Intervention de Jean-Louis Carrère

Réunion du 18 juin 2014 à 14h30
Débat sur les zones économiques exclusives ultramarines

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, mes chers collègues, au mois de septembre 2013, la frégate de surveillance Nivôse, basée à la Réunion, en mission de souveraineté et de police des pêches, a appréhendé un bâtiment de recherche pétrolière en train de mener des activités illégales d’exploration dans notre zone économique exclusive autour des îles Éparses, territoire français situé dans le canal du Mozambique, dont on sait qu’il recèle des richesses pétrolières et gazières importantes.

Cet exemple illustre bien les évolutions en cours.

D’abord, les évolutions technologiques mettent à portée des ressources économiques jusqu’alors inaccessibles, et ce à un coût moindre.

Ensuite, les évolutions économiques poussent à la diversification et à l’intensification de l’exploitation des ressources de la mer, afin de répondre aux besoins croissants de la population mondiale, qu’il s’agisse des besoins alimentaires – pêche, aquaculture –, des besoins en énergie – gisements offshore, énergies renouvelables – ou en métaux rares.

Enfin, les évolutions du cadre juridique, depuis l’entrée en vigueur de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, ont élargi l’emprise des États côtiers.

À la mer territoriale pouvant s’étendre jusqu’à 12 milles au-delà de la côte, où s’exerce l’entière souveraineté, s’est ajoutée, jusqu’à 200 milles, soit 370 kilomètres, une zone économique exclusive, une ZEE, cette zone pouvant aller, lorsque les États ont obtenu l’extension maximale de leur plateau continental, jusqu’à 350 milles, c'est-à-dire 650 kilomètres. Cette délimitation des espaces maritimes constitue un bouleversement considérable.

De ces mutations procède la maritimisation des enjeux économiques, dont Jeanny Lorgeoux et André Trillard, qui interviendront ultérieurement, ont montré l’importance dans un rapport que nous avons publié dans la perspective des travaux de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Ce phénomène modifie l’équilibre géopolitique des océans. Il exacerbe la concurrence entre les États et fait naître ou renaître des risques et des menaces allant du terrorisme à la piraterie, des flux criminels aux atteintes à l’environnement et, bien sûr, à la biodiversité.

La France est une grande bénéficiaire de cette révolution. Grâce à l’outre-mer, elle bénéficie d’un positionnement stratégique singulier et dispose d’une ZEE de 11 millions de kilomètres carrés, la plus vaste du monde après celle des États-Unis. Cette zone – ces zones, devrions-nous dire – est répartie dans tous les océans de la planète, à 97 % outre-mer et souvent autour de territoires de taille réduite, parfois même dépourvus de population. De ce fait, notre pays dispose d’un potentiel considérable de richesses minérales et halieutiques qui lui sera indispensable pour survivre durablement dans la compétition internationale.

L’exploitation de ces ressources, mais aussi le développement des technologies nécessaires à celle-ci constituent des enjeux économiques importants, notamment pour nos collectivités d’outre-mer, dont l’économie – certains collègues le diront mieux que moi ! – reste fragile et dont nous devons impérativement réévaluer l’importance au sein de notre communauté nationale.

Les orateurs suivants qui interviendront au nom de la délégation à l’outre-mer et des différents groupes parlementaires auront l’occasion de parler davantage de ce potentiel et des moyens de le développer.

En tant que président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je souhaite mettre l’accent plus particulièrement, mais brièvement, rassurez-vous, mes chers collègues, sur les enjeux de sécurité ; Jeanny Lorgeoux et André Trillard complèteront mon propos.

Ces enjeux vont s’accentuer. Les sources de richesses suscitent les convoitises. La territorialisation des fonds marins et de leur sous-sol est, pour l’avenir, une raison de tensions dont l’essentiel pourra, sans doute, être géré par une médiation juridique, mais ces tensions pourraient aussi être une cause potentielle de conflits armés dans le monde. On le constate nettement au travers des événements actuels en mer de Chine, par exemple.

Cette territorialisation souligne également la nécessité pour les États qui, comme la France, souhaitent exploiter les espaces maritimes sous leur juridiction de disposer des moyens adaptés à la maîtrise de ces zones et à leur sécurisation.

À cet égard, permettez-moi d’ouvrir une parenthèse. Voilà une semaine, lors d’un déjeuner, j’ai demandé à brûle-pourpoint à l’amiral, chef d’état-major de la marine, quels moyens seraient nécessaires pour avoir de véritables potentialités en matière de surveillance en mer de ces ZEE. Six bâtiments adaptés, m’a-t-il répondu. Faites les comptes, mes chers collègues ! Voyez ce que cela représente en termes de moyens financiers et d’exigences !

La protection de nos ZEE contre des exploitations illicites va devenir un enjeu tangible avec la croissance des menaces, qui profitent également des avancées techniques.

Je veux parler de la capacité des navires de pêche à opérer de plus en plus loin de leurs ports d’attache et à surexploiter certaines zones traditionnelles, allant jusqu’à porter atteinte à la diversité biologique.

Je veux parler de la capacité de mobiliser des moyens d’exploration – et, peut-être demain, d’exploitation – de ressources minérales ou pétrolières sans autorisation.

Je veux parler encore de la capacité des acteurs de la piraterie ou du terrorisme à opérer, demain, contre des installations offshore ou contre des navires approvisionnant celles-ci, à partir de certains États côtiers déstabilisés au point d’être incapables d’assurer la sécurité dans leur propre ZEE. Mes chers collègues, n’en doutons pas : l’aggravation de cette menace nous contraindra à déployer des moyens de protection, comme nous l’avons fait pour lutter contre la piraterie maritime, afin d’assurer la protection de nos approvisionnements et de nos intérêts, mais aussi celle de nos entreprises et de nos ressortissants.

En outre, à mesure que les richesses de ces zones seront découvertes, les contestations juridiques émanant des États riverains se renforceront ; la multiplication des contentieux pourra retarder le lancement de projets d’exploitation, faute d’une sécurité suffisante en considération du montant des investissements – j’ai déjà abordé ce danger voilà quelques instants.

Notre capacité à garantir la protection des activités dans les ZEE est un enjeu dont l’importance ira croissant au cours des décennies à venir. Cette protection, madame la ministre, passe par la diplomatie et par le droit, mais elle suppose également une capacité à faire respecter nos droits, par la force si besoin.

Jeanny Lorgeoux et André Trillard nous rappelleront que plusieurs territoires sous souveraineté française restent contestés, et que certaines de nos ZEE ne font toujours pas l’objet d’une délimitation avec les pays voisins.

Par ailleurs, nos dossiers de demande d’extension de notre ZEE sur le plateau continental doivent être soutenus, et la cartographie des fonds ainsi que leur exploration réalisées avec une plus grande célérité.

Reste que le perfectionnement du droit international ne suffira pas : il nous faut également maintenir des capacités de surveillance, de contrôle et d’action, pour réprimer les contrevenants.

Or l’action de l’État en mer nécessite des moyens, compte tenu de l’étendue des zones à couvrir. Si nous avons réussi, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, à donner une plus grande importance aux enjeux maritimes, le contexte budgétaire dans lequel la loi de programmation militaire a été élaborée n’a pas permis un effort suffisant pour doter notre marine nationale des moyens absolument indispensables.

Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir soutenir la commission que j’ai l’honneur de présider, qui continue de réclamer le maintien des moyens nécessaires pour relever ces nouveaux défis, et leur accroissement dès que le contexte économique se sera amélioré !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion