribuent ni à leur lisibilité ni à leur efficacité. Si les parlementaires étaient moins enclins à porter leur marque sur les lois en multipliant les articles, l'administration aurait moins de décrets à faire, et les citoyens moins de difficulté à les comprendre. Prenons l'exemple de la loi Alur...

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